jeudi 5 janvier 2023

BRAHMS – 4 chœurs avec orchestre – Marylin HORNE & Robert SHAW (1989) - par Claude Toon


- Houlà on sort des sentiers battus Claude, des chœurs romantiques de Brahms… Je ne savais pas qu'il avait écrit ce genre d'ouvrages, les voix sont magnifiques…

- Ô pas très surprenant pour le compositeur d'un certain Requiem allemand Sonia, chef-d'œuvre absolu et tu sais que j'emploie ce mot avec parcimonie…

- En effet, un texte de Goethe entre autres… mais nous n'avons pas déjà écouté la Rhapsodie pour alto et chœur de mecs ?

- Oui Sonia, l'enregistrement culte de Kathleen Ferrier et Clemens Krauss, interprétation sublime mais son épouvantable… Toutes les altos ont chanté cette belle pièce, elle fait partie de l'album avec Marylin Horne qui ne démérite pas…

- Tiens ils ont un orchestre à Atlanta et c'est une entrée au blog pour Robert Shaw ; je croyais que c'était un acteur…

- Oui, un acteur qui se fait bouloter par le requin dans les dents de la mer… Un homonyme de notre chef de chœur légendaire yankee qui a en effet dirigé l'orchestre d'Atlanta, de bon niveau… Atlanta n'est pas qu'une bourgade hyperviolente Sonia (Six millions de gens avec la banlieue)…


Brahms vers 1885

Incroyable… Y aurait-il un sursaut d'innovation à la Philharmonie de Paris ? Est-ce que la prise en main de l'orchestre de Paris par le jeune prodige finlandais Klaus Mäkelä, maestro qui n'aura que 27 ans en janvier, mais affiche déjà six ans d'une carrière fulgurante (Oslo, Rotterdam, Francfort…) rénovera enfin le répertoire de la phalange soi-disant phare de la Capitale française, je cite l'Orchestre de Paris dont il a pris en main la destinée en juin 2019, à 23 ans !!! Après sa création en 1968 et des débuts chaotiques, l'orchestre pratiquait depuis des décennies une programmation sans risque, de qualité certes, où seuls les gros bonnets du gang des compositeurs qui permettent de faire le chiffre avaient leurs places réservées… Beethoven, Brahms (les symphonies), et d'autres qui figurent forcément dans un dico pour ados. En début d'année, Klaus Mäkelä et la pétulante pianiste Yuja Wang m'avaient réconcilié avec une programmation moins pépère : Ebony Concerto d'Igor Stravinski, Concerto pour piano n° 4 (rarement joué) de Serge Rachmaninov et pour finir, le Requiem de Maurice Duruflé (rarement joué ; désolé pour la répétition).

Plus de deux heures de musique originale alors que les canons russes commençaient à ravager l'Ukraine (Klaus Mäkelä assura une minute de silence à la fin du Requiem, les deux solistes étant ukrainiens). Notons que Ebony Concerto étant un ouvrage moderne pour harmonie jazzy, il fallait tout déménager pour installer un orchestre symphonique traditionnel. Qu'à cela ne tienne…

- Dis Claude, sympa tes souvenirs mais quid de Brahms et de ses chœurs ?

- J'y arrive Sonia, j'y arrive.

En feuilletant le programme de février, j'ai remarqué que le chœur de l'orchestre était sollicité pour deux œuvres chœur et orchestre inconnues de moi, Nänie de Brahms et l'Hymne des chérubins de Tchaïkovski. À suivre, deux grands classiques du grand répertoire : le concerto pour violon N°2 de Mendelssohn et la 4ème symphonie de Tchaïkovski. Les deux œuvres étant archi connues, il faudra que les interprètes assurent par rapport à la concurrence 😊. Au violon : Ray Chen, jeune violoniste taiwanais et une jeune cheffe Elim Chan (non il n'a pas de faute d'orthographe) originaire de Hong Kong ; soit deux jeunes trentenaires, du sang neuf. Le péril jaune et féminin s'attaque à des siècles de phallocratie caucasienne sur les podiums des scènes de salles de concert…

De nature curieuse, connaissant le talent de Brahms pour la musique chorale, ne serait-ce que dans son fabuleux, luthérien et ténébreux requiem allemand, j'ai farfouillé et déniché cet album de Robert Shaw réunissant quatre œuvres très intéressantes du compositeur décidément doué dans tous les genres.

