- Tiens
M'sieur Claude, de la harpe, ce n'est pas souvent… Un instrument pour
damoiselle en corset dans un salon… hi hi hi… Heu, C'est le Rodrigo du concerto
d'Aranjuez ?
- La harpe
est l'un des plus vieux instruments de l'histoire Sonia, avec le tambour… Oui,
Rodrigo a aussi écrit des concertos qui ne font pas appel à des guitares…
- Le harpiste
sur la photo a l'air bien sérieux, pourtant la musique que j'entends est très
fantaisiste…
- Nicanor
Zabaleta était un ami de Rodrigo et ce concerto très enjoué lui est dédié… La
musique de Rodrigo reste toujours très vivante… Le harpiste se concentre tout
simplement…
- Tiens je
vois dans l'index que vous avez aussi commenté un concerto pour flûte
interprétée par la jolie Sharon Bezaly…
- En effet, un
concerto dit "pastorale" (tout un programme de légèreté) écrit pour le célèbre flûtiste James Galway…
C'est bien mon petit, je vois que vous suivez…
Nicanor Zabaleta (1907-1993) |
Sonia souligne deux aspects essentiels de cette
chronique : la harpe, un instrument capricieux, trop souvent relégué à jouer
des arpèges cristallins dans l'orchestre, et l'intérêt de Rodrigo
pour l'écriture de concertos mettant en scène des instruments autres que les incontournables
pianos, violons et violoncelles. Des œuvres d'une grande fraicheur aux
orchestrations raffinées, colorées et qui n'écrasent jamais le soliste.
Parlons CD. Il existait un double album consacré à Nicanor Zabaleta intitulé asse stupidement
"la harpe du siècle" chez Dgg. Oui, titre trompeur, car le programme
proposait un florilège de divers concertos de Haendel
à Rodrigo en passant par le très connu concerto
de Boieldieu et plein de compositeurs divers,
soit 3 siècles, du baroque au contemporain, et non pas un. Hélas cet album a
été retiré du catalogue officiel pour l'instant. (Merci aux sites d'occasion qui
proposent de nombreux exemplaires à prix doux.)
Par contre, voici une belle intégrale en deux CD des œuvres
concertantes du compositeur espagnol avec la quasi-totalité de ses compositions
pour le genre : 1 pour flûte par Patrick
Gallois, 4 pour guitare(s) avec Narciso
Yepes ou la famille Romero et enfin 1 pour harpe, sujet du jour. Que du beau
monde, vous en conviendrez, comme dirait Vincent…
Deux articles ayant déjà été consacré à Joaquin Rodrigo (1901-1999- Clic),
je ne reviens pas en détail sur la carrière de ce compositeur espagnol non
voyant et très populaire grâce au concerto de Aranjuez écrit en 1939 et
adapté avec plus ou moins de bonheur par des chanteurs de variétés ou même de
Rock ou de jazz (Aranjuez
mon amour susurré en mode slow par Richard Antony permettait d'emballer les filles l'été 1967 (Clic), un texte totalement hors
sujet de Guy Bontempelli – évoquant la
guerre d'Espagne - mais plutôt bien écrit et émouvant pour cette époque yéyé).
Joaquin Rodrigo |
Et bien détrompez-vous, la harpe n'est pas
l'instrument dont jouait à la lueur des chandelles la petite dernière héritière
d'une noblesse en bout de course. L'exercice permettant à la donzelle de
trouver un coquin assez lettré et peu regardant sur le montant de la dote, et
lui évitant ainsi le couvent. Mais de quoi je parle ? Je persifle. Revenons à
la musique. Petite histoire de la harpe :
La lyre d'Orphée nous fait remonter à l'antiquité grecque.
Au cours des millénaires, on a décliné l'instrument de manière simple (harpe
celtique) jusqu'à des créations ultra sophistiquées à partir du siècle des
lumières. Non, une harpe moderne n'est pas qu'une alignée de cordes. Il existe
sept pédales (une par note de la gamme) qui, par un jeu compliqué de tiges planquées dans la colonne et de biellettes appuyant sur les cordes, permet de parcourir toutes
les gammes chromatiques, de jouer les altérations (♭ ♯) comme sur un piano. Comme je l'écrivais plus haut, ce
mécanisme complexe rend l'instrument très riche en termes de sonorités, mais
capricieux au niveau de l'accordage. Comme aimait le répéter la charmante et
facétieuse harpiste Lily Laskine (1893-1988) :
"Une harpiste passe une heure à
accorder sa harpe et une heure à jouer faux"…
Le répertoire pour la harpe est riche de concertos et
de pièces pour musique de chambre. Quelques auteurs français : Gossec, Saint-Saëns,
Debussy, Roussel
et bien d'autres moins connus…
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Contrairement aux pianistes, violonistes ou chefs
d'orchestre, les harpistes ne se hissent guère au hit-parade des musiciens classiques.
