lundi 21 mai 2018

COULEURS DE L'INCENDIE de Pierre Lemaître (2018) – Par Claude Toon





Pierre Lemaître,
César de l'adaptation pour Au revoir Là-Haut
XXXXX
Pierre Lemaître semble vouloir poursuivre une saga commencée en 2013 avec Au revoir là-haut lauréat du prix Goncourt et adapté à l'écran par Albert Dupontel. Renseignement pris, Couleurs de l'incendie serait le second volet d'une trilogie intitulée très justement "Trilogie de l'entre deux-guerres". Un billet avait déjà été consacré au premier tome. (Clic)
Bref résumé du premier opus : Madeleine Péricourt est la sœur d'Edouard Péricourt, le fils artiste méprisé par son père, et brisé à jamais dans les tranchées de la Grande Guerre, le visage arraché par la mitraille. Une gueule cassée ayant perdu son identité qui organisera avec un ancien camarade de combat, Albert, un trafic de vente de monuments jamais livrés à la gloire du martyr des poilus, une délicieuse arnaque dans laquelle son père Marcel Péricourt, banquier, politicien et notable se laissera berner… Pendant que Madeleine court après le corps de son frère Edouard soi-disant mort, elle fera connaissance du salaud absolu en la personne du lieutenant Henri d'Aulnay-Pradelle, un officier d'une race déclinante, peu regardant sur la survie de ses hommes si la promotion est à la clé. Un arriviste abject qui ferra fortune en mettant ses talents de tricheurs au service de la recherche des cadavres qui gorgent le sol des zones de combats, mais en carottant sur la taille des cercueils et en grugeant les familles sur l'authenticité des défunts. Ce personnage que l'on pourrait imaginer balzacien jaillit plutôt d'une roman horrifique de Graham Masterton. Il sera confondu par l'intègre et pittoresque Joseph Merlin (un fonctionnaire négligé de sa personne mais, chose incroyable pour la faune qui l'entoure, totalement intègre) et finira au trou (au sens figuré) après avoir épousé Madeleine dont il aura un fils, Paul.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Action pétrole roumain
Ce second roman débute en 1927 lors des funérailles grandioses et people de Marcel Péricourt. Un évènement qui réunit le tout Paris politique, financier et mondain. La fête funèbre est un peu gâchée par la chute depuis une fenêtre du deuxième étage de Paul, sept ans, qui vient s'écraser sur le cercueil de son papy qu'il aimait bien. C'est le cas de le dire : ça fait tâche, de sang… Le pauvre môme survit, mais paraplégique ; déjà qu'il était bègue Madeleine est effondrée et dépressive. On le serait à moins : plus de papa qui gérait la banque, l'ex-mari et père qui croupit en tôle, le fiston grabataire à une époque où rien n'est adapté pour les handicapés. On pourrait penser que la famille et les amis vont faire corps autour de la mère et du gamin meurtri, jouer la carte de la solidarité. Tu parles ! Et puis question pertinente sur cette défenestration : Accident ? Suicide ? Assassinat ? Déjà peu performant à l'oral, le pauvre gamin reste muet sur l'affaire, enfin jusqu'à…

