vendredi 20 mai 2022

COUPEZ ! de Michel Hazanavicius (2022) par Luc B.

C’est une pièce montée à trois étages. Comme ceux d’une fusée dont on décroche les réservoirs une fois vides. L’assemblage des scènes, la construction du film, en fait tout l’intérêt. Donc ne partez-pas au bout de 10 minutes, comme j'ai vu des gens le faire, si le départ est très mauvais, c’est fait exprès. A l’origine COUPEZ !* est un remake, parfois au plan près - Hazanavicius a tenu à en reprendre les ingrédients tout en injectant un niveau de lecture supplémentaire - d’un film de fin d’étude japonais diffusé sur les réseaux sociaux. L'objet filmique fait le buzz, est distribué en salle, exporté timidement à l’étranger, et devient culte.

Ca rentre dans la catégorie un film qui filme un film. Qui verserait davantage vers CA TOURNE A MANHATTAN, que vers LA NUIT AMÉRICAINE. Mais là c’est un film qui filme un film qui filme un film.

Ça commence par un plan séquence de trente minutes. C’est quoi un plan séquence à l’heure du numérique ? Hitchcock, Kubrick ou Ophuls n’avaient que des chargeurs de 11 minutes et des caméras de 50 kilos. On peut aujourd’hui filmer sans limite de temps avec un téléphone portable, maquiller les transitions numériquement (Alfonso Cuaron, Alejandro Iñárritu, Gaspard Noé…) généralement en profitant d’un mouvement rapide de caméra, hop, ni vu ni connu. Il n’empêche, il faut une préparation millimétrée pour organiser les déplacements des acteurs, techniciens et cadreurs, qui vont et viennent, sur une aussi longue durée. Ce plan d'ouverture, en réalité la juxtaposition de deux prises, a nécessité 4 semaines de répétition.

Michel Hazanavicius entame donc son film par un morceau de bravoure, mais aussi par ce qu’il y a de plus mauvais, quitte à désemparer les spectateurs. On voit Rémi (Romain Duris) diriger un film de zombie, fauché, qui intervient dans le champ pour engueuler ses acteurs. Duris surjoue, hurle, c’est bizarre, les autres aussi s'avèrent mauvais. Malaise. A un moment, Rémi s’adresse à la caméra et lance un autoritaire « On n’arrête pas la caméra ! ». A qui parle-t-il ? Il y a donc un deuxième réalisateur ? Rémi est-il le réalisateur, ou un acteur jouant un réalisateur ? On aura la réponse plus tard…

On comprend qu’on assiste à un tournage de film d’horreur, un truc de morts-vivants, en roue libre, comme improvisé, avec actrice en mini short qui ne s’exprime qu’en hurlant, un héros, Raphaël, qui monologue sur la société de consommation, le capitalisme, où les techniciens à la ramasse sont réellement attaqués par des zombies. Ça tourne au carnage, ça décapite, ça gicle, ça ampute, ce n’est pas très clair, on ne pige pas tout, on rit mais c’est presque gênant : c’est ça le dernier Hazanavicius, le mec qui a eu un oscar ?

Générique de fin. Flashback : "Deux mois avant"...

On assiste à la genèse de ce que l’on vient de voir. Hazanavicius joue la mise en abyme sur plusieurs niveaux. Le film dans le film, mais aussi, avec la présence d’une actrice étonnante, Yoshiko Takehara, le visage comme taillé grossièrement dans la cire, qui reprend son rôle du film initial. Celui de la productrice qui cherche à adapter son succès. Donc Hazanavicius fait un remake en incluant à son scénario les vrais protagonistes du film original qui commanditent ce remake… C’est diabolique.

