vendredi 3 juin 2011

LA CONQUETE de Xavier Durringer (2011), par Luc B.


7 mai 2007. Deuxième tour de l’élection présidentielle. Donné grand favori, Nicolas Sarkozy, seul dans un appartement sombre, est pendu au téléphone. Il appelle et rappelle sans cesse sa femme, Cécilia, et laisse des messages de plus en plus affolés : « Où es-tu ? Qu’est-ce que tu fais ? Réponds ! Il faut qu’on aille voter, tous les deux, se montrer ensemble, une dernière fois, tu me le dois bien ! »

Flash-back… 5 ans plus tôt. Jacques Chirac, président de la république, nomme Nicolas Sarkozy ministre de l’Intérieur. Sarko souhaitait avoir Matignon, et ne digère pas l’affront. Il réunit ses conseillers spéciaux, dont Cécilia, et annonce la couleur. Son rêve, son destin, c’est l’Elysée. Pas moins. Et peu importe le nombre de morts, il ira jusqu’au bout.

En route pour l'Elysée
Ainsi commence LA CONQUETE, réalisée par Xavier Durringer, sur un scénario de Patrick Rotman. Durringer est un homme de théâtre, auteur, metteur en scène, qui s’est tourné vers la réalisation, avec notamment LA NAGE INDIENNE (1993) J’IRAI AU PARADIS CAR L’ENFER EST ICI (1997). On a beaucoup parlé de LA CONQUETE comme étant le premier film français mettant en scène un président en exercice. Les anglais, et surtout les américains, y sont plus habitués. [Rappelons tout de même LE BON PLAISIR de Francis Girod, en 1984, où Trintignant jouait un président  très mitterrandien...] Patrick Rotman, le scénariste, est un journaliste, auteur de nombreux bouquins et documentaires historiques (La Guerre d’Algérie, Chirac, l’histoire de l’Extrême Gauche…), et politiques. Les faits relatés dans ce film sont donc bien réels, récents, et on retrouve un tas de faits bien connus, comme les balbutiements de l’affaire Clearstream, dont l’épilogue à ce jour n’est pas encore connu. Pourtant, un carton précise au début du film qu’il s’agit d’une fiction… Ben voyons… Il s’agit de raconter comment Nicolas Sarkozy à gagner l’Elysée, contre son propre camp. Car les représentants de la gauche sont absents du film. Le propos est donc de montrer comment un homme politique gagne des points, pour asseoir son pouvoir, son autorité au sein de son propre camp, et accéder aux plus hautes fonctions. De ce point de vue, LA CONQUETE est une réussite, lorsque le film décrypte les stratégies de communication, les angles d’attaque, les arrangements et trahisons, la fabrication des discours, de la parole politique. L’omniprésence des sondeurs et journalistes dans l’entourage du candidat expose aussi l’ambiguïté des gens de presse (Michael Darmon de France 2 est de toutes les scènes, et conseiller technique du film !) Intéressant aussi et de voir le bal des nominations, des tractations (Sarkozy voulait absolument cumuler l’Intérieur et la présidence de l’UMP, ce que Chirac lui interdit dans un premier temps) et tous ces déjeuners entre frères ennemis (Villepin-Sarko), de voir la face publique, et la face cachée de tel rendez-vous, où les égos s’affrontent, et les insultes et menaces fusent. Les mots sont des torpilles. Quand Sarkozy annonce à De Villepin : « Vous êtes un homme mort », on sait qu’il parle de mort politique, mais tout de même…

