vendredi 10 janvier 2025

UN OURS DANS LE JURA de Franck Dubosc (2025) par Luc B.


- S’cusez, M’sieur Luc, j’ai du mal à lire, votre chronique est consacrée à... euh… Franz Dùbosckù ? C’est un réalisateur roumain ? 

- Pas du tout Sonia, il est français, et vous le connaissez, c’est Franck Dubosc. 

- Euh… le gars en slip moule-burnes dans un camping ? Z’êtes sûr que tout va bien, ni fièvre ni maux de tête ?…

Tout va pour le mieux. L’acteur Franck Dubosc, on est en droit d’en penser ce qu’on veut, et je n'en pense pas grand-chose, comme l'homme de scène dont je n'ai jamais vu un spectacle. L'auteur-réalisateur, par contre, vient de m’étonner pour la deuxième fois. J’avais dit ici tout le bien que je pensais de TOUT LE MONDE DEBOUT (2018), sa première réalisation, comédie romantique qui ne révolutionnait pas le genre (très codifié) mais joliment écrite et réalisée. Après un RUMBA LA VIE que quasiment personne n’a vu, le revoilà derrière la caméra dans un tout autre genre, la comédie noire, qui fait plus que flirter avec ce qu’ont pu faire les frères Coen, notamment dans FARGO ou le départ de NO COUNTRY FOR OLD MEN, une filiation parfaitement assumée par Dubosc, qui a dû voir aussi UN PLAN SIMPLE de Sam Raimi.

Si le principe n’est pas nouveau - un couple endetté trouve un sac bourré d’argent sale – Dubosc pousse la situation jusqu’au bout. Ne cherchez pas une once de bonne morale dans ce film, tous les personnages, aussi attachants soient-ils, sombrent dans le crime, la corruption, le mensonge, la malhonnêteté, du brave pépiniériste au curé (le denier du culte, tu parles ! visez la scène où il se ramène en mini Cooper décapotable!), du gendarme au flic, jusqu’au gamin autiste (ai-je rêvé où y a-t-il un clin d'oeil au HALLOWEEN de Carpenter quand à la fin le fiston porte un masque de clown ?). 

Le départ est joliment troussé. Des clandestins se retrouvent paumés dans une forêt du Jura, à quelques jours de Noël, leur guide a succombé à une attaque d’ours brun (or, « il n'y a pas d'ours dans le Jura »). Ils sont retrouvés par la gendarmerie locale, les intestins en vrac, truffés de ballots de cocaïne. Au même moment, Michel, pépiniériste, manque de heurter en voiture un ours sur la route (or, « il n'y a pas d'ours dans le Jura »). Dérapage pas contrôlé, il s’encastre dans une BMW garée sur le bas côté. Pas de bol, l’occupante accroupie derrière la portière est écrasée, et son mari (dont on comprend qu’il devait récupérer la marchandise) glisse en s’enfuyant et s’empale sur un tronc d’arbre.

Le soir, Michel, la boule au ventre, lance devant sa femme et son môme : « J’ai tué deux personnes ». Cathy, qui lit des romans policiers (sic), prend les choses en main. Ils retournent sur place effacer les traces, embarquer les cadavres, et en fouillant le coffre, trouvent 2 millions d’euros, et un flingue. Ils ramènent le pactole à la maison. C’est le moment que choisit le major de la gendarmerie Roland, pour venir sonner chez eux, récupérer son sapin pour le réveillon…

On est agréablement surpris par la manière dont Dubosc filme, en scope, ces évènements qui s’enchaînent, donnant une large et belle place à la nature rugueuse, hostile (les scènes sur le torrent), aux paysages enneigés du Jura (décidément, après VINGT DIEUX). Son aptitude aussi à filmer des scènes d’action, de violence (qui font rire), comme le triple meurtre de la station service, exécuté (sic) en deux plans secs. On se dit que oui, il a étudié le cinéma des frères Coen, plus que celui de Dany Boon, et c’est tant mieux.

Car quand apparaît Benoit Poelvoorde en gendarme, on craint le pire, sauf que non. Les scènes à la gendarmerie surprennent par l’humanité et la drôlerie qui s’en dégagent (les portraits robots ! « ces migrants dessinent comme des gamins de 4 ans ! »). Contrarié par cette affaire à deux jours du réveillon, le major Roland s’avère beaucoup plus futé qu’on ne le pense.

Ce qui est intéressant, c’est la manière dont sont brossés les personnages. Jamais les interprètes ne les étouffent. Dubosc lui-même est très en retrait, il laisse briller ses partenaires (une humilité qu’on ne lui connaissait pas!) et qui correspond bien à ce Michel, dont on comprend que sa vie est a été cassée, son mariage désagrégé, ses espoirs enlisés, qui se coltine une tristesse systémique. Tout est montré par petites touches, l’handicap du gamin, la solitude maladive de la lieutenant de gendarmerie Florence (formidable Joséphine de Meaux), le mal-être du major, divorcé, qui voit sa fille (Kim Higelin) grandir trop vite. Dubosc est un acteur populaire, ses personnages sont de petites gens, braves, qui ploient sous l'effort, soufrent en silence, un peu paumés, déphasés, le regard sur eux est tendre, jamais cynique.  

Les moments d’intimité ne sont pas des focus larmoyants, mais intégrés à l’intrigue policière. Exemple lorsque le major Roland est contraint d'écouter la déposition de sa propre fille, crucial pour l'enquêteur qu'il est, mais moment difficile pour le père. Ou la confession de la lieutenant Florence, qui prend sur elle, se dévoile, crache ses fêlures, mal nécessaire pour démonter un faux alibi. 

Les cadavres pleuvent, le sang gicle, plus personne ne contrôle rien. Les situations sont improbables, mais c’est la comédie qui veut ça. Dubosc pousse les curseurs. Une réplique de Cathy (Laure Calamy) résume l’esprit du film. Que faire des cadavres ? Elle a cette fulgurance : « si on les cache, les flics vont les chercher, et on est sûr qu'ils les trouveront. Car ils trouvent toujours... Mais si on les remet en place, hum… ils n’auront plus à les chercher ! ». CQFD.

Réplique totalement surréaliste, lunaire, qui dit bien ce qu’est UN OURS DANS LE JURA, une mécanique qui s’affranchit de toute logique, un engrenage de situations ubuesques. Le montage aurait surement mérité d’être resserré, le rythme plus enlevé, mais les rebondissements sont tels, que cette allure pépère ne nuit pas à l’ensemble.

Franck Dubosc ne cherche pas à singer le cinéma américain, il sait que ce n’est pas dans ses moyens. Mais sa mise en scène est très maîtrisée, la photographie notamment, et les acteurs sont vraiment dirigés, sans cabotinage, au plus près des personnages qu’ils incarnent. Si on accepte ce grand n’importe quoi loufoque (l'affiche indique "d'après une histoire fausse" !), on passe un bon moment.


couleur  -  1h55  -  format scope 1:2.39 

2 commentaires:

  1. Shuffle Master.12/1/25 13:04

    Pas vu, mais ce que en dis me fait furieusement penser aussi, outre Fargo (que Duboscq, interviewé, dit avoir vu il y a très longtemps sans vraiment s'en souvenir....), à la série Des gens bien passée sur Arte.

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  2. Pas vu cette série, mais après renseignement, mérite certainement le détour.

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