C’est
à dessein que le film s’appelle J’ACCUSE et non L’AFFAIRE DREYFUS. Roman
Polanski et son coscénariste Robert Harris déjà auteur du scénario du superbe THE
GHOST WRITER en 2010 (et auteur de l'uchronie sur le nazisme FATHERLAND) ont opté pour un point de vue différent sur l’affaire, celui du
colonel Marie-Georges Picquart, promu chef du renseignement, et qui avait eu
comme élève à l’école d’officier Alfred Dreyfus. Et à l'instar du couple Clarke/Kubrick pour 2OO1, les deux auteurs ont travaillé en amont, l'un en a tiré un livre D. l'autre ce film.
Ne
défile donc pas à l’écran l’exhaustivité de cette affaire tentaculaire qui a
divisé le pays pendant une dizaine d’années. On
ne voit pas les responsables politique de l'époque, ni les religieux, ni les intellectuels, encore moins le peuple déchiré. L'action du film se passe
davantage dans des bureaux. On peut en ressortir frustré de ne pas en avoir tout saisi, si on n’en connait pas déjà le contenu, notamment
sur le sort du véritable coupable, le commandant Esterhazy, dont le film ne dit
rien ou presque. Il n’a en réalité jamais été condamné ni inquiété. De même, l’assassinat
de l’avocat Labori n’est jamais résolu, ni même commenté.
Ce
qui intéresse Polanski, c’est Picquart, antisémite notoire, et son obsession de
vérité. Picquart qui est présent en 1895 lorsque Dreyfus est
dégradé dans la cour de l’école militaire. Premières images du film, somptueux
plan large, géométrique, nombreux figurants, lent panoramique qui suit Dreyfus
pour subir sa dégradation. On lui retire galons, boutons de veste, son sabre est
brisé en deux et jeté à terre. La pire sentence pour un soldat. Polanski filme
la scène méticuleusement, dans un silence de mort, avant que la foule ne hurle « Mort
au juif ! » devant un parterre d’officiers goguenards.
Parmi
eux, donc, Marie-Georges Picquart (décédé en 1914) qui entré dans ses nouvelles fonctions,
découvrira de nouveaux indices semblant innocenter le
capitaine Dreyfus, déporté sur l’Ile du Diable.
Polanski
choisit l’angle du thriller d’espionnage. Pas un film d’action au montage haché,
mais une observation minutieuse, d’une précision diabolique, comme ses cadrages
et mouvements de caméra. Polanski est un grand filmeur,
sachant jouer des décors et accessoires. Comme avec l’arrivée de Picquart dans
ses nouveaux bureaux, immeuble sordide, puant les égouts, avec des types à la
mine patibulaire peuplant des bureaux, le gardien marocain qui passe son temps
à pioncer, la suspicion derrière chaque porte. C’est l’art de Polanski de
suggérer avec trois fois rien le malaise. Espionnage, filatures, secrets
militaires, chacun se méfie de tout le monde. Raison pour laquelle Picquart,
dans un premier temps, fait appel à des policiers de la sureté (et non des
militaires) pour remonter la piste du vrai coupable.
Aux renseignements, Picquart
est secondé par le commandant Henry. Un bloc de discipline, respectueux de l’uniforme. D'où le problème. Car dans cette affaire de divulgation de
secrets militaires à l’Allemagne, si Dreyfus est innocent, cela signifie qu’on
n'a pas attrapé le bon gars. Que le vrai traitre agit toujours. Picquart se moque d'innocenter un juif jeté au cachot et à la vindicte populaire, il veut trouver le véritable espion pour l'empêcher de nuire à l'armée. Le mieux pour Henry est justement de ne pas avouer l'erreur de l'armée, quitte à contrecarrer l'enquête de son chef. Comme il lui dit : « Un jour vous me dites de tuer un gars, j’obéis, le lendemain vous me dites que ce n'était pas le bon... Ben tant pis, c'est comme ça... ».
Le juif Dreyfus faisait un si beau coupable,
qu'en haut de la hiérarchie et jusqu’au gouvernement, on préfère enterrer
le dossier. L’occasion pour le réalisateur de montrer une galerie de vieilles badernes enivrées de réussite politique
plus que de justice. On pense au film LES SENTIERS DE GLOIRE et ces
galonnés cyniques, odieux, sans foi, contre lesquels se bute le personnage de
Kirk Douglas.
