vendredi 24 février 2012

THE ARTIST de Michel Hazanavicius (2011) par Luc B.


Qu’est-ce que je vais bien pouvoir vous raconter sur THE ARTIST que vous ne savez déjà ? Rarement un film n’aura suscité autant de commentaires, et profité à plein du bras armé d’Hollywood pour assurer sa promotion. Son distributeur amériacain Harvey Weinstein dépense sans compter en lobbying pour son petit protégé frenchy. Remarquez, un film français que les Américains chouchoutent, c’est rare, alors profitons-en ! Mais le fait que le film mette à l'honneur leur patrimoine n'y est pas étranger ! Reconnaissons que le produit en question est assez inédit : à l’heure de la 3D numérique, on se passionne pour un film muet, en noir et blanc, au ratio 1:33. Et puis tout ce boucan autour de ce film, les multiples nominations à travers le monde, tout cela a permis de reculer l’édition du DVD, pour ressortir le film sur les écrans de cinéma. Là encore, ne soyons pas dupe, l’opération rapportera sans doute, mais tout de même, c’est suffisamment rare pour être salué. C’est d’ailleurs grâce à cela que je l’ai vu, il y a tout juste deux jours, en salle. Bon, vous connaissez tout ou presque sur THE ARTIST, le projet improbable de Michel Hazanavicius de rendre hommage au cinéma muet en en tournant un, le pari relevé par son producteur Thomas Langmann, la Palme d’Or pour Jean Dujardin, à Cannes, l’engouement aux prochains Oscars... Le rêve, le parcours édifiant, bref, une success-story comme Hollywood les aime, justement.

Mais à propos, il vaut quoi, ce film ?


Eh bien c’est un bon film, et c’est cela le plus important. J’en ai vu des films muets, j’aime ça, et même beaucoup, car ils représentent l’essence même du cinéma, le visuel au service de la narration. Et bien, même habitué, il y a une sensation étrange quand THE ARTIST commence, cette première séquence, dans une salle de cinéma justement, immense, avec la projection d’un film de George Valentin (Jean Dujardin) qui se clôt sous un tonnerre d’applaudissements… qu’on n’entend pas ! Ca fout les jetons : pendant un quart de seconde on se dit que quelque chose cloche ! Y’a pas de son ! Imaginez les spectateurs qui n’ont jamais vu de film muet ! La terreur ! Car même dans la salle (la vraie) il y a le silence. Pas de pop-corn, pas de messe-basse, de ronflement, de gloussement. Le silence appelle le silence. C’est comme une éclipse de soleil : l'environnement se tait, d'un coup, et nous laisse seul face au vide.

Alors ça raconte quoi ? Rien que du très classique : en 1927, George Valentin est un acteur célèbre, une sorte de Douglas Fairbanks, qui multiplie les succès, avec des films d’aventures et de cape et d’épée. Il croise une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Béjo), promue à un bel avenir, mais dans le cinéma parlant. George, lui, ne croit pas à cette technologie, persiste dans le muet, et sa carrière décline…

On a souvent hurlé au plagiat entre THE ARTIST et CHANTONS SOUS LA PLUIE. Les deux films ont comme socle historique le passage du muet au parlant, mais c’est à peu près tout. Le scénario reflète davantage les mélodrames. On lui reproche ce scénario trop simpliste ? Il est simple, linéaire, construit sur des bases éprouvées, celui de L'AURORE de Murnau était encore plus dépouillé. Mais sans doute les relations de George avec sa femme, ou le personnage du chauffeur, auraient mérité d'être creusés, pour donner de l'épaisseur et plus de vie à George Valentin
 
Hazanavicius, en fin cinéphile, ponctue son film de clins d’œil et références. Et il trouve surtout de vraies bonnes idées de cinéma, comme le cauchemar de George Valentin, qui se retrouve dans un monde sonorisé, ou la moindre plume qui frôle le sol produit un fracas du tonnerre ! Le fameux « BANG ! » dans les dernières scènes (je ne peux en dire plus…), ou encore George Valentin parlant à sa propre ombre, qui sort du champ, laissant Valentin littéralement abandonné. Il y a un plaisir palpable à écrire et filmer des scènes visuelles (la rencontre entre Peppy et George, chacun dansant d’un côté d’un écran) et nous ressentons un réel plaisir à regarder tout ça. Un plaisir à se confronter à un mode narratif qui pourrait paraître désuet, un langage qu’il faut se réapproprier. Michel Hazanavicius joue aussi – paradoxalement – sur la parole, sur les mots. Exemple : George Valentin est malheureux en ménage, il s’ennuie, c’est un type qui ne vit que dans son personnage, son monde d’acteur, de héros, il est déconnecté de la réalité. Il refuse de tourner dans les films parlants. 
 
Son monde s’écroule, et de retour chez lui, sa femme cherche une dernière fois à le comprendre en le secouant : « Mais pourquoi ne parles-tu pas ? Dis-moi quelque chose, parles ! ». Double sens évident, mais jolie trouvaille !

Il y a aussi le plaisir de voir des acteurs, de regarder des acteurs. Bien sûr que Jean Dujardin est fameux, c’est un acteur qui joue sur la gestuelle, le physique, le regard, comme un Cary Grant, ou Jerry Lewis, un Jim Carrey, voire un Belmondo, un acteur élastique, qui se fond dans n'importe quel rôle, juste par sa présence, ses mouvements et deux accessoires. Bérénice Béjo (charmante…) est impeccable, mais la surprise vient aussi de voir John Goodman (un  habitué des frères Coen) toujours aussi impressionnant, qui roule des sourcils comme dans un Mack Sennett, et James Cromwell, chaleureux et tendre chauffeur dévoué à George Valentin, et puis Malcolm McDowell (Alex dans ORANGE MECANIQUE) pour un tout petit rôle, presque de figurant (d’ailleurs il joue un figurant !), et Ed Lauder, éternel second rôle de crapule dans les productions US. THE ARTIST se hisse-t-il pour autant à la hauteur des grandes réussites du genre ? Peut-on raisonnablement le comparer aux films de Chaplin, Dreyer, Von Stroheim, Murnau, Sjöström ?   

