On connaissait DEUX HOMMES DANS LA VILLE, ou DEUX HOMMES DANS UNE VALISE, voici DEUX HOMMES DE BIEN. Un bouquin très intéressant, parce qu'une belle écriture où on y apprend plein de trucs.
L’auteur s’appelle Arturo Pérez-Reverte, il est espagnol, romancier mais aussi journaliste, scénariste, on lui doit le script de LA NEUVIÈME PORTE qui porte haut l’étendard de plus mauvais film de Polanski ! Pérez-Reverte aime le polar et l’Histoire, un de ses héros récurrent est le Capitaine Alatriste, qui flirte avec l’univers de Dumas, on lui doit aussi LE TABLEAU DU MAÎTRE FLAMAND (1990) beau succès de librairie.
L’action commence à Madrid, à la fin du XVIIIème siècle, où l’on assiste à la réunion hebdomadaire de l’Académie Royale. Le sujet du jour est l’acquisition de l’Encyclopédie, le best-seller de Diderot (photo) et d’Alembert. Une œuvre colossale qui éclaire l’Europe des lumières, bien que censurée partout, y compris en France, où elle se vend sous le manteau, ou à l’étranger.
Les académiciens sont partagés. Les pour et les contre. Ceux qui plaident pour l’émancipation des esprits, de la culture, du savoir, et ceux qui s’offusquent de la remise en cause du dogme de Dieu. La majorité l’emporte, et voilà le bibliothécaire Don Hermõgenes et l’amiral Pedro Zàrate chargés de partir vers Paris avec une bourse bien remplie, pour y acheter un exemplaire de l’Encyclopédie dans sa version complète, in-folio, en 28 volumes.
Ce qui n’est pas du goût de deux autres académiciens, Manuel Higueruela et Justo Sànchez, qui voient dans cet ouvrage sacrilège la remise en cause de la royauté et de la chrétienté. Ils vont s’acheter les services d’un mercenaire, Pascual Raposo, pour contrecarrer l’expédition.
Philosophie et aventures sont donc au menu de ce roman, construit sur deux époques. Il reprend le principe lu dans HHhH de Laurent Binet, c’est-à-dire que le romancier se met lui-même en scène pour expliquer au lecteur comment il travaille, où il trouve ses documents. Car à l’origine, il se base sur des échanges épistolaires des réels protagonistes, leurs carnets de voyage. Mais qui ne sont pas assez précis. Exemple avec une étape sur le voyage du retour, où il est question de forêt, d’un type d’arbre, de relief. C’est en cherchant sur Google Earth, que l’auteur arrive à restituer la scène, selon les descriptions faites à l’époque et les images topographiques d’aujourd’hui.
Sur le plan de la recherche documentaire le bouquin est passionnant. Comment vous faites Madrid-Paris en calèche, sans GPS n’y Radio-Autoroute (fréquence 107.7) pour vous guider ? Quelle route prendre, quels relais doit-on passer pour changer les montures, quelles auberges fréquenter ? On assiste donc aux recherches de Pérez-Reverte, qui consulte documents ou historiens, puis à l’application dans son récit, qui est une fiction pas si fictive que ça !
Les deux personnages principaux sont attachants, le rondouillard Don Hermõgenes, et le grand sec Pedro Zàrate, qui laisse derrière lui ses deux sœurs célibataires, en leur promettant de revenir chargé de cadeau. Paris étant à l'époque la capitale de la mode. Le voyage est long, il s’engage donc des discussions, philosophiques, le vernis se craquelle, l’intimité profite aux épanchements.
L’auteur n’oublie pas que DEUX HOMMES DE BIEN est aussi un roman d’aventures. Pascual Raposo n’est jamais loin, il veille, espionne, anticipe les mouvements, tend des traquenards, rend compte à ses patrons de l’avancement du périple, mais ne peut empêcher les deux académiciens d’arriver à Paris. Qui vont y trouver l’aide de l’abbé Bringas, un défroqué grand buveur qui verrait bien la noblesse décapitée en place publique, et qui va les promener dans le Paris des beaux salons, des cafés, comme dans les ruelles infâmes des librairies clandestines, à la recherche de la précieuse Encyclopédie. Dont il existe des versions expurgées, censurées ou mal traduites à l’étranger, l’originale étant officiellement interdite en France, ou réimprimée sur demi ou quart de format.
Pascual Raposo va lui aussi trouver de l’aide auprès de Millot, un policier qui pour quelques pièces d’or mettra ses indics aux trousses des deux espagnols. Car plus nos deux héros s'approchent du but, plus leurs ennemis fomentent des coups-bas, la toute fin aurait pu se retrouver dans un western d'Anthony Mann. On assiste à des dîners mondains, des duels verbaux qui rappellent le film RIDICULE de Patrice Leconte, le très rigide amiral Zàrate s’avère être un orateur spirituel, duelliste chevronné malgré sous âge avancé, et pas insensible aux charmes de la libertine et lettrée Margot Dancenis, qui tient salon, et invite à son réveil ses amis pour des lectures philosophiques, autre terme pour désigner la prose pornographique clandestine.
Arturo Pérez-Reverte fait revivre ce Paris de l’avant Révolution, les cercles intellectuels ou libertins, l’un n’empêchant pas l’autre, avec un style précieux, riche, documenté. On pourrait parfois lui reprocher justement de se regarder un peu écrire, se regarder travailler, z’avez vu comme j’ai bien bossé mon sujet, comme j’utilise les bons termes de l’époque, le jargon ad-hoc. Mais on ne va pas faire la fine bouche, vu le nombre de production littéraires qui sonnent comme des notices de fer à repasser.
Une lecture divertissante et instructive.
Edition poche, Le Point, 592 pages
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