mercredi 12 décembre 2018

The MARCUS KING BAND "Carolina Confessions" (2018), by Bruno


       Voilà l'un des grands disques de l'année. Si aux premières écoutes il pourrait paraître relativement conventionnel, les écoutes successives n'altèrent en rien le plaisir. Au contraire, c'est un peu comme si l'on éduquait son oreille (hélas, pour les adeptes du support miniaturisé, téléphone ou tablette, ça risque d'être vraiment long ...), et que les subtilités apparaissaient progressivement. Parfois, c'est comme si la musique indienne avait laissée son empreinte avec ses demis et quarts de ton, difficilement appréhendables pour une esgourde occidentale.
       Peut-être d'apparence ennuyeuse pour certains, car rien de catchy, rien d'immédiatement accrocheur comme un bon riff de Kossof ou de Young. Toutefois, ce "Carolina Confessions" est de ces albums qui s'écoutent sans que jamais on s'en lasse, sans que jamais il n'égratigne ou ne fatigue l'oreille. Précédemment, il avait fait quelque peu le touche-à-tout - en restant dans une sphère jam-band, southern-rock, blues-rock deep-south -, faisant ainsi ses preuves et s'imposant d'entrée dans un milieu où il est désormais difficile de se faire remarquer. Cette fois-ci, Marcus King s'est laissé porter par son humeur du moment, pour s'épanouir avec sobriété dans une saine musique à la fois chaleureuse et introspective, auréolée de Soul, de Blues, de Country.
Tout porte à croire que dans dix ans cette galette n'aura pas pris une seule ride.



       Le Blues des deux précédents albums s'est mis en retrait pour laisser la soul s'exprimer pleinement. Les cuivres ont pris du poil de la bête et n'ont aucun complexe à se faire entendre. Comme à la grande époque de la "Deep soul" des studios Stax et du Muscle Shoals. Des cuivres qui envoient du riff, en veux-tu en voilà, comme un seul homme. Omniprésents mais aucunement envahissants.
Il en est de même pour les tonalités jazz, bien moins marquées ici ; et aucun morceau de bravoure à la Allman Brothers comme précédemment avec "Plant Your Corn Early".



     
Marcus King n'est nullement altéré par la stupidité des clivages. Pour lui, la musique est une expression de l'âme. Une expression qui, s'il ne restait la barrière de la langue, serait un pont entre les peuples, les ethnies, les communautés. Un lien invisible ayant la faculté de rassembler. On retrouve dans sa musique cet esprit de communauté, de partage, tel que l'on le concevait au crépuscule des années 60. Des groupes qui refusaient d'être définitivement catalogués, compartimentés dans un genre qui aurait forcément été castrateur pour leur énergie créative et leur soif de découverte d'univers parallèles, parfois inconnus.


     Plus qu'un simple mélange des genres, où chaque ingrédient ne serait pas totalement dilué, où subsisterait des grumeaux, ce serait plutôt une fusion naturelle. Marcus King a manifestement absorbé, assimilé, tout ce qui fait la musique du Sud des USA ; de la Louisiane à sa très chère Caroline-du-Sud. En passant par le Tennessee. Ça sent autant le bayou, la mangrove, le magnolia, la fraîcheur du Blue Ridge que les grands espaces et les clubs festifs et conviviaux où les gens s'entassent le samedi soir, pour oublier leurs soucis en passant du bon temps ("Les bon temps rouler" (a)) avec une bonne bière rafraîchissante et, cela va de soi, des bonnes et revitalisantes vibrations.
   
    L'album démarre tout en douceur, sur quelques notes perdues de piano. Après une brève explosion de cuivres, d'orgue et un solo bluesy, Marcus King se lance dans un mea culpa, demandant le pardon (l'absolution ?). "Confessions", entre Blues viscéral et Soul intimiste, possède quelque chose de magique. A l'exception de la basse qui vibre presque comme une contrebasse enrichie d'une fuzz, il semble ne pas y avoir de structure totalement définie. Comme si c'était l'expression fugace d'un élan. Pourtant ce morceau touche la corde sensible. Serait-ce simplement le chant de King,  qui ne tricherait pas, se livrerait à nu pour expier ses fautes ? ["Je n'étais pas catholique, mais l'idée de confesser mes péchés a toujours été très puissante pour moi"] Les instruments n'étant là que pour appuyer les propos, en exacerber le sens.
"But jealousy runs through me, seemed okay for me to stray away from you. Forgive me for I have sinned... I sing these words to you, over and over again, but this will be my last confession...Left you lonely so many times, 'cause in my mind I was only saving from me. Now I woke up in a cold sweat and my mind won't let ... the pain that I put through is killing me inside. Thought if I could make you leave, then you would see I ain't a damn away".


