- Ah du piano
made in Liszt M'sieur Claude, vous n'en n'avez guère parlé depuis sa sonate, un
article de 2011…
- C'est vrai
Sonia, quelques poèmes symphoniques plus ou moins mineurs, Liszt était
l'inventeur du genre, et la Faust symphonie, du lourd, sans ironie…
- Drôle de
titre "années de pèlerinage", et plus de deux heures, ça n'en finit
pas, il y a plusieurs mouvements au moins ?
- Houlà, c'est
un ensemble de trois recueils écrits lors de ses voyages de jeunesse en Suisse
et en Italie, 26 pièces en tout qui préfigurent le piano moderne…
- Donc ni des
sonates, ni des balades, ni des études, etc. ?
- Non pas du
tout, une musique très libre, descriptive voire impressionniste, des pensées
musicales à la suite de lectures… plus de la méditation que de la virtuosité
grandiloquente…
Lazar Berman |
Y-a-t-il beaucoup de commentaires à écrire sur ces 26 pièces
? Non, pas vraiment, Liszt
invente comme pour l'orchestre une forme très
libre de poème pour clavier. Comme bien plus tard un Debussy
avec ses préludes
et images
qui portent chacun un titre à la manière d'un sonnet ("La cathédrale
engloutie", "Poissons d'or".) Liszt
attribue à chaque morceau un titre plus ou moins explicite. Le premier, par
exemple, se nomme "La Chapelle De
Guillaume Tell", une "peinture" musicale à n'en pas
douter, après la visite d'une minuscule chapelle dédiée au héros helvétique et
située au bord de l'eau dans le Canton d'Url en Suisse ; rien de plus à
dire, regarder la photo et… rêver ! 😔 Une
autre, lors de son passage en Italie s'intitule "après
une lecture de Dante". Vous connaissez la technique
psychothérapique qui consiste à raconter à un psy "ce
qui vous passe par la tête". Ledit psy aide ensuite à partir d'idées
a priori décousues par le stress à "triller les
lentilles fantasmatiques" qui pourrissent votre psychée, en un
mot à y voir plus clair et à relativiser😀. C'est
un peu l'idée dans cette grande pièce célèbre ou dans les adaptations pianistiques
de trois sonnets de Pétrarque. Nous
avons donc des paysages et de la littérature comme source d'inspiration,
l'univers romantique dans sa quintessence.
Il est amusant de constater deux choses à propos de "après une lecture de Dante". Liszt a cru bon d'ajouter en sous-titre Fantasia quasi sonata, comme s'il cherchait
à rassurer le public en rapprochant cette œuvre de 17 minutes (la plus longue
du cycle) d'une forme connue et appréciée depuis l'aube de la musique baroque
200 ans plus tôt. Une œuvre pouvant être interprétée de manière isolée lors
d'un concert ou de la gravure d'un récital. C'est le cas pour tous les morceaux
et les pianistes ne s'en privent pas.
En résumé, et pour tranquilliser Sonia à qui j'impose
d'écouter TOUTES les musiques sur lesquelles nous travaillons. Nous voici face à une synthèse de
l'art du jeune Liszt qui inventait un genre nouveau, différent des pièces de
musiques pures de Chopin, ballades, scherzos,
nocturnes,
etc. absolument magiques mais obéissant à des règles formelles plus strictes.
Laissons les analyses savantes aux musicologues et
rendons visite à Liszt à l'époque de la composition de ce chef-d'œuvre. Le
jeune Liszt, ses amours et liaisons innombrables, ses voyages, mais pas trop
ses emmerdes en pensant à la chanson d'Aznavour…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
- Pardon
Sonia ? […] Oui, l'image de la vidéo est hideuse, on dirait un dépliant
touristique des années 50… Mais merci beaucoup au créateur de celle-ci.
Liszt jeune |
Franz Liszt né en
1811, élève surdoué de Czerny, a commencé sa carrière de virtuose très tôt. Beethoven, bien que très handicapé
par sa surdité au crépuscule de sa vie, a reconnu dans le jeune homme la graine d'un talent de
pianiste au jeu fascinant et de compositeur révolutionnaire. Il suit déjà les
cours de composition de Sallieri.