Face à face courtois, mais viril ! Chirac, Sarko.
On sourit, on rit beaucoup. Les dialogues sont dignes d’un Audiard. On retrouve la fameuse saillie de Chirac : « ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » ! Les mots sont importants, c’est une part de la culture française, de la politique française. Voyez comme tous les politiques tiennent à signer des livres, dont 80% ne sont pas écrits par eux. Il y a une belle scène où on voit Henri Guaino, ému, fier, quand il entend Sarkozy prononcer le discours qu’il a écrit pour lui (avec les fameuses références à Jaurès et Blum, pour clouer le bec des socialistes!). Les face à face Chirac–Sarkozy sont jouissifs, personne n’étant dupe de l’autre. Ainsi, lorsque Chirac dit à ses conseillers : « je viens d’avoir Sarkozy au téléphone, je lui ai renouvelé toute ma confiance, il ne m’a pas cru, il m’a redit tout son respect, et je ne l’ai pas cru. Tout va bien ! ». Ce qui donne toute la jubilation à entendre ce texte, ce sont bien sûr les comédiens. Denis Podalydès est bluffant. Pas tellement la ressemblance physique (il porte juste une perruque, mais aucun maquillage particulier). Mais la gestuelle, et surtout la voix. Pendant une heure et demi, on entend réellement Sarkozy. Il est là, devant nous ! Bernard LeCoq prend visiblement beaucoup de plaisir à jouer Chirac, Corona à la main, pantalon remonté au-dessus du nombril, toujours gouailleur, trivial, le regard amusé, mais avec une pointe d’angoisse et d’incompréhension quand il comprend que son empire vacille. Bernadette Chirac, Villepin, Debré, Lefèvre, Cécilia, Richard Attias, Claude Guéant (incroyable Hyppolite Girardot) Rachida Dati… Ils sont tous là !

Girardot / Guéant
Et pourtant… Pourquoi n’a-t-on pas affaire à une grande œuvre ? La mise en scène n’est pas toujours à la hauteur des ambitions du personnage principal. Ca reste parfois plan-plan (des gens assis qui causent…). Il y a aussi de bons moments, comme ce plan de Sarkozy, assis seul à une table de café, en terrasse, à La Baule. Moment de solitude. Sauf qu’un travelling latéral nous fait découvrir, cinq mètres plus loin une horde de photographes en action ! Mais le plan ne s’arrête pas là. Une voix off crie : « Regardez ! C’est De Villepin ! ». La caméra panote vers la plage, suit les journalistes qui courent (l’un d’eux trébuche) vers De Villepin, en maillot de bain, qui s’apprête à se baigner dans l’Atlantique. Très beau mouvement de caméra, partant d’un homme seul, cadré de près, pour finir par un plan d’ensemble sur une meute humaine. Les scènes de meeting, avec le personnage en petit, au pupitre, et son image projetée sur un écran derrière lui font toujours leur effet, mais on voyait déjà ça dans CITIZEN KANE, en 10 fois plus impressionnant. Mais il manque selon moi des éléments pour hisser le film au-delà de son sujet. Tout le suspens réside en ceci : Cécilia Sarkozy viendra-t-elle voter avec son mari au second tour ? Sinon, pourquoi cette construction en flash-back ? C’est là qu’on tenait le vrai sujet de film, l’ambigüité, la complexité du personnage de Cécilia, omniprésente auprès de son mari, forgeant son ascension, et ne cherchant qu’à fuir ensuite. Que se passe-t-il dans la tête du héros, quand en parallèle il gagne sur le terrain public, et perd sur le terrain privé. Un angle du vue qui m'aurait intéressé. Les premiers doutes sur la fidélité de Cécilia rongent Sarkozy (très belles scènes) mais ce thème est traité par le biais de la communication, de l'image. Pas du point de vue psychologique. Quand Othello se fait piquer sa femme par Iago (pense-t-il), Shakespeare ne s’arrête au cocufiage, il en fait une tragédie ! LA CONQUETE ne parvient pas à tourner à la tragédie, le film reste dans la sphère anecdotique. Il aurait fallu pour cela trahir la réalité, et faire, comme le carton du début l’indique, une réelle fiction. De même la fin programmée de l’ère Chirac aurait pu donné quelque chose de plus profond. 