Avec "
Where I'm Headed", c'est le retour à des vibrations plus copieuses et surtout nettement plus enjouées, avec cette section de cuivres qui célèbre la vie. Une explosion de chaleur printanière au petit matin, faisant éclore les bourgeons encore transies par la fraîcheur de la nuit, redonnant vigueur à la faune émergeant sous les rayons de l'astre salvateur.
"She came down from the mountain, singing songs for me. Always left me wondering where she may be

"Homesick" maintient ce souffle régénérateur et optimiste. Cependant, cet enthousiaste flot d'allégresse n'arrive qu'après une première partie semblable à un crépuscule grisâtre et humide, percé de temps à autre par quelques rayons colorés régénérants. Les longues journées sur la route permettent de mûrir, d'acquérir une vision plus large et plus juste de la vie, mais peuvent aussi se révéler déprimantes. Au bout d'un temps, les proches finissent par manquer. Le retour au bercail est alors une liesse. 
Pure ballade de country-soul typée Muscle Shoals avec "8 A.M.
"How Long" est un débordement de joie. L'élan exaltant que l'on éprouve à l'idée de retrouver l'élue de son coeur. Impatient et capiteux embrasement parfois plus chaleureux, plus fiévreux que l'avènement. Il y a comme une atmosphère née d'une ardente fanfare de New-Orleans.
                                                                         

     Il n'est pas indispensable à Marcus King de recourir à une instrumentation cossue pour transmettre l'émotion. L'apanage des grands. Il le démontre depuis ses débuts lorsqu'il se produit avec le minimum syndical : guitare et chant. C'est le cas de "Remember", où, ici, le seul accessoire complémentaire est une pedal-steel
 timorée. A mon sens, totalement superflue. Voire de trop. Il est rassurant de constater que, parmi la jeune génération, certains sont capables de chanter avec émotion et surtout sans ces pénibles effets de voix qui semblent tout droit sortis d'un kit de prêt-à-miauler.
Certes, en restant dans une ambiance intimiste et en appelant les potes en renfort, ça se transforme en catharsis ; ce que démontre "Autumn Rains", véritable libération émotionnelle évoluant sous le signe du mariage d'une blue-eyed-soul et du Marshall Tucker Band (1ère période). 
"There's Autunm rains down by the river, singing sweet songs that wash my pain away ... I don't seek shelter I've always loved the rain"

     Si, dans l'ensemble, les chansons portent en elles le poids de l'éloignement, de l'introspection (du blues) qu'il impose, incitant à méditer sur les amours passés et les regrets, - la plupart ont d'ailleurs été effectivement écrites en tournée, dont une bonne poignée en France (terre de mélancolie ?) - donnant à Marcus King l'image d'un poète au coeur tendre, d'un éternel amoureux transi,  avec "Welcome 'Round Here", il montre le poing et les crocs. Et pour appuyer ses propos acerbes et menaçants, il enclenche la grosse fuzz crépitante et balance un riff mordant et poisseux. Ce heavy-rock agressif et corrosif choque par son approche totalement différente. Apparemment, Marcus peut se révéler particulièrement belliqueux.

     On sort le grand jeu pour le final avec "Goodbye Carolina" démarre comme si c'était la continuité de "Remember", avec en sus le soutien de la belle voix claire et sûre de Kristen Rogers(1), avant de s'étoffer avec force grâce aux cuivres et à l'orgue. Ces derniers ne s'écartant qu'un instant, respectueusement, pour laisser toute latitude à un solo céleste.
Malheureusement, le dernier mouvement glisse et s'étale sur un ersatz de jam paresseuse aux allures vaguement psychédéliques. Un coda final synonyme d'intense fatigue.
     Résultat des courses ? Pratiquement un sans faute. Un disque ambitieux, nullement effrayé à l'idée de ne pas suivre les formats commerciaux en vigueur, et d'une incroyable maturité en regard de l'âge de l'auteur-compositeur. Pourtant, les premières écoutes peuvent laisser un arrière-goût de légère déception en comparaison avec ce que l'on pourrait attendre après les deux précédent opus, alors que finalement, dans l'ensemble, il s'avère un poil meilleur.


    Avec cet album, le Marcus King Band a trouvé en profondeur ce qu'il a perdu en mordant. Les soli se font plus rares et courts, préférant un élan collectif plutôt qu'une échappée solitaire. Le son est plus rond aussi, moins sec, avec la présence accrue des cuivres - sans toutefois s'imposer outre-mesure - et la guitare qui est passée de la Gibson SG à la ES-345. Plus la présence d'une chanteuse en soutien sur quatre morceaux, parmi les plus belles pièces.
On retrouve ainsi dans ce "MK band" la pertinence et la richesse du Grease Band de Joe Cocker, de la Soul blanche de Delaney & Bonnie, de The Band, un peu du Bad Company lorsqu'il taquinait la Soul, un soupçon de Tony Joe White, et plus récemment, du Tedeschi-Trucks Band.

   Trois albums déjà en son actif à seulement vingt-deux balais au compteur. Il y en a qui murmurent qu'il a tout pour être le nouveau Boss, le nouveau Springsteen
S'il n'a pas encore un rayonnement digne de son talent, à chaque réalisation il bouscule les charts Blues" US. C'est pourquoi d'autres n'hésitent pas à le considérer comme un nouveau messie du Blues.
Huitième place dès son premier essai, seconde avec le suivant, de même avec le Ep de l'année dernière et maintenant "Carolina Confeessions". (Le Polidor du Blues ? ...). Et seulement vingt-deux ans ... Respect.

(a) "Le bon temps roulé" : expression louisianaise, plus particulièrement de la Nouvelle-Orléans (New-Orleans), repris par de nombreuses chansons du cru (dont un classique de Clifton Chenier), du blues au zydeco, et qui sera plus tard traduit par "Let the good time roll" (il ne faudrait surtout par perturber l'américain lambda).
(1) Chanteuse plus largement connue pour sa présence sur les disques de Shooter Jennings, A Thousand Horse, Blackberry Smoke, Anderson East, Rival Sons (les deux derniers), Lori McKenna, Kid Rock, Glenn Hughes (l'éphémère California Breed).



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4 commentaires:

  1. Un des meilleurs disques de 2018 , d'accord avec toi . L'influence de ses maîtres est encore un peu présente , Warren Haynes (on va pas s'en plaindre) et Derek Trucks....là je suis un peu plus réservé , je trouve Trucks chiant et soporifique avec son groupe , Susan Tedeschi étant largement surestimée. Avec l'Allman ça passait, bien que à mon sens il n'ait jamais parvenu à faire oublier Dicky Betts , mais bon. Ceci dit Marcus King fait partie de la relève au même titre que les deux fils prodigues Devon Allman et Duane Betts. Vu le Marcus King band en concert l'an dernier, King jouait tellement fort qu'on entendait même plus les cuivres, c'est dire....;dommage!

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    1. Un peu surpris de ton avis sur Derek Trucks. De même que pour Susan. J'avoue que parfois, effectivement, Trucks se perd un peu dans ses escapades. Mais c'est sa facette "free", improvisation et aussi l'influence de la musique indienne avec ses tonalités intermédiaires.

      Fan de Dicky Betts et non de Trucks ? Tu n'aurais pas attrapé du "shufflenite" ?

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  2. Ah que non! vu mon grand âge je me suis fait vacciner contre la "shufflenite" depuis longtemps.....on n'est jamais trop prudent! Et puis m'as tu entendu un jour dire du mal de Warren Haynes ? et toc! Donc ça c'est un signe. En ce moment sur la platine le live de Alister Greene , de la dynamite!

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    1. Non, effectivement. "mais je sais qu'il reste du bon en lui ..." (Star Wars VIII) ... justement, il n'a pas encore renié Warren Haynes. :-)

      J'ai pris note pour le live d'Alastair Greene. Aujourd'hui, j'ai des a priori vis-à-vis des live, mais on ira faire un tour chez mon disquaire préféré.

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