Pour ceux qui sont allergiques aux pulls, et plus particulièrement aux cols roulés, pour se réchauffer sans avoir à jouer avec les commandes du chauffage, il y a une solution simple et économique : le dernier Thundermother. Un album des plus torrides aux senteurs de pierre brûlée et de bitume fondu. Il y a quelques années, mister Zakk Wylde nous avait prévenus. Son épouse, qui ne jurait que par les demoiselles, l'avait imposé dans la maison, repassant sans cesse leur deux (ou trois) premiers albums. Le musculeux barbu avait bien dû admettre que sa dulcinée avait trouvé là un bon filon, un groupe à fort potentiel (il n'avait pas intérêt à la contredire... 😁). Que ce groupe de filles n'avait rien à envier à leurs pairs masculins. Que ces demoiselles savaient s'y prendre pour envoyer le bois ; bref, il conseillait qu'on aille prestement y prêter une esgourde avertie.
Et effectivement, le "berserker du heavy-metal " n'avait rien exagéré. Voilà des années, depuis 2014, que ces descendantes de Vikings affûtent leur Heavy-metal groovy, copieusement arrosé de hard-rock 70's, et il semble que cette année, elles aient atteint une certaine perfection.
La force motrice de Thundermother, c'est Filippa Nässil, une petite blonde platine à la jolie frimousse aux yeux couleur bleu glacier, qui s'échine depuis 2010 sur ses Gibson à pérenniser la musique qui l'a fait vibrer. Celle d'un puissant hard-rock plongeant ses racines dans la seconde moitié des 70's, aux accents proche d'un heavy-metal de l'aube des 80's. Immergée très jeune dans la discographique du paternel, bien pourvue en une musique que l'on dit "virile", cette dernière a fini par infiltrer toutes les cellules de son corps. Au point qu'il est devenu primordial pour elle d'empoigner une guitare pour faire suer des Marshall sang et eau et vouer sa vie au Rock'n'roll d'obédience "mordant et velu". Une immersion sincère qui fait que fröken Filippa Nässil est la preuve vivante que savoir sonner franchement "Rock" - d'autant plus "hard/heavy-rock" - n'a dans les faits que bien peu de rapport avec le niveau de pilosité ou de roubignolles, c'est juste une question de tempérament. Et indéniablement, elle en a. Même sur les ballades les plus douces du groupe - qui restent toujours très éloignées de la soupe dont se délectent les radios actuelles -, son allégeance au rock'n'roll ne faillit point. Elle dit écouter de la vieille musique et qu'elle aurait aimé vivre dans les années 70 - ce qui passe actuellement à la radio ou ailleurs l'indifférent totalement.
Malheureusement, aujourd'hui encore, les difficultés pour un groupe de filles de faire carrière dans la musique - autrement qu'en optant pour le rôle de bimbo interprète, chantant des niaiseries en jouant les aguicheuses - restent plus élevées que pour les mecs. "It's a long way to the top", c'est sûr, mais en XXL pour la gent féminine. Les labels semblent intéressés mais refroidissent lorsqu'ils constatent qu'il s'agit d'un groupe de filles. Finalement, après plusieurs années à galérer, l'annexe suédoise de Warner lui ouvre ses portes. Et au début de l'an 2014, un "Rock'n'roll Disaster" brut, qui à l'image de sa pochette, dégage bien plus des parfums arides du bush australien que des forêts d'épicéa et de pins de Suède - ça sonne très Gibson SG, et occasionnellement Telecaster boostée. Pas vraiment original, mais cela fait son office et pour un premier album auto-produit (par Filippa), l'effort est à saluer (ce que font d'ailleurs leurs compatriotes). Et mine de rien, la galette fait déjà de l'ombre à la pléiade des continuateurs - ou des pilleurs- du combo des frères Young, persuadés que plus ils braillent, plus leurs grattes sont criardes, plus ils sont crédibles.
En 2015, ces valkyries investissent le label indépendant suédois Despotz Records, par lequel transite une bonne partie de la scène rock et métal scandinave, et si elles aiment faire la fête, s'abreuver copieusement de cervoise et d'hydromel, la musique reste une affaire sérieuse. Ce dont témoigne l'album suivant, "Road Fever", qui franchit un palier et qui, tout en gardant sa "texture aussie", se pare d'atours britanniques. Toujours produit par Nässil, qui compose l'intégralité de l'album et écrit aussi une bonne partie des chansons, le disque dévoile une tonalité évoquant quelque peu la cuvée 79 de Motörhead, ainsi que de Starfighters et même une once de Foghat.
Hélas, passer son temps sur les routes pour transiter de salle en salle, n'est pas de tout repos, et en 2017, le groupe sombre. Trois musiciennes arrêtent, tandis que la chanteuse, Clare Cunningham, préfère retourner au pays - l'Irlande - et se lancer en solo et aborder des terres plus folk, qu'elle teinte de rock et de pop.
