mercredi 7 septembre 2022

MARCUS KING " Young Blood " (2022), by Bruno



     Vingt dieux ! Le jeune Marcus est de retour, et il n'est pas là pour faire de la figuration. Ou se reposer sur ses lauriers. Avec ce dernier album, il confirme bien qu'il fait déjà partie des grands auteurs-compositeurs-interprètes américains. Certainement l'un des meilleurs de ces dix dernières années. Ils ne sont pas si nombreux à pouvoir se targuer d'avoir déboulé  comme ça, presque de nulle part, à dix-neuf balais, avec un premier album de l'acabit de "Soul Insight". Avec le précédent album, le tranquillou " El Dorado ", il avait fait craindre une lente descente vers une musique plus policée, dépourvue de mordant. L'arrivée de Dan Auerbach semblait avoir eu une influence assez forte pour avoir redoutablement refroidi la musique de Marcus. Pourtant cet " El Dorado " est loin d'être un mauvais disque. Loin de là. Mais il ne fallait pas qu'il ouvre la porte menant à une chaussée glissante, à un puits, dans lequel où s'ébattent tant d'artistes ayant préféré retourner leur veste dans l'espoir de séduire un plus large public.


   Suivant la teneur de la précédente galette, l'incrustation de Dan Auerbach pouvait faire craindre une dérive vers des tonalités plus soft ; bien qu'il ne soit pas du genre à se vautrer dans le "r'n'b", ou autres fumisteries musicales, les ingrédients rock et blues étaient un brin trop restreints. Il ne fallait pas que cela aille plus loin... 

     Et là... Là, - oh joie -, Marcus King, avec donc l'aide d'Auerbach, mord à pleines dents (gnac !!) dans un Rock bluesy, graisseur et frétillant, spontané, tout droit hérité des années 70. Et même d'avant, puisque le fantôme de Creedence Clearwater Revival lui-même vient aussi pointer le bout de son nez.

     Ainsi, l'album déborde même de couleurs mates, de brûlants amplis vintage, plus aux parfums d'Orange que de Marshall (1), et de fuzz tempérées. Des fuzz aux douceâtres odeurs des classiques ToneBender, Big Muff et Super Fuzz. Grosso modo, une tonalité qui aurait mis d'accord, à l'époque héroïque, Billy Gibbons, Jim McCarthy, Iommi et Kossof. Voire même Mick Ralphs qui semble ici avoir servi d'exemple pour quelques riffs bien sentis. En fait, sous les conseil de Dan Auerbach, gourmet en matière de fuzz, Marcus a adopté une Beano Boost d'Analog Man. Un booster au germanium conçue pour tenter de reproduire les chaudes sonorités de la Dallas Rangemaster, outil ayant participé à la coloration des Led Zeppelin, Bolan, Deep Purple, et des 1ers albums de ZZ-Top et de Black Sabbath (ben, ouais),  et... d'Eric Clapton. D'où le nom de "Beano". Mais il est aussi bien probable que le compère Auerbach, qui apporte également sa contribution à l'album en tant que guitariste, ait amené un petit arsenal en pédale de fuzz et de phaser.


   Comme avec "Good and Gone", qui n'est rien moins que l'essence d'un Bad Company d'antan. Porté donc par un riff  qui pourrait être un habile croisement entre le riff de "Ready for Love" et celui de "Feel Like Makin' Love". Et "Dark Cloud" dont la direction est accentuée alors par un chant aux intonations propres à Paul Rodgers. Seul le refrain, brève survivance Soul de "El Dorado", coupe le cordon ombilical. "Aim High", lui, ose le gros riff clopinant de British blues dans un style assez proche de Free. Sa basse d'ailleurs, ici mise en valeur, résonne comme celle de feu-Andy Fraser.  Toutefois, ce morceau qui traîne un peu la patte, évoque les épanchements et l'alourdissement de reprises de Chicago-blues qui ont pu de temps à autre appauvrir l'élan du Blues-rock des années 60 et 70, à la manière du rabâché "Spoonful" (parfois simplement massacré).  

