vendredi 18 novembre 2022

COULEURS DE L’INCENDIE de Clovis Cornillac (2022) par Luc B.

Fallait oser adapter le deuxième roman de la trilogie de Pierre Lemaitre après la réussite totale d’AU REVOIR LA-HAUT réalisé par Albert Dupontel*. Il est évident que COULEURS DE L’INCENDIE souffre de la comparaison. Dupontel avait su respecter le ton originel dans toute son ironie et sa gouaille tout en y injectant son univers personnel. Dupontel est un auteur, quand Clovis Cornillac est un réalisateur. Vous voyez la nuance ? D’ailleurs Dupontel avait co-signé l’adaptation du premier, quand Lemaitre se charge ici, seul, du scénario et des dialogues.

Pourtant le résultat ne démérite pas, d’autant que le deuxième volet de la trilogie** était un ton en dessous du premier, prix Goncourt 2013. A l’écran s’inscrit le logo Gaumont, logiquement synonyme de travail bien fait, avec le budget ad-hoc. On a mis les petits plats dans les grands, ça fait plaisir. C’est un film à voir en salle (pléonasme) pour profiter du grand écran, du scope, des décors et costumes qui ne sentent jamais le carton-pâte ni la naphtaline, le décorum vaut le coup d'oeil, la lumière est travaillée, il n'y a pas tromperie sur la marchandise.

Nous retrouvons Madeleine Pericourt (divine Léa Drucker) unique héritière du banquier Marcel Pericourt. Le film s’ouvre sur ses obsèques, que Cornillac filme en un long plan séquence depuis le cercueil du patriache jusqu’à la cour extérieure où la caméra louvoie entre les centaines d’invités (merci la steadycam), captant ici et là les apartés de protagonistes qu’on reverra ensuite, avant de revenir à l’intérieur de l’hôtel particulier à la recherche de Paul, le petit-fils dont on est sans nouvelle. Le gamin apeuré se cache sous son lit (on saura pourquoi) avant de se défenestrer et s’écraser sur le cercueil du grand père.

Madeleine est sous le choc. Elle ne sera même pas présente chez le notaire à l’ouverture du testament, qui fait de Paul et elle-même les principaux héritiers. L’oncle de Madeleine, le député Charles Pericourt (Olivier Gourmet, gourmand) s’étouffe en apprenant que feu son frangin ne lui laisse que deux cent mille francs, lui qui est criblé de dettes. En parlant du petit Paul, le tonton lancera « on ne va pas refiler trois millions à un légume, un futur macchabée ?! ». Et de comploter illico pour ruiner sa nièce avec la complicité du chargé de pouvoir Gustave Joubert (Benoît Poelvoorde) lui-même soutenu dans ses affaires (louches) par l’ex-précepteur de Paul, André Delcourt, devenu journaliste.

On sait Pierre Lemaitre admirateur d’Alexandre Dumas. La trame de l’intrigue renvoie au COMTE DE MONTE CRISTO. Dépossédée de tous ses biens et trahie par sa garce de gouvernante (jouée par Alice Isaaz, a-t-on vu plus belle femme sur un écran depuis Gene Tierney ?) Madeleine achète les services de son ancien chauffeur Dupré (Clovis Cornillac),  casquette et barbichette à la Lénine, pour fomenter sa vengeance et faire tomber les trois affreux : tonton Pericourt, Joubert et Delcourt.

Dupré, loyal autant que monolithique, que Madeleine s’emploiera à appeler « Monsieur Dupré » y compris dans les moments les plus intimes...

