mercredi 5 octobre 2022

MOTÖRHEAD "Overkill" (1979), by Bruno



     On l'a oublié, et les plus jeunes n'en ont peut-être aucune idée, mais en cette année de 1979, il y eut une terrible tempête électrique qui a eu un impact sur le paysage musical, qui aujourd'hui encore, en porte les stigmates. Cette tempête a pour nom Motörhead. Un patronyme qui frappe comme un direct de Tyson dans le pif ; ça marque l'esprit et ça laisse des traces. La pochette est à l'avenant, dégageant une énergie fulminante, semblant jaillir hors de son cadre. Eblouissante, brûlant les mains, diffusant une douce mais certaine violence. Les caractères gothiques utilisés pour le nom du groupe peuvent avoir une connotation litigieuse. Le titre même de l'objet, "Overkill", comme écrit avec une plume trempée dans du sang, en dit long sur le contenu. Au verso, la touche des trois lascars, parés de noir, de cuirs, de cartouchières et de crinières insolentes tombant sous les omoplates, inondés de lumières ocres, n'augure rien de bon. Ou plutôt si, mais rien de tempéré ou de reposant. On s'attend à une déflagration sonique.


   Et effectivement, le choc est pour ainsi dire brutal. Un séisme. La galette passe rapidement de mains en mains, de platine en platine, se propageant tel un feu mortel en plein été caniculaire. Une véritable pandémie électrisant les cerveaux se propage chez les amateurs de rock dur et de musique de fou (expression réellement utilisée en ces temps là). Rien que le morceau d'ouverture, l'emblématique "Overkill", véritable charge de jötunns faisant trembler la terre en descendant des montagnes, écumant de rage en vociférant et en brandissant massues et haches de pierre, prêts à occire tout malheureux sur leur passage. "Overkill", c'est cette fameuse attaque de double grosse-caisse - possiblement inspirée par le jeu de Ian Paice sur "Fireball" - qui soutient le rythme sans férir tout le long du morceau. Relançant la machine à deux reprises, tel un commandant sadique renvoyant sa troupe sur les lieux du combat pour achever les éventuels rescapés. No quarter. Le chanteur, un grand gaillard affichant fièrement une barbe à la Souvorov, broie ses mots comme un concasseur les pierres. Tandis que la Stratocaster d'un rouquin chevelu au regard un peu fou (blackmorien ?) projette des flots de lave. Un morceau imparable. 

    Certes, rien de totalement nouveau pour les initiés qui ont déjà depuis longtemps goûté aux Pink Fairies, sans oublier des bombes telles que "Speed King", "Fireball", "Communication Breakdown", "Rats in the Cellar", "Toys in the Attic", etc, etc. Oui, mais là, au moment où globalement on pouvait craindre, après le bref incendie punk, que le Rock dans l'ensemble ne s'installe confortablement dans une routine alcoolisée et pépère, bref ne s'embourgeoise, voilà que déboule un commando de barbares sortis dont ne sait où, le coutelas entre les dents, opérant tel un panzer en mode blitzkrieg. 

     Après un tel morceau de bravoure, difficile de faire aussi bien. C'est d'ailleurs ce qui peut donner à l'album un aspect inégal. Toutefois, même si par la suite rien n'est aussi offensif, ce ne sont pas les missiles de bouillonnant Heavy-rock'n'roll qui manquent. A commencer par le classique - et assez basique - "Stay Clean" illuminé par les traits de wah-wah agissant comme un scalpel tranchant dans le lard ; et son solo rouleau-compresseur... joué à la basse. Bien moins connu, (bien moins joué en live) "I Won't) Pay Your Price" est pourtant plus goûteux avec son nappage de Pub-rock radioactif.


 Et puis bien sûr ce formidable "Capricorn" (signe zodiacal de Lemmy) qui retrouve quelques onces de Space-rock-psychédélique hérité des allumés d'Hawkwind. Le précédent groupe où officiait le sieur Lemmy, avant d'être honteusement abandonné par ces collègues comme un pestiféré. Entre les mains bagousés de Lemmy et de ses partenaires, ce Space-rock prend des allures de monde post-apocalyptique sauvage, menaçant et irradié. Les soli même de Clarke résonnent ici comme la blessure d'un infortuné rendu fou par sa solitude. Lemmy y vocifère fièrement sa différence "Mille nuits j'ai passé seul, solitaire jusqu'à l'os. Mais ça ne me dérange pas, je suis mon propre meilleur ami... quand j'étais jeune, j'étais déjà vieux... j'ai toujours su que le seul moyen est de ne jamais vivre au-delà d'aujourd'hui.". Dans ce style de néo-space-rock hallucinogène, déglingué aux amphés, "Metropolis" tire aussi son épingle du jeu, notamment grâce aux dépeçants chorus chargés de wah-wah et de nitroglycérine du paladin "Fast" Eddie Clarke.