     Mais auparavant, l'album débute sur un chaud-patate "It's Too Late" aux parfums prononcés de Hard-blues et baignée de Soul, poussée par une section rythmique à la Grand Funk. Marcus y semble déchaîné, dépouillé de toutes inhibitions, développant une morgue et une fougue qu'on ne lui connaissait pas. Lettre ouverte à sa précédente relation amoureuse : "Je n'ai rien à dire de mal sur toi, mais rien de bon à dire non plus... mais si tu veux revenir, c'est trop tard !"

   Tandis que "Pain" aurait pu très bien être une pièce réchappée des sessions des deux premiers opus de ZZ-Top. L'entame du furibond solo confirmant la référence. Même la batterie, avec Chris St Hilaire (déjà présent sur le précédent disque et probablement intronisé par Auerbach), s'inspire fortement du jeu marqué et heurté de Frank Beard. Le solo "Lie Lie Lie" retrouve cette patte propre au Révérend Billy G, mais la musique elle, résonne comme le meilleur du James Gang de l'ère Walsh. Et "Rescue Me" déracine du bayou la carcasse inaltérable de Creedence.


     Evidemment, avec l'acolyte Dan, les incursions dans un milieu d'obédience plus mainstream, ne sont pas refoulées. Cependant, jetées dans cet agglomérat de Rock un brin suant et poisseux, elles en ressortent tâchées de cambouis. Et cela leur va à ravir, se présentant dans le haut d'un panier richement garni. A commencer par "Blood on the Tracks", édifié avec l'aide du vieux joker Desmond Child, co-auteur de tant de succès rock (1), qui débute comme une improbable réunion de Creedence et de Free, s'épanouit dans une ambiance heavy-soul subtilement aromatisée d'épices psychédéliques. Et le pétillant "Hard Working Man", - first single -, qui réussit à rabibocher le rock'n'roll à la pop. Road song enjouée assez classique, elle s'inscrit dans la tradition des hymnes à la Bachman Turner Overdrive

   Et puis il y a "Blues Worse Than I Ever Had" qui débute doucement,  en allant taquiner le Tedeschi Trucks Band sur son propre terrain, avant d'exploser dans un superbe et triomphant Hard-blues. Malheureusement, explosion écourté par un handicapant et honteux fade. Frustration...

     D'après ses dires, éreinté par des années sur la route, qu'il a commencé à fréquenter encore jeune adolescent en compagnie de son père, Marcus a fini par craquer. D'un naturel plutôt sombre, ayant toujours souffert de l'absence d'une mère partie alors qu'il n'était qu'un enfant, il est tombé dans la déprime. Au point de se laisser aller, jusqu'à penser se retirer de la musique, ou du moins de la composition. Ouvrant la porte à des expédients pour atténuer son inconfort psychologique. La fragilité de la relation avec sa compagne ne faisant que rendre encore plus glissant ce chemin vers l'abîme. Encore influencé par l'éducation d'une église Pentecôtiste et parallèlement celle d'une mère plus ouverte au monde des esprits, Marcus, en pleine confusion, se persuade qu'il reçoit des signes d'avertissement. Se baignant alors dans la musique de Free, il s'identifie avec Paul Kossof, et sa descente fatale (Marcus a alors le même âge que Koss à son décès). Sa rencontre avec la ravissante chanteuse Country Briley Hussey l'aide à s'extirper de ce néfaste tourbillon et à se reconstruire.

     A la suite de ses derniers concerts et de la dimension croissante de son public, il était déterminé à se forger un nouveau répertoire plus musclé. La mauvaise expérience d'un terrain glissant, trop souvent fatal, et sa rémission, n'ont fait que renforcer cette nouvelle direction. Ce cheminement justifie certains sujets, reflets d'expériences personnelles, penchant vers des pensées maussades. Toutefois, il ne se complait pas dans une introspection des plus noires, ni dans le défaitisme ou le désespoir; au contraire, il y a toujours une porte ouverte vers la rédemption.

