Vraiment ! Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Voilà t'y pas un groupe constitué de musiciens habiles et chevronnés, incontestablement à l'aise dans divers styles, encensé par la presse dès la sortie de leur premier disque, et qui pourtant n'a jamais réussi à conquérir les foules. Pire, à l'aube des années 80, le groupe était déjà effacé des mémoires. Voire relégué comme un simple émule de Status Quo. Comparaison honteusement réductrice et injuste, car si effectivement Stretch a trempé dans le boogie-rock cher au quatuor préféré du prince Charles (récemment monté en grade), sa large palette ne s'en contente pas. Loin s'en faut.
L'histoire et la genèse de Stretch est assez atypique, et confuse. Elle découle directement d'une mouture frauduleuse de Fleetwood Mac. Formation montée par le manager du groupe, Clifford Davis, et le batteur, Mick Fleetwood, pour assurer une tournée américaine, sans aucun membre légitime à l'exception de ce dernier. Fleetwood Mac était alors au bord de l'explosion, à cause de fortes tensions internes, amplifiées par une histoire d'infidélité (ce ne sera pas la dernière au sein du groupe). Initialement, cela ne devait qu'être un groupe de substitution, une entité éphémère pour assurer la tournée prévue, avec tout de même Mick Fleetwood à sa place, pour respecter les contrats en cours. Seulement, dès le premier concert, Mick Fleetwood est aux abonnés absents. Malgré la rémunération à encaisser, les musiciens remplaçants, sentant l'entourloupe, préfèrent se retirer. Mais un contrat est un contrat, et ils doivent continuer sous peine de poursuites judiciaires. De son côté, Mick Fleetwood dit tomber des nues, niant catégoriquement toute implication. Les pauvres mercenaires sont donc pris entre deux feux ; d'un côté menacés d'être poursuivis en justice s'ils ne se présentent pas sur scène, et de l'autre menacés d'être traduits en justice pour utilisation frauduleuse d'un patronyme. Sans oublier le public et les promoteurs qui n'apprécient guère être dupés et manifestent leur mécontentement. Le comble de cette arnaque, c'est que les instigateurs n'ont même pas jugé nécessaire d'inclure le facteur féminin, indissociable du groupe depuis l'intronisation de Christine McVie en 1970.
Toutefois, c'est cette expérience malheureuse - qui aujourd'hui, aurait pu les discréditer ad vitam aeternam - qui permet de les réunir. D'autant que Clifford Davis, finalement pas totalement un mauvais bougre, décide, en partie pour les dédommager de la mauvaise aventure, de ne pas les laisser tomber. Il se démène pour leur dénicher un contrat et les faire rentrer en studio. Le quatuor, formé autour de Graham "Kirby" Gregory à la guitare, Elmer Gantry au chant, harmonica et guitare, Jim Russell à la batterie et de Paul Martinez à la basse, est baptisé Stretch. On lui donne l'opportunité d'enregistrer un disque. De plus, dans de bonnes conditions avec un producteur, Martin Rushent, qui a déjà fait ses preuves (à commencer par le "Electric Warrior" de T. Rex, puis pour son travail pour Gentle Giant, Stone the Crows, Groundhogs, Badger, Sensational Alex Harvey Band, Snafu et Curved Air dans lequel on retrouve Martinez et Kirby). Six semaines de studio pour un groupe qui n'a encore rien sorti, même pas un 45 tours, c'est rare.
Il convient tout de même de préciser que les musiciens ont par contre un actif. A commencer par Elmer Gantry (né Dave Terry) qui a déjà connu un petit succès dans les 60's avec le Elmer Gantry's Velvet Opera (👉 lien). Groupe immergé dans un psychédélisme aux résurgence de Blues et de Soul (excellente reprise de "But I Was Cool" d'Oscar Brown Jr.). Après le split du groupe, qui ne réalisa qu'un seul album, Gantry se retrouve embarqué dans la comédie musicale "Hair". Kirby et Martinez donc, ont été membres de Curved Air - ils sont sur l'album "Air Cut". Et Martinez a déjà une certaine expérience des studios où il a effectué diverses sessions, dont certains pour Louisiana Red et Cat Stevens (il participera aux débuts de la carrière solo de Robert Plant, avec qui il restera quelques années).
Les rapports entre Martinez et le reste du groupe étant difficiles, houleux, il est simplement mis à la porte pendant les séances. Il n'aura enregistré que trois chansons dans leur version définitive. Il est remplacé par Steve Emery, ex-Ross (un bon groupe de musiciens performants teintant leur rock-progressif de Soul).