Le
dossier Dreyfus était monté sur des pièces à convictions dont la plupart s’avèreront
des faux. Polanski filme donc précisément ces lettres, télégrammes, bordereaux
(récupérés dans les poubelles d'un attaché militaire d’Allemagne par une femme de
ménage à la solde de l’espionnage français), qui sont au cœur de l’affaire,
incrustant quelques flashbacks à sa narration d’une limpidité et fluidité qui
laissent pantois. Et ces scènes d’expertises avec l’éminent graphologue
Bertillon, qui dans une démonstration alambiquée démontre que Dreyfus a falsifié sa propre écriture, ce qui
fait hurler l'accusé : « je suis le coupable car ce n'est pas mon écriture ?! ».
Ce même Bertillon qui authentifiera plus tard une lettre écrite par le commandant
Esterhazy comme étant... de la main de Dreyfus !
Dans
sa deuxième partie, le film met dos à dos le complot des généraux pour
destituer cet emmerdeur idéaliste de Picquart, et la campagne médiatique
orchestrée par Clémenceau et Emile Zola qui aboutira au fameux éditorial dans L’Aurore « J’accuse ».
A l’issu d’un nouveau procès, l’écrivain sera condamné à de la prison pour
diffamation. On suit aussi la liaison de Picquart avec Pauline Monnier, (personnage fictif ?) une femme mariée, un point faible qu'instrumentaliseront ses ennemis.
Il
y a beaucoup de personnages dans cette histoire, et le casting est juste
bluffant : Jean Dujardin, Louis Garrel, Grégory Gadebois (impérial avec son postiche !), Wladimir Yordanoff, Didier Sandre, Melvil Poupaud, Mathieu
Amalric, Laurent Stocker, Vincent Perez, Michel Vuillermoz, Denis
Podalydès… Beaucoup de comédiens issus de la Comédie Française, usant parfois d’un
ton légèrement suranné dans leurs dialogues, les syllabes soulignées, donnant
une patine académique à ce théâtre de faux-culs. Par contre, Emmanuelle Seigner joue comme un pied, mais bon, c'est la femme du réalisateur...
Roman
Polanski travaillait au projet depuis huit ans et devait tourner en
anglais. Faute de budget suffisant, ce sera une production française, on ne
s’en plaindra pas.
Dans
le film, Dreyfus et Picquart ne se croisent que deux fois. Au début quand l’élève Dreyfus le soupçonne de le saquer parce qu’il est juif.
Picquart répondra : « Si vous me demandez si j’aime les juifs, la réponse est non, si vous me demandez si je vous
sanctionnerai parce que vous êtes juif, la réponse est encore non ». Ils
se revoient 15 ans plus tard, Dreyfus libéré venant se plaindre au nouveau ministre
Picquart de son salaire qui ne prend pas en compte ses 4 ans de bagne. Picquart
rejettera l’argument. Un encart précise que les deux hommes ne se sont
jamais plus parlé.
Contrairement à ce que renvoie la bande annonce avec cette gravité des gros
violons - alors que la partition d’Alexandre Desplat est au contraire très
sobre et utilisée avec parcimonie – le film n’est ni mélodramatique, ni sentencieux. Ce n'est pas un plaidoyer forçant
les bonnes consciences. Polanski s’empare d’une affaire judiciaire et en démonte
les rouages, la bêtise des protagonistes, cliniquement, les faits, rien que les faits.
C’est aussi une leçon de mise en scène, chez lui
comme chez un David Fincher, rien d’ostentatoire ni de plans alambiqués m’as-tu-vu,
mais une rigueur qui sert le propos. La scène dans l’église est délicieusement hitchcockienne. Lorsque les accusés de Zola découvrent horrifiés l'article dans L'Aurore, Polanski répète le même montage, plan serré/large sur les protagonistes lisant le journal, petits êtres méprisants perdus dans leur décorum. Si le tempo est lent, le film n'en reste pas moins de bout en bout passionnant.
couleur - 2h10 - format 1:1.85
J'ai cherché dans Google, pas trouvé ce monsieur Jacques Use. Sinon, je suis surpris que tout au long de ce commentaire il ne soit jamais fait aucun cas de la mort de Raymond Poulidor. Re sinon, bravo Lucio!
RépondreSupprimerPar contre, j'aurais pu mentionner qu'Emile Zola était l'inventeur du Jacuzzi, information que nous sommes peu à connaitre... Poulidor, l'éternel second ? Je ne m'intéresse qu'aux premiers de cordée...
RépondreSupprimerLa première fois que j'ai lu le nom de Picquart, c'est dans la biographie de Mahler, par Henri-Louis de Lagrange. Picquart était un grand amateur d'art, fréquentant l'élite culturelle parisienne. Il était ami avec Gustav Mahler, comme Paul Clémenceau, le frère de Georges, qui tenait des salons musicaux. D'ailleurs, Picquart aurait appris sa réhabilitation alors qu'il se trouvait chez G. Mahler...
RépondreSupprimerMerci de ces précisions !
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