jeudi 6 mai 2021

PAGANINI – Concertos pour violon 1 & 2 – A. MARKOV & M. VIOTTI (1992) – par Claude Toon

- Petite question Claude… tu avais dit ou suggéré détester Paganini… Et là, au bout de dix ans, deux concertos pour le prix d'un… Une révélation tardive ?
- Détester n'est pas le mot Sonia ; un manque de passion pour cette musique oui. Mais souvent, il faut attendre de tomber sur l'interprète qui… te touche enfin !
- Et c'est le cas apparemment avec ce violoniste inconnu du Blog : Alexander Markov, russe à tous les coups. Un disque récent ?
- Et inconnu de moi jusqu'à ce que j'écoute à tout hasard ces vidéos… et  achete ce CD, une réédition d'une gravure de 1992, donc près de 30 ans !!!!
- C'est vrai que le jeu du violon paraît diabolique et vertigineux ; mal joué ça doit-être éprouvant pour les tympans tous ces arpèges suraigus…
- Ô que oui, et c'est cela qui me vrille les oreilles habituellement. Ici on a la virtuosité élégante avec en prime… de la musique, pas du sport de haut-niveau de l'archet !


Paganini

Je ne pensais pas écrire un jour un article à propos du génie du violon italien Nicolo Paganini. Pourquoi ? Difficile à expliquer. L'impression d'écouter une musique criarde et sans grande imagination. Les goûts et les couleurs… etc. pour écrire une banalité absolue. Maggy Toon ne peut pas "encadrer" la musique de Richard Strauss dont je raffole. Même en concert, les chefs-d'œuvre comme Don Quichotte ou Une vie de héros, elle n'encaisse pas.

Et cela me gênait de ne pas trouver un beau disque à proposer à mes lecteurs, ne serait-ce qu'à titre de découverte. Ô ce n'est pas la première fois que je découvre un compositeur célèbre tardivement grâce à une interprétation qui me séduit et inverse de manière aussi radicale mon intérêt pour un style musical… Très jeune (14-15 ans), mes références se nommaient Beethoven, Mahler, Bruckner, Dvorak. Du symphonique lourd, sans ironie… La découverte de Mozart et Bach surviendra vers mes 25 ans. Pour Mozart, merci à Joseph Krips et Alfred Brendel, Et pour Bach : merci à Michel Corboz, Hermann Scherchen et même Fritz Reiner… Plus de quarante ans plus tard, mes interprètes de prédilection sont très nombreux dans des styles différents de ceux de ces artistes de l'ancien temps, que les langues de vipères méprisent à tort… Paganini est le dernier dans la liste des compositeurs majeurs à pénétrer dans mon jardin musical secret grâce à la complicité d'Alexander Markov et Marcello Viotti.

En regardant les portraits, gravures et même un daguerréotype de 1840 de notre compositeur du jour, je ne peux que trouver une grande similitude entre la physionomie du violoniste légendaire et celle de Valentin le désossé immortalisé à sa manière par Toulouse Lautrec. Valentin le désossé : le danseur et contorsionniste squelettique du Moulin rouge à la fin du XIXème siècle, l'âge d'or du French-cancan. (Le peintre avait une vision très personnelle de l'artiste qui, photos à l'appui, n'avait ni la maigreur ni le nez busqué tels qu'ils apparaissent sous le pinceau de Lautrec – juste une petite note en passant, vous connaissez ma passion pour la peinture.)

Me voici en galère pour proposer un portrait exhaustif mais concis de Nicolo Paganini. Entre le paragraphe étique quoique pertinent de la pochette du disque signé Alain Cochard et l'article expansif et romanesque digne d'Alexandre Dumas dans Wikipédia, quid de l'essentiel ? Pour Beethoven ou Mahler, j'avais des décennies de lectures d'ouvrages et d'articles au compteur pour m'inspirer. Mais là… sachant que je hais le copier-coller scolaire.


