- Deux chroniques en classique la même semaine Claude ? Pas de livre pas de film, même un nanar hilarant comme ""La petite boutique des horreurs" de Roger Corman que tu nous a prêté… Quelle rigolade avec Nema !!!
- Question de tempo comme on dit Sonia. Ce papier était en route depuis
un certain temps. Pour le film, je n'avais pas le temps…
- C'est chouette ces voix masculine/féminine que j'entends. Cela doit être un sacré boulot pour que ces gaillards chantent de cette manière, un peu comme les castrats de l'époque baroque, celle de Purcell justement…
- Oui Sonia et justement, il n'y a pas un concours de talent dans ce billet. Alfred Deller fut le premier à rechercher ce style de tessiture à l'ancienne, Andreas Scholl en est l'un des meilleurs héritiers, mais il y en a d'autres…
- Ah, il y a le fameux air du froid… glagla…
- Forcément, et d'ailleurs Andreas Scholl dédie son interprétation à l'extravagant rockeur allemand Klaus Nomi dont les incroyables possibilités vocales de contreténor à baryton lui avait permis de ressusciter cet air de Purcell, un hommage à un artiste fauché par le Sida à 39 ans !
Nota : en utilisant le mot tempo, je brocarde un tantinet nos chers politiciens de tout bord qui se gobergent de mots "modernes" souvent empruntés à la rhétorique du monde scientifique et numérique : l'ADN, l'algorithme, le logiciel, la soutenabilité, et patati et patata… Bref, le vocabulaire de la logique pour soutenir des idées fumeuses qui n'en ont pas toujours… de la logique 😊.
Henry Purcell (1659-1695) |
39 ans, c'était bien jeune pour mourir pour
Klaus Nomi (1983), surtout abandonné de tous car le mode de
contagion était mal connu au début de l'épidémie de cette saloperie… On peut
faire la même remarque à propos des vies écourtées pour
Purcell
emporté à 36 ans par la tuberculose. Déjà que l'Angleterre n'a pas connu de
très grands compositeurs à l'inverse des allemands, italiens et français, le
plus brillant baroqueux british n'a pas eu le temps de parfaire son art. (Je
rappelle que
Haendel
est allemand, expatrié, mais allemand.) Il y a une biographie à lire et un
commentaire sur deux de ses plus belles partitions : les
Odes
pour
l'anniversaire
et pour les
funérailles de la reine Mary
(Clic).
Je ne reviens pas en détail sur ce sujet. Les deux albums de ce jour sont des anthologies destinées à magnifier le génie mélodique de Purcell appliqué à la voix. Il y a des redondances dans les deux programmes. Peu importe…
Dans les deux sélections d'airs célèbres, les chanteurs sont accompagnés par des ensembles ou instrumentistes hors du commun, ce qui fait un double intérêt à l'écoute. Pour ce petit lundi, je ne commenterai pas les œuvres, les disques se présentant comme des albums de chansons ou de morceaux de blues ou de rock. On n'épluche pas de manière musicologique.
Castrats, contreténors et hautes-contre
La place des femmes comme chanteuse n'a pas toujours été admise, que ce
soit sur une scène d'opéra princière ou un lieu de culte, église et temple !
En cause, la toute puissance du Vatican qui leur en interdisait l'accès,
règle reprise par les courants luthériens et dérivés. Ah sur ce sujet, il y
avait une entente cordiale…
Jusqu'à la Renaissance, la musique dite classique est essentiellement religieuse. Les manuscrits qui nous sont parvenus ont été rédigés dans les monastères. Là, pas de problème, les hommes : bâtiment A, les femmes : bâtiment B.
Alfred Deller |
Dès la fin du XVIème siècle et surtout vers 1600 avec
"l'invention de l'opéra", la situation se complique. Il y a des personnages
des deux sexes dans le théâtre Lyrique. On considère souvent que
Orfeo
de
Monteverdi
en 1600 est le premier opéra au sens du terme.
Eurydice est un femme et
Orphée un mec sans vouloir torpiller
les diverses théories du genre. Les quatre tessitures de base sont déjà dans
l'air du temps : soprano, alto, ténor et baryton/basse. Soprano et altos
sont des gamins dotés d'une jolie voix. Les effectifs modestes requis pour
la liturgie le permettent.