   Juste avant , le nerveux et un poil punkoïde "Tear Ya Down" entrouvre la porte qui va laisser sortir les muses machiavéliques du Speed Metal et consorts. Ce n'est qu'un timide début qui va prendre un peu plus d'essor avec les opus suivants.  

   La rythmique en marteau-piqueur, primaire et implacable, de "Damage Case" aura un impact définitif sur tout le Desert-rock. Une rythmique présentant une certaine similitude avec celle du "Fools" de Van Halen sur ("Women and Children First"). Avec "Limb From Limb", c'est un Hard-blues que le trio enfante, à base de boue, de lave et de sang. On y retrouve tout le suc des groupes du début des 70's qui pirataient les lignes haute-tension pour transformer leur blues en une nouvelle entité. Cependant, au bout de deux minutes, c'est le trio lui-même qui prend le jus, et part alors pied au plancher dans une mortelle frénésie rock'n'rollienne.

   N'oublions pas "No Class", autre classique, mais aussi sujet à polémique puisque le riff a été torpillé au "Tush" de ZZ-Top. Le légende dit que c'est sous la pression de Lemmy et dans une certaine urgence que naît ce morceau. Le temps imparti aux séances touche à sa fin, et Lemmy souhaite une pièce de plus ; il demande alors à Clarke, à brûle-pourpoint, de pondre un riff, ou de sortir quelque chose de sa besace. Le guitariste, taquin et un peu fatigué, un peu irrité aussi par l'accumulation de longues séances (probablement arrosées 😁), joue "Tush" persuadé que tout le monde va immédiatement reconnaître la chanson. Mais non. Lemmy adore - fait mine de ne pas connaître - et insiste pour travailler illico le morceau, en dépit des protestations de Clarke, qui craint l'opprobre, voire le procès.


   La magie de ce trio de freak est qu'en dépit de la charge de décibels et de la violence délivrée, les esgourdes ne sont pas violentées (sauf en live). La raison en est l'alchimie des trois musiciens et l'équilibre entre les instruments. Une opération délicate réussie grâce notamment à la perspicacité d'Eddie Clarke qui privilégie ses Fender Stratocaster - au détriment de sa Gibson Les Paul - afin d'équilibrer la tonalité du groupe. Basiquement, dans les grandes lignes, la batterie et le timbre de Néanderthalien de Lemmy assurant les graves, et la basse les mediums (ben oui, car mister Kilminster branche sa Rickenbacker dans une tête d'ampli Marshall sur laquelle il supprime les graves et booste les aigus), Clarke s'est retourné sur des Fender Stratocaster naturellement plus portées sur les aigus. Toutefois, pour ne pas se faire écraser par les deux autres rustres, il équipe tout de même ses Strato d'humbucker en position chevalet (une avec un DiMarzio "Super Distortion" DP100 et une autre avec DiMarzio XN2, considéré à l'époque comme l'un des plus puissants. Sur l'une d'elle, un DiMarzio SDS-1 en position manche. Seule le micro du milieu reste d'origine - pour l'instant). Autre vertu au crédit d'Eddie Clarke, jamais il ne surjoue. D'ailleurs bien qu'ayant été affublé du surnom de "Fast" par Lemmy, à sa grande surprise, il joue rarement rapidement. Si Philty Taylor, qui porte bien son surnom d' "Animal", a bien du mal à ralentir son tempo et sa force de frappe (en comparaison, le lapin de duracell ne fait pas le poids), si Lemmy occupe un large espace en jouant souvent carrément des accords sur sa Rickenbacker 4003, la cognant sans ménagement (avant d'intégrer Hawkwind, il était guitariste), Eddie se contente de jouer plutôt calmement en laissant respirer ses accords, parfois par touches comme s'il apportait des couleurs. Le "Fast" imposé viendrait plutôt de ses soli, cependant, Eddie lui-même dit sans détour, et avec une humilité plutôt rare dans le milieu, que cette impression de rapidité vient du fait qu'il joue souvent rapidement la même note en aller-retour.

