vendredi 13 décembre 2024

LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES de Michel Hazanavicius (2024) par Luc B.


On pensera ce qu’on veut de Michel Hazanavicius – pour ma part j’en pense beaucoup de bien – on ne pourra pas dire qu’il reste dans son confort cinématographique. 

On a d’abord découvert le monsieur avec LA CLASSE AMÉRICAINE (1993) ou LE GRAND DÉTOURNEMENT, hilarant piratage de classiques américains, pour la télé, puis évidemment avec les deux OSS 117 (2006 / 2009), sommets de la comédie. Puis ce projet fou de THE ARTIST, muet, noir et blanc, au succès retentissant. Il s'est offert ensuite un dézingage en règle du Godard maoïste dans LE REDOUTABLE (2017). Jusque là, Hazanavicius donnait dans le pastiche, le référencé, le à la manière de… Je n’ai pas vu THE SEARCH (2014), descendu au bazooka par la critique, qui lui faisait sans doute payer son outrecuidance, celle du clown qui fait un film sérieux. Changement encore de braquet avec COUPEZ ! triple mise en abîme hilarante d’un tournage d’un film de zombie, tout en longs plans séquence, à la structure particulièrement casse-gueule, donc encore une prise de risque. Et le voilà de retour avec un dessin animé, sur fond de Shoah. Allait on se bidonner ? Pas franchement…

Où on découvre le talent de Michel Hazanavicius pour le crayon, puisque les personnages du film ont été dessinés par lui. Le film s’inspire d’un conte de Jean Claude Grimberg, une histoire simple, courte, à hauteur d’enfant, comme le film. C’est Jean Louis Trintignant le narrateur (son dernier job au cinéma) dont la voix chaude et singulière parsème le film.

Un peu gênant tout de même au début cette voix off : « Il était une fois, dans un grand bois, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne... » les syllabes sont bien détachées, pas bûch’ron, mais bû-cheu-ron. De même pour la voix du bûcheron, Grégory Gadebois (qui a remplacé Depardieu plus en odeur de sainteté) surjoue les grognements pour bien nous faire comprendre que le gars est bourru. On a l’impression d’entendre ces contes enregistrés sur disque, les voix d’un théâtre de Guignol, où les intonations étaient surlignées trois fois. La bûcheronne est interprétée par Dominique Blanc, et la Gueule cassée de 14-18, par Denis Podalydès.

L’histoire est très simple. En Pologne, vers 1943, une bûcheronne trouve le long d’une voie ferrée un bébé tombé d’un train. Qu’elle ramène à la maison, mais son mari exige qu’elle (c’est une fille) dorme dans la remise. 

Ce bébé, c’est un sans-coeur. Ainsi nomme-t-on les indésirables, ceux qui ont tué le Christ, qu’on envoie à perpète, en wagons plombés, presque par superstition. C'est illégal de leur venir en aide. N’ayant pas de lait, la bûcheronne négocie avec un ermite qui vit dans la forêt, un vétéran de 14-18, à la tête affreusement cabossée, qui a une grande qualité : il possède une chèvre. Les mois passent, et dans l’entourage, on commence à trouver suspect cette gamine soudainement arrivée dans le foyers des bûcherons…

Les dessins sont superbes, en ligne claire, c’est du dessin animé à la Walt Disney (un gag est repris de BAMBI), pas du Pixar. Pour avoir une animation fluide et réaliste dans les gestuelles, Hazanavicius a fait un pré-tournage avec des acteurs, dans un théâtre, pour ensuite les redessiner. La direction artistique est de toute beauté, les décors enneigés, la brume, camaïeu de bruns, d’ocres, les percées de lumières dans les branchages, les clairs obscurs dans la cabane. 

Un deuxième récit s’invite. Celui du père du bébé, un déporté entassé dans un wagon, qui fait le choix douloureux de faire tomber un de ses enfants par la fenêtre, car il a vu au loin la bûcheronne. Un pari sur la vie. Une chance sur un million de survivre, guère plus que ce qui les attend au bout de leur voyage.

Avec un très beau plan, un oiseau qui s’envole d’une branche, parcourt quelques mètres pour atterrir dans un camp, Hazanavicius fait le lien avec la Shoah. Jamais les mots de juifs, de nazis, d’extermination, ni même de guerre, ne sont prononcés. Pour dire la fin de la guerre, le narrateur dit simplement : « Et puis un jour les trains ont cessé de rouler, et les avions ont envahi le ciel ». Car LA PLUS PRÉCIEUSE DES MARCHANDISES est rythmé par les trains qui passent, plusieurs fois par jour, si on le les voit pas, on les entend.

On assiste à l’arrivée du train dans le camp, le père sera un sonderkommando, ces déportés chargés de vider les chambres à gaz des cadavres. La mort n’est montrée que par une série de dessins au crayon, des visages suppliciés, hurlants, déformés, qui rappellent le masque de Scream, ou le Cri de Munch. Il y a ce plan superbe du père, libéré, qui voit son reflet dans une vitrine, horriblement amaigri, à faire peur. D’ailleurs, une gamine se met à pleurer en le regardant, se réfugie dans les bras de sa mère, qui vend des fromages fabriqués au lait de chèvre… mais n’en disons pas plus. La scène rappelle celle à la fin de LES LUMIÈRES DE LA VILLE de Chaplin.

Je m’interroge sur l’épilogue – 15 ans plus tard – était-elle nécessaire ? Ne pouvait-on pas en rester là, quitte à faire un moyen métrage d’à peine une heure ? Michel Hazanavicius a, en tous cas, réalisé un très beau film, dans tous les sens du terme. Pas certain que les enfants en comprennent les tenants et aboutissants historiques, mais le cinéaste s’est mis à leur hauteur pour raconter cette histoire universelle de pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne.

 


Couleur - 1h17 - format 1:1.85 

 
 
Liens vers les films COUPEZ !  ;  LE REDOUTABLE  ;  THE ARTIST

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