Il y a des mélodies que tout le monde a appréciées, un matin à la radio,
dans une pub ou un film (Soleil Vert au hasard), en se posant la question
"j'aime bien, mais c'est de qui ?". Le "Matin" de
Peer Gynt
est le prototype de ces airs immortels multipliés à l'infini sur You Tube
avec des illustrations plus ou moins farfelues, des grands espaces, des
flamboiements de ciel à l'aube ou au crépuscule, parce qu'au couchant,
l'aurore, ça en jette plus...
Bon, assez bavarder, allons à la rencontre du compositeur norvégien et de
son chef d'œuvre Peer Gynt. Bienvenue à Grieg dans le Deblocnot'.
Edvard Grieg
De père écossais et de mère norvégienne et pianiste, Edvard Grieg voit le
jour en 1843 à Bergen dans une famille musicienne qui l'initie
tôt au clavier et aux grands romantiques de l'époque : Weber,
Chopin et Mendelssohn. Bien que de petite taille (1,55 m) et
de constitution fragile, le jeune homme part se former au conservatoire de
Leipzig. Il est subjugué par le concerto de Schumann qui
influencera son célèbre
concerto pour piano, une de ses œuvres majeures. 1862 : premier concert pour le
brillant pianiste qu'il est devenu.
Départ pour trois ans vers le Danemark en 1863. Il
s'intéresse à tout ce qui s'écarte musicalement du dogmatisme allemand. Il
rencontre Nina Hagerup, une cantatrice, et l'épouse en 1867.
Hélas, leur petite fille meurt à 18 mois. Grieg tente d'exorciser cette
tragédie par l'art et rencontre Franz
Liszt, Richard Wagner, Piotr Ilitch
Tchaikovski
et Johannes
Brahms.
Retour à Oslo en 1867. Il va alterner composition et intense
activité pédagogique en créant l'Académie Norvégienne de Musique. Suivant
les conseils de Liszt, Grieg va maîtriser une écriture pianistique géniale
mais hélas encore mal connue.
Avec son chef d'œuvre Peer Gynt, musique de scène pour la pièce
éponyme d'Ibsen, il rencontre la gloire qui ne le quittera plus. Et
puis je mentionnerai deux pièces qui me sont chères : "Au temps de Holberg" pour cordes et la suite "Sigurd Jorsalfar" pour orchestre. Il meurt de la tuberculose à Bergen en 1907.
Peer Gynt
Grieg est sollicité en 1866 par le dramaturge
Henrik Ibsen pour écrire une musique de scène pour une étrange
pièce en cours de rédaction Peer Gynt.
La pièce se veut à la fois un drame poétique et une fable philosophique sur
la recherche de l'identité. Fort longue, elle met en scène une soixantaine
de personnages ! Peer Gynt est un anti-héros dont les aventures et
pérégrinations semblent toujours vouées à l'échec. Peer Gynt voyage de pays
en pays, aventureux et prétentieux, fanfaron et menteur, traître et
infidèle. Il ne va semer que la désolation dans ses périples qui pourtant ne
sont que farces. Grieg est chargé d'assurer une illustration sonore pour les
ouvertures de chaque acte et les principaux rebondissements.
Cette chronique s'intéresse moins à la pièce qui a semble-t-il mal vieilli,
qu'aux principaux morceaux orchestraux composés par Grieg. C'est d'ailleurs
de nos jours sa musique qui est restée un "tube" de la musique classique.
Grieg va écrire 26 morceaux chantés ou instrumentaux qui permettront à la
pièce gentiment foutraque de remporter un franc succès lors de sa création
en 1876.
Grieg triomphe et va être amené à donner à tout ce matériau musical une
autonomie propre destinée à permettre le jeu en concert. Vont ainsi naître
deux suites symphoniques de quatre extraits chacune. Ces suites sont
fréquemment jouées et enregistrées car elles proposent les mélodies les plus
attachantes comme l'universel "le matin", "Peer Gynt poursuivi par les Trolls (dans le château du roi de la
montagne)", "la chanson de Solveig" ou encore
"la danse arabe", "la danse d'Anitra"…
Ces suites sont d'un grand intérêt symphonique mais, les morceaux étant
réunis dans un désordre total exigé par l'esthétique et l'alternance des
tempos, il n'y a plus aucune cohérence par rapport à l'histoire.
