mercredi 8 janvier 2025

QUIREBOYS " Wardour Street " (2024), by Bruno



     Et bien, en voilà encore un qu'on pensait ne jamais revoir. Pensez donc. Voilà déjà quarante ans que ce groupe a pris naissance, quelque part à Londres, dans cette capitale presque sempiternellement sous une certaine effervescence musicale. La route fut longue et douloureuse. C'est que se lancer dans une musique franchement rock'n'roll, proche des Faces, Mott The Hoople et d'Humble Pie peut s'apparenter à un suicide en pleine ère du heavy-metal (même s'il est généralement considéré que la NWOBHM amorçait un rapide déclin) et en pleine folie U2 (le quatuor irlandais, avec « The Unforgettable Fire », rafle des albums d'or et de platine en Europe et sur le continent américain). Mais la pugnacité finit par payer. Ainsi, en 1989, c'est Mme Sharon Osbourne en personne (épouse d'Ozzy) qui les prend sous son aile ; et avec un bras et une langue aussi longs que les siens, les portes ne peuvent que s'ouvrir. Notamment celles de la major EMI. Il en découle un excellent premier opus, largement encensé par la presse, et bien accueilli par le public (classé deuxième dans les charts anglais – précédemment, en 1989, le groupe infiltre déjà les charts avec deux singles). Cependant, alors que tout s'annonçait alors pour le mieux, la poisse cumulée à un manque de professionnalisme – ou de naïveté – engendre un chaos qui ne quittera jamais la formation.


   Alors qu'il fallait battre le fer tant qu'il était chaud, le groupe, ou le label, lance sur le marché un live sans grand intérêt, qui déçoit bien plus qu'il ne ravit. Trop court, trop tôt, sans matériel neuf à l'exception d'une reprise (un classique des Stones), et surtout sans réel travail de production. L'album a un goût amer de « pirate », qui pourrait rebuter – ou échauder – celui qui découvre le groupe par cet album. Il n'est pas impossible que la boîte, comme le management, en constatant la mauvaise hygiène de vie de ces indécrottable fêtards, ait préféré prendre les devants, craignant que la troupe ne passe pas l'année. C'est que, en matière d'hygiène de vie, les lascars ne sont pas un bon exemple. De véritables oiseaux de nuit buvant régulièrement plus que de raison. Des mauvaises habitudes qui auront par la suite tôt fait d'user la patience et la santé de bien des intervenants. Déjà, c'est le vétéran et sessionman de luxe Ian Wallace (King Crimson, David Lindley, Alvin Lee, Bob Dylan) qui vient prêter main forte aux fûts. Le second opus ne sort que trois ans plus tard, sans réelle promotion. C'est la douche froide. Si « Bitter Sweet & Twisted » est encore un grand disque, peut-être parmi les meilleurs de 1993, le succès n'y est plus. Dépités, rincés par les tournées et les afters, désemparés face à la vague grunge, The Quireboys se séparent après une dernière petite tournée américaine.

     Mais huit ans plus tard, le chanteur, Spike, le guitariste-compositeur Guy Griffin et le bassiste Nigel Mogg remettent le couvert avec une nouvelle galette plus franchement hard-rock – avec toujours une trame bluesy. Désormais, les Quireboys continuent leur chemin, changeant souvent de personnel. Même Nigel Mogg, faisant partie de la genèse du groupe, finit par se tirer. Toutefois, après quelques années de tâtonnements, le groupe essaye de se stabiliser et de sortir régulièrement des albums. Certes, des disques inégaux et souvent difficiles à dénicher, mais toujours suffisamment bons pour susciter un certain intérêt. Toutefois, malgré ce revirement vers plus de sérieux, (une tendance, c'est ceux qui passent la quarantaine, préférant se calmer avant la correctionnelle), sa discrétion fait douter de son existence. L'absence de frasques, de virtuose, son attachement à une musique dite « millésimée », plutôt qu'expérimentale ou à la mode, participent au grossier désintéressement de la presse, des médias en général. Le coup de grâce arrive en 2022, lorsque Spike, l'un des fondateurs se fait mettre à la porte de son propre groupe, par des membres qui n'ont pas eu à franchir tous les obstacles des années pré-Quireboys - Griffin, le plus ancien des trois mutins, n'est arrivé qu'en 1989 -. Un renvoi signifié par courrier...

Consternation - comme disait Robert.

 


   Cependant, Jonathan Gray a la dent dure. Plutôt que de se morfondre dans son coin, il rappelle de vieux compagnons de route pour remonter fissa un "Quireboys" qui, finalement, est bien plus proche de la mouture originale que celui dont il vient de se faire quasi éjecter. Marrant (?). Ainsi, trois des membres fondateurs, présents aux premières heures du groupe, en 1984, du temps où ils s'étaient ralliés sous le patronyme de The Choirboys (1). Soit le guitariste Guy Bailey (2), Nigel Mogg (3) et le claviériste Chris Johnstone.  Pour compléter la troupe, à la batterie, il renoue avec Rudy Bachman, qui avait pris le poste peu de temps après l'enregistrement du premier opus et qu'on retrouve sur le second. On ne sait pas si cette réunion d'anciens copains de galère et des premiers succès est le fruit du hasard ou une volonté stratégique de Spike, mais quoi qu'il en soit, c'est une belle gifle aux "Quireboys" de Guy Griffin. Ces "Quireboys"-là n'ayant que Griffin comme membre , se retrouve dans l'obligation de changer de patronyme. Il prend celui de "Black Eyed Sons", du titre de l'album de 2014, le huitième du groupe, et doit sortir un album dans le courant du mois de janvier 2025, avec Griffin au chant et quelques invités de luxe.