La mise en place de l’intrigue aurait sans doute gagné à être plus resserrée. 2h15 tout de même. Mais c’est un tel régal de voir Benoît Poelvoorde et Olivier Gourmet jouer les salopards qu’on en redemanderait presque. Gourmet passe son temps à se plaindre « Je suis ruiné ! » et à essayer de caser ses deux atroces jumelles pour toucher une dote. On pense aux spécimens joués par Louis de Funès   

Clovis Cornillac maîtrise son récit, maintient le rythme, s'essaie à de vrais moments de cinéma, joue sur la profondeur de champ avec deux actions dans le même plan. Je note un joli travelling arrière où on passe depuis un extérieur rue, à l’intérieur d’une voiture (où Pericourt et Joubert complotent) dans un même mouvement, comme si la caméra faisait fi des pare-brises qu’elle traverse. Il fait tomber le quatrième mur lorsque Dupré fouille l’appartement de Delcourt, la caméra passant de pièce en pièce en travelling latéral, les cloisons n’existent plus. On pense à son joli premier film UN PEU, BEAUCOUP, AVEUGLEMENT (2015) dans l’art d’agencer et filmer les intérieurs. Il filme souvent en plan larges, longs, traverse vitres et vitrines, intérieur/extérieur ne font qu’un, pour fluidifier sa mise en scène, et surtout donner du champ à ses comédiens.

Côté seconds rôles, on a le formidable Olivier Rabourdin en commissaire de police à qui on ne la fait pas (la mise en scène piteuse du faux cambriolage !) Sam Karmann en faussaire, Jana Bittnerova qui joue Vladi la nurse polonaise de Paul, une force de la nature, qui parle polonais tout le film et que tout le monde semble comprendre !

Cornillac réussit les séquences à Berlin où la cantatrice Solange Gallinato (Fanny Ardant) donne un récital pour le nouveau gouvernement nazi (nous sommes alors en 1934) à ceci près que je n’aurais pas inséré de plans serrés sur le chancelier Hitler, sa seule présence au loin, au balcon, suffisait à rendre le tragique de la séquence. 

On a parfois l’impression que Cornillac veut trop en montrer, expliciter, ne faisant pas confiance à son scénario ou aux spectateurs. Il y a quelques pointes d’humour cartoonesque (l’explosion du turbo-réacteur), le ton est volontairement surjoué, ça cabotine un poil. Il n'est pas interdit de songer à BON VOYAGE (2003) de Jean Paul Rappeneau par l'aspect romanesque de l'aventure et les moyens mis en oeuvre.

COULEURS DE L’INCENDIE c'est du bon cinoche du dimanche soir, bien fait, académique oui, mais dans le bon sens du terme, allez-y avec vos gamins, les mamies (si elles ne ronflent pas), les voisins, ça fera des entrées. Le (vrai) Cinéma en a besoin ! 

Bon... on regrettera juste l'insupportable musique tonitruante qui vient surligner le moindre effet dramatique. A ce titre, la bande annonce donne juste envie de fuir. Dans le genre romanesque et costumé, on atteint tout de même pas le niveau de réussite de ILLUSIONS PERDUES (2021) de Xavier Gianolli, ou J’ACCUSE (2019) de Polanski.

**Claude avait parlé du roman : Couleurs de l'incendie clic ici 

*Le film de Dupontel : Au revoir là-haut clic ici  

Et pour relire (c'est gratos) c'est ici : Illusions perdues ; J'accuse

                               

couleur  -  2h15  -  format scope 2:39

3 commentaires:

  1. J'ai lu et apprécié les quatre romans parus à ce jour... "Le grand monde" est un nouvel épisode à sa manière de la saga... je ne dis rien de plus. Pas vu les deux films encore…
    Je confirme : c'est quoi cette horrible musique de Péplum boursoufflée ?????
    En un mot : à voir...

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  2. Si tu n'as pas vu le Dupontel "Au revoir là-haut" essaie de le choper quelque part, c'est vraiment très réussi, d'une ironie grinçante et très poétique à la fois.

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  3. Au revoir là haut, j'avais bien aimé. Y'a une patte Dupontel, quoi qu'il fasse, et moi je suis client ...
    Celui-ci, suffit que je voie le nom de Cornillac pour perdre tout sens de la mesure et de la retenue ...
    Cornillac, il tourne comme un forcené des daubes monumentales ... de quelque côté de la caméra qu'il soit, tout ce qu'il fait est mauvais, vulgaire ... le type que je soupçonne de vouloir être le piteux gad elmaleh à la place de gad elmaleh ... ce gars est au cinéma ce que macdo est à la gastronomie ...
    Bon, Ok, j'ai pas fait dans la nuance, mais y'a des fois ça soulage ...

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