Une biographie générale est à lire dans la chronique consacrée à la Sonate
(Clic). Comme Mozart en son temps, le
jeune pianiste parcourt l'Europe, notamment l'Angleterre et la France. À la
mort de son père en 1827, Liszt
décide de s'affranchir de la tutelle "artistique". Il a seize ans, sa
santé est médiocre sans doute à force de sillonner l'occident de récital en
récital… Le jeune homme séjourne en cure à Boulogne-sur-Mer. Il aime la France,
rencontre Berlioz avec qui une durable amitié se met en place.
Et surtout il va devenir l'un des artistes et
intellectuels invités chez George Sand
à Nohant. Nohant
dans le Berry, espace de calme où la première réelle écrivaine française, humaniste
militante, réunit autour de sa table et dans sa demeure : Alfred de Musset, Frédéric Chopin,
Honoré de Balzac, Eugène Delacroix, plus tard Flaubert, d'autres, en un mot la crème
des intellectuels novateurs du romantisme en France.
Liszt
est un homme à femmes dès la puberté, mais aussi
un mystique imprégné de religion qui reçoit les ordres mineurs en 1865, porte la soutane mais ne sera
jamais prêtre. Amour platonique ou pas, les demoiselles sont au pied du beau
virtuose : Caroline de Saint-Cricq,
l'une de ses élèves, née en 1810. La romance prend fin en 1828 à la mort de la mère de la jeune femme, le père n'imaginant
pas sa fille mariée à un "saltimbanque" ! La révolution de 1830 lui redonne ardeur d'autant que
c'est cette année-là que Berlioz
crée sa symphonie Fantastique qui pulvérise l'académisme musical. Liszt connaît une brève aventure avec la comtesse Platen, la muse de Chopin. 1832, c'est la rencontre avec Marie
d'Agout née de Flavigny. Du people, du vrai, Rockin sera content. Deux théories
: Une rencontre "par hasard" chez la marquise de La Mothe Le Vayer qui tient salon ; sinon, Alfred de Musset aurait présenté Franz Liszt à George Sand qui… etc. Que du beau monde.
Marie d'Agout |
Et on en vient enfin au sujet du jour. Liszt mettra à profit ces quatre années aventureuses
pour composer toutes les pièces réunies sous le titre Les années de pèlerinage
qui ne seront publiées finalement qu'en 1855
et 1858…
- Dites M'sieur Claude, cette affaire, c'est du Balzac ? du Stendhal ? du Flaubert ou carrément du Paris-Match ?
- Un peu de
tout Sonia, un peu de tout. Mais au final l'un des plus beaux cycles pour piano
de Liszt…
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Le pianiste russe Lazar Berman
faisait partie de ce groupe de pianistes d'exception formés au conservatoire Tchaïkovski
de Moscou comme Sviatoslav Richter. Né en 1930 à Leningrad dans une famille
israélite dont la mère est pianiste, le gamin surdoué se présente à son premier
concours à 3 ans et donne son premier concert à dix ans avec le 25ème
concerto de Mozart.
Jouant un répertoire assez classique, il devient Le spécialiste de Liszt et reçoit le Prix Franz Liszt en 1977 pour son interprétation des Études
d'exécution transcendante. La même année où il grave Les années de Pèlerinage.
Berman, un colosse, une force de la nature
donnant des concerts fleuves. Reconnaissant son égo, ce drôle d'homme refuse de
jouer Chopin après avoir été disqualifié
lors de sa candidature au concours de Varsovie ! Pourtant il gravera pour DG
les polonaises 😂.
Lazar Berman alliait
puissance, alacrité, tendresse et poésie dans son jeu. Les qualités requises
pour jouer Liszt. Il nous a quittés en 2005.
Petite histoire pathétique : Berman
ne pouvait que difficilement voyager hors d'URSS. En 1980, il lui est interdit de quitter le pays, un bouquin censuré
dans cette belle démocratie ayant été trouvé par la douane de l'aéroport de
Moscou dans sa valoche !
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Edward Lear, Cypresses at the Villa d’Este |
Quelques repères cependant :
L'ensemble comporte trois recueils : la première année
en Suisse, la seconde et la troisième
en Italie.