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Johann Wolfgang von Goethe
(1749-1832)

Johannes Brahms est souvent associé à un patrimoine d'excellence pour ses œuvres pour piano, sa musique de chambre, ses quatre concertos et autant de symphonies, le tout d'un intérêt superlatif… Et pourtant sa production vocale est quantitativement plus considérable : des dizaines voire plus de lieder comme son prédécesseur Schubert ou son ami Schumann, évidement l'imposant Requiem Allemand (Clic), œuvre sacrée concurrente directe pour les protestants de la Missa Solemnis catholique de Beethoven. (Clic)

Le répertoire choral se révèle fort riche : chœurs féminins, masculins ou mixtes, parfois a capella ou avec accompagnement : orchestre, piano ou des formations instrumentales des plus variées pour ne pas dire insolites (quatre chants pour voix féminines, deux cors et harpe opus 17…). Des enregistrements existent et sont réunis dans des albums et coffrets ; une douzaine de CD au moins étant nécessaire pour disposer d'une intégrale. Quant aux lieder, on ne les compte plus…

Contrairement à son "ennemi" (au sens musical) Anton Bruckner qui écrivit nombre de motets et pièces liturgiques, la spiritualité occupe peu de place dans le parcours lyrique de Brahms par rapport à la mise en musique de poésies ou de textes des auteurs romantiques les plus célèbres de son temps. Citons Joseph von Eichendorff (qui fera aussi le bonheur de Richard Strauss), Johann Wolfgang von Goethe en passant par Friedrich von Schiller, ces deux derniers ont inspiré deux des ouvrages écoutés ce jour… hormis le Requiem Allemand bien entendu.

L'album réalisé par Robert Shaw à Atlanta réunit trois chœurs parmi les plus intéressants de Brahms et la Rapsodie pour contralto, chœur d'hommes et orchestre immortalisé par Katlheen Ferrier accompagnée par l'éminent maestro wagnérien Clemens Krauss en 1947. Le texte est un poème de Goethe. Cet enregistrement culte et celui de Janet Baker firent l'objet d'une chronique en 2019. J'ai placé l'interprétation très correcte de Marylin Horne en fin de playlist mais je ne reviens pas sur le sujet. (Clic) Malgré la dureté du son de 1947, le timbre bouleversant de Katlheen Ferrier continue à émouvoir…

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Johann Christoph Friedrich Schiller
(1759-1805)

Pour l'enregistrement par le label TELARC, en dehors de la rapsodie qui sert d'introduction, trois des chœurs les plus caractéristiques ont été retenus. Ce sont tous des pièces de l'âge adulte et de la maturité du compositeur.

Nota : pour ceux qui voudraient lire les textes, des traductions en français sont disponibles après la playlist. Elles ne respectent pas l'ordre d'écoute en raison d'impératifs de mise en page en code HTML… Pour les germanophones distingués, voir dans les sites web… 

 

1 - Nänie Op. 82

Nänie était une déesse de la Rome antique qui chantait des lamentations en accompagnant les cortèges funéraires. Sénèque et Suétone la définissaient ainsi, mais Ovide utilise ce nom plutôt pour les comptines liées à une magicienne… Bref une pleureuse divine Sonia… De retour en grâce à la Renaissance, la déesse mythique inspire Schiller en 1802 dans un poème éponyme ; le poète aurait été influencé par un autre poème de Goethe titré Euphrosyne. Brahms choisit ce texte en 1880 pour composer une ode funèbre en hommage à son ami peintre Anselm Feuerbach mort cette année-là à Venise. L'œuvre est dédiée à l'épouse de l'artiste, Henriette Feuerbach. Tant Schiller dans son texte que Brahms en n'utilisant dans sa partition que des tonalités mineures évoquent la disparition de la beauté plutôt que celle de la chair au sens évangélique. Le premier ver en témoigne : "Même la belle doit mourir !".

La composition met en jeu un chœur mixte. L'orchestre est de la forme : 2/2/2/2, 2 cors, 3 trombones, timbales, harpe et cordes. Pas de trompettes qui n'auraient pas leur place par leur son trop glorieux dans cette déploration…

Jouée en continu après une courte introduction orchestrale, l'œuvre a la réputation d'être d'une difficulté redoutable dans son exécution. Réservée aux professionnels, la polyphonie délicate et le dialogue du chœur avec un subtil fond orchestral (solo de hautbois notamment) révèle un chant d'un charme élégiaque indéniable.


