« La musique est un amour où toute chaire se possède dans l’âme. Voilà pourquoi la musique n’est ni triste ni allègre : Elle est une tendresse ardente, où l’on rend sur le champ en délice de se perdre tout ce qu’on vient de recevoir en passion. Une musique où l’on ne s’oublie pas soi-même n’est pas musicale » Suarez : Voyage du condottière.
Nous sommes un jour d’hiver comme il en existât tant, le gel dessina d’étranges formes sur les vitres et le paysage était figé dans un épais drap blanc. Devant sa glace gelée, un vieil homme goûtait aux joies de cette saison de la sérénité. Passé un certain âge, les passions attisées par la chaleur de l’été s’évaporent, faisant de cette saison un bourreau à la torture potentiellement mortelle. C’est également la saison où, à grands coups de publicités, l’hypnotique télécran vous rappelle chaque jour votre dangereuse fragilité.
Comme assis devant le film de sa vie, il en entendit la bande son, la mélodie baroque de « Drive home » de Steven Wilson rythmant ses pas sur les chemins de l’enfance. Il était alors à un âge où l’on peut encore être aimé d’un amour pur et sans calculs. A ses côtés, son père lui parlait d’une voix empreinte de tendresse et de fierté, son regard n’exprimait pas encore la redoutable capacité de jugement des aïeux conscients de la gravité de leur rôle. Et la musique continua, douce comme le free jazz de King Crimson et aussi lyrique qu’une fresque genesienne. L’enfance est l’âge de l’émerveillement permanent, c’est pourquoi on regrette toujours un peu sa disparition.
Puis il y eut cette cabine téléphonique, où il se réfugia avec une jeune femme pour s’abriter de la pluie, le climat offrant parfois de bien belles occasions de rapprochement. Pour illustrer cette scène vue de loin, comme si sa mémoire voulut préserver l’intimité du jeune homme qu’il fut, une autre musique se fit entendre. Il ne put alors que reconnaître la bulle musicale de « The sky move sideway » de Porcupine Tree. En offrant à la beauté lumineuse de « Shine on you crazy diamond » la douceur hypnotique léguée par Tangerine Dream, Steven Wilson créa une des plus belles machines à rêve de la musique moderne. Machine à souvenirs serait d’ailleurs plus exact, tant ces songeries sonores sont le miel attirant l’abeille de la nostalgie.
Le souvenir qu’il vit fut bien sûr celui qui traumatisa sa génération, celui de l’ignoble barbarie de la frustration du minable s’abattant sur le génie. Alors que six coups de feu firent s’effondrer le plus grand génie musical de son temps, John Lennon, une voix paranoïaque répétait cette explication glaçante « The creator got a mastertape ». Il est bien pratique le créateur pour soulager l’homme de sa responsabilité individuelle, pour expliquer une horreur intense au point d’en devenir inexplicable. L’une des plus grandes mission de l’homme est d’apprendre à souffrir avec dignité, ceux qui en sont incapables sont voués aux pires bassesses. Soudain, un riff puissant porta une voix hurlant la profondeur d’un désespoir viril :
« I live in the flat next door / And I can hear you fuck your girlfriend to the wall »
Sur qu’il en vécut de ces moments où, isolé dans la grandeur de son appartement, il eut l’impression que son esprit absorbait ses ténèbres pour se parer de leur noirceur. La musique de Steven Wilson exprimait elle aussi une tristesse, celle d’un homme voyant ses semblables sombrer dans les abysses du nihilisme. Obtenant tout en quelques clics, l’homme moderne n’est plus curieux de rien, la plupart de ses œuvres ne sont que l’expression de son propre vide intellectuel et spirituel. Wilson grandit dans une époque qui ne fut pas la sienne, celle des grandes fresques rock dessinant de florissants décors Tolkeniens ou poétiques. Cette époque, il la fit revivre avec poésie sur la mélodie tullo genesienne de « The raven that refused to sing ».
Cette humanité semble aujourd’hui se perdre mais qu’importe, elle n’aura plus d’existence pour notre mourant d’ici peu. En rendant son dernier souffle, le vieillard pensa tout de même que la musique de Steven Wilson continuerait de montrer à l’homme décadent à quel point il pourrait être grand.
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