mercredi 13 mars 2024

THIN LIZZY " Fighting " (1975), "ça fight" Bruno



     Dans la première moitié des 70's, laborieusement, la machine Thin Lizzy prend son essor. Lentement parce que la maturation du groupe prend du temps, mais aussi parce que son parcours est truffé d'obstacles. Comme si une impitoyable destiné, s'acharnant inlassablement pour faire trébucher le groupe. Mais comme si cela ne suffisait pas, comme un défi, comme un poing levé vers cette destiné sans pitié, la plupart des musiciens de Lizzy ont parfois été eux-mêmes un frein. A commencer par son leader qui, bien qu'exigeant tant avec lui-même qu'avec les musiciens qui l'accompagnent, ne parviendra jamais à vaincre ses addictions.

     Cependant, en dépit d'un parcours tumultueux, Thin Lizzy va se hisser au rang de grands groupes des années 70. Quarante ans après avoir tiré sa révérence (le dernier album, « Thunder and Lightning » a tout juste quarante balais), cette formation continue de séduire les jeunes générations. Des musiciens actuels revendiquent encore fièrement son influence. Et les les ventes de disques et de tee-shirts perdurent (l'année 2020 a compté deux coffrets, dont l'un de 6 CD et DVD ). Et puis, peu de groupes peuvent se targuer d'avoir la statue de leur leader. En l'occurrence, celle de Phil Lynott (à Dublin, dans Harry Street).

 


   Après un bel album, « Nightlife » (lien), le manager estime que le quatuor est prêt à affronter l'Amérique. Cette longue escapade, où le groupe va jouer dans les mêmes soirées que Bob Seger, Aerosmith, Bachman Turner Overdrive, UFO et même AC/DC, va être un tournant décisif. Devant une telle concurrence doublée d'un professionnalisme qui leur fait encore défaut, les quatre loustics se remettent en cause. Ils renforcent la facette « hard-rock » de leur musique, la parant de cuir et d'acier. Les riffs sont plus carrés et concis, et on encourage le tempérament belliciste des deux bretteurs pour des joutes épiques. Et sur scène, ils quittent leurs inhibitions pour s'exprimer et bouger sans a priori (ou presque... ). A leur retour, c'est un nouveau Thin Lizzy qui foule les terres du Royaume-Uni. Les USA fascinent Phil Lynott qui va se pencher sur son histoire, ses mœurs et faits divers, dans lesquels il va puiser l’inspiration pour ses textes. Lynott, si attaché à l'histoire et les mythes de son Irlande natale, va bientôt inclure des histoires de cow-boys, de mexicaine, d'amérindiens et de bisons. Ainsi, en 1975, le cinquième album, " Fighting " est le premier à porter tous les attributs qui amènent le groupe vers le succès. Souvent considéré comme un album de transition - ce titre serait plutôt à attribuer au précédent - il est parfois injustement oublié, occulté par " Jailbreak " qui ouvre les vannes du succès, de l'Europe jusqu'en Amérique.

     La plongée dans le hard-rock est marquée par des titres comme « Suicide ». Un boogie passé du côté obscur, ramassé, grave, sombre mais non moins entraînant. Une bombe incendiaire où les deux lieutenants, Scott Gorham et Brian Robertson, font rugir leurs Les Paul dans un lyrisme féroce ; deux guitares évoluant comme une élégante chorégraphie belliqueuse. L'onctueuse wah-wah (Colorsound) de Robbo est particulièrement saisissante et hypnotique, imparable – au moment des sessions, ce jeune effronté n'avait pas encore dix-neuf ans. Et pourtant, déjà, il va faire des émules [1]. (La chanson relate un fait divers, celui d'un décès rapidement qualifié de suicide alors que seule une balle de 45 a été trouvée ; pas de note du défunt, pas d'arme). Comme « Ballad of a Hard Man » qui remporte le pompon en la matière. Quasi saoulant, exténuant même, le chant est en retrait afin de ne pas entraver le débit de puissance de l'orchestration. Un chant sali et saturé même, afin de se fondre dans cette attaque frontale de guitares granuleuses et belliqueuses. Plus tempéré, « Fighting for Way Back » qui évolue comme un combat sur le ring, alternant entre instants de "tension et d'observation" (où les deux combattants se scrutent), et de francs directs dans le pif et de méchants uppercuts dans la mâchoire. Derrière, discrètement, presque subliminalement, une guitare funky allège le propos. " King's Vengeance " est également une offrande aux esprits du Rock-dur, même s'il développe une veine plus singulière de heavy-metal-folk-pop-médiévale  [ 😁 ]"... But the king shall have his vengeance ! Especially on the poor ! Some say preaching to convert him ! Me, I'm not too sure. Spring she comes and spring she teases. Brings summer winds and summer breezes. Blow through your hair till autumn leaves us. When autumn leaves us, oooh how winter freezes


