Ca faisait un p’tit bout de temps qu’on avait pas eu de nouvelle de Patrice Leconte, d’habitude si disert, enchaînant un, voire deux films par an. Les mauvaises langues (dont je ne suis pas, c’est pas l’genre de la maison) diraient qu’il aurait fallu sans doute se contenter d’un peu moins de films, et qu’ils fussent meilleurs… Le dernier en date était UNE HEURE DE TRANQUILITE (2014), p’tite comédie sympa, et un sketch dans SALAUDS DE PAUVRES.
Dans une interview, il disait que ses quatre derniers projets avaient tous été recalés au financement. Et pour ce MAIGRET ET LA JEUNE MORTE, l’affaire ne s’est pas montée en un jour. Comme il le déplorait non sans humour « un polar, adapté de Simenon, avec Depardieu, et un réalisateur qui a prouvé qu’il n’est pas le plus mauvais… pffff, ça devient difficile de faire des films ».
Le commissaire Jules Maigret doit être le recordman des adaptations au cinéma ou à la télévision, depuis LA NUIT DU CARREFOUR (1932) réalisé par Jean Renoir avec son frangin Pierre Renoir en flic bourru, en passant par Albert Préjean, Jean Gabin (le dernier au cinéma, 1963) Jean Richard, Bruno Cremer pour la télé, et même Rowan Atkinson (Mister Bean !) pour une version anglaise.
Il ne manquait plus que Gégé, c’est fait. Remarquez que l’acteur n’était pas passé loin en 2009 avec BELLAMY, le dernier Claude Chabrol, où il campait un commissaire débonnaire proche du personnage de Simenon. A l’écran, le choix de Depardieu semble évident, Gégé remplit l’écran de son énorme carcasse souple et silencieuse, engoncé dans son pardessus, à la fois monolithique et fragile.
Pour être honnête, j’y suis allé pour lui, davantage que pour Leconte, la bande annonce annonçait… oui, la formulation n’est pas terrible, si vous avez une autre idée je suis preneur… un film extrêmement lent et compassé, doré sur tranche à la naphtaline. Miracle, il n’en est rien ! Tout de même, amateurs de course poursuites et pétarades passez votre chemin, les autres vous pouvez rester. Patrice Leconte filme bien une enquête policière, et si le tempo n’est pas frénétique, le film n’est jamais ennuyeux.
Parce qu’il avance vite, au sens où les scènes s’enchaînent sans digression, sans intrigue secondaire, sans plans de transitions, direct dans le vif du sujet. Le générique est un habile montage parallèle entre un homme ausculté par son médecin et une jeune femme qui s’apprête pour une soirée mondaine. Il se dessape / elle enfile une robe. Lui c’est le commissaire Maigret à qui son médecin (le légiste de l’enquête !) demande de lever le pied sur la charcuterie et le tabac, elle c’est Louise, qui loue une robe de soirée pour rejoindre une réception.
On la verra arriver, mais jamais ressortir. Son cadavre est retrouvé le lendemain lardé de coups de couteau. Une entrée en matière mystérieuse, il reste 1h25 pour comprendre le pourquoi du comment. Le film est sombre, au propre comme au figuré. La photographie de Yves Angelo ne semble jamais vouloir laisser passer la lumière, joue sur les contre-jour. Même les scènes extérieures sont sous exposées. La caméra de Leconte filme des silhouettes et des visages plongés dans l’ombre. Seule exception, image superbe, lorsque l'assistant du légiste apporte la robe blanche ensanglantée sur un cintre, comme un spectre revenu d’entre les morts.
Maigret s’attelle moins à
découvrir le meurtrier et le mobile, qu’à trouver l’identité de la jeune morte,
et en ce sens, lui redonner vie, une dignité, une existence. Il faut avoir à l’esprit
que dans les romans, le commissaire Maigret a perdu sa fille, ce qui explique aussi l’obsession
du personnage. Et l'acteur Depardieu a aussi perdu un fils, Guillaume. On entend dans le film cette réplique « quand on perd un enfant, on perd tout » et Maigret répond « Je sais, je sais monsieur Kaplan ». Qui parle, le personnage ou l'acteur ?
Le film est troublant, rappelle parfois le VERTIGO d’Hitchcock dans cette manière de faire revivre une morte, lorsque Maigret utilise la jeune Betty, montée à Paris, et l’installe dans l’ancienne chambre de Louise, l’habille et la coiffe comme la défunte, recrée un personnage afin de tromper les assassins. Troublant parce qu’un vieux monsieur qui fréquente une jeunette (elle ne saura que plus tard qu’il est policier) peut porter à confusion, voir les regards entendus de la concierge, des autres locataires.
L’enquête est menée au rythme d’un commissaire désabusé et en bout de course, qui a arrêté la pipe (Depardieu disait « de toutes façons les accessoires au cinéma c’est chiant ! ») mais qui fait la leçon à ses inspecteurs fumeurs sur la manière de tirer convenablement et de « ne pas abîmer la bruyère ». Leconte filme son acteur monter et descendre douloureusement des escaliers, le souffle court, marcher à pas lourds, retrouver le soir son foyer, son lit, et madame Maigret (contrairement à madame Columbo, on la voit vraiment !).
On a plaisir à retrouver un des fondamentaux du polar français : les flics qui font monter des sandwiches et des bières au bureau ! Sauf que là, Maigret carbure du vin blanc. « C'est une enquête au blanc » allusion à sa superstition, une enquête qui commence au blanc, se poursuit et s'achève au blanc !
Depardieu crée un Maigret nonchalant,
triste, mais perspicace et minutieux, investi, parfois roublard. Si l’acteur est de toutes les
scènes, il ne bouffe pas pour autant le film. Il parle bas, peu, se déplace comme un
fantôme, massif mais léger, avec cette manière très pudique de laisser en plan les
questions gênantes, déstabilisant ses interlocuteurs. Autour de lui, on est content de revoir Aurore Clément en
grande bourgeoise, la pétillante Mélanie Bernier, André Wilms dans son dernier
rôle (l’acteur est décédé en février dernier) ou la sensible Élizabeth Bourgine. Clara Antoons campe - pour peu de temps ! - une très jolie jeune morte.
Comme d’habitude chez Leconte, pas d’esbroufe de caméra, mais le cadre juste, on filme les indices, les objets, les éléments concrets, il ne montre que le nécessaire, parvient à créer un univers, une atmosphère sombre, pessimiste, peuplée de bourgeois pervers et cyniques, de pauvres filles paumées qui ne demandaient que croire en leurs rêves.
La noirceur sied à Patrice Leconte, là on y plonge bien profond.
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Patrice Leconte avait déjà adapté Simenon avec « Monsieur Hire » (1989).
couleur - 1h30 - format scope 2.39
Généralement, Leconte ... est pas bon.
RépondreSupprimerGénéralement, Depardieu est excellent ...
Mais bon, j'irai pas voir ... Pas à cause de Gégé "Stop the war" Depardieu, le pote à Vlad the Lad, mais à cause de Jean Richard. Dont les Maigret à la téloche en noir et blanc ont traumatisé mon enfance. Je supportais pas, je sais pas pourquoi, mais je supportais pas ...
Je me souviens aussi de la série avec Jean Richard, mais curieusement, en couleur. Il y a eu plusieurs saisons (faut dire, je suis plus jeune, j'ai pas connu Thierry la Fronde) avec cette réplique récurrente "Lucas, fais-nous monter des sanwouiches et une bière". C'est comme "Les cinq dernières minutes" je n'ai pas connu l'époque Raymond Souplex où c'était un jeu télé avec des candidats enfermés dans des cabines, en régie, qui devaient trouver le coupable, mais j'ai vu les épisodes avec Jacques Debary.
RépondreSupprimerLeconte n'est effectivement pas toujours bon (je n'ai pas osé le calembour déjà utilisé avec le comte Dracula) il a tendance a bâclé, tourner trop vite, ça me rappelle un peu Chabrol qui était conscient qu'à force de vouloir tourner à tout prix, en ratait deux sur trois. Mais là, Leconte est bel et bien bon. Mais le bonhomme m'est sympathique, tourangeau de surcroit, ce qui est mon cas.
Je suis bien content de te lire, je n'arrive plus à venir chez toi (Freddie aussi visiblement) j'ai cru que tu avais été blacklisté par monsieur Google pour avoir mis une photo inappropriée dans un article, ou diffusé une sex-tape de Faye Dunaway, dont nous sommes visiblement tous les deux de grands fans, surtout quand elle ne porte rien sous ses p'tits pulls... Faye, une petite brune boulotte ? Je n'ose y croire. Comme Marilyn Monroe à ses débuts ? (rapport à Bonnie, oui je cumule mes réponses, c'est le problème des gens très occupés).
La série des Maigret avec Jean Richard était peut-être en couleurs, mais la télé familiale était en noir et blanc.
SupprimerAvec quatre gros boutons. Un rouge pour marche/arrêt, un noir pour la première chaîne, un noir pour la seconde, et un troisième noir au cas où il y aurait une chaîne supplémentaire un jour ...
Oui, je sais, je suis très vieux, mais pas encore à l'âge de prendre la retraite si j'en crois le banquier qui veut continuer à nous gouverner ...
Renseignements pris (merci Wiki) la série avec Jean Richard comprend 23 saisons, ça débute en 1967, en noir et blanc, puis en couleur.
SupprimerJe crois me souvenir aussi du poste télé avec un troisième bouton au cas où (Radiola, en location). Il faut bénir le mec qui a inventé la zapette, si y'avait des télés aujourd'hui avec 358 boutons, il n'y aurait plus de place pour l'écran. LB
Je connais très mal Patrice Leconte (pas sûr d'en avoir vu un seul... ni la fille sur le pont)
RépondreSupprimerQuant à Gégé, je me déplacerai bien avant que l'affaire Charlotte je-ne-sais-plus-qui (Arnould ?) n'éclabousse à nouveau la réputation de l'acteur.
freddiefreejazz