     Désormais, il y a un avant et un après Motörhead. D'autant que ces flibustiers envoient une deuxième dose dans l'année, tout aussi marquante. Si "Bomber" ne possède pas l'impact d'une ouverture avec un titre du gabarit d'"Overkill", l'album se révèle plus équilibré. Le plus incroyable peut-être, c'est qu'un tel album, sans concessions, d'une brutalité telle qu'elle ridiculise la majorité des formations punks (1), parvient à bien se vendre en Europe, y compris en France où le groupe va gagner de nombreux fans fidèles, leur permettant d'y tourner régulièrement. Et par la même occasion, de frayer avec quelques groupes du cru (on retrouve d'ailleurs la voie mélodieuse de Lemmy sur une poignée de chansons de Rock français).


   Bien qu'ici classé dans la catégorie "Heavy-metal" - because débit sonore, la voix d'ours et la batterie tout à donf -, Lemmy et Eddie Clarke se sont toujours défendus d'être "Metal", arguant que ce qu'ils jouaient n'était que du Rock'n'roll - voire du Heavy-blues pour Eddie - mais certes joué en force et à fond les manettes. C'est pour mettre les choses au clair que Lemmy entamait toujours les concerts par un sempiternel et simple "We are Motörhead and we play Rock'n'roll". Ce qui ne les empêche pas d'être promu parmi les fers de lance de la NWOBHM.


     La pochette a été réalisée par Joe Petagno, créateur du Snaggletöoth, l'emblème du groupe présenté sur l'album éponyme. Si son travail pour Motörhead reste le plus connu, en devenant pratiquement leur illustrateur attitré (avec bien une douzaine d'illustrations), il a aussi fait de nombreuses couvertures de livres de SF, et s'illustre rapidement dans le monde du rock via les pochettes d'album. A commencer peut-être par celles de "Whatever Turns You On" de West, Bruce & Laing (pas vraiment du meilleur goût) et du "High On the Hog" de Black Oak Arkansas en 1973. Puis, il enchaîne avec celles de Three Man Army ("Two"), des deux premiers Baker Gurvitz Army ("Elysian Encounter" en double pochette), de Graeme Edge Band (toujours avec Ardian Gurvitz dans les parages), De Nazareth, Renaissance, Roy Harper, Sweet, Kinks, Man. Evidemment, son travail pour Lemmy engendre une forte demande des métalleux, et Petagno se retrouve quasiment cantonné aux franges extrêmes du Métôl, avec des pochettes où se mêlent démons, guerriers, combats, sacrifices, violence, désolation et autres bonnes choses.

Face A
No.Title
1."Overkill"5:12
2."Stay Clean"2:40
3."(I Won't) Pay Your Price"2:56
4."I'll Be Your Sister"2:51
5."Capricorn"4:06

Face B
No.Title
6."No Class"2:39
7."Damage Case"2:59
8."Tear Ya Down"2:39
9."Metropolis"3:34
10."Limb from Limb"4:54
Total :35:15

(1) Motörhead, avant même la sortie de cet opus, est l'un des rares groupes à réunir à leurs concerts punks et autres rockers, à une époque où les communautés pouvaient pour un rien se fritter.


 
🎶🪓

7 commentaires:

  1. Bonne idée de réhabiliter overkill (et de quelle façon!), ce disque est tout bonnement fabuleux. Et s'il n'est pas le meilleur de motörhead c'est uniquement parce que leur premier album est encore plus sauvage. Le groupe perdra hélas cette intransigeance qui fait la puissance de ces deux disques, bomber est bâclé et ace of spades est un album de compromis à la production trop léchée (ce qui explique qu'il soit le préféré de beaucoup), iron fist aurait pu retrouver un peu de cette folie hallucinatoire, mais comme pour bomber les compos sont faibles. La suite, et même si another perfect day à quelques bons moments, ce n'est plus motörhead, sans fast eddie (et je ne parle même pas sans philthy animal) le groupe perd toute son identité.

