- Humm, ça sent drôlement bon Nema…
- Je prépare des tripes, à la façon de Porto Sonia.
- Quelle idée ! Les tripes à la mode de Caen j’aime bien et puis le
boucher en vend des toutes faites…
- Écoute Sonia, à défaut de pouvoir voyager au Portugal, moi je voyage en
cuisine. Je viens de terminer un super roman qui se passe en grande partie
à Porto et ça m’a donné envie…
Antonio Tabucchi |
De Porto, je ne connaissais rien. Si ce n’est le Porto que je bois à
l’apéritif (quand je ne prends pas un whisky…). Je n’avais même pas dans
l’idée que c’est un port et qu’il est à l‘embouchure d’un fleuve, le Douro.
Nulle en géographie. Et puis j’ai lu ce roman d‘Antonio Tabucchi, «
La tête perdue de Damasceno Monteiro ».
Tabucchi, un auteur italien mais un passionné du Portugal, un
écrivain humaniste et réaliste, avec un style alerte et fluide, avec des
descriptions claires et lumineuses des rues, des quartiers, des parcs ou des
intérieurs des maisons et des personnages, tellement là, vivants attachants
ou au contraire écœurants, alors forcément cela conduit à entrer dans le jeu
et à voyager !
Nous sommes au milieu des années 1990. Lisbonne est en plein travaux pour
l’Exposition Internationale. Il fait beau et chaud. Le héros de l’histoire
de l’homme sans tête se nomme
Firmino, un jeune homme, encore étudiant en littérature (il travaille sur
"l’influence de
Vittorini sur la littérature portugaise de l’après-guerre" ; pour votre information Elio Vincenzo Vittorini était un
écrivain antifasciste italien, bref une sacrée thèse hyper pointue) et
journaliste pour le quotidien «
Ce que le citoyen doit savoir
» pour se nourrir. Oh, il ne s’agit pas d’un grand journal, la rédaction est
logée dans un immeuble modeste et le personnel est plutôt restreint. Mais le
directeur a des idées bien arrêtées à la fois sur les sujets que
Firmino doit traiter mais aussi
sur le style à employer (plutôt racoleur, genre tabloïd…).
Firmino vient tout juste de
terminer une série d’articles sur le cas d’une femme tuée par son mari à
coups de couteau. Son directeur l’envoie à Porto, immédiatement.
Porto. Bof. Mauvais souvenirs d’enfance pour
Firmino, des Noëls passés chez une tante et un oncle dans cette ville, avec cette
horrible soupe de chou vert que les habitants de Porto adorent, tout
comme les tripes. L’envoyé spécial doit aller se loger à la pension Rosa. A
son arrivée, et malgré son a priori négatif,
Firmino trouve une pension
agréable et tenue par Dona Rosa, une femme qui a beaucoup de classe et qui, de toute évidence, connait le
directeur du journal ainsi que tout ce qu’il faut savoir sur Porto et ses
notables.
Porto : Rua das Flores |
Porto : Rua das Flores |
La première personne qui est interviewée par
Firmino, est Manolo le vieux gitan.
Magnifique récit de la découverte du corps sans tête par
Manolo. Ce gitan qui a été comme un roi pour sa communauté et qui vit désormais
dans une pauvre baraque dans un terrain vague ; le Gitan libre d’Espagne et
du Portugal qui rêve encore de ses chevaux au milieu des carcasses de
voitures. Le corps sans tête était là, à quelques mètres de la baraque, dans
un fourré. Manolo donne une
description du corps, celui d’un homme jeune, qui portait un T-shirt avec
une inscription Stones of Portugal. Pour éviter toute erreur de
communication, Firmino raconte
systématiquement à son directeur, au téléphone depuis la pension Rosa ce
qu’il découvre et prend les consignes sur ce qu’il doit écrire (ou pas).