Filippa, pugnace, s'accroche et repart en quatuor. Poignardée au cœur par cette défection de masse, elle rebondit en quatuor avec un album éponyme - pour marquer un nouveau départ -, en uppercut où elle élargit ses références. Dont les Who, en filigrane, et même Deep Purple avec notamment un "Rip Your Heart Out" propulsé une guitare teigneuse et vindicative, à la tonalité de Fender Stratocaster directement héritée du Mark III.
La nouvelle chanteuse, Guernica Mancini, une vieille connaissance avec qui elle avait déjà joué, partie un temps en Californie se perfectionner - au sein de la Musician Institute de Los Angeles - et se frotter à la scène du cru, paraît déjà nettement plus en phase avec la musique et l'esprit "Thundermother". Tout en ayant un timbre assez proche de sa précédente, elle apporte une succincte tonalité Soul. La formation se stabilise enfin avec aussi Emlee Johansson, une "vétérante" de la scène scandinave, ayant déjà fait vibrer ses fûts hors des frontières européennes. Seule le poste de bassiste demeure instable. Plus que jamais, ces demoiselles sont les plus représentantes pour reprendre le flambeau des Girlschool et Rock Goddess, voire des Runaways.
Désormais, Filippa semble avoir réuni les atouts nécessaires pour partir en conquérante. Elle en acquiet un supplémentaire en la personne de Soren Andersen. Lui-même musicien professionnel, excellent guitariste, sachant se montrer aussi fin que virtuose, avec une carrière débutant dans les années 90 et qui a pu déborder de son Danemark natal pour toucher le continent américain. Il a travaillé avec une multitude d'artistes et non des moindres, dont Chad Smith, Joe Lynn Turner, Billy Sheehan, Mike Tramp, The Answer, Pretty Maids, Eric Martin, Phil Campbell, Superfuzz, entre autres... et bien avec Jesper Binzer sur son excellent "Save Your Soul" (lien) et Glenn Hughes sur "Resonate" (lien). Soren Andersen a su extraire l'essence du groupe, pour mieux la canaliser ; polir une gemme brut et en faire un joyau. Atténuer l'abrasivité du son au profit de la consistance, un son plus ample, plus vigoureux, qui fait passer les fröken en première division. Sous sa houlette, le disque de 2020, "Heat Wave", obtient un succès, certes modeste, mais suffisant pour entraîner une seconde édition, une "Deluxe" avec un disque supplémentaire offrant de très bons bonus et des titres live. Sur la nouvelle pochette, image d'une chambre de jeune fille bardée de posters. Un hommage aux nombreuses influences qui ont forgé la musique des Thundermother - et plus particulièrement de Nässil - (pêle-mêle, on y croise Prince, Van Halen, Guns n'Roses, Kiss, Beatles, J. Fogerty, Rose Tattoo 👍, AC/DC, Iron Maiden, Joan Jett, Hendrix).
Nouveau disque, nouvelle bassiste, avec l'arrivée de Mona Lindgren, qui n'a eu aucun mal pour s'intégrer - même si à l'origine elle est guitariste - car auparavant elle servait de tampon entre deux titularisations.
La nouvelle cuvée des valkyries est une éruption de heavy-rock'n'roll galvanisant. Du genre temporisant ses humeurs bourrues et frénétiques par des refrains mnémoniques, proches du Glam-rock - et manquant parfois de glisser vers le genre rébarbatif de ceux "taillés pour les supporters de ballon rond", comme avec l'entrée en matière "Light in the Sky". "Black and Gold" fait craindre aussi le pire avec ses simplistes "Wo..oh, Wo, wo, wohoo", mais heureusement ce n'est qu'un intermède cyclique, ponctuant un robuste heavy-rock. Assez classique mais réhaussé par des ponctuations de talk-box et d'un superbe solo rythmé et concis de Filippa.
Question guitare, Filippa Nässil, après avoir dû passer par une période quasi imposée de "Malmsteem-Van-Halen-Lukather" et Wylde où finalement elle ne s'épanouissait pas, s'est recentrée sur le Classic-rock - genre bien charpenté. De cette première étape, il n'a, semble-t-il, rien garder. Sinon une MXR Phase 90 Van Halen indéboulonnable de son pedal-board. Même les morceaux rapides flirtant avec le Heavy-metal, reflètent plutôt le poids d'un Fast Eddie Clarke ou d'un Zodiac Mindwarp. Dorénavant, ses guitares résonnent grosso modo comme une fusion des frères Young avec Ace Frelhey et Nugent. Pour se faire, elle a étudié et appris le Blues, qu'elle pratique encore assidûment, jusqu'à ce que cela imprègne sa musique. D'où l'évidente affiliation avec de célèbres gratteux des 70's. Les accords ouverts sont d'ailleurs à la fête, source de ce son puissant ; les power-chords généralement indissociables du Hard-rock, ne sont souvent ici plus qu'un outil pour les ponts. Le matos de fröken Nässil est rudimentaire : une Gibson SG de 2013 et une superbe Gibson Explorer signature Lzzy Hale de 2017, têtes Marshall JMP de 75 et JCM800 de 87, baffles Marshall 87 et 90, une Cry Baby, une série de pédales basiques de la marque One Control (Disto, booster et reverb) et un ampli custom Skipper, conçu suivant ses recommandations.