Je ne pense pas, parce que ce genre-là, l’hommage (plus que le pastiche, comme dans les OSS 117) montre rapidement ses limites. C’est un exercice de style, brillant, et Hazanavicius multiplie les petites bonnes idées, au détriment sans doute de l’histoire de ses personnages. On ne peut pas croire entièrement au désarroi de George Valentin, puisque ce personnage  est une imitation de… Le film entier est une imitation. Hazanavicius pouvait-il se permettre d’aller vraiment dans le drame, la tragédie ? Terrain risqué, à cause justement du parti pris artistique du film. Je filme à la manière de. Je filme des acteurs qui jouent des acteurs. Ce n’est pas la vie d’aujourd’hui, ce n’est pas la réalité. Dans ses conditions, comment le public peut-il s’identifier, et adhérer au drame de George Valentin ?  Lorsque Valentin est au fond du gouffre, ténébreux, les mains enfoncées dans les poches de son blazer, cela nous renvoie immédiatement vers Murnau, voire le Chaplin de CITY LIGHTS (Valentin devant la vitrine du magasin, regarde son smoking mis au clou, avec le flic qui arrive…). Mais on voit plus la référence que le personnage lui-même. 
 
C’est un sentiment difficile à exprimer, cela me rappelle le film LA CONQUETE de Xavier Durringer (Cliquez ici pour relire l'article) qui écrasé par le personnage de Sarkozy, peinait à tendre vers l’universel. THE ARTIST est victime du même syndrome, un film tellement référencé (mais c’était le but) ancré dans une époque, un style, qu’il ne peut pas exister indépendamment de ses modèles. Le réalisateur se défend d'avoir fait un simple exercice de style, mais d'avoir voulu raconter une histoire sans dialogue. Certes. Mais faire un film sans dialogue, il en existe d'autres. De là à le faire sans bruitage, en noir et blanc, au format carré 1:33 avec intertitres, c'est plus que de ne simplement pas écrire de dialogue !  

Ces quelques réflexions mises à part, THE ARTIST reste, et c’est tant mieux, un vrai bon moment de cinéma, un pari fou de producteur timbré (Langmann), une belle expérience, qui fourmille d’idées merveilleuses et poétiques (jusqu'à la pirouette finale, ultime plan, très belle idée...). Qu’un tel film ait trouvé son public, c’est heureux, la popularité de Jean Dujardin y est pour beaucoup. La formule est galvaudée, je sais, mais si cela pouvait encourager certains à se dire : voyons de plus près ce cinéma-là, redécouvrons MABUSE, LES RAPACES, LE DERNIER DES HOMMES, LA GREVE, LE VENT, VAMPYR, alors là, ce sera formidable !   

Bien sûr, c'est le moment de se replonger dans L'AURORE de Murnau, précédement chroniqué ici

 



THE ARTIST (2011) 
Ecrit et réalisé par Michel Hazanavicius 
Noir et blanc - 1h40 - ratio 1:33

4 commentaires:

  1. Big Bad Pete25/2/12 15:46

    Autant le succès français m'étonne beaucoup : noir & blanc, muet, pas d'effets spéciaux; autant le tapis rouge américain est moins surprenant... C'est un hommage appuyé à leur cinéma ! Pas besoin d'adaptation, c'est déjà américain !!!

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  2. Vu hier soir. J'y suis allé un peu à reculons. Dès qu'un film est porté au pinacle, l'envie de voir le film est moins forte chez moi. Pour cette raison je me refuse toujours de voir "Intouchable". Mais j'avoue qu'en dépit des louanges que The Artist suscite j'ai été agréablement surpris. Surtout par la mise en scène, car c'est un film qui fourmille d'idées. La scène du rêve bien sûr mais aussi celle où un George Valentin dépité verse son café sur son reflet sur la table. Des plans comme ça tout bête mais que l'on cherche désespérément dans le cinéma français actuel. Complètement bouffi par son orgueil et qui voit le cinéma uniquement comme un prolongement du théâtre.

    Mais je rejoins cette chronique sur le scénario un peu creux. Car c'est vrai que au delà de l'hommage au cinéma muet, les personnages n'existent pas trop. Et à titre personnel je ne suis pas convaincu par Dujardin lorsque le film bascule dans le registre dramatique.

    Mais au delà de ça, je pense que le succès de The Artist est mérité.

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  3. Cette pluie de récompenses est-elle à ce point justifiée ? Je laisse la réponse aux spécialistes en 7ème art. Toujours est-il que moi aussi je suis allé le voir (il y a déjà un moment). Verdict: J'ai passé un très agréable moment. Faut-il en demander plus ?

    Vincent.

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  4. Salut Vincent, et salut à toute l'équipe.. Bah disons qu'au milieu de la médiocrité actuelle, ce flot de récompenses n'est pas très étonnant. Le film n'est pas exceptionnel, de mon point de vue également, mais, voilà, les Oscars sont de plus en plus consensuels. Ils rêvent de retrouver l'âge d'or. Illusions. FreddieFreeJazz

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