     En continuant et se produisant régulièrement sous la bannière "Quireboys", Spike savoure sa revanche. Le groupe, ce cénacle de vieux potes, trouve une nouvelle jeunesse et renoue avec l'inspiration, engendrant de nouvelles compositions. Hélas, Bailey décède le 6 avril 2023. C'est un choc inattendu pour le groupe, et plus encore pour Spike qui le considérait comme l'un de ses meilleurs amis (4).

     Finalement, après un deuil douloureux, le groupe reprend la route avec un nouvel arrivant en la personne de Luke Morley, le guitariste et compositeur de Thunder. Une présence pour le moins déroutante ; cependant, bien que participant à un peu plus de la moitié des chansons, produisant l'album et évidemment y jouant et chantant (les chœurs), rien ici n'évoque la grosse machine anglaise de heavy-classic-rock qu'est Thunder. Luke fait humblement corps avec le caractère des Quireboys. Sans les égaler, cet énième mouture de Quireboys renouerait presque avec celle des deux premiers et meilleurs opus.


 

   Et ça commence assez fort avec un "Jeeze Louise" enlevé, pour un boogie burné, soutenu par un piano typé "Lee Lewis", zébré de trait d'harmonica et de chœurs festifs. Suivi du "Raining Whiskey" de Frankie Miller, en duo avec ce dernier - chanson qui évoquera pour beaucoup bien plus les Stones que l'Ecossais. Spike avait auparavant réalisé un disque solo intégralement dédié à des reprises de Miller. "I Think I Got It Wrong Again", qui débute tel un heavy-blues harassé par la chaleur, avant de changer de tempo et de se laisser tranquillement porté par un boogie-blues-rock certes classique dans sa forme, mais pas moins savoureux. Rien de nouveau sous le soleil - ou le brouillard londonien - des Quireboys. Spike et ses acolytes n'ont jamais perdu l'appétit pour le (bon) rock millésimé, porté à maturité dans de solides fûts où on a jeté divers dosages de Blues, country et folk pour parfumer la cuvée. Une recette qui pourrait se révéler âpre, bourrue, rude même pour un palais non exercé, ou trop habitué aux breuvages trop sucrés. Comme un bon whiskey 😉, bourbon ou rhum, il faut savoir l'apprécier. Sans glace, sans ingrédients superflus, encore moins sirupeux. Du raide, qui râcle autant le gosier que le chant de Spike (au point d'en est souvent incompréhensible 😊), mais qui réchauffe autant le cœur que l'âme.

   Ainsi, "Happy" serait "juste" une belle rencontre de Keef avec Waysted et "Howlin' Wolf", une renaissance de Mott The Hoople. Par contre, "Like It or Not" surprend avec son approche funky (bien probablement dû à Morley) enrichie d'un saxophone un poil jazzy.

   Depuis quelques années, les ballades imbibées d'influences folk et country-rock - plutôt entre Rod Stewart, Frankie Miller et les Stones - sont le péché mignon de Spike et il ne s'en prive pas. "Myrtle Beach", "No Honour Amongst Thieves" et le radieux "It Ain't Over Now". De belles pièces, oui, mais il y a un joyau qui les balaye toutes : "Wardour Street". Magnifique pièce quasi acoustique transportant l'auditeur, le parant d'ailes pour un voyage onirique, planant lentement dans cette célèbre rue londonienne, dans un moment exceptionnel, un calme et frais matin d'automne, où seuls seraient conviés quelques égarés magnifiques ; poètes hallucinés, vieillards mélancoliques à l'œil brillant encore de malice, amoureux transis, musiciens et peintres...



L'album est dédicacé à la mémoire de Guy Bailey.



(1) Evidemment, aucun rapport avec le quatuor australien. 
(2) La rencontre avec Guy Bailey, à Londres, en 1984, - alors que Jonathan "Spike" Gray vient de quitter, à dix-sept ans, son Newcastle-upon-Tyne natal dans le but de former un groupe sérieux -, est déterminante. Elle représente les prémices de la fondation des Quireboys. 
(3) Neveu du chanteur d'UFO, Phil Mogg.
(4) Lorsque Spike descendit à Londres, un peu à l'aventure, Guy Bailey l'hébergea pendant deux ans. De ces temps-là, une amitié solide fut forgée, que même l'explosion du groupe en 1995 ne put vraiment ébranler.

🎶🍺
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Mott The Hoople :  👉  " Wildlife " (1971)
Waysted : 👉  " The Good The Bad The Waysted " (1985)  👉  " The Harsh Reality " (2007)

1 commentaire:

  1. Shuffle Master8/1/25 09:05

    Coïncidence, le seul CD que j'ai du groupe, le best of (2 CD centrés sur le début de carrière / A bit of what you fancy) a passé la semaine dernière sur le lecteur. Ces types, qui n'ont pas inventé la poudre, ont tout compris au rock, tous les plans y sont, chant, guitare, batterie, un vrai catalogue, que ce soit pour les trucs bien gras ou les ballades, comme tu le dis. De l'IA avant l'IA. Equivalent briton des Georgia Satellites ou de Dan Baird and Homemade Sin.

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