samedi 23 novembre 2019

Franz LISZT – Années de Pèlerinage – Lazar BERMAN (1977) – par Claude Toon



- Ah du piano made in Liszt M'sieur Claude, vous n'en n'avez guère parlé depuis sa sonate, un article de 2011…
- C'est vrai Sonia, quelques poèmes symphoniques plus ou moins mineurs, Liszt était l'inventeur du genre, et la Faust symphonie, du lourd, sans ironie…
- Drôle de titre "années de pèlerinage", et plus de deux heures, ça n'en finit pas, il y a plusieurs mouvements au moins ?
- Houlà, c'est un ensemble de trois recueils écrits lors de ses voyages de jeunesse en Suisse et en Italie, 26 pièces en tout qui préfigurent le piano moderne…
- Donc ni des sonates, ni des balades, ni des études, etc. ?
- Non pas du tout, une musique très libre, descriptive voire impressionniste, des pensées musicales à la suite de lectures… plus de la méditation que de la virtuosité grandiloquente…

Lazar Berman
Si un Youtubeur a eu l'idée pertinente de réunir toutes les pièces sur une même vidéo, il faut savoir qu'il s'agit de la compilation de 3 CDs enregistrés en 1977 par le pianiste russe Lazar Berman (à l'origine, des LP). Un monument du disque qui s'impose depuis plus de quarante ans comme une référence pour ce cycle pianistique.
Y-a-t-il beaucoup de commentaires à écrire sur ces 26 pièces ? Non, pas vraiment, Liszt invente comme pour l'orchestre une forme très libre de poème pour clavier. Comme bien plus tard un Debussy avec ses préludes et images qui portent chacun un titre à la manière d'un sonnet ("La cathédrale engloutie", "Poissons d'or".) Liszt attribue à chaque morceau un titre plus ou moins explicite. Le premier, par exemple, se nomme "La Chapelle De Guillaume Tell", une "peinture" musicale à n'en pas douter, après la visite d'une minuscule chapelle dédiée au héros helvétique et située au bord de l'eau dans le Canton d'Url en Suisse ; rien de plus à dire, regarder la photo et… rêver ! 😔 Une autre, lors de son passage en Italie s'intitule "après une lecture de Dante". Vous connaissez la technique psychothérapique qui consiste à raconter à un psy "ce qui vous passe par la tête". Ledit psy aide ensuite à partir d'idées a priori décousues par le stress à "triller les lentilles fantasmatiques" qui pourrissent votre psychée, en un mot à y voir plus clair et à relativiser😀. C'est un peu l'idée dans cette grande pièce célèbre ou dans les adaptations pianistiques de trois sonnets de Pétrarque. Nous avons donc des paysages et de la littérature comme source d'inspiration, l'univers romantique dans sa quintessence.
Il est amusant de  constater deux choses à propos de "après une lecture de Dante". Liszt a cru bon d'ajouter en sous-titre Fantasia quasi sonata, comme s'il cherchait à rassurer le public en rapprochant cette œuvre de 17 minutes (la plus longue du cycle) d'une forme connue et appréciée depuis l'aube de la musique baroque 200 ans plus tôt. Une œuvre pouvant être interprétée de manière isolée lors d'un concert ou de la gravure d'un récital. C'est le cas pour tous les morceaux et les pianistes ne s'en privent pas.
En résumé, et pour tranquilliser Sonia à qui j'impose d'écouter TOUTES les musiques sur lesquelles nous travaillons. Nous voici face à une synthèse de l'art du jeune Liszt qui inventait un genre nouveau, différent des pièces de musiques pures de Chopin, ballades, scherzos, nocturnes, etc. absolument magiques mais obéissant à des règles formelles plus strictes.
Laissons les analyses savantes aux musicologues et rendons visite à Liszt à l'époque de la composition de ce chef-d'œuvre. Le jeune Liszt, ses amours et liaisons innombrables, ses voyages, mais pas trop ses emmerdes en pensant à la chanson d'Aznavour
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- Pardon Sonia ? […] Oui, l'image de la vidéo est hideuse, on dirait un dépliant touristique des années 50… Mais merci beaucoup au créateur de celle-ci.
Liszt jeune
Franz Liszt né en 1811, élève surdoué de Czerny, a commencé sa carrière de virtuose très tôt. Beethoven, bien que très handicapé par sa surdité au crépuscule de sa vie, a reconnu dans le jeune homme la graine d'un talent de pianiste au jeu fascinant et de compositeur révolutionnaire. Il suit déjà les cours de composition de Sallieri. Une biographie générale est à lire dans la chronique consacrée à la Sonate (Clic). Comme Mozart en son temps, le jeune pianiste parcourt l'Europe, notamment l'Angleterre et la France. À la mort de son père en 1827, Liszt décide de s'affranchir de la tutelle "artistique". Il a seize ans, sa santé est médiocre sans doute à force de sillonner l'occident de récital en récital… Le jeune homme séjourne en cure à Boulogne-sur-Mer. Il aime la France, rencontre Berlioz avec qui une durable amitié se met en place.
Et surtout il va devenir l'un des artistes et intellectuels invités chez George Sand à Nohant. Nohant dans le Berry, espace de calme où la première réelle écrivaine française, humaniste militante, réunit autour de sa table et dans sa demeure : Alfred de Musset, Frédéric Chopin, Honoré de Balzac, Eugène Delacroix, plus tard Flaubert, d'autres, en un mot la crème des intellectuels novateurs du romantisme en France.
Liszt est un homme à femmes dès la puberté, mais aussi un mystique imprégné de religion qui reçoit les ordres mineurs en 1865, porte la soutane mais ne sera jamais prêtre. Amour platonique ou pas, les demoiselles sont au pied du beau virtuose : Caroline de Saint-Cricq, l'une de ses élèves, née en 1810. La romance prend fin en 1828 à la mort de la mère de la jeune femme, le père n'imaginant pas sa fille mariée à un "saltimbanque" ! La révolution de 1830 lui redonne ardeur d'autant que c'est cette année-là que Berlioz crée sa symphonie Fantastique qui pulvérise l'académisme musical. Liszt connaît une brève aventure avec la comtesse Platen, la muse de Chopin. 1832, c'est la rencontre avec Marie d'Agout née de Flavigny. Du people, du vrai, Rockin sera content. Deux théories : Une rencontre "par hasard" chez la marquise de La Mothe Le Vayer qui tient salon ; sinon, Alfred de Musset aurait présenté Franz Liszt à George Sand qui… etc. Que du beau monde.