Citons quelques célébrités : Annie
Challan, Lily
Laskine, Xavier de
Maistre, Harpo Marx,
Christina Pluhar, Pierre
Jamet et bien entendu Nicanor Zabaleta.
Né à San Sebastián en 1907, le jeune Nicanor
se voit offrir une harpe par son père pour ses 7 ans. Cadeau insolite dans un
pays ou tous las garçons grattouillent avec plus ou moins de talent une guitare
flamenco… Il suivra ses premiers cours à Madrid avant de partir se
perfectionner au Conservatoire supérieur de Paris. Il va connaître une carrière
de soliste et de pédagogue internationale. Si son répertoire se centre sur
l'époque baroque et classique, il n'hésite pas à se plonger dans un univers
plus moderne grâce à des compositions écrites à son intention par des
compositeurs de renom comme : le français Darius Milhaud,
le brésilien Heitor Villa-Lobos, l'américain
Walter Piston, l'autrichien Ernst Křenek et son compatriote Joaquín Rodrigo.
Sa discographie est abondante, ce qui est rarement le
cas pour ses confrères et consœurs. Il jouera jusqu'à l'âge avancé de 85 ans.
Il meurt un an plus tard en 1993 à Porto
Rico où il avait rencontré son épouse en 1950.
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F-Luis-Mora (1874-1940) : Jardin-Espagnol |
Le concerto
sérénade pour harpe est une commande de Zabaleta
à Rodrigo de 1952. La création a lieu en 1956,
le harpiste étant accompagné par Paul Kletski
(un chef d'origine polonaise de génie, spécialiste avant l'heure de Mahler et qui devra fuir successivement Hitler, Staline, Mussolini, pour
trouver enfin la paix en Suisse). On en reparlera.
D'organisation classique, l'ouvrage comporte 3
mouvements. L'orchestration est rutilante mais évite la surcharge.
L'enregistrement date de 1960, un vinyle
qui comportait aussi le concerto de Boieldieu.
L'Orchestre Radio Symphonique de Berlin était
dirigé par Ernst Märzendorfer
(1921-2009), un spécialiste autrichien de Haydn,
des opéras de Wagner et R. Strauss, et qui à l'évidence pétrolait
aux amphétamines ou équivalents lors de l'enregistrement !
1 - Estudiantina
(allegro ma non troppo) : Avec cette curieuse indication de tempo et de
style, Rodrigo ne peut être plus
clair : jeunesse, badineries entre étudiants… Quelques mesures rythmées et radieuses
à la clarinette et aux violons introduisent
le thème principal joué par la harpe : une folie facétieuse de notes. Le thème semble
évoquer, comme l'indique la partition, une course-poursuite ludique entre une
jolie étudiante espagnole et quelques chenapans bien intentionnés (heureusement).
L'Espagne, le pays de la sensualité torride. Ce thème est repris avec vigueur
par la flûte à laquelle répond des traits agrestes de la trompette (autre
instrument typiquement latino). Vous imaginez un western américano-mexicain
sans trompette ? Le tempo est soutenu. Ernst
Märzendorfer met en avant chaque détail piquant de l'orchestration
feu follet de Rodrigo. Nicanor Zabaleta fait preuve d'une
alacrité jubilatoire, notamment par une précision du phrasé hors du commun et
qui fait merveille par un subtil staccato indispensable pour souligner les
diableries sonores de cette sarabande sonore. Forme sonate ? Oui, certes, des
réexpositions des thèmes, mais surtout d'infinies et guillerettes, pour ne pas
dire malicieuses, variations de dialogues des bois entre eux et avec la harpe. On
retrouve le gout de Rodrigo pour les
orchestrations concertantes qui apportent ce charme aux accentuations bien
ibériques des coloris sonores dans ses partitions. Simplement : l'une des pages
à la fois des plus élaborées et rigolardes du compositeur espagnol…
Bruno Gaulin (Fête espagnole) |
2 - Intermezzo con aria : La
harpe entonne le début de cet intermezzo en forme d'adagio. La musique de Rodrigo n'adopte jamais de ton dramatique.
Associer la terreur du tableau Guernica
de Picasso au mouvement lent du
concerto d'Aranjuez, mélancolique voire pathétique, sera démenti par le
compositeur. L'évocation des douceurs d'une nuit de noces et les élans amoureux
étaient les sources d'inspiration… On est loin des affres de la guerre !