L'écoute de ce premier jet est relativement surprenant à plus d'un titre. D'abord, la production irréprochable, digne des meilleures de l'époque. Ensuite l'excellence des musiciens ainsi que leur cohésion. Ensuite le pluralisme de ce groupe qui se montre aussi à l'aise dans le funk-rock, le blues, le folk-rock que le Hard-rock. Stretch a tous les attributs propres aux super-groupes, à commencer par la voix "black", de "velours rocailleux" d'Elmer - sorte de Noddy Holder tempéré, duveteux. La guitare de Kirby, forte d'un vocabulaire étendu et maîtrisé, délivrant quasi systématiquement de solides et concis soli ; la batterie, sèche, organique, est un poumon d'acier martelant autant ses cymbales que ses fûts ; et la basse fluide et grovvy, presque chantante, consolide l'édifice.
Tout cela saisit l'auditeur dès les premières mesures de "Miss Jones", un vif et formidable heavy-rock saupoudré de Funk, botté par une batterie en surdose de caféine. Impression confirmée par "Why Did You Do It ?", un Funk sec aux parfums de classique intemporel, se parant de quelques teintes "New-Orleans" lorsque surgissent les cuivres. Le titre devient un hit européen, s'immisçant dans les discothèques et les "boums". On pourrait croire que le sujet traite d'une histoire de cocufiage, alors que c'est directement adressé à mister Mick Fleetwood, qui a mis les musiciens dans une posture des plus inconfortables, et qui n'a assumé ses manigances.
Et puis avec le mélancolique "Miss Dissy", qui résonne comme une des récréations folk-pop chères à Budgie, Elmer semblant alors presque prendre des intonations de Pete Shelley, on se dit que ce groupe peut tout se permettre. Du Hard-rock ? Pas encore, pas vraiment du moins, car l'agité "Tomorrow's a Another Day", à l'allure de dernière charge héroïque, allie un boogie-hard de Status Quo au rock'n'roll des New-York Dolls, couplé à l'énergie de quelques combos énervés australiens. Blues ? Ouais, y'en a aussi, en mode Country-blues même, avec "Down Home", dans un style proche de Leon Redbone - en plus graveleux. Rebelote avec le funk avec "Snakes Alive", un brin pataud cette fois-ci, pas très inspiré, heurté à la manière d'un Aerosmith (la puissance en moins). Un morceau qui ne donne pas grand chose à un volume modéré.
Tandis que "Navy Blues" est un heavy-Blues psyché et reptilien, paraissant nager dans un lourd trip hallucinatoire.
Sur la ballade folk "Write Me a Note", Elmer s'enveloppe du manteau de Rod Stewart - celui du "An Old Raincoat Won't Ever Let You Down" ? - pour cette ballade à l' "humeur pluvieuse", agrémentée de parfums country.
Amusant, "Buzz Fly", soutenu par une guimbarde frénétique, est à la limite du Country-rock et du Southern-rock, préfigurant le "Railroad Man" ; la rencontre de Shorty Medlocke avec Blackfoot.
Les portes de ce premier jet se referment sur "Slip Away", un rock-progressif offrant l'image d'un départ, lent cheminement vers un firmament avalant les protagonistes. Où ils devraient alors recevoir une première sacralisation et, brûlant des étapes, passer directement au niveau des "Grands Groupes". La presse elle-même lui donne sa bénédiction, certains critiques qualifiant le groupe de révélation, de nouveau grand groupe. Pourtant, outre le single, le succès n'est pas si retentissant que ça. Et malgré un second album encore meilleur, plus ancré dans le boogie-rock, Stretch ne va pas faire de vieux os à une époque où une bonne partie des auditeurs et de la presse n'a plus d'yeux - ou d'oreilles - que pour le punk. Le label, Anchor Records Limited, petite boîte d'origine anglaise, n'a pas non plus les épaules assez larges pour promouvoir suffisamment ses poulains, et les propulser. Ainsi, en 1979, Stretch, après un dernier effort sans Elmer Gantry (avec Nicko McBrain sur quelques morceaux, qui fait partie de la dernière mouture) - l'album est parfois carrément occulté des discographies - , jette l'éponge. Aujourd'hui, nombreux sont les amateurs à ne jurer que par l'album suivant, probablement parce qu'il est plus rock et plus évident. Si "Elastique" (en français dans le texte) peut aux premières écoutes décontenancer, il n'en demeure pas moins excellent.
🎼💽
Je ne percute que maintenant, mais Elmer Gantry, c'est son vrai nom, ou une référence au personnage / film avec Burt Lancaster (et chroniqué en son temps !) ?
RépondreSupprimerNaann... y'a écrit "(né Dave Terry)" 😁 - 2ième ligne en partie de la gauche, escalier à droite.
SupprimerC'est donc bien en référence au personnage du film ou du roman du même nom (de 1927 qui fut primé en 1930)