Marie d'Agout
Bien que plus jeune de six ans que sa conquête déjà mariée au comte Charles Louis Constant d’Agoult, les deux amants pulvérisent les conventions et fuient en Suisse. Les années de pèlerinage commencent, on pourrait plutôt parler de fuite et de pérégrination sentimentale que de marche spirituelle vers Compostelle 😄… Ils déménagent sans cesse : 1835-1837 : Genève, 1837-1839 : l'Italie (Bellagio, Milan, Venise, Lugano, Modène, Florence, Bologne et Rome). Déjà mère de deux enfants de son comte de mari, Marie d'Agout mettra au monde trois nouveau-nés pour compléter cette pseudo famille reconstituée et scandaleuse pour l'époque. Un gars et deux filles dont Cosima, future Mme Hans Bulöw, célèbre maestro, puis Mme Richard Wagner… Le "couple" d'Agout-Liszt  se sépare en 1839, Marie étant partie chasser ailleurs…😮
Et on en vient enfin au sujet du jour. Liszt mettra à profit ces quatre années aventureuses pour composer toutes les pièces réunies sous le titre Les années de pèlerinage qui ne seront publiées finalement qu'en 1855 et 1858
-  Dites M'sieur Claude, cette affaire, c'est du Balzac ? du Stendhal ? du Flaubert ou carrément du Paris-Match ?
- Un peu de tout Sonia, un peu de tout. Mais au final l'un des plus beaux cycles pour piano de Liszt…
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Le pianiste russe Lazar Berman faisait partie de ce groupe de pianistes d'exception formés au conservatoire Tchaïkovski de Moscou comme Sviatoslav Richter. Né en 1930 à Leningrad dans une famille israélite dont la mère est pianiste, le gamin surdoué se présente à son premier concours à 3 ans et donne son premier concert à dix ans avec le 25ème concerto de Mozart. Jouant un répertoire assez classique, il devient Le spécialiste de Liszt et reçoit le Prix Franz Liszt en 1977 pour son interprétation des Études d'exécution transcendante. La même année où il grave Les années de Pèlerinage. Berman, un colosse, une force de la nature donnant des concerts fleuves. Reconnaissant son égo, ce drôle d'homme refuse de jouer Chopin après avoir été disqualifié lors de sa candidature au concours de Varsovie ! Pourtant il gravera pour DG les polonaises 😂.