   Ce qui fera toujours le charme de Lizzy, c'est sa capacité rare de créer des lignes d'un pur romantisme, sans glisser vers la mièvrerie, encore moins l'ampoulé. C'est sa faculté à briser les chaînes enserrant les cœurs les plus durs. Comme avec « Wild One », petit bijou où, sur des airs implorants de Lynott et une toile de fond aux teintes de folk-rock celtique, les Gibson sont à l'unisson (à la tierce) pour tisser de sobres entrelacs mélancoliques. Son atmosphère évoque une journée nuageuse où le vent (gaoth) irlandais couche les hautes herbes des falaises de Moher. Évidemment, l'influence de Wishbone Ash est prégnante, cependant Scott et Robbo tracent leur propre chemin. Source d'inspiration également évidente sur "For Those Who Love to Love", même si la voix de Lynott, avec sa chaleur naturelle, est plus en lien avec la Soul qu'avec les hurleurs du harderoque, fait la différence. " Freedom Song ", lui, dans un juste équilibre, mélange un peu tout ça : les twins-guitars, les riffs carrés probablement inspirés par les bûcherons de Bachman-Turner-Overdrive, le lyrisme à fleur-de-peau de Lynott.

     Le manager de Lizzy, Chris O'Donnell, s'inquiétait de cette nouvelle mouture à deux guitares, craignant que le niveau de Lynott à la basse soit insuffisant pour les deux nouvelles recrues. Or, si Phil n'a rien d'un John Paul Jones, il sait trouver les notes justes formant de vibrantes lignes chargées d'émotion, sans jamais avoir besoin de s'épancher, d'en faire trop. "Less is more". Quasiment un chaînon manquant entre la Soul de la Motown et un hard-rock proto-metal - entre James Jamerson et Roger Glover ? Ce n'est pas sans raison s'il a longtemps été mentionné dans les référendums des meilleurs bassistes. Non pas parce que techniquement il était parmi les meilleurs, loin s'en faut, mais simplement parce qu'il avait ce petit quelque chose qui touchait l'auditeur.

     Pendant l'excursion américaine, Lynott s'est entendu comme larron en foire Bob Seger, qui se révèle être un sérieux compagnon pour écluser les bouteilles. Le groupe, qui apprécie autant sa personne que sa musique, décide de reprendre une de ses chansons : " Rosalie ". Aux mains de Lizzy, la chanson prend du gras et accélère un peu le rythme, et devient un classique du répertoire scénique du quatuor (on la retrouve sur le fameux « Live and Dangerous »- dans une version nettement plus charnue - et les « Peel Sessions », ainsi que d'autres live posthumes). Peut-être que celle de Lizzy est plus connue que l'originale (1)


   "Fighting" est le premier album de Lizzy a rentrer - timidement - dans les charts. Il représente le décollage du groupe vers les sommets. Bien que le label juge les ventes très insuffisantes, ce nouvel essor l'incite tout de même à lui donner une nouvelle chance. Il est vrai qu'en dépit de son indéniable qualité, ce disque dégage parfois une impression douce-amère de manquer de justesse l'excellence. Le petit truc qui booste le morceau, le propulse dans les hautes sphères - la partie instrumentale de "Wild One" en est un bon exemple, mais plus encore "Spirits Slips Away". Il est bien possible que cela s'explique par le fait que pour cet album, le groupe ait été livré à lui-même. En effet, l
es rapports houleux avec le précédent producteur, Ron Nevison, ont échaudé le groupe, qui préfère en conséquence se passer de producteur. Peut-être que ce fut une erreur. Malgré tout, " Fighting " reste un très bon album qui n'a pas à rougir face à une âpre concurrence. Bien meilleur que " Bad Reputation ", pourtant plus connu. La remastérisation de 2011, en version "De Luxe", lui rend un juste hommage.  

     Sur cette pochette apparait le logo du groupe, celui qui sera repris pour les tournées à suivre. Sans jamais être repris pour un autre disque, jusqu'à " Live - Life ", en 1983 - qui le reprend comme pour fermer la boucle. Formidable double album sonnant le glas de la formation, où Lynott invite tous ceux qui ont participé à l'aventure lors des deux soirées finales, à l'Hammersmith Odeon, clôturant la tournée, et définitivement l'authentique Thin Lizzy.

