jeudi 12 janvier 2023

THE ROLLING STONES "Some girls" (1978) par Benjamin

Mais qu’est devenu le rock ? N’est-il pas allé trop loin ? En quoi ses multiples déclinaisons se rapprochent elles de la sublime simplicité originelle ? En deux décennies (60-70) le rock a tout été, du funk au reggae en passant par le symphonique et le folk. Son importance a gonflé en même temps que ses ambitions, les scènes où il jouait sont devenues des stades, son petit business est devenu une multinationale florissante. Le rock était partout, absorbait tout, conquérait tous les territoires et fascinait tous les peuples.

Puis, progressivement, les jeunes conquérants devinrent de vieux rois fatigués. Devenu décadent, le rock cacha de plus en plus son déclin derrière des artifices grandiloquents et des productions boursouflées. Led Zeppelin fatiguait, les ex Beatles et le rock progressif devinrent des machines à cash, la pop la plus vulgaire reprenait le pouvoir sur un monde qui lui avait échappé. Les punks étaient une réponse à tout cela, un cri d’indignation face à la corruption d’un rock sénile. Face aux virtuoses pompeux, les punks affirmaient que n’importe qui pouvait jouer. Ces insurgés à crêtes étaient comme des électeurs déçus par des années de politiques stériles, ils faisaient la promotion de l’incompétence théorique pour en finir avec la nullité de leurs aînés. Aussi bancal soit-il, ce raisonnement donna naissance au premier Ramones et au premier Clash, à Wire et « All mods cons ».

L’arrière garde fut vite forcée de reconnaître que ces parpaings risquaient de les liquider, que ces bombes avaient une intensité qu’ils avaient perdu. Et qu’importe si Johnny Rotten crachait sur la tombe d’un Elvis dont il sauvait pourtant le feu sacré, qu’importe si ces barbares furent souvent incultes et tout juste apte à jouer trois accords, ils étaient le rock moderne. Dire que les punks ont tué les dinosaures du rock est pourtant exagéré, ils n’ont précipité dans le précipice que ceux qui étaient déjà au bord du gouffre. Une bonne part du rock progressif était englué dans une mélasse commerciale avant leur arrivée, les vieilles idoles déclinaient mais auraient pu agoniser encore longtemps sans l’assaut des Wisigoths punk.

Les Stones étaient dans une situation semblable à nombre de musiciens de leur génération, sans inspiration et ralentis par les problèmes de drogue de leurs membres. Keith se fit ainsi arrêter avec une telle quantité de dope, qu’il fut inculpé pour trafic de drogue lors d’une tournée des Stones au Canada. Il fallut toute la persévérance de Mick Jagger pour éviter la prison à son guitariste. C’est pourtant en le sauvant que le chanteur va créer une tension qui déclencha la dernière grande crise stonnienne. Si le tribunal canadien accepta de laisser Keith continuer ses activités en attendant le procès qui allait le blanchir, ce n’est qu’en lui imposant de se désintoxiquer. Une fois sorti de son brouillard narcotique, le guitariste voulut prendre part aux décisions relatives à la carrière des Stones. Dans le même temps, Jagger avait découvert avec fascination l’autorité que James Brown avait sur ses musiciens.

Traités comme de vulgaires salariés, ceux-ci devaient payer une taxe dès qu’ils rataient un accord. Le retour de Keith privait Mick de son rêve de domination, créant ainsi un conflit qui perdure encore aujourd’hui. Mis au pied du mur par leur dernier échec et la vivacité de la nouvelle génération, le plus grand groupe du monde parvint à se réunir à Paris pour enregistrer un grand disque. L’affaire « Some girls » s’ouvre pourtant sur la bouse « Miss you », soupe disco servie par un Mick soumis aux dictas puant de la modernité. Le reste est heureusement d’un autre niveau, une production très directe permettant aux Stones de montrer aux punks que le pur rock’n’roll n’est pas mort noyé dans leurs glaviots. La frénésie de « Shatered » n’a d’ailleurs rien à envier à la folie destructrice des Ramones, elle leur apprend juste qu’une telle hargne peut être déployée avec la classe des pères fondateurs.

C’est qu’ils durent pâlir ces gamins en entendant les riffs de « Respectable » ou « When the ship come down ». Ces Stones-là n’ont pourtant rien copié, ils ont absorbé la révolte de l’époque pour donner un second souffle à leur swing. Après avoir fait parler une telle poudre, ils pouvaient se permettre de ressusciter le charme immortel du country blues sur l’excellent « Far away eyes ». « Some girls » joue le blues de la génération no future, le jeu très rythmique de Ron Wood donnant à ce mojo immortel une fougue inédite. Comble du bonheur, Keith chante sa joie d’être devenu clean sur « Before they make me run », une perle Chuck Berrienne digne des rocks stoniens. Quant à la ballade « Beast of burden », elle renoue avec la classe de « Angie » en lui ajoutant la profondeur d’une guitare bluesy. « Some girls » finit de rendre les Stones intouchables, ils devaient sortir un grand disque et ils accouchèrent d’un classique.

Car le punk ne fut finalement qu’un météore qui disparut aussi vite qu’il avait frappé, une catastrophe aussi violente et soudaine qu’éphémère. Après un tel exploit, le groupe pouvait bien réciter ses classiques dans des stades pleins de fans nostalgiques. Qu’importe désormais s’ils n’inventaient plus rien, le rock lui-même allait commencer à vivre de ses rentes. Les carrières des groupes se raccourcirent ainsi à mesure que leurs œuvres perdaient en ambitions. Le monde changeait, sa grandeur s’effaçait. Pourtant, grâce à « Some girls » les Stones restaient là, vénérés comme les symboles rassurants d’un passé glorieux.

 

 

6 commentaires:

  1. ”Les Rolling Stones étaient des fils à papa, ils étaient tous des étudiants de la banlieue de Londres. ils n’ont jamais été aussi bons que les Beatles, que ce soit en termes d’originalité, de composition ou de performance. Les Stones étaient toujours nuls sur scène, alors que les Beatles étaient fantastiques. Les Beatles étaient des durs.“
    ce n'est pas moi qui disait ça mais Le légendaire Lemmy Kilmister bassiste de Motörhead.

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  2. Ouh la ! Malgré tout le respect dû au grand Lemmy, il avait sans doute abusé du Jack Daniel pendant l'interview ! Les performances scéniques des Beatles, dont on n'a pas beaucoup de trace, et pour cause, c'était tout de même 12 titres en 30 minutes et puis s'en vont, et puis après 66 plus rien... On connait l'amour de Lemmy pour les Beatles, mais le "Get your ya yas" des Stones se pose-là en terme de live incendiaire. C'est McCartney qui a sorti il y a quelques mois (lui avait trop fumé ?) un truc du genre "Les Stones ne sont qu'un groupe de reprises de vieux blues" sous-entendu, "nous on a vraiment composé et innové". Ce qui n'est pas entièrement faux, mais zut, les Stones entre 68 et 72 ont dominé le monde ! De toutes façons, Pat, on sait depuis toujours dans quel camp tu te places, et c'est très bien, mais moi, j'ai un pied dans chaque ! (LucB). On laissera Benjamin répondre ?!

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  3. Les Rubettes c'est à part, hors catégorie, stratosphérique. (pauvre Jeff Beck... une méningite, pour un rocker c'est con...) (LucB)

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  4. John Lydon figure de proue du mouvement punk souhaite chanter à l'institution Eurovision. Même sans cela, lui aussi s'est "rangé des voitures".
    Jeff Beck avait évolué constamment...R I P.

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