mercredi 10 février 2021

JESPER BINZER "Save Your Soul" (2020), by Bruno



     Mais qui est-ce donc que ce Jesper là ? Hein ? Jesper Blinzer, Danois de naissance, n'est autre que le chanteur du groupe Danois D.A.D. (dont les initiales signifient Disney After Dark, mais, suite à une plainte du géant Américain, le sens ne devrait plus être dévoilé). Ce groupe qui, par vents et marées, a survécu à plus de trente années de durs services voués à la musique. Le dernier disque, "A Prayer For The Loud", est sorti en 2019.


     Apparemment, ne tenant pas en place, n'aspirant pas encore à un repos bien mérité (ce qui va faire plaisir aux élus favorables à l'allongement du temps de travail), il met à profit des périodes creuses de D.A.D. pour entamer parallèlement une carrière solo. Cette fois-ci, il profite des mois de chômage technique du groupe pour cause de pandémie.

     Son premier essai en solo, "Dying is Easy", remonte déjà à trois ans. Un album plutôt bien accueilli, mais totalement dépourvu de promotion. Ce nouvel album, tout comme le précédent, ne se démarque pas totalement de la production de D.A.D. Mais de quelle production s'agit-il, sachant que dès le début, le quatuor ne s'est imposé aucune limite. Absolument du Hard-rock, mais surtout totalement décomplexé, n'hésitant pas à se barbouiller de couleurs Punk, Country, Heavy-Metal, Pop, Metal-indus, etc. Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Parfois au grand dam des fans de la première heure qui ont du mal à digérer certains changements. Comme pour l'album "Soft Dogs", qui a le mérite d'avoir réussi à dérouter même les plus fidèles. De toute façon, ses prestations copieusement énergiques n'ont pas cessé de faire l'unanimité et d'attirer les foules ; du moins dans les pays Scandinaves.

     Ainsi, bien des fois, ce "Save Your Soul" sonne, à peu de choses près, pratiquement comme du D.A.D. Bien sûr, il y a la voix singulière de Jesper, mais c'est parfois à croire que le frérot est aussi venu en soutien avec sa guitare. Et non, Jesper, bien qu'habile guitariste rythmique, n'a pas empoigné une seule six-cordes sur son propre disque. Laissant le soin à Soren Andersen, déjà présent sur le précédent effort, qui cumule aussi avec basse, claviers, percussions et la production. Un factotum de luxe, d'autant que le studio est le sien. Pas vraiment un inconnu, puisque que c'est le guitariste qui est venu faire un boucan de tous les diables sur le dernier opus de Glenn Hughes, "Resonate". C'est aussi lui qui a accompagné Hughes (déjà il reprend du Blackmore quasiment "two fingers in the nose") sur sa longue tournée dédiée au répertoire du Deep-Purple Mark III. Pas vraiment un manchot non plus puisque la firme Yamaha en a fait son représentant nord-européen. Il représente aussi les excellents effets TC Electronics. Il a aussi sorti l'année dernière un album instrumental pas piqué des hannetons (à écouter, le morceau "City of Angels").


     Si le premier effort, malgré de très bons moments, semblait avoir loupé le coche, supportant mal la comparaison avec D.A.D., il en est tout autre avec le petit dernier ; ça saute aux oreilles dès le fringuant "Life is Moving", avec son intro lumineuse et virile, entre les Who et The Cult. Ouaip ! Pour sûr. Galvanisant au point de (presque) retomber dans l'adolescence et de faire des sauts en se frappant la tête contre le mur (y'en a... 😕). Du Rock "big vibes", "good vibrations", qui donne envie de croquer la vie à pleine dents. "Premonition", bien que nettement plus sombre, parvient aussi à saisir l'auditeur, à l'imprégner. 

   Quelques moments relativement plus doux aussi, faisant de l'œil à une Pop "sucrée et alcoolisée", ponctuent cet album. Comme le sautillant "What Time Is It Now", qui déborde d'un tempérament juvénile et insouciant ; carrément du Bubblegum pop pas policé pour un sou, mais fermement hérissé (avec quelques notes de banjo noyées dans le mix). Et "Don't Let Them Make You Choose Sides", bien qu'amer et inquiet. 

   Jusqu'à l'instant ballade, "Move a Mountain", où un piano crée à lui seul une sombre pièce dépouillée, froide et sèche, dans laquelle la voix de Jesper apporte chaleur et lumière - du cousu-main pour Steven Tyler celle-là -. "Oui, la vie t'a bouleversé, mais ta réponse était Amour. La douleur était vive et tu ressentais tout. Tu ne pouvais t'échapper, partir au loin. Tu espérais que cela passerait. Tu espérais t'élever. Tes pieds sont restés sur place, mais ta tête est dans le ciel. La vie t'as enfoncé dans le sol mais tu es toujours debout. Comment as-tu fait ? Je n'y serais pas parvenu. Tu as déplacé une montagne et tu t'es élevé au-dessus"

   Mais il y a aussi une poignée de chansons noires, relativement pessimistes. A l'image de la chanson éponyme, "Save Your Soul", mordante, reptilienne et poisseuse. Où Jesper éructe à s'en effilocher les cordes vocales, risquant à chaque couplet une "tendinite du larynx" (?). Même Robin Zander (Cheap Trick), au meilleur de sa forme, ne poussait aussi loin le fartage de ses cordes.  Si le Danemark est connu depuis une éternité pour ses brasseries et sa sérieuse consommation de bière, Jesper, lui, doit préférer l'Aquavit pour obtenir cette aptitude à se casser la voix, délivrer une tonalité aussi abrasive. Comme une colère retenue, transformée en énergie positive.


D'obédience "rock'n'roll", il y a aussi "My Head's Been Places" qui se place entre une chanson chouravée au répertoire de D.A.D. et un vieux titre musclé de British pop 60's passé à la moulinette d'un heavy-rock actuel et énervé. Jesper y chante tel un troll roublard. Ainsi que le vivifiant, bien trempé et découpant "The Heart Will Find Its Way", pas très éloigné des Smashing Pumpkins. Et "Drown Waving", qui fait rugir les grattes et les claviers de Soren Andersen, retrouvant le souffle et le vacarme des forges des Nains dans le Svartalfeim.

   Parfois, ce serait comme si le U2 des heures glorieuses avait épousé la cause d'un Rock craspec, tout en faisant preuve de panache. "Save Your Soul" n'a rien d'une récréation, d'une expérience attisée par la curiosité d'un artiste blasé. Le cordon ombilical avec D.A.D. n'est aucunement sectionné. D'ailleurs on pourrait considéré cet album comme une extension des albums "Simpatico" (1997), "Everything Glows" (2000) et "Soft Dogs" (2002). Ces derniers pouvant même se montrer parfois plus "Pop". Les différences notables créées par "Save Your Soul" résident essentiellement dans la présence de claviers qui s'immiscent tantôt pour fusionner avec la guitare, chargeant le son, en en faisant une bourrasque automnale chargée de feuilles cinglant les visages, tantôt en apportant quelques enluminures. Paradoxalement, le timbre de Jesper a une tonalité plus rauque - plus rock - que celle présente sur les albums sus-cités. Résultat du poids de l'âge ? 

     Le disque tient la route du début à la fin, rien à écarter. Même le final, avec "The Price of Patience", qui tire le rideau sur une touche plus mélancolique et désabusée, est une délectation pop-rock. "A la recherche de solutions, en espérant que la vérité gagne... Vous-êtes vous déjà demandé la pression que subissent ceux qui veulent une nouvelle façon de vivre. Rien ne change, j'ai attendu. Personne n'écoute ce que je dis et je me demande si le prix de la patience est trop élevé. Car la vie est trop courte... le pouvoir se corrompra chaque fois"

     Un disque qui fait se sentir "hygge".  L'homme qui ne voulait pas couper ses cheveux, a encore bien des choses à raconter, et on y prend un réel plaisir. A 55 ans - depuis le 4 septembre dernier - il est toujours plein de ressources. En dépit de paroles au caractère majoritairement désabusé et pessimiste, sa musique véhicule une réelle énergie communicative qui fait tellement défaut à des bien plus jeunes. Chapeau, hr Jesper Binzer.

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