Friedrich Hölderlin
Friedrich Hölderlin

2 - Schicksalslied Op. 54

Dans les années qui suivent le succès public et la réussite personnelle du Requiem Allemand en 1868, Brahms, qui n'a alors que 35 ans, compose plusieurs chœurs avec orchestre dans un style tragique faisant écho à la grandiose et austère œuvre sacrée (mais pas réellement destinée à la liturgie). Le Requiem évoque la destinée tragique de l'homme et il est évident que cette idée passionne le très romantique compositeur. Lors d'un séjour à Wilhelmshaven sur la côte de la mer du nord, Brahms trouve l'inspiration en lisant des poèmes de Friedrich Hölderlin (1770-1843), un concurrent sérieux de Goethe et de Schiller, piliers des courants littéraires et philosophiques du romantisme allemand ; en contemplant la mer dit-on…  Il décide d'adapter Le chant du destin extrait du roman Hypérion ou l'Eremit en Grèce. Brahms travaillera avec difficulté pendant trois années émaillées d'hésitations sur la forme et de réécritures. La création sous la direction du compositeur aura lieu à Karlsruhe en 1871.

Le chœur comporte trois mouvements enchaînés et fait appel à l'orchestre romantique minimaliste : 2/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales et cordes, un chœur mixte à quatre voix (SATB). Partition

1 – Adagio : l'introduction mélancolique rythmée par la timbale rappelle la seconde partie du Requiem par cette scansion méditative. [2:33] Le chœur chantera les deux premières strophes dans le ton relativement lumineux de mi majeur.

2 - Allegro : [8:32] La troisième strophe est proclamée avec une ardeur dramatique marquée par la tonalité de do mineur.

3 - Adagio : [13:16] Brahms conclut sur un postlude purement instrumental en do majeur, tonalité assurant une évidente sérénité et espoir en fin d'exécution d'une durée de 16 minutes.

Les musicologues considèrent ce chœur comme le plus élaboré de Brahms, le comparant par la richesse des transitions des climats au Requiem Allemand.



Iphigénie en Tauride

3 - Gesang der Parzen Op. 89 (Chant des destins)

Depuis 1858, Brahms a composé 8 chœurs avec orchestre. La Rapsodie pour alto de 1869 précède Schicksalslied (Chant du destin sur un texte de Schiller), Gesang der Parzen (Chant des destins) conclura en 1882 sa production dans le genre ; attention aux traductions françaises des deux titres pour le moins homonymiques.

Pour ce dernier opus choral, le compositeur emprunte un texte extrait de Iphigenie auf Tauris de Goethe. Le texte fait référence aux Parques, déesses romaines du destin. On pourrait dire qu'entre Nänie et ce dernier chœur évoquant de nouveau la mythologie romaine et le destin, la boucle est bouclée à propos des interrogations du compositeur sur le destin. Attention : ne pas confondre avec l'opéra Iphigénie en Tauride composé par Glück en 1776 à partir d'une tragédie grecque d'Euripide

Brahms séjournait à Bad-Ischl dans les Alpes autrichiennes pendant l'été 1882. Il y composera ce chœur et, en parallèle, le trio opus 87 et le quintette pour cordes opus 88. Moins ambitieuse que Schicksalslied, la gravité du propos ne laisse pas insensible. L'introduction, au caractère symphonique affirmé et solennel précède l'entrée du chœur écrit de manière homophonique… 

Effectif orchestral et vocal : 2 flûtes (+ piccolo), 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales et cordes. Un chœur mixte à six voix (Sopranos, altos en 2 groupes, ténors, basses en 2 groupes).

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Robert Shaw (1916-1999)

Le chef de chœur et d'orchestre américain Robert Shaw était né en 1916 à Red Bluff en Californie. Il ne semble pas viser une carrière musicale en choisissant lors de ses études la littérature, la philosophie et la théologie. Passionné par le chant choral on lui confie la répétition des chœurs pendant les offices, son père était pasteur. En 1941 il fonde à New York, le Collegiate Chorale dont la particularité est d'être multiraciale ! (À l'époque, ce n'était pas très bien vu…). Ce chœur perdurera jusqu'en 1954 et en 1948 il connaîtra une expérience fabuleuse… Toscanini fait appel à Robert Shaw et son Collegiate Chorale pour chanter l'ode à la joie dans la 9ème symphonie de Beethoven avec l'orchestre de la NBC (Clic) ! Pointilleux et exigeant, le pittoresque maestro italien colérique dira de Shaw "En Robert Shaw j'ai enfin trouvé le maestro que je cherchais". Les deux hommes collaboreront de nouveau dans l'interprétation de plusieurs œuvres et opéras de Verdi. J'ajoute la session radiophonique disponible sur YouTube. La clarté de l'ode à la joie est vertigineuse!


Robert Shaw se spécialisera certes comme chef de chœur mais aussi d'orchestre à Atlanta ou à Cleveland. Très en avance sur son temps, il dirigera très tôt des chœurs avec des effectifs et un style inspiré des recherches des baroqueux (Le messie de Haendel avec une trentaine de chanteurs seulement par exemple). Grand défenseur de la musique moderne, il commandera ainsi un Requiem à la mémoire de F.D. Roosevelt au compositeur Paul Hindemith. Au-delà du répertoire classique, Shaw valorisera le répertoire folk yankee : des chansons de marins, de glee club, les spirituals, comédie musicale.