Firmino est également d’une certaine manière conseillé par
Dona Rosa. Il doit investiguer sur l’origine du T-shirt (non, ce n’est pas un objet
publicitaire pour un groupe de rock, désolée les copains du Blogue…). Il va
également être en contact avec un mystérieux interlocuteur, d’abord par
téléphone, puis dans un jardin public : un ami d’enfance de
Damasceno le corps sans tête. A
propos de la tête, grâce à Dona Rosa,
Firmino peut la voir juste après
sa découverte (pas fraiche la tête, je vous préviens) un peu avant qu’elle
ne soit confiée à la police. Il prend des photos : il y a un petit trou sur
une tempe… et la coupure niveau du cou est très bien faite, comme si on
avait utilisé une scie électrique.
Damasceno a été assassiné.
Pourquoi ? Par qui ? L’enquête se poursuit tout doucement mais sûrement. On
déambule dans Porto et Firmino, muni d’un guide touristique découvre une ville attachante, des cafés et
restaurants où il fait bon échanger quelques mots avec les serveurs…
Il faut défendre les intérêts de la famille de
Damasceno Monteiro. Quoiqu’il ait fait, il faut que le crime soit jugé et que le ou les
meurtriers soient condamnés.
Firmino comprend grâce à l’ami
d’enfance, Leonel Torres, qui a été témoin des évènements d’une partie de la nuit où
Damasceno a été tué, que la
police a joué dans cette histoire un rôle très louche. C’est là que va
commencer à intervenir un second personnage, essentiel au roman : l’avocat
Fernando de Mello de Sequeira, dit maître Loton (parce qu’il
y a une certaine ressemblance avec Charles Laughton l’acteur…).
Obèse, bon vivant, issu d’une très grande famille de Porto et plein de fric,
maître Loton prend l’affaire en
mains. La première rencontre de
Firmino avec
Don Fernando est surprenante :
un vieil immeuble, un rez-de-chaussée, une porte qui s’ouvre automatiquement
et installé dans un fauteuil dans la pénombre, un
Don Fernando cigare à la main
(et verre de Porto non loin) qui pose au jeune journaliste un grand nombre
de questions y compris sur ses travaux de thèse. Et quand
Don Fernando explique quelque
chose, il ponctue ses phrases d’un « vous comprenez le concept ? » qui
oblige Firmino à acquiescer d’un
« je comprends le concept ».
Tripes à la mode Porto de Nema 😋 |
Trafic de drogue, implication de la police, rôle du
Grillon Vert, ce type abject qui mène une double vie entre grand banditisme et forces
de l’ordre, manipulation potentielle de la justice, comment déjouer les
pièges d’une affaire qu’il faudrait pour certains à tout prix étouffer ?
Firmino continue ses interviews,
très étroitement coaché par
Don Fernando et le directeur du
journal : on publie une interview juste après une déposition à la police et
on le fait dans un style qui permet d’avoir un très gros tirage du
quotidien. Une façon de sauvegarder les dires des uns et des autres et de
protéger le peu de vérité que l’on arrive à reconstituer. Pas simple. Les
dialogues entre Don Fernando et
Firmino, ou plutôt les longs discours de
Don Fernando pour expliquer le
pourquoi de cette vérité nécessaire et même indispensable à une justice
équitable sont passionnants. Et ils passent très bien car il y a bien
souvent de petites digressions autour d’un repas et de spécialités
culinaires de Porto…
Difficile, Firmino a finalement
bien compris ce qui s’est passé cette nuit-là, mais malgré une très belle
plaidoirie de Don Fernando, les méchants, et surtout le Grillon Vert, ne seront pas condamnés à la hauteur du crime commis. Quoique…
Rebondissement ? Suspens, je n’en dirai pas plus.
Antonio Tabucchi
est né à Pise et mort en 2012. Il est l’auteur d’une 20aine de
livres. Il a également collaboré à de nombreux journaux et a enseigné à
l’université de Sienne, à New York, au Collège de France.
Bon voyage depuis votre canapé !
255 pages Folio
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