Alexander Markov

Historiquement, mon inconscient situait Paganini au début du XIXème siècle dans le fil de l'histoire musicale ; en deux mots un contemporain de Mendelssohn en ce début de l'époque romantique dont Beethoven posa la première pierre en 1803 avec la symphonie héroïque. J'imaginais le compositeur comme ayant révolutionné le jeu du violon par l'invention de prouesses techniques extrêmes et modernistes, mais aussi un virtuose nous léguant un patrimoine d'œuvres plus vertigineuses qu'émouvantes… Du vrai, et beaucoup d'apriori donc d'erreurs…

Avant toute chose, il faut remonter d'un bon siècle au milieu du XVIIème où, en Italie, un luthier nommé Antonio Giacomo Stradivari (alias stradivarius) perfectionne tel un magicien les violons au son encore râpeux et échappant à toute norme de fabrication. Né en 1644 (l'artisan vivra 93 ans !!) avec ses élèves, le plus connu étant Andrea Guarneri, Stradivarius produira un millier d'instruments dans son atelier dont 600 violons qui sont encore les Rolls des virtuoses, 300 environ ont disparu, et quelques altos et violoncelles et même trois guitares.

Ce perfectionniste entré dans la légende répond par son art à un besoin nouveau : l'émergence du groupe de violons dans les orchestres, les premiers concertos grosso. L'instrument acquiert sa forme standard, gagne en puissance pour jouer dans des salles de plus en plus vastes et la beauté des sonorités résulte d'un choix rigoureux des essences de bois, des colles et des vernis dont la composition reste encore mystérieuse…

Depuis le Moyen-Âge, le violon n'est guère considéré que comme un instrument criard destiné à accompagner danses de village ou de cours. Une tradition qui perdure chez les tziganes. Un premier saut qualitatif au début de l'époque baroque, celle de Monteverdi vers 1600, offre au violon un premier essor. Les luthiers italiens vont le propulser au premier rang ; citons Bach et ses sonates et partitas ou encore Vivaldi et ses centaines de concertos. Si Mozart l'utilise dans l'orchestre en multipliant les effectifs, il se passionne plutôt pour le piano forte en lieu et place du clavecin pour ses ouvrages les plus profonds psychologiquement parlant.

Après les instruments à clavier un peu clinquants dont disposait Mozart, le piano ne cesse de se perfectionner, tant pour sa tessiture qui s'étendra de 5 octaves pendant le siècle des lumières à 7 octaves et demi cinquante ans plus tard. En 1821, Erard invente le levier de répétition (ou double échappement) qui permet d'enchaîner à une vitesse folle les quadruples croches, prestissimo. Chopin puis Liszt, virtuoses à la sensibilité géniale ouvrent le bal des chefs-d'œuvre du répertoire pianistique ; Ravel, Debussy, Rachmaninov ou Prokofiev ont poursuivi cette route au XXème siècle… Paganini serait-il le Chopin du violon ?

Pourquoi cette digression ? L'expansion de l'art pianistique a eu lieu grâce à des améliorations importantes des mécanismes des claviers à la demande des pianistes (Sonate Hammerklavier de Beethoven). À l'opposé, l'enrichissement de la technique très virtuose du violon est le fruit de la dextérité ingénieuse et hors norme d'un Paganini ne modifiant en rien des instruments d'une facture définitivement parfaite depuis un siècle… Deux processus résolument inverses.


Antonio Giacomo Stradivari 

Il me semblait que Paganini pouvait revendiquer à lui-seul la découverte d'une dextérité totalement folle, d'une difficulté inouïe réservée à une élite. Étudions cela. Grande différence avec le piano, Paganini ne modifie pas les merveilleux instruments de Stradivarius, non, ce sont ses doigts qui vont discipliner les cordes et moderniser la technique au-delà du possible !

Niccolò Paganini voit le jour en 1782 à Gênes et nous quittera en 1840. Deux dates qui répondent à mes interrogations. 1780, l'âge d'or de l'époque classique ; Mozart entre dans sa dernière décennie de vie, la plus innovante, mais aussi la plus douloureuse sur le plan matériel, minée par la perte de reconnaissance du public frivole de Vienne et une santé qui se dégrade. Beethoven n'a que dix ans mais Haydn est au faîte de sa gloire. D'origine modeste, le père est docker et gratouille de la mandoline, Niccolò doit apprendre le violon sous les coups de triques du paternel autoritaire. Le bonhomme agit suite à une illumination de son épouse qui a vu l'enfant jouer du violon en prodige… Gamin surdoué, il maîtrise le violon dès sept ans et se produit en public à onze ans. Des fausses notes et paf : privé de repas ! Ah les bonnes vielles méthodes, le Mozart du violon ! À huit ans il a composé sa première sonate dont le manuscrit est perdu.