Pour ce mouvement : même remarque. L'introduction
élégiaque nous renvoie vers l'époque baroque des sonates de Scarlatti. Le violoncelle et le hautbois
poursuivent la mélodie avec une seconde idée : une mélopée nocturne dans la moiteur
de l'été. Un voluptueux moment dans les jardins de Grenade ou tout autre lieu
de médiation sous les étoiles. Un intermède central aux cordes et flûte
redonnent une nouvelle vigueur juvénile au morceau. On retrouve ensuite les
jeux de chassé-croisé caractéristique de l'allegro initial. Une romance avec dominante
de flûte accompagne le jeu délicat de la harpe. Comme dans le premier
mouvement, Rodrigo dresse une ambiance
étrange en utilisant chromatisme et dissonances marquées. Une composition de
notre temps, comme je l'écrivais plus haut. Rodrigo
et Ernst Märzendorfer ont prévu un orchestre
d'effectif réduit. On n'imagine absolument pas cette musique aérienne
interprétée par un grand orchestre romantique avec un océan de cordes. Darius Milhaud ou Villa-Lobos
ne sont pas loin. Le compositeur adopte une formation variée et restreinte
typique des courants orchestraux en vogue depuis le début de l'ère moderne et des
années 20. Sinon, la harpe, comme la guitare, contrairement à un piano Steinway serait
noyée dans une masse de 80 musiciens !
3 - Sarao
(allegro deciso) : "Sarao" est un mot espagnol populaire
signifiant "faire la teuf" si je puis me permettre cette traduction triviale, mais c'est vraiment
l'idée… Le final commence par une mélodie échevelée de la harpe qui bataille
avec les appels lointains des cors. La partition de la harpe est à la fois d'une
difficulté et d'une élégance inouïes. L'introduction se prolonge par un second thème
saccadé et empressé joué aux cordes. Le climat général, festif, rappelle sans
aucun doute la réjouissance conclusive des concertos pour guitare(s) du
compositeur. Le soliste et le chef équilibrent avec talent ce chahut musical…
Les bois entonnent des motifs dissonants (quasi discordants) sarcastiques. Rodrigo met de nouveau en scène les jeunes
étudiants diablotins…
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Je ne connais aucune autre interprétation qui
concurrence nettement cette version. Catherine Michel
et Antonio de Almeida ont enregistré le
concerto de Rodrigo pour Philips dans
les années 70 "Favourit Harp
Concertos". C'est sec, trop rapide (ma non troppo suggère un peu de
retenue), à la limite fouillis et un peu gras. La prise de son est râpeuse
(micro trop près de la harpe). C'est néanmoins loin d'être à rejeter en bloc par
les mélomanes sensibles au charme de la harpe, car cette gravure figure
dans un florilège signé Philips dans laquelle se côtoient de belles pièces :
concertos de Boieldieu, Mozart, Villa-Lobos,
Haendel. Un album agréable en attendant le
retour de l'anthologie de Zabaleta.
(Philips – 3/6)
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L'intégrale du disque de Nicanor
Zabaleta en trois vidéos qui s'enchaînent automatiquement. Le
son repiqué à partir d'un vinyle reste correct malgré quelques crépitements et un soupçon d'acidité (Le CD est parfait).
Nicanor Zabaleta pour moi reste lié au concerto pour harpe et orchestre en ut majeur de Boieldieu (Rien à voir avec Boëldieu joué par Pierre Fresnay dans "La grande illusion") et à celui du concert- sérénade de Rodrigo sur un album chez DDG dans les années 60. Enregistrement passé de date je l'avoue, mais que je trouve quand même meilleur que celui de Marielle Nordmann. Evidemment je ne pourrais pas faire une comparaison avec Lily Laskine....On ne touche pas aux étoiles. Sinon, j'ai été voir le catalogue de ses oeuvre et je suis impressionné par la quantité.
RépondreSupprimerLily Laskine n'a jamais à ma connaissance enregistré ce concerto de Rodrigo. Par contre il existe un coffret d'une douzaine de CD de ces gravures pour Erato : concertos, sonates, etc. Que du très bon pour moins de 30 €.
RépondreSupprimerLe CD est techniquement très bon en CD, la vidéo que je propose laisse un peu à désirer, c'est un fait :o)
Harpo Marx ?? C'est une blague ou quoi ? Un intrus pour contrôler si l'on suit ?
RépondreSupprimerJ'ai toujours cru qu'il ne faisait que mimer.
Quant à Lily Laskine, on avait ce coffret d'Erato (12 CD ? ou un peu moins ?) qui a mystérieusement disparu... (Faut pas habiter près des cimetières...)
Et non Bruno, Harpo Marx (d'où ce prénom de scène) était vraiment un excellent harpiste...
SupprimerPetite vidéo où il interprète avec subtilité une transcription d'une rapsodie de Liszt avec quelques gag en prime
https://www.youtube.com/watch?v=GArbUV_yv2k
Il était aussi un excellent pianiste
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