     La pochette :  C'est la première et la seule où le groupe est photographié dans son intégralité (sur "Bad Reputation", Brian Robertson, à cause de ses frasques répétées, n'est plus trop en odeur de sainteté et en conséquence, le patron ne le convoque pas aux séances photos devant servir à l'élaboration de la pochette - un camouflet pour l'Ecossais). Considérées comme un appel à la violence, des premiers modèles sont rejetés parla maison d'édition. Initialement, les gars devaient de présenter armes à la main (une Wintchester pour Phil) dans une ruelle. Pour la prise de celle-ci, suite à des appels de résidents inquiets de voir des jeunes (très) chevelus ainsi armés, de plus accompagnés d'un métis, appelle la police qui intervient ; les armes, évidemment, sont factices. Un autre, où les musiciens sont présentés le visage tuméfié, est catégoriquement refusé par le label. Une version soft, sans aucune arme ni bobo, n'est qu'une simple et pauvre photo du groupe (à l'air dépité) dans une ruine. 


(1) A l'origine, la chanson est directement dédiée à Rosalie Trombley qui apparemment, contrôlait d'une main de fer une influente radio du Michigan. Les singles boudés par cette radio, n'avaient pas d'espoir de s'infiltrer dans les charts. D'où le "She's got the power", mais aussi "She knows the music, I know music too you see"

[2] Ce jeune Ecossais (né à Glasgow) s'est immergé très tôt dans la musique, en débutant par le piano et le violoncelle. Lorsqu'il se laisse absorber par le Rock, il ne se tourne pas uniquement vers la guitare. il se frotte également à la basse, aux claviers et à la batterie. Quand en 1974, à dix-sept ans, il descend sur Londres dans l'espoir d'être embauché - en tant que batteur - pas un groupe de plus grande envergure que ceux qu'il a fréquenté, il a déjà acquis une certaine expérience.





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Articles connectés (liens) : 👉  " Vagabonds of the Western World " (1973)  👉  NightLife " (1974) 👉 Johnny the Fox " (1970) 👍 Live and Dangerous " (1978)
💢 Phil Lynott "Yellow Pearl ... a collection" (2010)
💢 Black Star Riders (avec Scott Gorham) "All Hell Breaks Loose" (2013)
💢 Brian Robertson "Diamonds and Dirt" (2011)

16 commentaires:

  1. a propos de statue , il ne faut pas oublier celle de son illustre compatriote Rory Gallagher sur une place de Cork . Pas vraiment fan de ce groupe mais tu m'incite à ressortir le seul cd de Thin Lizzy qui traine dans ma cdthèque à savoir le double live "Life-Live" . Ca aura l'avantage de le dépoussiérer , ça fait un bail qu'il a pas pris l'air.....

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    1. Même si j'ai beaucoup aimé ce double-live (longtemps que je ne l'ai pas écouté), à mon sens, il n'est pas vraiment représentatif de la richesse de Thin Lizzy. Il est vrai qu'étant donné qu'il s'agissait d'une tournée d'adieu, on y retrouve des morceaux issus de toutes les périodes. Cependant, depuis l'embauche du blondinet John Sykes (le même que celui de Tygers of Pan Tang et de l'album éponyme de 1987 de Whitesnake), Lizzy a pris une tournure plus métôl. En conséquence, sur scène, ça envoie du gros son mais parfois au détriment de l'émotion. Ce qui n'empêchait pas qu'en cette année de 1983, Thin Lizzy survolait encore une grande majorité de groupes du genre (et probablement tous ceux de la NWOBHM), mais Sykes a beau faire ce qu'il peut, il ne parvient pas à reproduire l'osmose qui liait le duo Roberston-Gorham. Gary Moore, pourtant loin d'être un manchot et participant à l'un des meilleurs albums de Lizzy, confessera humblement que le groupe sur scène était meilleur avec Brian Roberston qu'avec lui-même.

      Enfin, pour faire bref, on ne peut juger ce groupe sur un seul disque. Et à ce propos, des curieux ont parfois été peu ou prou déçus de ce groupe par rapport à un album, sans alors prolonger l'expérience avec une autre galette. Mais le redécouvrant plus tard avec un autre plus en phase avec leurs affinités.
      (un bon exemple avec "Bad Reputation", l'album de la polémique. Encensé par certains, quasiment honnis pas d'autres . Dans une moindre mesure, le dernier album studio, avec le John Sykes, "Thunder and Lightning" est dans le même cas 😊)

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    2. A propos de statue (bis) celle de Luke Kelly des Dubliners, à Dublin, véritable institution locale.