Comme tout futur virtuose, Niccolò doit suivre des cours. L'affaire est presque comique dans le sens où il va collectionner, pour ne pas dire démoraliser, maints professeurs qui, un à un, vont jeter l'éponge car moins talentueux que leur jeune élève… Sur ce parcours chaotique, je préfère vous conseiller la lecture sur Wikipédia ; la pluralité du casting éducatif laisse pantois 😊. Pendant l'adolescence, Paganini suivra les cours de composition de Ferdinando Paër, petit maître italien surtout connu pour ses 55 opéras oubliés de nos jours.

Ce parcours initiatique conduit Paganini à s'accoutumer à d'incessants voyages. Lors de la prise de Gènes par les armées napoléoniennes, la famille se réfugie en Italie du nord et le jeune virtuose âgé de 18 ans fait bouillir la marmite en se produisant dans des concerts où son exceptionnelle virtuosité le rend rapidement célèbre. Paganini sera l'un des premiers compositeurs-interprètes à gérer à la manière du show-biz sa carrière… Et cela peut expliquer sa réputation de violoniste privilégiant un jeu spectaculaire par rapport à l'expressivité émotionnelle, comme celle d'un Mozart ou d'un Beethoven. Le musicien stupéfie par ses techniques de jeu "diaboliques" (le violon du diable) dont il garde le secret.


Marcello Viotti

On pense que Paganini, comme Liszt, Rachmaninov ou encore Lincoln et le Général de Gaulle, était atteint du syndrome de Marfan. Les symptômes de cette pathologie rare :  grande taille, allure élancée, des mains extensibles aux articulations très souples. Ce syndrome est encore mal connu et le seul aspect dangereux est le risque hémorragique. Les écarts dans les partitions de Rachmaninov sont tels que des pianistes de petite taille comme Maria-João Pires ne peuvent les jouer. Voir la vidéo de Yuja Wang dans le début du 2ème concerto de Rachmaninov. Les huit accords initiaux à la main gauche défient la morphologie des mains de la jeune chinoise. Des années de travail sont nécessaires pour compléter des prédispositions ethniques.

Tout cela pour en arriver aux caractéristiques de prestigiateur du jeu de Paganini : vélocité, précision, délicatesse, mais surtout la capacité de jouer à la main gauche à la fois des pizzicati tout en continuant le jeu mélodique avec l'archet, n'utiliser pour un morceau que la corde de sol (la plus grave), insérer des demi-tons dissonants avec élégance, il invente aussi des positions corporelles et une gestuelle spécifique, etc. pour l'essentiel. Ajoutons une oreille absolue. Il jouait avec autant de talent de la guitare.

Jusqu'à la trentaine il vit à Lucques en Toscane mais assure des tournées en Italie. Le succès sera toujours au rendez-vous. Paganini, à lire les chroniques n'est guère un type sympathique. Hâbleur et querelleur, Il méprise et brocarde ses concurrents moins habiles. Homme à femmes sans scrupule, ses frasques le conduiront même à la case prison en 1814 (au violon 😊). Quand je parlais de Dumas. Il se produit dans des centaines de concerts et accumule une fortune colossale. (Il possédera 11 stradivarius.) L'Empire Napoléonien s'est effondré et toutes les grandes villes de la Péninsule lui ouvrent les portes avant son départ pour l'Autriche. Parmi des aventures galantes (qui lui permettent de contracter la syphilis), celle avec Antonia Bianchi dure quatre ans, le temps que naisse Achille Ciro Alessandro, son unique enfant, encore une liaison éphémère qui s'achève en procès. Toujours aussi excentrique, il séjournera en Autriche (à Vienne bien entendu), en Allemagne, en Pologne et en France.


"Il Cannone" du luthier
Guarneri del Gesù, 

Le préféré de Paganini.
(Crémone 1743)

Ses voyages offrent à Niccolò l'opportunité de rencontrer les grands compositeurs de l'époque comme Berlioz qui lui proposera un concerto devenu Harold en Italie car Niccolò ne l'interprétera jamais. Les dernières années, minées par la maladie et un cancer de la gorge, il se fait plus discret. On lui refuse des obsèques religieuses du fait de sa vie dissolue et de la rumeur qui le poursuit qu'il aurait passé un pacte avec le diable pour jouer aussi bien. Cela dit, pendant l'agonie, un évêque le visite et balance "Alors hein, c'est fini de jouer du crin-crin", quel tact, quel miséricorde Monseigneur ! Paganini revit juste le temps de le foutre à la porte. Sa dépouille ne sera inhumée en terre consacrée qu'en 1876 (je simplifie, le cercueil lui aussi "vivra" – elle est bien bonne – un drôle de périple). Laissons ici le romanesque style Paris Match.