Cela dit, Grieg n'en a pas fini avec ce qu'il faut bien considérer comme
l'œuvre de sa vie. En 1901, on donne de nouveau la pièce et le
compositeur apporte des retouches dans une partition qui ne comporte plus
alors que 20 numéros. Cette ultime version, passionnante, sera éditée en
1987, et c'est celle-là que nous entendons aujourd'hui sous la
baguette de Paavo Järvi.
Paavo Järvi
Né en 1962 en Estonie, Paavo Järvi est le digne représentant d'une
famille de musiciens de talents. Son père Neeme Järvi, également chef
d'orchestre (voir vidéo) né en en 1937 à Tallinn, brave les autorités en
1968 en créant le "Credo" d'Arvo Pärt. Sous le joug du bon
Brejnev, jouer de la musique d'inspiration catholique est interdit
dans l'URSS de feu Staline. L'affaire fait un sac et la famille Järvi se
réfugie aux USA. Aubaine pour le jeune Paavo de 6 ans qui va enchaîner ses
études à la Julliard School, le
Curtis Institute of Music de Philadelphie, et enfin l'institut du
philarmonique de Los Angeles sous la houlette de
Leonard Bernstein !
Il assure la direction de plusieurs grands orchestres dont celui de
Cincinnati depuis 2001. Depuis la saison dernière, il a pris
en main l'Orchestre de Paris succédant au pâlichon Christoph
Eschenbach.
Hormis le disque présenté ce jour, Paavo Järvi a déjà gravé une
discographie remarquable. Sibelius y est à l'honneur avec "Pelléas et Mélisande" et la "Suite Lemminkäinen" et un enregistrement de La "symphonie Kullervo".
Mais le chef aborde aussi Arvo Pärt (logique), Bruckner et même le
Requiem de Fauré avec
l'Orchestre de Paris.
Son frère Kristjan
est également chef d'orchestre, tandis que sa sœur Maarika joue de la flûte.
Peer Gynt – Paavo Järvi
Paru en 2005, ce disque a fait un tabac auprès des mélomanes, à la
fois parce que les enregistrements chronologiques et complets de la musique
de scène sont rarissimes, mais également par la qualité musicale apportée à
l'entreprise. Paavo Järvi dirige un excellent ensemble,
l'orchestre symphonique national d'Estonie et les trois solistes sont
au diapason : Peter Mattei (baryton-Peer Gynt),
Camilla Tilling (soprano – Solveig) et
Charlotte Hellekant (Mezzo – Anitra). Arrêtons-nous sur quelques
passages les plus populaires et repris dans les suites. Les chiffres entre
parenthèses correspondent à la numérotation sur la partition originelle en
26 morceaux.
Le prélude de l'acte 1
(1) par son énergie est prometteur d'une interprétation allante et
sans épanchement "genre" brume nordique. Ce passage comporte des citations
des thèmes qui vont structurer toute la partition. L'alto solo prend des
accents celtes – nous allons voyager -, les cordes soyeuses annoncent les
épanchements amoureux. La direction musclée et ludique du chef épouse
parfaitement le ton de farce drolatique qui sied au climat tragicomique de
la pièce.
La sauvagerie du
rapt de la fiancée Ingrid (4)
par Peer Gynt est soulignée par les accents secs et détimbrés des cordes. La
complainte d'Ingrid violée et abandonnée par Peer (sympa ce mec !) alterne
tristesse et colère. Le discours de l'orchestre transparent et
puissant s'accorde parfaitement et sans effusion excessive à ce passage
tragique.
Dans la célèbre marche "Dans la salle du Roi de la montagne" (8), la
musique trouve sa rythmique ironique et fantasque, faisant les pointes, pour
nous montrer notre héros de pacotille risquant de se faire trucider par un
chœur de trolls particulièrement vindicatif. Le chef joue astucieusement sur
une accélération du tempo du chœur pour dynamiser la fuite du héros qui n'en
mène pas large.
La mort d'Äse (12), encore une
page célèbre qui est jouée toute en nostalgie et tendresse, sans effet
symphonique vainement pathétique, bouleversant.
Pour le célébrissime "Matin" (13), il est toujours amusant de regarder des vidéos sur lesquelles
défilent des fjords et lacs du grand nord alors que la scène a lieu au
Maroc, l'un des nombreux pays traversés par notre Peer Gynt au cours de ses
aventures. A noter que dans l'enregistrement, ce passage précède la
Danse Arabe (15). Une fois de
plus, Järvi dirige un orchestre qui s'étire, se prélasse dans une moiteur
orientale. La direction est franche, les cordes d'une souplesse pudique, un
rare moment sincèrement idyllique.
La "danse arabe" (15) est merveilleusement orientalisante, le chœur chante avec limpidité,
galvanisé par des percussions agrestes. Anitra chante son admiration pour le
fier Peer Gynt avec sensualité. Ah, elle en pince la fougueuse Anitra, et…
va ruiner notre bellâtre jusqu'au dernier sou. L'énergie de l'héroïne qui ne
se laisse pas abuser est parfaitement rendue par la voix ardente de
Charlotte Hellekant.
Peter Mattei nous dépeint dans la "Sérénade de Peer Gynt"
(17) un benêt hâbleur et viril aveuglé par son amour pour Anitra, une voix
carrée sans aucune coquetterie du chant d'opéra qui serait hors sujet.
Dans la célèbre "berceuse de Solweig" (26), Camilla Tilling fait preuve d'une tendresse pertinente car
mesurée pour consoler son héros qui agonise après tant d'aventures et de
turpitudes. Paavo Järvi contrôle parfaitement son orchestre et ses couleurs,
apportant ainsi l'émotion qui manque souvent cruellement dans les
interprétations esthétisantes.
Un disque passionnant dont la cohérence par rapport au récit d'Ibsen ravira
les amateurs de sagas et fresques cinématographiques haut de gamme.
Discographie alternative
Pour ceux qui aiment la formule "morceaux choisis", je recommande ce très
bel enregistrement (1972-1982) des deux suites de
Peer Gynt. Herbert von Karajan et son Berliner Philarmoniker donne une
noblesse sans emphase à huit des passages les plus célèbres. Par ailleurs,
ce disque généreux et à petit prix propose une interprétation parfaite de la
Suite du temps de Holberg et de
la courte suite symphonique
Sigurd Jorsalfar.
Pour une autre découverte, la réédition très économique des deux suites et
du concerto pour piano avec Van Cliburn au piano et
Eugene Ormandy dirigeant l'orchestre de Philadelphie est
également de bon aloi. Le CD est complété par le romantique "Dernier Printemps", les brumes nordiques revisitées par
Arthur Fields et le Boston Pops Orchestra. Certes la technique est un peu vieillotte.
Enfin, "papa" Neeme Järvi a également enregistré la totalité de la musique
chez Dgg avec les récitatifs parlés. Un double album marquant qui a été
décliné en un album simple, assez identique à celui de fiston Paavo
dans son programme.
Vidéos
Namee Järvi à la tête de l'orchestre Philharmonique de Berlin dans "Dans la salle du Roi de la montagne", sans le chœur, car extrait
de la suite.
L'interprétation de Sir Thomas Beecham dirigeant son Royal Philarmonic
Orchestra dans "Le matin", un enregistrement historique plus complet que
les deux suites, une direction pleine de subtilité avec un orchestre d'un
rare équilibre.
autant, il est vrai, que beaucoup d'enregistrement existe ,autant je suis toujours resté sur la version de Beecham (qui chaque matin demandait si il n'avait pas reçu un télégramme de Mozart ! ) ( la voix de son maitre 1957 )avec un faible pour "la mort d'Aase".J'ai quand même écouté la version Karajan.Mais il est dommage de ne pas trouver d'autre composition s de Grieg comme les concertos pour piano et violoncelle,hormis Peer Gynt ,il n'y a rien d'autre dans les bacs !
RépondreSupprimerJe ne ferais pas de critique sur ce que Claude écrit,car il n'y en a jamais a faire !!!
Merci Pat. Dans les bacs du commerce, hélas oui, pas grand-chose ! Mais, on trouve sur le web une intégrale symphonique en 6CD par Namee Järvi. Le concerto pour piano a été relativement bien servi, souvent couplé avec celui de Schumann (logique…), je conseille Murray Perahia – Colin Davis entre autres. Pour le piano, les pièces lyriques par Leif Ove Andsnes a fait un tabac !
SupprimerBref, les disquaires ne font pas toujours bien leur travail et s'étonnent de l'embellie de sites comme Amazon où, il faut bien le dire sans pub, on trouve presque tout… dont le disque Beecham toujours édité heureusement.
J'ai me bien la photo où la fille, elle montre ses nibards ! ça donne envie d'écouter !
RépondreSupprimerDésolé cher anonyme (pourquoi se cacher ? :o)), mais ce spectacle Peer Gynt par la troupe de Ballet d'Eisenach, dont fait partie la jolie danseuse Mar Ameller (originaire de Palma de Majorque), n'est pas disponible en DVD. Mais écouter la musique et en fermant les yeux permet de stimuler l'imaginaire, en effet.........
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