mercredi 4 janvier 2023

SAVOY BROWN " Raw Sienna " (1970), by Bruno


   Y aurait-il une injustice dans le monde de la musique populaire ? Hélas ! Et si seulement il n'y en avait qu'une. Il y en a à foison. L'antique groupe Savoy Brown et son leader et fondateur Kim Simmonds, en ont fait les frais. Aujourd'hui encore, lorsqu'on énumère les éléments fondateurs et élaborateurs du British Blues, précisément les électrons irradiant la fin des années 60, on mentionne généralement, et à juste titre, Fleetwood Mac, Chicken Shack, les Bluesbreakers de John Mayall, Ten Years After, Groundhogs, Rolling Stones, Black Cat Bones (parce que des musiciens célèbres sont passés part là), voire Climax Blues Band, et quelques autres. Mais étonnamment, Savoy Brown est un peu trop souvent omis. On juste énuméré du bout des lèvres, comme si son existence avait été qu'éphémère. Pourtant, à l'époque, le groupe était considéré comme une des têtes de file de ce fameux British Blues Boom.


     La formation fait ses premiers balbutiements dès l'automne 1965, et deux plus tard, en 1967, elle sort un premier disque. Soit, avant la plupart des groupes mentionnés ci-dessus. Après son premier essai qui paraît aujourd'hui pécher par un excès de révérence au Chicago-blues, tombant dans une forme classicisme sans fard (composé uniquement de reprises) – plus ou moins dans la même direction que les premiers Fleetwood Mac, arrivés une année plus tard -, Savoy Brown fait évoluer rapidement son Blues vers le Rock, jusqu'à parfois aller batifoler avec le Hard-rock. Sans aller jusqu'à parler de pionnier, on peut légitimement se demander si Savoy Brown n'a pas, lui aussi, activement participé à l'élaboration et au développement du Blues-rock.

     A l'écoute de certains de ses disques, et en particulier des premiers, c'est même à se demander s'il n'a pas fait école. "Getting to the Point" (1968), et surtout les "Blue Matter" et "A Step Futher" (1969) en sont de bons exemples. Et puis, il y a "Raw Sienna", enregistré en 1969, mais dont la sortie fut un peu décalée. Probablement le temps de capitaliser sur les deux derniers, notamment sur " A Step Futher "' qui est parvenu à se faire remarquer aux USA.

     "Raw Sienna" est un disque un peu à part dans la très longue discographie du groupe - plus de trente galettes ! Sans renoncer au Blues, sans lequel Kim Simmonds serait comme un poisson hors de l'eau, le groupe confectionne de nouvelles dimensions où le jazz et la pop ont subtilement fusionné avec le British-blues du quintet. Pour beaucoup, c'est l'album le plus créatif, celui de l'apogée (qui était d'ailleurs conseillé par certains responsables de la distribution française des premières éditions CD - vraiment  -). C'est également, pour beaucoup, une des meilleures moutures, avec Chris Youlden au chant et au piano, Roger Earl à la batterie et aux percussions, Tony "Tone" Stevens à la basse et Lonesome Dave (Peverett) à la guitare, à la slide et au chant. Ces trois derniers vont former l'un des plus solides groupes de heavy-boogie-rock de la décennie : Foghat. (Foghaattt !!!). Plus, évidemment, Kim Simmonds à la guitare et au piano. Mêler le jazz au blues était alors très tendance au Royaume-Uni, parfois plus dans un mouvement snobinard, voire démonstratif, que dans un pur élan d'inspiration musicale. On l'oublie mais Ten Years After était initialement immergé dans cette fusion, plus ou moins heureuse, avant d'aborder des terres plus hard.

     Sur cet album, d'entrée, le groupe décide de déconcerter les fans de la première heure, avec "A Hard Way to Go" débutant par une basse tout droit sortie d'une B.O. de John Barry – digne d'une série policière. Et quand Kim se lance dans un premier solo, tout en subtilité et relativement proche d'un Wes Montgomery, l'orchestre prend une texture latin-rock. Mais juste après, "That  Same Feelin' " s'engouffre dans un torride hard-blues, toutefois tempéré par une section de cuivres bien probablement influencée par le Keef Hartley Band. Le format latin-rock refait surface lors d'un savoureux break intronisé par un entraînant duo congas-batterie. Tandis que Kim déploie un solo abrasif, s'entêtant à briser le velouté chaloupé de cette dimension Latin-rock.

de G à D. : R. Earl, K. Simmonnds, C. Youlden, T. Stevens, D. Peverett

   Les cuivres restent de mise sur l'instrumental "Master Hare", dont le premier mouvement est visiblement inspiré par le style de Dave Brubeck, plus particulièrement pour la partie de piano. Hélas, une mouche pique le coche, ou plutôt Simmonds qui emmène subitement ses sbires sur une pente électrique, prétexte à un épanchement de guitare électrique inutilement étiré. Le second instrumental, "Is That So", est bien plus délectable, faisant le pont entre T-Bone Walker, Dave Brubeck et le British blues. Certains passages évoquent le jeu et le son d'Alvin Lee, lorsqu'il mêle technique jazz au feeling blues.