Paganini atteint la postérité plutôt par son inventivité hors norme dans l'emploi du violon que par son catalogue d'œuvres entièrement composé d'ouvrages pour violon et ou guitare. S'y côtoient tous les genres de la musique de chambre : sonates, quatuors, pièces diverses pour solistes, duos… Aucune œuvre symphonique pure. Paganini a cependant écrit six concertos. Les deux premiers ont leur place dans le grand répertoire, les quatre suivants n'apportent rien d'original et sont rarement joués. Le monument issu de sa plume demeure les 24 caprices qui complètent ce disque et ont été composés entre 1802 et 1817. Ils sont enchanteurs mais seuls quelques virtuoses sont capables de les jouer. Certains violonistes d'orchestre renoncent à tenter l'intégralité du recueil. Ils réunissent toutes les innovations et difficultés possibles, mais au-delà de la prouesse technique, le charme artistique est bien présent, quand même. Alexander Markov est brillant mais Julia Fischer touche au sublime (YouTube).

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Les intégrales des gravures des six concertos sont rares ; l'un d'entre eux ayant été orchestré au XXème siècle par Federico Mompellio. Le coffret les réunissant sous l'archet de Salvatore Accardo en complicité avec Charles Dutoit dirigeant le Philarmonique de Londres reste une forme de référence malgré un son un peu pâteux (DG - 1975). Les deux premiers concertos font le bonheur des virtuoses. Qui sont les interprètes du jour ?

Alexander Markov est un violoniste yankee d'origine russe né en 1963. Son père étant également violoniste, papa et fiston se produiront en duo et en concert après les années d'études. Alexander Markov est sans conteste un spécialiste reconnu de Paganini ; il a remporté le Concours international de violon Niccolò Paganini en 1987. Concertiste invité dans les salles de renom et par les orchestres les plus prestigieux, il est surtout connu pour avoir interprété en une seule soirée les 24 caprices, prouesse qui a donné lieu à un la parution d'un DVD filmé par Bruno Monsaingeon. (1H20 non-stop.) Citons Yehudi Menuhin : "Il est, indéniablement, le plus brillant et le plus inspiré des violonistes actuels… ". Il a adopté la nationalité américaine en 1982.

Helvète de naissance (1954), Marcello Viotti n'a guère eu le temps d'atteindre la célébrité, un AVC l'ayant terrassé à l'âge de 50 ans en pleine répétition en 2005 de Manon de Massenet. Il venait de prendre en 2002 la direction du Théâtre de la Fenice à Venise, une promotion enviée et prometteuse d'une carrière exceptionnelle. Il avait créé à ses débuts un orchestre de vents et enregistré une rareté : l'opéra le roi Arthus de Chausson ; Viotti : un artiste qui aimait sortir des sentiers battus. Il dirige pour ce disque l'orchestre de la Radio de Sarrebruck. 


Paganini par Ingres

Concerto N°1 opus 6 en ré majeur

La composition date de 1817-1818. Ce n'est donc en aucun cas une œuvre de jeunesse. Paganini a déjà imaginé routes les diableries techniques qui émaillent le jeu pour le moins fantasque et brillant de l'ouvrage. La partie orchestrale paraît plus académique mais possède une certaine galanterie. Inutile de chercher à établir pour ce second point le parallèle entre la dizaine des derniers concertos pour pianos de Mozart et les trois derniers de Beethoven dans lesquels la partie orchestrale revêt des dimensions symphoniques dans le sens le plus noble du terme, la métaphysique faisant jeu égal avec l'introspection distillée par le soliste. Pour Paganini, l'orchestre accompagne le soliste qui a la vedette, mais avec un certain brio, reconnaissons-le !

L'orchestration définitive épouse la forme à la mode depuis les symphonies de Haydn et les concertos de Beethoven mais enrichie sensiblement en percussions : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 1 basson + 1 contrebasson, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, cymbales, caisse claire et cordes. La partition originale était plus légère. Il y a eu lors de la publication un micmac au niveau des tonalités originelles (voir Wikipédia, c'est confus).