Inévitablement, les évidentes références aussies resurgissent. Avec "Wasted", qui renoue avec la verve d'un AC/DC d'antan, ère "Powerage", toutefois, avec un régime moteur plus élevé. Si flagrant avec "I Don't Know You", qui puise largement dans le dernier opus de Bon Scott, "Highway to Hell", bien qu'édulcoré par un refrain un tantinet pop. Ce qui pourrait passer pour une hérésie avec certains autres combos, se révèle ici judicieux et plaisant (if you want blood ? ...). Tandis que "Loud and Free" reprend à son compte la recette du Rock'n'roll nerveux à la mode Young-Young-Scott. Cependant, dans le style, ce qui ravit le plus les synapses, c'est la course de "Stratosphere" - les épaules voûtées, les deux mains sur le volant, la tête penchée vers le pare-brise, l'air renfrogné et déterminé, crinière au vent, course folle sans autre but que l'oubli dans la vitesse - qui développe dans son sillage le spectre de Rose Tattoo (avec qui d'ailleurs le groupe a tourné, occasion de tisser des liens ; notamment avec Angry Anderson qu'elles considèrent comme un mentor et un ami) - qui taperait le bœuf avec Aerosmith. Les filles y rajoutent un brin de douceur en soutenant Guernica au chant - un peu comme un Journey ayant gommé ses velléités pop et peinant à contenir une colère sourde.
Pour les misogynes qui les taxeraient de "garçons manqués" (et tant bien même) parce qu'elles se borneraient à jouer une "musique d'homme", le formidable "Hot Mess" prouvent qu'elles peuvent aussi exceller dans la power-ballad de qualité. Slow-rock franchement habillé de Soul, porté par un chant à fleur de peau. Et l'on se surprend à chantonner ou à siffloter l'air du refrain. De quoi faire de l'ombre aux ballades de Steven Tyler - le morceau doit d'ailleurs beaucoup à Aerosmith. M'enfin, dans un monde normal, "épris de justice et d'équité" (dans un monde parallèle ?), cette pièce devrait en toute logique squatter toutes les radios de la planète. Au niveau douceur, elles ne réitèrent la chose que pour le final, avec alors un "Borrowed Time" plus sombre, bien que strié d'explosions "heavy" dans le pur style teutonique des Scorpions (qu'elles vont rejoindre l'année prochaine).
Au milieu de tout ça, trônent quelques pépites exaltantes de heavy-rock. A commencer par le trépidant "Raise Your Hands", donnant une leçon de Glam-rock - où les spectres de Bowie et Ronson investissent le Sunset Trip, s'emparant du corps de rockers du coin pour prêcher la bonne parole aux travers de saines vibrations. Faisant retrouver au Glam ses couleurs festives d'antan. Et le fédérateur "Look No Hooks" au riff binaire, s'inspirant des groupes de proto-hard - ce qui n'empêche pas Emlee de continuer à cogner comme une brûtasse. (ces mandales doivent déboiter les mâchoires 😲 - que les goujats prennent garde)
A l'occasion, elles brandissent skeggöx et scramasaxes, et se laissent emporter par une folie guerrière qui les amènent en territoire "heavy-metal". Ainsi, "Watch Out" et "Try with Love" partent à l'assaut d'innocentes et imprudentes esgourdes.
Rien de neuf à l'horizon ? Putain ! Mais on s'en [ auto-censure 😁 ] !! L'importance c'est que cela soit de la bonne came, et ma foi, ce quatuor féminin suédois a probablement sorti là l'un des meilleurs albums de hard-rock de l'année. Vouaille ! (Cela en dépit d'une pochette les plus insignifiante de l'année). Pour la première fois, le disque est le fruit d'un effort commun - même si ce serait plus précisément la matière brute apportée par Nässil qui a été affinée par la sororité et par parfois Andersen. Nässil semble avoir enfin trouver un groupe, et un producteur, rendant justice à sa musique. En particulier Guernica Mancini, qui donne vraiment de la consistance et de la vigueur, avec sous jacent une vibration de Soul torturée. Une vraie chanteuse, apte à moduler et varier les plaisirs, doublée d'un timbre qui se marie totalement à ce heavy-rock'n'roll sleaze.
"Humblement", le groupe dit ne pas seulement jouer du Rock'n'roll, elle sont le Rock'n'roll (!)... Ben voyons. Cependant, elles ont les arguments pour convaincre. Et il est vrai que leurs attitudes, sur scène et en dehors, reflètent un certain état d'esprit rock'n'rollien. Dans le style bon enfant, festif, croquant la vie à pleines dents. Rien à voir avec les grincheux où les comédiens jouant au dur renfrogné.
🎼🎸
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