vendredi 6 janvier 2023

ATTAQUE ! de Robert Aldrich (1956) par Luc B.

C’est un film que j’ai découvert dans la Dernière Séance d’Eddy Mitchell, ce qui ne nous rajeunit pas, et qui était resté gravé dans mes souvenirs grâce, ou à cause, d’une scène terrible où un soldat américain se fait rouler dessus par un char allemand. Les lignes qui suivent ne sont pas écrites de mémoire (j’aimerais bien !) je viens de revoir ATTAQUE ! qui confirme ma première impression. Un film dans le genre coup de poing dans ta gueule.

Le film et réalisé et produit (en indépendant) par Robert Aldrich, dont nous avions déjà parlé à propos de  EN QUATRIEME VITESSE. Un gars qui en deux années, entre 1954 et 56, a réalisé cinq films majeurs coup sur coup, dont VERA CRUZ et rien que pour ça le gars a notre reconnaissance éternelle. Sa carrière n’a pas retrouvé ensuite la splendeur des débuts, il faut dire que le cinéma d’Aldrich n’est pas du genre présentable aux yeux d’Hollywood.

L’armée américaine a toujours collaboré avec les studios hollywoodiens pour aider à produire des films de guerre, c'était une vitrine commerciale formidable pour la propagande. Mais le projet d’Aldrich n’a pas soulevé l’enthousiasme des galonnés. Le réalisateur n’a reçu aucune aide logistique. Un capitaine qui se complet dans la lâcheté, couvert par un colonel opportuniste, un lieutenant psychopathe prêt à en découdre avec sa hiérarchie, un autre qui refuse de jouer au cire pompes… Bizarrement, ça n’a pas plu.

Le réalisateur a raconté dans une interview qu’il avait dû acheter sur ses propres deniers deux chars (qui sont encore dans son garage) deux motos, une camionnette japonaise maquillée en ambulance. Les mêmes véhicules passent et repassent dans le champ de sa caméra. C’est justement ce manque de moyen qui confère sa qualité au film, Aldrich étant contraint de ne s’intéresser qu’à son sujet, plutôt qu’au décorum. Le scénario est tiré d’une pièce de théâtre, ce qu’on ressent à la vision du film, fait de longue séquence en intérieur.

Nous sommes dans les Ardennes, en 44. Quatre militaires jouent au poker en buvant du whisky. Les bouteilles étant planquées dans un jerrican-valise. La tension monte entre le lieutenant Costa et le capitaine Cooney. Le premier traite le second de lâche. Cooney n’est pas intervenu pour sauver son escouade, résultat : 19 morts. Après la partie, le lieutenant Woodruff prend le colonel Barlett à part, lui demande de faire muter Cooney

Le problème est que Barlett et Cooney se connaissent de longue date. Le père de Cooney peut interférer en haut lieu pour la futur carrière politique de Barlett, qui lui promet en retour la médaille du courage à l’issue du conflit. Un entre-soi cynique, un jeu de politicard dans lequel Wooddruff ne veut pas participer.

La première séquence est superbement réalisée en longs plans larges, Aldrich laisse ses comédiens de se déplacer librement dans le cadre, joue sur une magnifique profondeur de champ. La partie de poker permet de mettre les éléments dramatiques en place. Puis le carnage peut commencer. 

Costa et ses hommes reçoivent l’ordre de percer les lignes allemandes, prendre un village, maintenir la position dans une vieille bicoque. L’assaut tourne au drame, Costa demande du renfort par radio au capitaine Cooney, qui se refuse à intervenir.

L’assaut de la maison est un grand moment de cinéma, les hommes de Costa savent qu’ils doivent traverser un terrain à découvert, peu arriveront à destination. Aldrich filme ses personnages dans des décors d’apocalypse. On patauge dans la boue, les gravats, les murs éventrés menacent de s’effondrer, on s’abrite dans des ruines trouées d’obus. Voir ce plan panoramique à travers un trou dans le mur. Les hommes de Costa sont assiégés, pris au piège, à la merci d’un snipper. Quiconque montre le bout de son nez est abattu par un tireur posté en haut d’un clocher. Une configuration qui rappelle le FULL METAL JACKETT de Kubrick, qui a forcément vu le film d'Aldrich.

Le lieutenant Costa est un professionnel, volontiers paternaliste, mais aussi un violent, qui n’hésite à jeter dehors un prisonnier allemand sachant qu’il sera tiré comme un lapin, uniquement dans le but d’en effrayer un autre qui pourrait le renseigner sur le nombre de chars ennemis. Comprenant que les secours ne viendront pas, Costa prend l’initiative de se replier, en recommandant à ses hommes : « un départ tous les vingt mètres, si le camarade devant vous est touché, ne vous arrêtez pas ».

Aldrich alterne au montage le sacrifice des hommes de Costa aux atermoiements du capitaine Cooney qui trouve mille prétextes pour ne pas intervenir et se noie dans l’alcool. Costa avait prévenu que s’il en sortait vivant, il reviendrait le tuer. La lâcheté maladive n’est pas seulement de son côté. Le colonel Barlett, parfaitement conscient de la situation, persiste à ne pas interférer par pur carriérisme. Cette tension atteint son paroxysme au retour de Costa, qu’Aldrich filme en position d’autorité, en haut d’un escalier, ivre de douleur et de vengeance, surplombant le poltron Cooney.

La dernière séquence dans un sous-sol dévasté, un trou à rats, où les hommes se terrent comme des bêtes, est effrayante. Ces soldats américains sont moins menacés par l’ennemi allemand que par leurs propres frères d’armes, leur hiérarchie hors sol et compromise. Sentiment qu’Aldrich exacerbe par le contraste de la photo noir et blanc. Les tensions jusque-là dialoguées se concrétisent en action. Le réel ennemi vient de l’intérieur, et on comprend que l’armée n’est pas trop appréciée ce constat.  

L’interprétation est fameuse, Jack Palance trouve en Costa un de ses meilleurs rôles, Eddie Albert qu’on associe volontiers aux rôles comiques (ça vous cause Les Arpents verts ?) est impeccable en capitaine Cooney, même si le personnage manque sans doute de nuance. Et last but not least, le grand Lee Marvin endosse l’uniforme de colonel. 

noir et blanc  -  1h47  -  format 1:1.37 

2 commentaires:

  1. Ta dernière phrase m'a rassuré: parce que Lee Martin, comme écrit sur l'affiche...ils font forts là quand même!

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  2. Il y a plusieurs formats d'affiche, même en français, j'ai choisi la seule où il y a la faute de frappe ! Elle me rappelait les premières bédés de Jacobs, le Secret de l'espadon.

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