Comme tout concerto classique, la forme est en trois mouvements (trois vidéos YouTube enchaînées pour chaque concerto) :

 

1 - Allegro maestoso – Tempo giusto : Ah quelle introduction volubile et guillerette ! Nous cheminons bien en Italie, loin des brumes des forêts viennoises. On pensera à Rossini. La thématique ne prend pas aux tripes comme chez Beethoven mais se mémorise facilement. Pas de passion foudroyante mais de la bonne humeur… [0:00] Un accord hautain ff est suivi de l'exposé d'un motif martial et espiègle. La cymbale rythme ces mesures festives. [0:30] La seconde idée est plus galante mais non moins animée. Marcello Viotti amuse par la vitalité du phrasé. [3:09] Le violon fait son entrée après cette ouverture qui fleure bon celui d'un l'opéra-bouffe. Du violon de Paganini jaillissent fantasmagorie et sensualité, des arpèges montants ou descendants vertigineux. Le son de Alexander Markov m'a séduit par son manque d'acidité, de "crincrin" comme balançait ce prélat d'une grossièreté ahurissante face au maître agonisant… Je ne commenterai pas cette œuvre mesure par mesure comme souvent, une analyse passionnante à rédiger mais sans doute ennuyeuse à lire 😉. ("Mais non Claude, ne te laisse pas influencer par Luc".) Apprécions cette belle musique au phrasé aisé à suivre car spontané, sans dramaturgie. L'architecture paraît simple, c'est ce que le public du virtuose attendait, mais ne cède en rien à la facilité. Le violon virevolte tel un lutin facétieux. Une musique pétillante me dit Maggy Toon. La cadence est, on pouvait s'y attendre, diabolique de virtuosité Waouh !


"Le violon de Paganini", tableau de
Uberto Bonetti peintre de Lucques

2 – Adagio : Le mouvement lent est court et débute sur des "accords arpégés" puissants de tout l'orchestre, en tutti. Un effet tragique familier du style de Verdi (Rigoletto) que Paganini appréciait. Rossini dans l'allegro, Verdi dans l'adagio, l'influence de l'âge d'or de l'opéra italien est indéniable. Le discours très loquace du violon, l'incroyable variation du récit musical notamment par ses ruptures de rythme évoque un air de bravoure chanté par un héros de la scène lyrique. Chaque accord est suivi d'une mélodie énigmatique syncopée des cordes puis des bois à laquelle le violon répondra de manière mélancolique. Paganini abandonne les exploits violonistiques qui font sa fierté pour privilégier l'écriture d'une pièce méditative et contrastée. Le solo de violon est tendre et sensuel, féminin ; ce qui justifie un bref dialogue avec le viril basson. [2:26] le développement est en forme de reprise avec variations. Une soirée étoilée en Toscane… [3:44] L'adagio se prolonge dans un climat plus grave avec les trombones qui obscurcissent un temps le propos avant une coda affligée. Paganini pensait n'être qu'un piètre compositeur… Fausse modestie ?


3 - Rondo : Allegro spirituoso – Un poco più presto : Après cet adagio langoureux, retour au marivaudage. Le violon retrouve son alacrité vertigineuse. L'orchestration est plus "fonctionnelle". Ah, il en raffole Paganini de ses combinaisons arco (archet) et pizzicati de concert (sans jeu de mot). Une soirée festive où s'imposent des figures techniques surréalistes [1:39] arpèges chromatiques à l'octave, merci pour la chanterelle…  [5:09] La seconde partie ne dédaigne pas l'humour avec une sinueuse et ironique ligne de chant qui fera grincer des dents… quand le violoniste n'est pas en forme. Un rondo très acidulé quoiqu'un soupçon répétitif. (Partition)


Concerto N°2 opus 7 en si mineur

 

Paganini écrit son second concerto huit ans plus tard en 1826. Les progrès sont fulgurants. Le violon dans le premier concerto s'imposait à la première place jusqu'à l'hédonisme. Le travail sur l'orchestre se limitait à un accompagnement certes coloré et sans mièvrerie mais répétitif. Dans ce premier essai, Paganini se faisait ostensiblement plaisir à avantager la virtuosité. Le tissu orchestral se révélera ici plus allégé en recourant à une orchestration moins percutante : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 1 basson + 1 contrebasson, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, clochette (La Campanella) et cordes. La disparition des cymbales, des timbales et de la caisse claire me plaît bien.  La sonorité n'en est que plus poétique, presque chambriste. 