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    1. Ben, moué, j'l'aime bien le "Bomber".😲 Si, si. Beaucoup même. Déjà, il a réussi à m'extirper du lit ce matin (et, en ce moment, ça traite de l'exploit 😁). Non mais, ne serait-ce que "Bomber", le morceau. C'est une bombe. Et puis j'adore le dytique "Lawman" et "Sweet Revenge". Du Blues halluciné passé au rayons Gamma. Et puis, et puis, "Stone Dead Forever", où comment se mettre à chanter à tue-tête sur une chanson de gros barbares. 😉 Sans oublier "Poison", "All The Aces" et ce fameux blues lavique, "Step Down", sortant des entrailles de la terre, chanté par la voix défaillante de feu-l'ami Eddie.
      Bon, après, peut-être que je manque d'objectivité parce que c'est avec "Bomber" que je me suis initié au trio infernal 😁

      Hélas oui, "Iron Fist", est en comparaison une déception. C'est encore un bon album mais il semble que la magie n'opère plus comme avant. Eddie s'était un peu retrouvé seul en studio à faire le factotum, tandis que les deux flibustiers allaient courir la gueuse.

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    2. Je trouve également que le départ d'Eddie a été une perte marquante pour Motörhead. En dépit de musiciens indéniablement talentueux, probablement même meilleurs techniquement, la machine a rarement réussi à renouer avec l'étonnante alchimie du trio historique (enfin, celui d'Eddie-Philty).
      Toutefois, sur le sujet, les avis sont partagés.

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  2. Ben curieusement, je ne trouve pas le premier titre "Overkill" aussi hallucinant que cela, d'autres qui suivent sont vachement mieux ! Certes, le tempo martelé à la double grosse caisse a de la gueule. "promu parmi les fers de lance de la NWOBHM" : si j'ai bien suivi mes cours à la fac (option 12 mesures), le heavy metal et la NWOBHM se distinguent du hard-rock par son absence d'influence blues. Des groupes davantage venu de la sphère progressive. Or je trouve qu'il y a un fond très blues dans Motorhead, même très rock tout court, basique, comme le définit Lemmy ("we play Rock'n'roll"). Son compositeur préféré reste je crois McCartney, les Beatles des débuts, Lemmy a gardé ce goût pour les compositions courtes, refrain/couplet, comme tu le dis, le volume sonore et le tempo en plus. Mais pas de titres alambiqués et cabrioles de solos.

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    1. Pas seulement les beatles du début, son disque préféré était le double blanc et pour ce qui est des titres pas alambiqués, pas vraiment en fait. Les titres simplistes qui filent comme des balles (mais restent relativement inoffensifs) sont venus avec le formatage de ace of spades, mais avant ça il y avait toujours des morceaux disons lyriques, iron horse/born to lose, metropolis (fast eddie multiplie les solos), capricorn, keep us on the road (et son épique solo de basse), il y avait là une certaine ambition et une grosse influence de Hawkwind avec une espèce de prog rock sulfureux gavé d'acides.
      Au passage, il faut souligner la magnifique production de Jimmy Miller sur overkill et bomber.

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    2. Oui, Luc, tout à fait. Il y a un certain paradoxe entre le Motörhead faisant partie des "premiers de cordée" de la NWOBHM et son attachement à ses racines rock'n'rolliennes et (hard-)blues. Des racines néanmoins qui s'effritent au fur et à mesure des ans. Mais qui ne manqueront pas de resurgir.
      De mémoire, Lemmy était aussi un grand fan du Rock'n'roll des pionniers et plus particulièrement de Little Richard. il semblerait d'ailleurs que Lemmy ait transposé des plans rock'n'roll sur sa basse. Ou plutôt, qu'il a tenté de les adapter. Contrairement à l'opinion générale, Motörhead n'est (n'était ?) pas si bourrin que ça. Certes, lorsqu'on le prend en pleine face, on peut avoir la sensation d'un mur sonore arriver devant vous, telle une vague de méga tsunami. Cependant, on peut remarquer qu'il y a un gros travail de coordination avec des poignées de petits plans qui s'imbriquent de part et d'autres. Comme le souligne Ranx, les soli de basse.

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  3. Tiens, je me souviens d'une interview assez récente de Ian Gillan, à la question "comment définir Deep Purple, c'est très rock, parfois blues, progressif, hard..." il répondait : on fait juste de la pop !

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