    Retour au Blues avec le swinguant "Needle And Spoon", une chanson anti-drogue piochant dans le Chicago-blues de Willie Dixon. "Je n'ai pas besoin de femme, je n'ai pas besoin de vin parce que la vie est douce quand tu frappes la ligne principale. Je dors avec le soleil et me lèvre avec la lune. Et je me sens bien avec mon aiguille et ma cuillère... Une seule chose m'inquiète : ce truc te tue et traite mal. Si tu es marié tu peux divorcer, mais quand tu es marié à "H" alors tu es marié pour la vie ". Blues toujours, avec un "A Little More Wine" qui préfigure le Rolling Stones des années Mick Taylor  "Oooh, je serai un homme riche si j'avais tout l'argent que je dois. Mais pour avoir autant, je devrais les aider à vendre mon âme... j'ai juste le temps pour un peu plus de vin"

   Sur "I'm Crying", Youlden impose un chant chaleureux, presque crooner ici plus Blue-eyed soul que vraiment blues. Les guitares y sont muselées pour laisser le champs libre au piano et aux cuivres.

   Le titre de « joyau de l'album » - voire de l'année - revient incontestablement au feutré "Stay While the Night is Young". Jolie ballade printanière tout en finesse, avec basse nonchalante groovy, batterie jazzy et guitares acoustiques. Seul le solo est électrique, dans une douce tonalité de micro grave de large demi-caisse genre Gibson ES-175 ou L-5 (cependant, c'est probablement sur une ES-345 que Kim a longtemps utilisée, qui est à l’œuvre ici). Quelle dommage que cela ne dure que trois pauvres minutes ! "Ne t'inquiète pas pour le matin, parce que le jour ne pourrait jamais venir. Ne t'inquiète pas pour l'avenir, reste juste tant que la nuit est jeune ... Vivre juste le moment, au lieu de penser à ce qui va arriver, je ne peux tomber avant l'été, alors reste tant que la nuit est jeune". David Lee Roth reprendra respectueusement et de belle manière cette chanson sur son disque de 2003, "Diamond Dave". Album principalement de reprises où il reprend deux autres chansons de Savoy Brown (de l'époque Youlden-Peverett) 


 L'orchestration un brin ampoulée de cuivres et de cordes sur "When I Was a Young Boy" ne parvient à ternir l'agréable sensation générale libérée par ce cinquième disque de Savoy Brown. Même si cette chanson mélancolique aurait tout eu à gagner en atténuant ces arrangements fâcheux, un rien envahissants, couvrant la guitare acoustique (de Peverett). Un mixage plus équilibré aurait laissé apparaître avec plus d'évidence l'image d'un Tony Joe White. Dommage.

     Les précédents albums avaient été produits par l'institution du mouvement du British-blues, presque un gage de qualité, Mike Vernom, cette fois-ci Kim Simmonds a décidé de s'en occuper. Ici,  avec l'aide de Chris Youlden. Si ce n'est pas parfait, la qualité d'enregistrement flirte néanmoins avec le meilleur du British-blues de l'époque.


     En hommage à Kim Maiden Simmonds, décédé le 13 décembre 2022, à 75 ans. Auparavant, sur son site - nommé modestement Savoy Brown et non Kim Simmonds -, en février 2022, il annonce qu'il doit se battre contre une maladie mais qu'il va bien. Il envisage de reprendre la scène en juin. Il met à profit cet arrêt maladie prolongé, pour reprendre la peinture. Art qu'il pratique depuis plus de vingt ans sans, jusqu'alors, jamais le commercialiser ni même l'exposer. En avril, une nouvelle parution annonce un aggravement de sa maladie. En août, il déclare qu'il a un cancer de stade 4, et que la chimiothérapie - débuté en septembre dernier - a fini par attaquer les terminaisons nerveuses de ses pieds et de ses mains. En conséquence il est dans l'obligation d'annuler tous les concerts prévus. Néanmoins, il espère pouvoir sortir un nouvel album prochainement.