On aurait aimé davantage de causticité à l’écran. J’entends par là : visuellement. L’affiche du film (le fauteuil qui monte) me rappelle une scène du DICTATEUR de Chaplin, où Hynkel et Napaloni, assis sur des fauteuils de barbier, essaient de grimper plus haut que le voisin. Xavier Durringer n’ose pas pousser la caricature, illustrer la soif de pouvoir par le grotesque, voire le burlesque. Souvenez-vous de la scène de la mappemonde qui finit par exploser à la tête de Hynkel. C'est l'image qui parle, et qui en dit plus que les mots. Le traitement visuel reste encore trop aimable, déférent, quand on voit comment Kubrick filmait les politiques dans FOLAMOUR. Je parlais d’une scène avec un Henri Guaino ému, mais ne pouvait-on pas l’imaginer fondant littéralement en larme, s’agrippant au veston de son voisin, au bord de la jouissance ? Eh oui, y aller carrément ! (Vous avez vu IN THE LOOP de Armando Laccunni, petit film anglais mettant en scène le premier ministre ? Une satire autrement vitriolée !). Les auteurs ont du se dire, on ose déjà filmer un acteur jouant le président en exercice, c’est une première, donc n’allons pas trop loin non plus. La presse française a dit : ce film ne nous apprend rien de plus que ce que l'on sait déjà. Ah bon ? Les journalistes savent, sans doute, c'est leur boulot, mais moi ? Je ne viens pas aux points de presse, je ne voyage pas dans l'avion présidentiel, je ne déjeune pas avec tel responsable politique. Tout le monde ne lit pas le "Canard Enchainé" pour être au fait des derniers potins, du "off". Pour moi, les réserves ne tiennent pas à cela. Finalement, les réserves que je peux faire ne concernent pas ce qu'on voit dans le film, mais plutôt ce qu'on aurait pu y voir...

LA CONQUETE est un film original, bien rythmé, superbement interprété, très intéressant, mais qui reste sans doute trop dans l’illustration, sans vouloir rajouter un étage à la fusée, pour se hisser vers la farce, ou vers la tragédie. Ce n’était sans doute pas le propos initial du film, mais cela valait le coup d’essayer !

La bande annonce du film, suivi d'un extrait d'un des très bons passages de ce film.









LA CONQUETE (2011) de Xavier Durringer et Patrick Rotman.
couleur - 1h45 - scope 2:35

2 commentaires:

  1. Super article Luc, même si tout cela m'indiffère hélas de plus en plus après 40 ans d'engagement et de syndicalisme.
    Eh dire qu'on est reparti pour un tour avec beaucoup de "en dessous de la ceinture".
    C'est vrai, niveau affiche, on pense à la scène chez le coiffeur du "Dictateur", sauf que là... il lui ont coupé la tête !!!!
    Ah ça ira, ça ira, ça ira..........

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  2. Shuffle master3/6/11 13:30

    Bien: je n'aurai pas cru qu'on en arriverait là aussi vite. Ce n'est pas faire oeuvre originale que de dire que la politique n'est plus qu'un tréteau sur lequel, avec la complicité de la presse, s'agite une bande d'affairistes nuisibles, toute cette agitation ayant pour objectif de masquer la réalité aux purotins qui se croient responsables parce qu'ils vont glisser un bout de papier dans l'urne de temps à autre. Ca ne suffisait pas: le délire spéculaire continue de plus belle: le spectacle parle désormais du spectacle. Après tout, c'est logique, puisqu'il n'y a plus que ça. On vient de passer à autre chose, et la grille habituelle de la critique (scénario, acteurs, direction d'acteurs, mise en scène)est totalement inopérante à mon avis pour rendre compte du film. Je prends les paris pour les prochaines étapes: le cinéma nous présentera en temps réel ce qui est en train de se passer, avant de le supprimer, comme étant inutile.
    La boucle sera bouclée. Quelle époque de m.... Bon, je vais aller me faire une petite sieste, moi.

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