Clochette d'orchestre

1 - Allegro maestoso : L'introduction se démarque de la gloriole solennelle de celle du 1er concerto par un inquiétant frémissement dans le groupe des cordes p<f ; des trilles de doubles croches piquées. Nous émergeons du ravin infernal du récent Freischütz de Weber… (1821).  (Paganini ajoute une corde à son "arc"het dans son contingent d'influences après celles des maîtres italiens.) Quelques pizzicati énigmatiques et voici l'exposé d'un premier thème d'une belle prestance. Les cordes dominent le dialogue musical, cool : la percussion a disparu, l'orchestre de Sarrebruck* confirme sa réputation de bel ensemble pour une phalange régionale. Paganini nous plonge dans le climat le plus romantique qui soit. [2:55] Entrée du violon mais sans emphase, un jeu moins spectaculaire que lors de son premier essai. Une partie de violon très volubile tout de même. On ressent un petit vent épique dans cet allegro aux accents héroïques. [7:16] Le développement s'annonce par des trilles facétieuses du groupe des bois, une transition pour le moins inhabituelle. On retrouve la mélodie extravagante du violon, opposant des sauts harmoniques vertigineux à une mélopée d'une grande poésie. J'aime de plus en plus… [11:56] Une idée me traverse la tête en écoutant la cadence, à savoir l'impression d'entendre un duo voire un trio de violons en savourant la multitude délirante de notes. [13:24] L'arpège descendant en trilles d'une myriade de notes laisse "baba" ; rien de surprenant que l'on suspecta Paganini d'organiser des messes noires pour bénéficier des largesses de Satan pour atteindre un tel niveau de technique (Heureusement que les bûchers de l'inquisition étaient passés de mode 😊).

(*) l'orchestre de Sarrebruck a déjà été présenté dans le blog dans la chronique consacrée à la symphonie N°1 de Bruckner dirigée par Stanislaw Skrowaczewski (Clic). Le chef polonais y réalisa une intégrale Bruckner de référence.

 

2 – Adagio : L'appel des cors au fond des bois et le chant des oiseaux aux flûtes dans les ramures. Encore une similitude frappante avec l'ouverture du Freischütz. On ne peut plus douter que Paganini s'inscrit dans l'époque romantique, celle de cet opéra nourri des sombres forêts et sorcelleries du moyen-Âge. Nota : Paganini était présent le 28 juin 1821 lors de la création de l'opéra… Une phrase pleine de noblesse s'élance aux cordes, phrase suivie du retour des cors et de la flûte. Le violon amorce une mélodie séduisante appuyée par de légers pizzicati, un troubadour charmant une donzelle ? Ce matériau thématique est repris à la manière d'un conte, avec de charmantes péripéties, une page très gracieuse.

 

3 - Rondo à la clochette : Campanella, soit clochette en italien : un surnom qui provient de l'emploi par Paganini d'une petite clochette d'orchestre qui marque le début des divers épisodes du rondo final (une forme sonate avec diverses variations commençant par les mesures du motif initial). Un air très connu, joyeux et chorégraphique qui achève dans l'allégresse ce beau concerto ; le violon retrouve son droit à se jouer des pires artifices et difficultés… (Partition – peu lisible, désolé.) La coda, inattendue, dépeint une fête de cour royale avec le violon qui se promeut bouffon du roi. Mille merci à Alexander Markov et Marcello Viotti de m'avoir enfin enchanté avec cette musique pétillante et cocasse.


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Suite à cet engouement récent, j'ai cherché d'autres enregistrements avec lesquels le plaisir d'écoute serait enfin au rendez-vous. Donc, cette sélection est pour le moins subjective. Des amateurs de longue date pourront la compléter et même la critiquer (positivement, merci 😊)

Si Menuhin début des années 60 pour EMI en mono propose une lecture de grande classe, l'orchestre (pas de nom) et son chef méritent un licenciement collectif. Pu**ns de cymbales, ce n'est pas un défilé militaire ce 1er concerto !!

Salvatore Accardo et son intégrale pour DG toujours au catalogue est surtout connu pour son affinité avec Paganini. Mais un coffret de 5 CD… Je préfère ne serait-ce que pour la clarté du son ses enregistrements des années 60 avec l'orchestre de Baden-Baden dirigé par le chef français Ernest Bour, un maestro à redécouvrir qui fit sa carrière en Allemagne et fut un chantre de la musique moderne (SWR – 5/6). La poésie qui se dégage concurrence celle de l'album de ce jour. Un son de violon lumineux, logique pour ce virtuose italien. En prime le 24ème caprice.