 Né le 5 décembre 1947 à Caerphilly, au Pays de Galle, grâce à son frère aîné, Harry, il a été tôt initié au rock'n'roll des pionniers. Lorsque la famille emménage à Londres, son frère poursuit son éducation musicale en l'amenant dans les magasins de disques, où il découvre alors le Jazz et le Blues. Il obtient sa première guitare à treize ans, et se fait la main en écoutant les disques de Blues. Dès lors, il s'échine à progresser, afin de faire carrière dans la musique. Déterminé, il fait le choix de ne pas poursuivre ses études pour se consacrer pleinement à la musique (tout en incorporant un petit boulot administratif pour être sûr de faire rentrer un peu de flouze). C'est à dix-huit qu'il fonde avec l'harmoniciste John O'Leary (qui jouera avec le John Dummer Blues Band et Champion Jack Dupree) son premier groupe sérieux : le Savoy Brown Blues Band. Cette première mouture est un sextet comportant deux musiciens black : le chanteur Brice Portius et le le batteur Leo Manning. Ce qui en fait l'un des premiers groupe multiraciaux au Royaume-Uni, avec The Equals ("Baby Come Back") la même année ; de l'autre côté de l'Atlantique, il y a déjà Booker T & the MG's et Paul Butterfield Blues Band. Si généralement, c'est la période de Savoy Brown couvrant les années 68-72 qui est vantée, ce serait une gageure d'ignorer les albums suivants dont une bonne partie a le mérite de s'escrimer à ne pas reproduire à la lettre la recette précédente. Peut-être pas de purs joyaux, mais indéniablement de bons disques ("Boogie Brothers", "Wire Fire", "Kings of Boogie", Let it Ride", "Bring it Home", "The Blues Keep Me Holding On"). Les enregistrements en public sont aussi assez intéressant (un tri est néanmoins nécessaire - hélas, certains ne sont plus que disponible qu'en occasion), le groupe se laissant aller à quelques semi-improvisations où Simmonds peut se révéler particulièrement inspiré.



 
🎼🍞
Autres articles / SAVOY BROWN (lien) :  👉  " Goin' To The Delta " (2014)  👉  " Witchy Feelin' " (2017)

4 commentaires:

  1. J'ai réécouté ces derniers jours tous les Savoy Brown de ma cdthèque y compris ce "Raw Sienna" et les tous premiers disques du groupe mais j'avoue que maintenant ma préférence va vers les plus récents peut-être parce que les disques des seventies ont pas trop bien vieilli ? "Witchy Feelin" "City Nights" et "Ain't done yet " le tout dernier sonnent vraiment bien. Le seul live que je possède est le "Songs from the road" de 2013 , excellent hormis la présence d'un sax sur certains titres . Comme tu le signales si justement il est surprenant que Savoy Brown n'ait pas jouit dans les années 70 du même succès que Fleetwood Mac et autres Bluesbreakers . Parmi les oubliés le John Dummer blues band dont j'ai ressorti les quatres disques la semaine dernière vaut aussi le détour!

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    1. J'avais le "Jack the Toad Live" et "Just Live" qui dépotaient pas mal - en dépit d'un trop long solo de Simmonds. C'était alors nettement plus brutal sur scène.

      Pas certain que Fleetwood Mac serait autant resté dans les esprits sans le succès commercial de la fin des 70's. Malgré tout ce que des musiciens reconnus ont pu en dire de bien, à commencer par Aerosmith et Gary Moore. D'ailleurs, beaucoup de fans lambdas de Santana ne savent pas qui a composé "Black Magic Woman" 😲. Et les Bluesbreaker, sans Clapton... Toutefois, John Mayall a su profité du regain pour le Blues, idéalement épaulé par le label Silvertone Records. A mon sens, probablement que si Savoy Brown avait eu l'opportunité de signer avec ce label, ou Gitanes Verve ou encore Point Blank dans les 90's, il en aurait été tout autre. Enfin, j'ose le croire 😁

      Malgré tout, le père Simmonds aura tout de même réussi, contre vents et marées, à maintenir à flot son Savoy Brown jusqu'à la fin de ses jours. C'est déjà un bel exploit

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  2. Je ne remercie pas systématiquement (et c'est un tort), mais c'est toujours un grand plaisir de lire ces chroniques détaillées, puis d'aller écouter ou réécouter les albums.

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