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    3. The Dubliners qui jouaient... "Whiskey in the Jar" ! Slainte Mhaith 🍺

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  2. Bon alors Bruno , quels disques de Thin Lizzy me conseilles tu pour aller plus loin!

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    1. Mmmm... difficile à dire. A mon sens - forcément subjectif et discutable -, ce seraient "Black Rose : a Rock Legend", "Jailbreak", "Nightlife" et le double live "Live and Dangerous".

      Ensuite, j'avais usé jusqu'à la corde les albums "Chinatown" et surtout "Renegade". Deux albums parfois décriés, notamment à cause de la présence du guitariste Snowy White en remplacement de Brian Roberston. Certes, sur scène, Snowy a bien moins de présence et de charisme que son prédécesseur, et sa facette "hard-rock" est plus ténue (dès 1983, Snowy entame une intéressante carrière solo dédié au Blues-rock), mais il a pourtant participé à deux très bons albums; Oui, "Renegade" est à redécouvrir.

      Les plus "métalleux" préfèreront le dernier, "Thunder and Lightning" (très bonne première face), bien qu'un peu gâchée par la guitare de John Sykes qui a le pied lourd sur la distorsion. Pourtant, - anecdote -, il y a une petite poignée d'années, où j'avais passé ce disque dans une salle de sport (pour booster 😁), un musicien fan d'Herbie Hancock s'est précipité me demander de quel groupe il s'agissait ; et prestement enregistrer les renseignements sur son téléphone 😊👍🏼

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    2. Renegade n'a pas pris une ride, la production est superbe et toujours actuelle. Jailbreak et Johnny The Fox lui tiennent compagnie dans mon trio de tête. Nightlife est indispensable, mais peut être pas représentatif.

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    3. Je suis tombé sur une première mouture de Thin Lizzy, Funky Junction, avec un seul album (1972) qui reprend essentiellement du Deep Purple. Etonnant !

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    4. Oui, c'est 5/9 de reprises de Deep Purple. Le trio Thin Lizzy est complété d'un chanteur (Lynott ne chante pas, et ne voulait pas chanter, estimant qu'il ne pouvait imiter Gillan) et d'un organiste. Initialement, le groupe ne voulait pas le faire, estimant que ce ne serait pas bon pour leur image, mais le besoin impératif de monnaie a fait pencher la balance.

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  3. Shuffle Master.13/3/24 20:54

    Je suis passé complètement à côté du groupe dans les années 70/80, alors que j'écoutais Aerosmith et Bob Seger (beaucoup), Not Fragile de BTO et les deux premiers UFO. J'en ai acheté deux ou trois sur le tard, dont le terrible Live and Dangerous (avec le superbe Dancing in the Moonlight, pas vraiment représentatif d'ailleurs...).

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    1. Dancing in in the moonlight, qui ressemble furieusement à ce qu'aurait pu faire Springsteen s'il avait eu du talent.

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    2. Ce n'est pas faux, Springsteen aurait pu écrire un truc comme ça, vers 74-77. Il manque des pixels à mon écran d'ordi, je n'ai pas pu lire la fin de ta phrase. J'ai aussi le "Live and dangerous" qui est effectivement une tuerie.

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  4. Après avoir trop usé mes favoris, je me suis longtemps rabattu sur Nightlife, plutôt que sur Fighting. Parce que Nightlife est radicalement différent, alors que, comme tu le précises, Fighting amorce la période la plus efficace de Thin Lizzy sans pour autant être à la hauteur de ses successeurs. La production est une des raisons, je suis d'accord avec toi sur ce point là, une autre étant l'inégalité des compositions. Sur Jailbreak la palette de styles est variées sans baisse de régime, ballades, hard saignants, influences caraïbes, soft-rock ou funky, tout est maitrisé, efficace, ce n'est pas encore le cas sur Fighting.

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  5. Shuffle Master15/3/24 08:47

    Je viens de ressortir le Live and Dangerous. Le son est dégueulasse....Chez Mercury Universal, ils ont pas dû trop se fouler pour le passage au numérique ("ce sera toujours assez bon pour une bande de headbangers à moitié sourds"). Le CD a pris la place d'un Anita O'Day (Swing Rodgers and Hart) de 1960: on entend très vite que le soin apporté au transfert digital n'est pas le même.

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    1. C'est sûr que si on a l'habitude d'écouter du Anita O'Day, en comparaison ça peut dérouiller les esgourdes. 🙄😀
      Mais sinon, il faut impérativement ce rabattre sur la version De Luxe (de 2011 ?), car effectivement, sur les premières éditions CD de Thin Lizzy, le son paraît étriqué, compressé.

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