Sa discographie est abondante tant pour RCA que pour Telarc, dont des albums de chants de Noël très populaires aux USA.

Sa carrière a été récompensée par 14 Grammy Hawards et la France lui a attribué la médaille d'Officier des Arts et des Lettres. Son enregistrement des Vêpres de Rachmaninov a été inscrit au Registre national de la Bibliothèque du Congrès.

Robert Shaw comme le Countryman Johnny Cash organisait l'écoute et soutenait la pratique du chant choral dans les pénitenciers, jusqu'à deux mois avant sa mort en 1999.


Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…




Gesang der Parzen (Chant des Destins) Op.89
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Laisse la race humaine

Craignez les dieux !

Car ils détiennent la domination

Sur eux dans leurs mains éternelles,

Et peut exiger

Ce qu'ils veulent de nous.

 

Ceux-ci devraient les craindre doublement

Qui ont été exaltés par eux !

Sur les falaises et les nuages

Les tabourets sont prêts

Autour de tables dorées.

 

Si un litige survient,

Les convives sont abattus,

Maltraité et honteux,

Dans l'obscurité profonde de la nuit ;

Et ils attendent en vain,

Lié dans l'obscurité,

Pour que justice soit rendue.

 

Mais ils [les dieux] restent

A leur fête éternelle

Aux tables dorées.

Ils sortent de la montagne

A la montagne, là-haut :

Des abîmes des profondeurs

Fume le souffle

Des Titans étouffants,

Comme un holocauste,

Une brume légère.

 

Les dirigeants se détournent

Leurs yeux bénis

De races entières de gens,

Fuyant la vue de leurs descendants

De ceux autrefois aimés et

Fonctionnalités silencieuses

De nos ancêtres.

 

Ainsi chantaient les Parques ;

Le banni écoute

Dans son antre nocturne

Aux chants des anciens,

Pense à ses enfants et petits-enfants

Et secoue la tête.

 

 

 

Nänie Op. 82

Schicksalslied (Chant du destin), op. 54

Même la belle doit mourir ! Qui conquiert les hommes et les dieux,

Il ne remue pas la poitrine d'airain du Zeus stygien.

Une seule fois l'amour a adouci le maître de l'ombre,

Et sur le seuil encore, sévèrement, il a rappelé son don.

Aphrodite ne guérit pas les blessures du beau garçon, que

le sanglier a cruellement griffées dans le corps délicat.

La mère immortelle ne sauve pas le héros divin

Quand il tombe à la porte de Scaean et accomplit son destin.

Mais elle se lève de la mer avec toutes les filles de Nérée,

et la lamentation commence pour le fils glorifié.

Se il vous plaît se référer ! Alors les dieux pleurent, les déesses pleurent toutes,

Que le beau périt, que le parfait meurt.

C'est aussi merveilleux d'être un chant dans la bouche de l'être aimé ;

Car ce qui est commun descend silencieusement jusqu'à Orcus.

 






Vous errez joyeusement dans la lumière

À travers de belles demeures, habitants de Spiritland !

Des brises célestes lumineuses

Te touchant doucement,

Comme des doigts lorsqu'ils réveillent habilement

Les cordes de la harpe.


Sans peur, comme l'

Enfant endormi, demeure le béatifié ;

Pures retenues,

Comme des fleurs non épanouies,

Fleurissant toujours,

Joyeuses leur âme

Et leur vision céleste

Douée d'une placide

Clarté incessante.


Il ne nous est attribué

Aucun havre de paix à trouver ;

Ils vacillent, ils périssent,

Pauvres mortels qui souffrent

Aveuglément à mesure que l'instant

Suit l'instant,

Comme l'eau poussée de montagne

En montagne,

Destiné à disparaître ci-dessous.



3 commentaires:

  1. Vos chroniques sont parfois intéressantes, mais vos opinions et votre ignorance de ce qu’est vraiment l’Ukraine sont pénibles. Je vous sors donc de mes favoris.

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  2. Heu oui... Admettons... Mais il ne me semble pas que je cite une seule fois le mot Ukraine dans ce billet consacré à Brahms... un gars du XIXème siècle. Quant à une quelconque opinion sur la guerre actuelle, je n'en ai fait part en aucune manière... Votre remarque m'est incompréhensible...
    Je suis ouvert à une remarque disons plus argumentée...

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  3. Ah, à propos des solistes. Ben je ne suis pas le maestro finlandais qui fait ce qu'il veut à la fin de ses concerts. J'ai juste mentionné son initiative,

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