Les pièces écrites en Suisse sont animées par une volonté de recourir à l'impressionnisme
et au symbolisme. Paysages, culture helvétique. Ainsi La Chapelle de Guillaume Tell
peut évoquer à la fois le lieu et l'héroïsme du personnage à l'arbalète dans un
développement épique. Poésie et lyrisme se conjuguent. L'inventivité lisztienne
est bien là : une virtuosité épique caractérisée par des écarts de tessiture
vertigineux, une dynamique violente, des trilles à se fracasser les doigts dans
l'extrême aigu. On trouve une grande indépendance dans les styles et les durées
: 3 minutes pour nous bercer sur les flots dans Au Lac De Wallenstadt,
14 pour nous faire visiter La vallée d'Obernai.
L'inspiration en Italie
apporte une plus grande mixité : des évocations philosophiques et théologiques
comme Après
une lecture du Dante (sans jeu de mot : d'une difficulté
infernale pour les pianistes même chevronnés) ou de nouveau de jolies ballades
exprimant la grandeur des Cyprès de la villa d'Este…
Voici un tableau permettant de suivre plus facilement cet
étonnant voyage :
Première année : Suisse
|
Deuxième Année : Italie
|
||
[00:00]
|
La Chapelle De Guillaume Tell
|
[48:26]
|
Sposalizio
|
[06:40]
|
Au Lac De Wallenstadt
|
[1:01:18]
|
Canzonetta Del Salvator Rosa
|
[09:46]
|
Pastorale
|
[56:39]
|
Il Pensieroso
|
[11:19]
|
Au Bord d'une Source
|
[1:04:07]
|
Sonetto 47 Del Petrarca
|
[14:52]
|
Orage
|
[1:09:24]
|
Sonetto 104 Del Petrarca
|
[18:50]
|
La Vallée d’Obermann
|
[1:16:05]
|
Sonetto 123 Del Petrarca
|
[33:17]
|
Eglogue
|
[1:23:11]
|
Après Une Lecture De Dante - Fantasia Quasi
Sonata
|
[36:01]
|
Le Mal du Pays
|
Supplément : Venise & Naples
|
|
[42:07]
|
Les Cloches De Genève - Nocturne
|
[1:40:10]
|
Gondoliera
|
[1:46:10]
|
Canzone
|
||
[1:50:09]
|
Tarantella
|
||
Troisième Année : Italie
|
|||
[1:59:28]
|
Angélus !
|
||
[2:09:42]
|
Aux Cyprès De La Villa D'Este 1
|
||
[2:17:01]
|
Aux Cyprès De La Villa D'Este 2
|
||
[2:27:56]
|
Les Jeux D'Eaux À La Villa D’Este
|
||
[2:35:40]
|
Sunt Lacrymae Rerum, En Mode Hongrois
|
||
[2:43:36]
|
Marche Funèbre
|
||
[2:51:48]
|
Sursum Corda
|
Belle et grande version, malheureusement gâchée par une prise de son qui ne rend pas justice à son piano et à ces pièces, à mon oreille au moins... Il en existe d'autres versions mieux enregistrées et tout aussi excellentes en termes d'interprétations désormais. Pour découvrir ces oeuvres, l'approche la plus satisafaisnte est, à mon sens, celle de bertand Chamayou, parue chez Naive en 2011. Du très beau piano fort bien enregistré pour le coup : ces oeuvres assez peu connues mais très touffues parfois le méritent amplement !
RépondreSupprimerJe n'ai pas proposé de discographie, n'étant pas un spécialiste de ce cycle.
SupprimerOui, j'ai entendu le plus grand bien de l'enregistrement de Bertand Chamayou, sans doute dans une approche moins "école russe". J'ai lu que les disques de Nicholas Angelich soient également très appréciés (Mirare)
La captation du piano est vraiment correcte pour l'époque, des graves un peu gras, oui, possible, mais avec Liszt, n'est-ce pas assez naturel ? Et puis du colosse russe aux allures de bucherons, quelle délicatesse :o)
La qualité sonore de ces disques est assez réputée (ingénieur : Hans-Peter Schweigmann). Il est vrai que pour un système HIFI, le piano est une épreuve pour reproduire la plénitude de la dynamique...
Une oeuvre qui n'est pas austère de liszt !
RépondreSupprimerOui Pat. Je ne raffole pas des rhapsodies et autres prouesses qui obligeait les organisateurs de concert à prévoir 1 ou 2 pianos de secours quand Liszt cassaient des touches....
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup des pièces religieuses tardives comme Bénédiction de Dieu dans la solitude extrait des Harmonies poétiques et religieuses.
J'ai vu l'autre jour une anthologie du piano de Liszt de 99 CD... Waouh...