Haydn
chantera comme soprano dès sept ans. Cela dit, un gamin de cet âge chantant
Eurydice pose problème : se travestir, pas tellement ; par contre, la
petite taille, l'absence de puissance vocale exigée, l'importance du rôle
dans la durée, alors là, rien ne va plus…
Qu'à cela ne tienne, la papauté a des solutions à tout. Inspirées par la
pureté des voix des eunuques des harems dans la culture arabo-andalouse, les
autorités religieuses ont une idée diabolique (bizarre ça de la part des
saints hommes) : les castrats.
Tout le monde connaît plus ou moins le principe né en Italie. On recrutait contre monnaie sonnante et trébuchante, des préados de huit à douze ans repérés dans les classes modestes voire pauvres. Un "chirurgien" bloquait par diverses méthodes mal connues le fonctionnement normal des testicules (Clic). La croissance n'était pas en principe affectée, sauf le larynx qui n'atteignait pas la maturité de l'adulte en l'absence de mue. Le "sujet" gardait sa voix au timbre aigu mais avec la force déclamatoire d'un adulte. Il ne faut pas se leurrer, si Farinelli enchanta les oreilles du public du siècle des lumières, certains de ces marmots devenaient obèses, pouvaient parfois muer, souffrait psychologiquement de leur sexualité indéfinie, et certains… mourraient des suites de l'intervention par des charlatans. Mais, dans la limite de la norme des décès de l'époque disait-on ! L'histoire du célèbre Farinelli (1705-1782) a donné lieu au tournage d'un film biopic en 1994. Un film dramatique et touchant, mais la voix "collée" au personnage interprété par Stefano Dionisi n'est hélas qu'un mixage électronique entre celles du contre-ténor Derek Lee Ragin et de la soprano colorature Ewa Mallas-Godlewska.
Alessandro Moreschi |
XXXXX |
Pour se faire une idée plus réaliste de la voix de castrat, on ne dispose
que de quelques rouleaux de cire enregistrés au début du XXème
siècle (vers 1902-1904) par
Alessandro Moreschi
(1858-1922), le dernier castrat de cette étrange et douloureuse
histoire. Ecouter la
vidéo
opposant le chant de
Moreschi
après restauration et celui de
Philippe Jaroussky, contreténor français.
Philippe Jaroussky, un miracle dû à un travail acharné avec son aîné
Gérard Lesne. Écoutez-le aussi dans
Vivaldi,
le Nisi Dominus
&
Stabat Mater
(Clic)
En 1770, le pape Clément XIV interdit la castration et permet
aux femmes de chanter dans les édifices religieux. Il y aura des prélats
récalcitrants comme
Mgr Hyacinthe-Louis de Quélen, l'archevêque de
Paris pendant la Restauration, ce qui amènera
Luigi Cherubini
à écrire un requiem uniquement pour chœur d'hommes seuls en
1836 (Chronique dans une quinzaine). Une tolérance qui ne sera pas
remise en cause même pendant le pontificat du très réactionnaire pape
Pie IX (de 1846 à 1878), en lutte vigoureuse contre les
idées libérales et républicaines du XIXème siècle pour tenter de
préserver l'absolutisme de l'Église (Infaillibilité pontificale, Immaculée
conception, et une liste sans fin de pêchés stigmatisant la liberté de
pensée, la pratique de la franc-maçonnerie, etc.). En résumé, pendant la
période classique et évidement le romantisme, des divas et des chœurs
féminins à côté des messieurs s'imposeront enfin.
Constance Weber-Mozart
chantera
la reine de la nuit
! Même les messes et oratorios baroques pourront être chantés par des
groupes vocaux mixtes de plus en plus importants, pour ne pas dire à
l'excès.
Quand je vous invite à écouter Moreschi et Philippe Jaroussky, une idée vient à l'esprit : les compositeurs de l'époque baroque devaient accorder la partition instrumentale et la ligne de chant vocale en tenant compte de la tessiture et du timbre très particuliers des castrats. Depuis près de deux siècles, sopranos, mezzos, altos et contraltos avaient repris les rôles avec bonheur (encore un projet : Judith triomphante de Vivaldi dirigé par Vittorio Negri avec un plateau de divas fabuleux). Alfred Deller va changer la donne…
Andreas Scholl |
Alfred Deller
voit le jour en Angleterre en 1912. L'Angleterre, le pays des chorals
et des oratorios dominicaux jusque dans les patelins les plus reculés. Le
jeune
Alfred
possède une très belle voix de soprano qui, étrangement mue vers un timbre
de ténor très léger alors que sa superbe barbe pousse… Il parvient, seul, à
retrouver la voix de tête, la technique où seule la partie supérieure des
cordes vocales est sollicitée ; il redécouvre la voix de haute-contre ou
contreténor disparue depuis la mort de
Moreschi
!