On voit les réunions de travail sur le scénario, les difficultés d’adaptation (pourquoi les personnages ont des prénoms japonais ?!), le casting, mention pour l’imbu et casse-bonbons Raphaël (joué par Finnegan Oldfield) qui parce qu'il a travaillé avec Lars Von Trier, souhaite peaufiner l’approche psychologique de son rôle, y donner une dimension politique, en bon fan de George Romero 

Autre dimension. Bérénice Bejo joue Nadia la femme de Rémi (Romain Duris), qui par un concours de circonstance se retrouvera à jouer pour son mari. Comme sa fille, qui arbore un tee-shirt Tarantino (qui dans ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD reprenait ce principe de film dans le film) qui se rêve cinéaste, et snobe un peu son père qui jusque-là n’a réalisé que de la daube (le témoignage larmoyant de Grégory Gadebois cul-de-jatte pour la chaîne D12 !!). Or Bérécine Bejo est la femme de Michel Hazanavicius, qui a aussi embauché sa vraie fille pour jouer celle de Duris. Vous suivez ?

Donc triple jeu de mise en abyme, assez jubilatoire dans sa troisième partie, dont on ne dira rien, si ce n’est que Hazanavicius nous montre le tournage du tournage du tournage, où tout ce qui était désolent au départ devient hilarant. Il montre les coulisses, c’est un formidable hommage au cinéma, à sa fabrication, au bricolage (Hazanavicius a volontairement réduit son budget à 4 millions) jets de sang, fausses larmes, effets spéciaux. 

Le réalisateur ne peut s’empêcher de citer Godard (il avait réalisé LE REDOUTABLE en 2017, sur l'ermite suisse) à travers le lettrage du générique de fin, l'utilisation des couleurs primaires (Bérénice Bejo en pull jaune, foulard bleu et visage rouge de sang, voir UNE FEMME EST UNE FEMME). Et aussi avec ces travellings en fauteuil roulant, Hazanavicius dévoile quelques petits secrets de fabrication.

Faut-il être bon acteur pour jouer les mauvais comédiens ? Oh oui, jouer faux relève du grand art. J’ai adoré Grégory Gadebois en alcoolique repenti qui repique au saké, ou Jean-Pascal Zadi en musicien qui doit improviser sur ses synthés, en direct, totalement paumé par l'intrigue qui se barre en couilles. La (vraie) partition a été composée par Alexandre Desplat qui a dû se marrer en voyant comment ses thèmes ont été utilisés.

Rien n’est laissé au hasard, Hazanavicius est un méticuleux. Les deux OSS 117 sont un modèle de rigueur et de sophistication sous des dehors loufoques. La moindre réplique ou accessoire trouve une résonance. Les dialogues sont fameux, débiles, décalés, presque hors de propos dans la première partie « Oh, une hache, quelle surprise ! » (on saura pourquoi...) le « Ca va toi ? Ouais et toi ? » répété quinze fois qui renvoie à OSS et ses gags de répétition, et d'autres répliques hilarantes, comme « pour la musique je pensais à du gratin », vous verrez pourquoi ! 

C’est un pari risqué au sens où Hazanavicius déstabilise d'entrée le spectateur, les rires sont discrets au début, mais grossissent crescendo jusqu'à l'apothéose.

* le film devait s’appeler "Z, comme Z" (comme zombie, ou série z) mais la lettre « Z » étant devenue l’emblème des forces russes, peinte sur les chars qui envahissent l’Ukraine, les distributeurs ont préféré éviter…


Couleur  -  1h50  -  format scope 1:2.35     


4 commentaires:

  1. Je vais le tenter celui là, j'ai encore jamais été déçu par Hazanavicius (le 3eme volet des OSS117 réalisé par Bedos montre à quel point il est difficile de prendre sa suite)

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  2. Hazanavicius, je le trouve pas très fiable niveau résultat ...
    Là, une trame de film de zombies comique, faudrait qu'il se surpasse ... Y'a quand même Shaun of the dead et Bienvenue à Zombieland qui ont placé la barre très haut ...

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  3. Attention... ce n'est pas une parodie de film de zombie, le comique ne vient pas des zombies en eux mêmes (le départ est réellement catastrophique), mais de la manière dont ce film de zombie a été tourné. Mais on ne peut pas révéler le truc... C'est comme "Psychose", il ne faut pas raconter la fin...

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  4. Pauvre cinéma français... Ils ne savent vraiment plus quoi faire...

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