     Un processus parfois favorable à la créativité (comme chez de nombreux autres artistes). Marcus King en sort plus fort, prêt à affronter et à maîtriser, voire à magnifier, tout ce qui constitue la musique des Etats-Unis. Du Blues au Hard-rock, en passant par la Soul et la Country. [Sans omettre que sur cet album, les références au heavy-rock et hard-blues anglais des 70's sont assez nombreuses]. A 26 ans, Marcus King, après quatre albums s'inscrivant déjà parmi les plus belles réussites de ces sept dernières années, présente un cinquième disque quasi parfait. Certes, avec "Young Blood", les références fusent de toutes parts, mais Marcus King n'en sort pas moins plus fort et conquérant. Il s'est immergé dans une musique qu'il a ingurgitée dès son plus jeune âge (2) par l'intermédiaire de son père, Marvin, et il s'en est servi autant pour enrichir son répertoire, que comme un indestructible support pour se régénérer et se sortir du piège de la dépression et de l'addiction. Résultat, un album sans déchets, qui se déguste de bout en bout - en dépit d'un "Aim High" critiquable -. Un sérieux candidat à l' "Album du mois".



(1) Référence pertinente puisqu'en effet, la marque Orange a tout récemment sorti une tête d'ampli de 30 watts signature "Marcus King" : le MK Ultra. 

(2) Premier succès en 1979, avec "I Was Made for Lovin' You", le tube hard-rock-disco de Kiss.

(3) Il est tombé dedans étant petit



🎶👑
autres articles / Marcus King : The Marcus King Band (2016)  ;  "Carolina Confession" (2018)   ;   " El Dorado " (2020)

6 commentaires:

  1. Je plussoie. Excellent album, qui ne renouvelle certes pas le genre, mais riche de pas mal d'influences bien digérées. J'aime aussi la production le son, brut comme il faut. La voix un peu fluette passe très bien. Côté batterie, ça lorgne vers l'école Mitch Mitchell / Ian Paice, ce qui a tout pour me plaire.

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    1. Ce Chris St Hilaire apporte beaucoup. Il est de l'école de ces batteurs qui ne se contentent pas de coller juste au morceau, de faire le job. Expressif, il a l'art de donner de la vie, de la substance aux morceaux. On se surprend parfois à focaliser sur quelques passages de matraquage de fûts. 😁

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  2. D'ailleurs, Mitch Mitchell... je retrouve aussi un p'tit côté Jimi Hendrix Experience dans certains titres, en trio, sans les oripeaux psychédéliques.

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  3. Tout comme toi , j'ai été catastrophé par la sortie du disque précédent de Marcus King , je me suis dit alors , c'est foutu ! Et puis non ce "Young Blood" est formidable , un retour aux sources et de plus un net progrès dans le chant , qui dans les premiers disques était assez difficile à supporter et enfin je salue la disparition des cuivres ! C'est un des cd qui tournent actuellement sur ma platine avec le dernier Supersonic Bluesmachine "Voodoo Nation" , le live de Joanne Shaw Taylor "Blues from the heart , le "Trios" de Bernie Mardsen et le "Jerry Jeff" de Steve Earle . Je te recommande chaudement toutes ces galettes!

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    1. Je n'irais pas jusqu'à dire que j'ai été catastrophé par "El Dorado", que j'écoute d'ailleurs parfois (surtout en présence d'esgourdes plus délicates 😉), mais j'ai effectivement craint que lui aussi se laisse convaincre par quelques "serpents" 😊. Et qu'il tourne définitivement le dos au Rock et au Blues. Comme d'autres avant lui...

      Ha, Supersonic Blues Machine, quelle dommage d'avoir perdu Lance Lopez...

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  4. Ouais on a perdu Lance Lopez mais avec Kris Barras c'est pas mal non plus !

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