- Sonia, Luc, Pat, Rockin, Bruno, arrêtez de vous foutre de moi !!!!!!

Explication à cette "Hilaryté" : me revoilà avec ma petite violoniste chérie Hilary Hahn. Son jeu tout en délicatesse ne pouvait que me séduire, subtile et féminin, sans artifice, mais bizarrement un chouia désengagé… Et, deux fois hélas : le 1er concerto seulement (plus le 8ème de Sphor à écouter en faisant la vaisselle) ; autre handicap, la direction pataude de Seiji Oue, pourtant un bon chef ; des tempos trainards et un orchestre de la radio suédoise lourd et lisse mal servi par une prise de son qui privilégie les graves. Uniquement pour le fan club de la fée de l'archet (DG – 4/6).

- Ben oui un disque moyen pour Hilary, inutile de se poiler comme ça, bande de rigolos !!!!!!

Dernier CD pour la route. Le violoniste israélien Ivry Gitlis (1922-2020) grave en 1967 les deux premiers concertos pour Philips accompagné par Stanislaw Wislocki dirigeant l'orchestre de la philharmonie nationale de Varsovie. La lisibilité et la dynamique de l'orchestre est fabuleuse, la précipitation de Gitlis montre quel virtuose était cet artiste, mais cette cavalcade manque dans les accelerandos de pétulance ; voilà la barrière qui m'a laissé si longtemps dubitatif à l'écoute de Paganini. Un beau témoignage de cet homme sympathique qui nous a quittés il y a peu, à 98 ans. (Philips – 5/6).

Ivry Gitlis était aussi comédien de second rôle (Histoire d'Adèle H, Maigret et l'homme tout seul…) et très présent sur le petit écran pour contribuer à la vulgarisation de la musique Classique par une complicité fréquente avec Jacques Chancel ("Le Grand Échiquier").



Et en bis pour ceux qui ont eu le courage de lire ma prose, le 24ème caprice par Julia Fisher dans l'interprétation extraite de celle du cycle complet pour DECCA qui remporta "haut la main" une confrontation entre six gravures lors d'une émission " La tribune des critiques de disques" sur France Musique en décembre 2018.


4 commentaires:

  1. Claude, fait une recherche sur Google image, tape "Blonde on blonde"... tu verras qui est réellement ton violoniste !

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  2. Probablement le premier musicien à avoir gagné la légende d'un pacte avec le diable. Bien avant donc Robert Johnson 😊.
    Paganini est une grande influence pour certains guitaristes de heavy-metal ; notamment ceux qui sont férus de musique classique, et qui s'en inspire largement pour leurs propres compositions (le Métal néo-classique). [ceux qui irritent les oreilles sensibles du Toon] Le plus connu devant être le Suédois égocentrique Yngwie Malmsteem.

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    1. Waouh un caprice de Paganini à la guitare (le 24ème et dernier, le plus difficile car en thème et variations) ; il faut oser !!!! surtout avec ce tempo d'enfer. https://www.youtube.com/watch?v=F74Tw99qfRg
      Yngwie Malmsteem est un sacré virtuose pour ceux qui doutent des talents des instrumentistes Rock... Phrasé un peu sec quand même histoire de la ramener coûte que coûte :o)
      Pardon Sonia ? Oui j'enfonce une porte ouverte et quoi encore... Oui Luc a raison : Alexander Markov est le petit frère de Dylan ; tout à fait mon petit...

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    2. Virtuose, Malmsteem ? Probablement. Et il se considère comme tel. Il a une très haute opinion de lui-même... �� Et il se sent malheureusement obligé d'en faire des tonnes, de surjouer, de faire des démonstrations incessantes "prouvant" qu'il serait le plus rapide. Au détriment de l'émotion. Un peu comme un exploit sportif. Intéressant, au début, et puis, ça lasse rapidement. C'est même fatiguant, d'autant plus que trop souvent, ses chansons paraissent n'est qu'un décor pour ses "majestueux" soli. ��
      Alors qu'avec juste un peu de simplicité et de sobriété, il n'en paraîtrait que meilleur. Voir ci-dessous.
      https://youtu.be/6QvOp2zLcGo
      https://youtu.be/BPPrAYwKVqY
      https://youtu.be/5QiJNmMrC7s

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