En 1943, le compositeur
Michael Tippett
le remarque dans des interprétations sublimes d'airs de
Purcell.
Tippett
le propulse dans une carrière prometteuse dans laquelle le chanteur
magnifiera le répertoire ancien grâce à son timbre cristallin, la souplesse
stupéfiante de la ligne de chant tant au niveau des modulations que du
rythme. Il chantera à Canterbury et à Londres et fondera en 1948 le
Deller Consort, un petit groupe mixte de quelques chanteurs qui ressuscitera le style
vocal Elisabéthain. Le groupe existe toujours, le fils ayant pris la
succession du père à la mort de celui-ci en 1979. Le répertoire s'est
étendu de la musique baroque britannique à d'autres registres tels
Dieterich Buxtehude,
Bach…
À la même époque,
Nikolaus Harnoncourt,
Gustav Leonhardt
et quelques autres aventuriers de l'authenticité dans l'interprétation du
baroque redécouvrent l'usage des instruments anciens et donc recourent au
chanteur anglais. On ne sera pas surpris de voir
Alfred Deller
accompagné de
Wieland Kuijken
(viole de gambe),
William Christie
(clavecin), ce dernier deviendra un inventif interprète de la musique
baroque, et
Roderick Skeaping
(violon, alto, viole).
Alfred Deller
révolutionne ce type de chant de tête qui simule au mieux celui du larynx
immature des castrats. L'artiste sera à l'origine des carrières de la
première génération de contreténors aux qualités vocales ensorcelantes :
James Bowman,
René Jacobs
ou
Gérard Lesne… Une première génération qui formera la seconde dont
Andreas Scholl
fait partie.
Philippe Jaroussky
né en 1978 succède à ces pionniers…
Dans la chronique consacrée au
Stabat mater
de
Pergolèse
dirigé par
Christophe Rousset
(Clic), j'écrivais en 2012 (déjà !) "Le contre-ténor allemand Andeas Scholl est né en 1967. Dès l'âge de 7 ans il chante dans une
maîtrise de garçons. Jusqu'en 1993, il étudiera avec René Jacobs à la Schola Cantorum de Bâle. Sa voix déliée et aérienne de haute-contre le destine tout naturellement
au chant baroque. Il participe à de nombreux concerts et enregistrements
avec les chefs de file du baroque comme
René Jacobs,
William Christie,
John Eliot Gardiner et
Christophe Rousset. Parmi ses disques, je citerai en priorité les
cantates
de
Bach
pour Alto avec
Philippe Herreweghe et des airs de
Haendel
accompagnés par l'Akadémie für Alte Musik Berlin (2 CD Harmonia Mundi)."
Pour ce disque d'Andreas Scholl dédié à des airs de Purcell, beaucoup de couleurs instrumentales sont apportées par Accademia Bizantina dirigé par Stefano Montanari.
Andreas Scholl O solitude |
Alfred Deller Music for a While |
1. If Music Be The Food Of Love 2. Sound The Trumpet
3.
Come, Ye Sons Of Art, Away (1694) Ode For The Birthday Of Queen
Mary II 4. Purcell : Chacony, Z628 5. King Arthur (1691) / Act 5 - Fairest Isle 6. King Arthur (1691) / Act 3 - What Power Art Thou (Air du froid) ? 7. Chacony In G Minor Z730 8. One Charming Night Z629 9. Pausanius (1695), Z585 - Original Version - Sweeter Than Roses 10. Dido And Aeneas / Act 3 Z626 - When I Am Laid In Earth - Dido's Lament 11. The Gordian Knot Untied - Music For The Gordian Knot Unty'd Z597 12. Ode For St Cecilia's Day, ''Welcome To All The Pleasures'', Z339 - Original Version 13. Oedipus King of Thebes - Music For A While, Z583 14. O Dive Custos Auriacae Domus, Z504 15. O Solitude, My Sweetest Choice, Z.406 16. Pavan In G Minor, Z.752 17. An Evening Hymn, Z 193 |
1. The Plaint 2. If music be the food of love 3. he Indian Queen: I attempt from love's sickness 4. King Arthur: Act V, sc. 2 : Fairest Isle 5. Sweeter than roses 6. Not all my torments 7. hrice happy lovers 8. An Evening Hymn 9. From rosy bow'rs 10. O lead me to some peaceful gloom 11. Retired from any mortal's sight 12. Music for a while 13. Since from my dear Astrea's sight 14. O Solitude |
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