Madeleine hérite de la banque à une époque, comme le précise Pierre Lemaître dans l’émission La grande librairie, où une femme n'a même pas le droit de faire un chèque sans l'aval de son mari. Succession scandaleuse dans cette société de pouvoir masculin. Et puis Madeleine et la finance, ça fait deux pour parler trivialement. Les vautours au grand complet vont prendre leur envol. Dresser une liste à la Prévert de ses braves faux amis et parents au sens moral exsangue permet de parler de ce livre sans raconter outre mesure l'histoire riche en rebondissements. Un roman qui m'a passionné comme il aurait enchanté Claude Chabrol dans une adaptation mais revue et corrigé par les délires d'un Fellini. Petit tour du bestiaire humain si cher à Lemaître. Donc, sont présents au départ :
Charles Péricourt ressort furax de l'étude du notaire après lecture du testament. Ce frère du patriarche Marcel et oncle de Madeleine hérite de la portion congrue : un petit capital, une misère. Son seul moyen d'existence passé : l'appellation d'origine contrôlée Péricourt et le fric du frangin décédé. Charles, le parasite, le rémora sur le ventre d'un requin. Il a épousé Hortense, une bourgeoise hypocondriaque qui lui a donné deux jumelles. Des laiderons édentées difficiles à marier sans une dote conséquente alors que l'héritage s'envole. (Quand j'évoque Fellini.) Un parlementaire qui va se lancer dans la chasse à l'évasion fiscale. On sait ce ça donne de nos jours ces velléités, fort risquées…
Gustave Joubert : le fondé de pouvoir et le bras droit de feu Marcel. La fidélité et la compétence pour faire tourner la boutique. Un allié indéfectible de Madeleine ? Et bien non ! Jaloux car sans ADN Péricourt, il monte un plan financier auquel l'héritière va faire confiance et finir ruinée. Une histoire d'actions des pétroles roumains vs pétroles irakiens. Et quand j'écris ruinée, un euphémisme… Il fait équipe avec Charles Péricourt pour abuser Madeleine.
André Dupré : un cumulard et encore un parasite. Il cumule les fonctions d'amant de Madeleine (il faut bien que le corps exulte chantait Brel) et de précepteur du petit Paul. Un bon éducateur ? Pas vraiment, des talents pédagogiques très douteux, entre la brutalité et l'ignominie. Il essaye de percer dans la presse pourrie de l'époque, celle de l'extrême droite…
Le journal de Maurras
Léonce : la fidèle servante de Madeleine. Cela dit sa maîtresse étant ruinée, il faut rebondir… en épousant Gustave et en s'installant dans l'hôtel particulier qui va changer de mains. Gustave se verra capitaine d'industrie et sauveur de la France. Pas vraiment d'espace pour la bagatelle avec Madame. Tout se négocie. Léonce, aussi sexy que nymphomane, lutine avec Robert, un gaillard incapable d'assumer deux tâches simples successives mais inusable et expert côté coïts. Il faut respecter toutes les compétences. En bref, question trahison envers Madeleine, une médaille se justifie.
Vladi : diminutif d'un nom polonais imprononçable. Bonne à tout faire et aide-soignante de Paul. Venue de rien, ne parlant pas le français, elle sera la mère courage choisie par Pierre Lemaître. L'un des rares personnages que l'on n'a pas envie de gifler à la fin du premier chapitre où il apparait. Vladi : l'humanité des âmes simples et la fidélité.
Paul : va noyer son chagrin dans la musique classique et surtout l'opéra italien écouté sur un phonographe. Il va tomber en extase tendance amoureuse pour Solange Gallinato, une diva italienne née à Dijon (si ma mémoire est bonne). Un clone excentrique de la Castafiore. Elle poursuivra de ses assiduités artistiques Paul qui va sillonner l'Europe en fauteuil roulant pour l'entendre en récital. Personnage ubuesque ? Non ! Fantasque ? Oui, mais avec un cœur d'or et même plus comme la fin du roman le montrera.
Et bien entendu Madeleine, la femme bafouée, trahie, volée, trompée. Madeleine qui va refuser son exécution publique et privée par les fauves de ce zoo humain pour reprendre l'expression de Desmond Moriss. La vengeance sera le nerf du roman. Totale, sans pitié ni remord. Madeleine ne refusera aucun moyen pour se faire justice, à elle-même et à Paul : l'intimidation, le sabotage, le chantage, les pièges financiers, les faux-papiers, et l'invention de preuves toutes aussi fausses… La facture sera lourde : entre la déchéance et le cercueil, chacun aura son lot à la loterie du machiavélisme de Madeleine. Et je l'aime Madeleine. Une femme moderne et justicière, en combat contre un échantillonnage putride de la société en décomposition de la fin de la IIIème république, et de plus complaisante avec les bruits de bottes outre-Rhin.
Pierre Lemaître et son humour corrosif, son sens du détail historique documenté, ne cache pas son admiration pour Balzac, Dumas, Zola et un soupçon de Mauriac à mon avis. Le récit est intense, rythmé par les péripéties tortueuses d'une tragi-comédie pathétique. De nombreux personnages secondaires, hauts en couleur, prêteront mains fortes à Madeleine. Une belle langue sans chichi, mais ça on le savait déjà depuis longtemps au Deblocnot'. (Index).

Le meilleur livre lu depuis début 2018 en ce qui me concerne. Juste une interrogation. Dans un dernier chapitre Pierre Lemaître nous raconte le devenir des personnages jusqu'à nos jours une fois le règlement de compte accompli. Que sera donc l'intrigue du volume 3 ? Patience…

Pour le commentaire de Luc sur le film d'Albert Dupontel, (Clic).

Interview lors d'une émission culturelle (Si, ça existe... Pourquoi, vous aviez des doutes ?)



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire