jeudi 3 mars 2022

HAENDEL – Les concertos pour orgue et cordes - Simon PRESTON & Trevor PINNOCK (1984) – par Claude Toon


- Cool Claude, à peine remise de la furie avant-gardiste de la musique des sphères de Hangar… Haendel, du baroque, de l'orgue et même une harpe, très divertissant et reposant…
- Langgaard Sonia, pas Hangar… Le compositeur danois, orthographe bizarre, je l'admets… Oui Haendel, et une série copieuse de concertos pour orgue joués lors des entractes pendant l'exécution des oratorios et des opéras
- C'est rigolo cette idée, mais qui jouait ces pauses…
- Haendel lui-même, un virtuose d'exception avec cet instrument… Pas très élaborés mais comme tu le dis très divertissants…
- Mais il fallait qu'il y ait un orgue dans la salle…
- Heu, oui Sonia, quelle perspicacité… hihi… En fait un orgue positif voire portatif ; et même à défaut un clavecin faisait l'affaire pour certains concertos 

Haendel

Quinze concertos et soixante mouvements ! Forcément ça peut faire peur… J'aurais pu faire une sélection. Oui mais sur quels critères ? Le plus long, le plus court, celui avec une harpe en prime ? Choix aussi absurde sur le plan musical que subjectif car curieusement chacun de ces petits concertos d'une dizaine de minutes a sa propre personnalité.

En un mot, on écoute tout en rêvassant ou alors on en choisit un parmi la liste du tableau donné plus bas, un favori. (Désolé, en HTML de base, on ne peut pas mettre des cases à cocher pour noter ceux que l'on préfère.) Comme le dit fort justement Sonia, des articles comme celui consacré à la Musique des sphères de Rued Langgaard, musique complexe voire ésotérique et délirante, épuise une belle énergie de ma part. Donc cette semaine, pas d'étude musicologique sur ces concertos dont l'objectif était au XVIIIéme siècle de divertir le public. Ceci ne sous-entend en rien une quelconque médiocrité, ce n'est pas le genre de Haendel, même si son style de composition et sa passion pour les orchestrations à cordes, moins colorées que celles d'un Vivaldi, peuvent laisser le supposer. Haendel reste le prince de la mélodie variée, il suffit pour s'en convaincre d'écouter son plus bel Oratorio appelé "Le Messie", enfin je crois 😊.

Cela dit, pour ne pas non plus flemmarder et proposer un billet au rabais, je me suis posé la question, mais pourquoi le mot "concerto" pour un nombre d'ouvrages incroyablement différents ? Certaines de mes connaissances trouveraient drôle de me poser cette question bizarre au bout de près de soixante ans de mélomanie… Ben oui, il y a toujours des notions à découvrir en dehors de l'écoute proprement dite. Vous avez le droit de penser snobisme et intellectualisme ? Mais en fait, cette question sémantique n'est pas plus incongrue que les interrogations sourcilleuses de mon ami Bruno à propos de la formule des vernis de tous les modèles de grattes électriques Fender depuis 1950. (On lui demandera confirmation.)


Trevor Pinnock

Concerto grosso, concerto pour orchestre, concerto pour grosse caisse et fanfare (pas sûr que ça existe ça) ; d'où vient ce mot vraiment fourre-tout ? J'ai chargé Sonia de faire des recherches. Quand la réponse est arrivée, une évidence s'est faite, mais il fallait y penser quand même. La sémantique prend sa source en Italie.

Pouvons-nous parler de symbiose pour du vocabulaire ? Deux mots latins sont en jeu : concertare et conserere. Concertare qui peut se traduire par concert, un sens qui n'apporte rien, mais son origine latine suggère d'autres significations, les verbes : combattre, disputer, rivaliser. On pourrait citer aussi se concerter, soit échanger sans forcément s'entretuer verbalement à la manière de nos politiciens chéris. Le second mot est conserere, autre verbe suggérant un échange animé au sein d'un groupe, mais là, pas d'instrument dominant comme il y a des mâles qui, parait-il, revendiquent ce statut (ça reste à prouver). En résumé : rivalité dans un groupe instrumental, compétition plus ou moins vive mais bon enfant entre instruments, l'un pouvant être dominateur…

L'origine linguistique de Concerto naîtra de la combinaison de ces verbes latins après évolution en italien, ce qui explique un champ très large d'utilisation. Le terme apparait à l'époque du baroque primitif : dans la forme concerto vocale de Schütz, la polyphonie perfectionnée dans les siècles précédents conduit à une joute entre lignes mélodiques, jusqu'à 40 & 60 voix chez Alessandro Striggio à la fin du XVIème siècle ! (Clic)


Simon Preston

Le concerto grosso (grand concerto) devient un genre qui traversera toute l'époque baroque (1600-1750). Un principe de base : trois mouvements, rapide-lent-rapide, et un violon plus ou moins soliste guidant un orchestre à cordes et un continuo de basse. Exemple : les quatre saisons de Vivaldi. La forme est largement bousculée par le génie italien, fondateur du concerto à soliste : hormis le violon, sont invités à batailler avec l'orchestre : les bois, les mandolines, etc. Une liste sans fin de 600 concertos.

Haendel en écrira beaucoup mais sans respecter le découpage tripartite de règle, ainsi les concertos grosso opus 6 comportent entre 5 et 6 mouvements. Haendel s'écarte peu des ensembles de cordes, mais il y a des exemples contraires : les concerti a due cori avec des hautbois, un basson et des cors et… un découpage en 6 ou 7 mouvements (Clic). Les concertos pour Orgue sont singuliers, on va en reparler.

Impossible d'ignorer Bach et ses concertos brandebourgeois dont les orchestrations très variées préfigurent le style symphonique et ses concertos pour clavier, archétypes du concerto classique. Mozart reprend rigoureusement la forme tripartite dans ses œuvres de jeunesse pour violon et invente, suivi par Beethoven, le concerto pour piano forte d'une grande profondeur émotionnelle. Le concerto pour virtuose confronté à un orchestre symphonique typique de l'ère romantique est né et toujours d'actualité.

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Londres vers 1720

Ah Haendel vs Bach. Les deux hommes auraient voulu se rencontrer en 1720 à Halle… Manque de chance, Bach a fait le déplacement depuis Düsseldorf mais Haendel a dû partir pour Dresde où il reste six mois, courte infidélité à l'Angleterre, son pays d'adoption pour sa carrière musicale. Il y a une autre opportunité, elle aussi sans lendemains. Que ces anecdotes aient traversé l'histoire montrent la notoriété des deux hommes en cette période du baroque tardif, disons la première moitié du siècle des lumières.

Peut-on paraphraser Max-Pol Fouchet parlant de Mozart, Beethoven et Schubert en affirmant que si Haendel était un génie, Bach était un miracle ? Interrogation un soupçon emphatique qui s'appuierait sur la composition par Bach des deux Passions, de l'Art de la Fugue et du Clavier bien tempéré, chefs-d'œuvre intemporels, must de la musique occidentale sur le fond mystique et prodiges du travail sur le contrepoint, technique dont les règles deviennent définitives.

Pourtant le catalogue de Haendel n'a rien à envier sur l'abondance et la qualité (651 ouvrages). Certes, son corpus orchestral est assez maigre : hormis la magnifique Water Music (Clic), quelques sinfonias et ouvertures de faible intérêt peu jouées de nos jours. Haendel est un compositeur d'œuvres lyriques prolixe : oratorios et opéras, là ou Bach produira des centaines de cantates.



Orgue "Privé" Richard Bridge

Côté oratorios : 29 oratorios dont l'incontournable Messie qui ne se limite pas à l'expansif 'Hallelujah", et de citer Solomon, Israel en Egypte, Saul, etc. Tous chantés en anglais, religion anglicane oblige. Les anglais ont toujours été friands de grandes œuvres chorales. Dans Solomon, l'orchestre "symphonique" préfigure par son effectif de bois et cuivres celui qui sera de mise pendant toute la période classique et romantique. Ne manque que les deux clarinettes non encore en usage. Côté opéras : 42 ouvrages lyriques d'inspiration mythologiques ou historiques dont la plupart sont encore donnés sur scène de nos jours, une exception dans le genre si on se rappelle les cinquantaines d'opéras-comiques français au début du XIXème siècle et tombés dans l'oubli hormis quelques productions et des extraits symphoniques amusants écoutés il y a quelques semaines (Clic). Pour ces deux genres, la discographie est abondante et de qualité !

Troisième genre abordé avec gourmandise par Haendel : les concertos de divertissement, environ 80 : Concerto grosso, quelques concertos pour instruments solistes (hautbois, violon) et ces 15 concertos pour orgue. Ils sont réunis en trois sets ; deux de six concertos, opus 4, opus 7 et trois autres isolés dans le catalogue. Leur genèse est amusante dans le sens où ils n'étaient pas destinés à être joués en concert.

Les six premiers de l'opus 4 ont été écrits entre 1735 et 1736 pour animer les entractes pendant l'exécution des grands oratorios à Covent Garden. La composition des oratorios constitue l'essentiel de l'activité créatrice de Haendel à partir de 1707, soit la seconde partie de sa carrière (Haendel disparaîtra en 1759). Ils sont assez longs, de 1H30 à 2H30. Le premier "Il trionfo del Tempo e del Disinganno" HWV 46a (en français : Le Triomphe du Temps et de la Désillusion) est daté de 1707 dans sa version primitive. La dernière mouture de cette œuvre, en anglais, "The Triumph of Time and Truth" HWV 71, met fin à son travail dans le genre en 1757. Cinquante ans de maturation.

Haendel est un organiste virtuose très réputé. Il jouait lui-même la partie soliste lors des entractes. Les concertos N°2 et N°3 de l'opus 4 ont "ouvert le bal" en mars 1735 lors d'une représentions de Esther écrit en 1718 et remanié en 1732. (Le livret puise sa thématique dans la pièce éponyme de Jean Racine.) Premier oratorio écrit directement en anglais, il vient satisfaire une évolution des goûts du public commençant à se lasser des opéras italiens… L'orchestre est simple : parfois deux hautbois, et les cordes.



Ursula Holliger

On remarque en feuilletant les partitions (Opus 4) & (Opus 7) que le jeu de l'orgue est noté sur deux portées, le pédalier n'étant pas sollicité. Il faut dire pour répondre à Sonia que dans les salles de concert de l'époque, l'organiste dispose au mieux d'un orgue "privé" de la taille d'une armoire normande et non des gigantesque Cavaillé-Coll que notre charmante assistante voit dans les cathédrales et qui seront construits au cours du XIXème siècle.

On pense, à juste titre, que l'absence de portée dédiée au pédalier permettait d'assurer ces intermèdes avec un clavecin si l'orgue n'était pas en place… Précision : en 1740, le seul orgue avec pédalier existant à Londres se trouve à la cathédrale Saint-Paul, et c'est là que sera créé le Concerto No.1 de l'Op.7 HWV 306. Il requiert un pédalier (notation Pédale sur la seconde portée pages 73, 74, etc., celle de la main gauche). On en déduit que, contrairement aux œuvres de l'opus 4 qui, pour des motifs contractuels (ah la paperasse 😊), ne pouvaient pas être interprétés en dehors des concerts d'oratorio, le genre prend avec ce nouveau cycle son essor comme pièces concertantes à part entière et exécutables dans un récital ou un concert. Ce concerto perd l'intimisme des concertos de l'opus 4 de par l'étendu de la registration de l'orgue. Quelle puissance anime la chaconne introductive, l'orchestre comptant deux hautbois, un alto solo et un nombre conséquent de cordes…

Dernière curiosité, le concerto N°3 de l'opus 4 peut indifféremment être joué à l'orgue ou à la harpe, voire au luth. Il fut créé en même temps que le N°3 de l'opus 4 en février 1736, devant toute la Cour, lors de la première de l'ode Alexander's Feast (Le festin d'Alexandre, HWV 75). Une œuvre magnifique de délicatesse dont l'orchestre intègre hors les cordes, deux flûtes à bec. Nous l'écoutons ici sous cette forme originelle avec la harpiste Ursula Holliger. On le trouve fréquemment dans les anthologies de concertos pour harpe : Mozart (+ flûte), Boieldieu, RodrigoClic, etc.

- Sonia ? Tu as la réponse de Luc pour installer l'orgue dans l'auditorium ?
- Heu oui… Enfin, c'est non, il n'y a pas assez de hauteur sous plafond, et puis le bruit… 





Les numéros des mouvements correspondent au N° des vidéos de la playlits

Opus 4

 

Concerto No.1 en sol mineur, Op.4 HWV 289

1.      Larghetto e staccato

2.      Allegro

3.      Adagio

4.      Andante

 

Concerto No. 2 en si majeur, Op. 4 HWV 290

5.      A tempo ordinario e staccato - adagio

6.      Allegro

7.      Adagio e staccato

8.      Allegro ma non presto

 

Concerto No.3 en sol mineur, Op.4 HWV 291

9.      Adagio

10.   Allegro

11.   Adagio

12.   Gavotte

 

Concerto No.4 en fa, Op.4 HWV 292

13.   Allegro

14.   Andante

15.   Adagio

16.   Allegro

 

Concerto No.5 en fa, Op.4 HWV 293

17.   Larghetto

18.   Allegro

19.   Alla siciliana

20.   Presto

 

Concerto No. 6 en si mineur, Op. 4 HWV 294

Arrangement pour Harpe avec Ursula Holliger

21.   Andante Allegro

22.   Larghetto

23.   Allegro moderato



Opus 7

 Concerto No.1 In si mineur, Op.7 HWV 306

24.   Andante

25.   Andante – Adagio

26.   Largo e piano

27.   Allegro

28.   Organo ad libitum: Adagio

29.   Bourrée -allegro

 

Concerto No.2 en la, Op.7 HWV 307

30.   Ouverture

31.   A tempo ordinario

32.   Organo ad libitum (Adagio)

33.   Allegro

 

Concerto No. 3 en si majeur, Op. 7 HWV 308

34.   Allegro

35.   Organo ad libitum: Adagio - Fuge

36.   Spiritoso

37.   Menuet

 

Concerto No. 4 en ré mineur, Op. 7 HWV 309

38.   Adagio

39.   Allegro

40.   Organo ad libitum: Fuga. Larghetto

41.   Allegro

 

Concerto No. 5 en sol mineur, Op. 7 HWV 310

42.   Staccato ma non troppo allegro

43.   Andante larghetto e staccato

44.   Menuet

45.   Gavotte

 

Concerto No.6 en fa majeur, Op.7 HWV 311

46.   Pomposo

47.   Organo ad libitum: Air. Lentement

48.   Air. A tempo ordinario


 

! Nota : la numérotation des concertos

dans la playlist est fantaisiste 😊.
Seule celle des ouvrages dans les
différents opus (plus 3 isolés) est à
considérer. Tout comme les références HWV
(
Händel-Werke-Verzeichnis),
catalogue thématique établi entre
les années 1978 et 1986 par le
musicologue 
Bernd Baselt (1934-1993).
il comprend 612 numéros,
ce qui montre que le compositeur
ne chômait pas.

Concerto en fa majeur, HWV 295

49.   Larghetto

50.   Allegro

51.   Larghetto

52.   Allegro

 

Concerto en la majeur HWV 296

53.   Largo e staccato

54.   organo ad libitum: Fuge. Allegro

55.   Andante

56.   Grave

57.   Allegro

 

Concerto en ré mineur HWV 304

58.   Andante

59.   Organo ad libitum: Adagio - Fuga

60.   Allegro

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