Lazar Berman alliait puissance, alacrité, tendresse et poésie dans son jeu. Les qualités requises pour jouer Liszt. Il nous a quittés en 2005. Petite histoire pathétique : Berman ne pouvait que difficilement voyager hors d'URSS. En 1980, il lui est interdit de quitter le pays, un bouquin censuré dans cette belle démocratie ayant été trouvé par la douane de l'aéroport de Moscou dans sa valoche !
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Edward Lear, Cypresses at the Villa d’Este
Une exception bienvenue, Wikipédia parfois avare d'information musicale consacre un article très développé à ce cycle, en français et sans chichis ésotériques sur la technique pianistique (Clic). Je ne ferais surement pas mieux, loin de là !
Quelques repères cependant :
L'ensemble comporte trois recueils : la première année en Suisse, la seconde et la troisième en Italie.
Les pièces écrites en Suisse sont animées par une volonté de recourir à l'impressionnisme et au symbolisme. Paysages, culture helvétique. Ainsi La Chapelle de Guillaume Tell peut évoquer à la fois le lieu et l'héroïsme du personnage à l'arbalète dans un développement épique. Poésie et lyrisme se conjuguent. L'inventivité lisztienne est bien là : une virtuosité épique caractérisée par des écarts de tessiture vertigineux, une dynamique violente, des trilles à se fracasser les doigts dans l'extrême aigu. On trouve une grande indépendance dans les styles et les durées : 3 minutes pour nous bercer sur les flots dans Au Lac De Wallenstadt, 14 pour nous faire visiter La vallée d'Obernai.
L'inspiration en Italie apporte une plus grande mixité : des évocations philosophiques et théologiques comme Après une lecture du Dante (sans jeu de mot : d'une difficulté infernale pour les pianistes même chevronnés) ou de nouveau de jolies ballades exprimant la grandeur des Cyprès de la villa d'Este

Voici un tableau permettant de suivre plus facilement cet étonnant voyage :

Première année : Suisse
Deuxième Année : Italie
[00:00]
La Chapelle De Guillaume Tell
[48:26]
Sposalizio
[06:40]
Au Lac De Wallenstadt
[1:01:18]
Canzonetta Del Salvator Rosa
[09:46]
Pastorale
[56:39]
Il Pensieroso
[11:19]
Au Bord d'une Source
[1:04:07]
Sonetto 47 Del Petrarca
[14:52]
Orage
[1:09:24]
Sonetto 104 Del Petrarca
[18:50]
La Vallée d’Obermann
[1:16:05]
Sonetto 123 Del Petrarca
[33:17]
Eglogue
[1:23:11]
Après Une Lecture De Dante - Fantasia Quasi Sonata
[36:01]
Le Mal du Pays
Supplément : Venise & Naples
[42:07]
Les Cloches De Genève - Nocturne
[1:40:10]
Gondoliera


[1:46:10]
Canzone


[1:50:09]
Tarantella
Troisième Année : Italie


[1:59:28]
Angélus !


[2:09:42]
Aux Cyprès De La Villa D'Este 1


[2:17:01]
Aux Cyprès De La Villa D'Este 2


[2:27:56]
Les Jeux D'Eaux À La Villa D’Este


[2:35:40]
Sunt Lacrymae Rerum, En Mode Hongrois


[2:43:36]
Marche Funèbre


[2:51:48]
Sursum Corda




4 commentaires:

  1. Belle et grande version, malheureusement gâchée par une prise de son qui ne rend pas justice à son piano et à ces pièces, à mon oreille au moins... Il en existe d'autres versions mieux enregistrées et tout aussi excellentes en termes d'interprétations désormais. Pour découvrir ces oeuvres, l'approche la plus satisafaisnte est, à mon sens, celle de bertand Chamayou, parue chez Naive en 2011. Du très beau piano fort bien enregistré pour le coup : ces oeuvres assez peu connues mais très touffues parfois le méritent amplement !

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    1. Je n'ai pas proposé de discographie, n'étant pas un spécialiste de ce cycle.
      Oui, j'ai entendu le plus grand bien de l'enregistrement de Bertand Chamayou, sans doute dans une approche moins "école russe". J'ai lu que les disques de Nicholas Angelich soient également très appréciés (Mirare)
      La captation du piano est vraiment correcte pour l'époque, des graves un peu gras, oui, possible, mais avec Liszt, n'est-ce pas assez naturel ? Et puis du colosse russe aux allures de bucherons, quelle délicatesse :o)
      La qualité sonore de ces disques est assez réputée (ingénieur : Hans-Peter Schweigmann). Il est vrai que pour un système HIFI, le piano est une épreuve pour reproduire la plénitude de la dynamique...

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  2. Une oeuvre qui n'est pas austère de liszt !

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  3. Oui Pat. Je ne raffole pas des rhapsodies et autres prouesses qui obligeait les organisateurs de concert à prévoir 1 ou 2 pianos de secours quand Liszt cassaient des touches....
    J'aime beaucoup des pièces religieuses tardives comme Bénédiction de Dieu dans la solitude extrait des Harmonies poétiques et religieuses.
    J'ai vu l'autre jour une anthologie du piano de Liszt de 99 CD... Waouh...

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