mercredi 21 septembre 2022

WHISKEY MYERS " Tornillo " (2022), by Bruno



     Sur les dix dernières années, les nouveaux espoirs d'un (éternel) renouveau southern-rock sont finalement peu à avoir confirmé. Ils étaient pourtant nombreux à se bousculer sur le podium de la nouvelle garde du genre. Hélas, pour diverses raisons, au fil du temps, certains, et non des moindres, ont fini par abdiquer. En premier lieu, ceux qui ont été fort mal desservis par une presse qui - étonnamment - ne se focalise que sur les mêmes. Comme si chaque journal, chaque critique, se mettait d'accord pour ne regarder qu'une niche bien réduite. Sûrement celle embrassant les groupes riches d'un management des plus offensifs et efficaces. A titre d'exemple, les fabuleux Screamin' Cheetah Wheelies, en dépit d'un lot d'excellents albums ont fini par rendre leur tablier. Ainsi que  Tishamingo, Catawonpus, The Delta Saints. Les spots ont été braqué sur Black Stone Cherry alors qu'il serait plutôt considéré comme un groupe de (gros) Hard-rock, et plus justement sur Blackberry Smoke (le "black" semble très porteur dans la musique populaire). Néanmoins, malgré ses indéniables compétences, ce dernier peine depuis quelque temps à réaliser un album tenant la route de bout en bout.


   A côté, il y a le quintet Whiskey Myers qui, dès son premier essai en 2008, "Road of Life", soit un an avant le "Little Piece of Dixie" de Blackberry Smoke, réalise un disque quasi miraculeux, redorant le blason poussiéreux du Southern-rock. Certes, les références évidentes s'y bousculent, et le groupe ne cherche pas vraiment à renouveler le genre, mais l'indéniable qualité de composition et d'interprétation s'apparente plus au travail de vieux briscards aguerris qu'à celle de jeunots.

     Whiskey Myers a peut-être le tort de ne pas s'efforcer de sortir des disques régulièrement, ne prenant même pas la peine de sortir un live pour combler les espaces entre deux ou trois galettes. Méthode pourtant bien en usage dans ce milieu, parfois jusqu'à l'excès. Non, ces messieurs préfèrent prendre le temps de réaliser et sortir leurs albums. Seulement six albums en quatorze ans. Probablement une hérésie pour la plupart des managements et des maisons de disques, mais le résultat est une discographie pratiquement irréprochable. Evidemment, tout n'est pas parfait, mais parmi les groupes actuels de Southern, et ce malgré des albums copieux, rares sont les morceaux inconsistants. Probablement parce que le groupe prend son temps pour finaliser ses compositions. Leur (relative ?) indépendance le leur permettant. Rappelons que le groupe a fondé son propre label, Wiggy Thump Records, pour garder autant que possible son autonomie. Et pour être sûr de ne pas dévier de leur chemin sous l'influence d'un gourou (du son), le groupe se produit lui-même. Cela depuis 2019, et vu la qualité et la richesse de leurs deux albums auto-produits, il n'y a aucune raison pour changer de politique.

     Sur leur précédent opus éponyme sorti en 2019, le combo sort de sa zone de confort avec des chansons qui épousent avec maestria un hard-rock solide et mordant. Bien sûr, la frontière entre ce que l'on nomme généralement Southern-rock et le heavy/hard-rock est des plus floue. D'ailleurs depuis l'avènement des Blackfoot, Hydra et autres Point Blank, les plus acharnés des musicologues y perdent leur latin. Et depuis, c'est pratiquement devenu naturel de fusionner les références Hard et Southern. Hélas, depuis ce siècle, nombre de jeunes rockers "sudistes", bien qu'assez talentueux, ont tendance à privilégier la distorsion et le volume au feeling et au rythme, peinant alors dans les ambiances "roots" et acoustiques. Pas Whiskey Myers. (certains critiques nostalgiques aux esgourdes délicates restent bloqués sur le souvenir des Allman Brothers, Outlaws et Lynyrd Skynyrd  d'antan, persuadés que rien de vraiment bon dans le genre n'est sorti depuis les early 70's).


   Avec ce dernier disque, la tonalité générale donne l'impression que le sextet est revenu à un Southern-rock plus proche des racines et de leur premier opus. Il y aurait un peu de ça, cependant, le groupe n'a absolument aucun a priori pour picorer deci delà divers autres ingrédients. D'ailleurs, avant de s'enfermer dans des recettes éculées, le Southern-rock ne s'autorisait pratiquement aucune limite ; d'où la richesse développée par l'ensemble des groupes des 70's. Ainsi, pour commencer, les cuivres sont de nouveaux un peu plus présents ; à croire que l'album aurait été enregistré dans les mythiques studios du Muscle Shoals. Mais que les allergiques aux cuivres se rassurent, et ne se fient pas à l'introduction, l'instrumental "Tornillo" où ils sont seuls à s'exprimer. Bien qu'omniprésents, ils demeurent plus un accessoire qui, s'il donne effectivement de la consistance et de l'entrain à la musique, reste un pas en arrière, laissant toute la place au groupe. Les chœurs semblent aussi désormais indissociables. Composés des McCray Sisters, quatuor d'authentiques sœurs - dont l'une est récemment partie pour d'autres cieux - œuvrant dans le Gospel et le Rhythm'n'Blues et auteur de quatre albums, et de Kristen Rogers, chanteuse de Country et de sessions - appréciée, on l'a retrouve sur un grand nombre de disques principalement enregistrés à Nashville (Shooter Jennings, Rival Sons, Brent Cobb, Marcus King, Chris Young, Kid Rock, A Thousand Horses, California Breed de Glenn Hughes, Anderson East, Whiskey Myers depuis "Mud" ).

     Cette formation de Palestine (Texas) a su assimiler et retranscrire une tradition liée tant au Southern-rock qu'au Country-rock, sans s'interdire diverses colorations apportées par des influences extérieures. Sa force, c'est que quelque soit cette dotation, jamais les texans ne renient ni ne ternissent leur héritage. Ils restent toujours liés à ce Southern-rock, dont le trépas a été maintes prédit.

    Ainsi, "John Wayne" recèle des éléments funky, encouragés par la basse qui reprend (pure coïncidence ?) le rythme d'un hit néo-funky-new-romantic en plastoc des 80's, plus tard appuyée par les cuivres. Ce qui n'empêche pas les guitares de discourir comme de rudes galapiats, d'envoyer la sauce, même si ça menace parfois de tomber dans le disco-heavy à la Kiss. Oui, c'est bien ça : un hérétique Heavy-Southern-disco. Et non seulement ces voyous ouvrent leur album avec, mais en plus en font leur premier single et clip. De la pure provocation dans un milieu qui, lui aussi, a eu tendance à se scléroser. Funk encore dans "Bad Medecine" qui, bien que débutant comme un slow-blues classique, dévie rapidement vers un funk-rock-blues de plus en plus étoffé, avec force cuivres et chœurs extatique et wah-wah bouillonnante (une authentique Vox vintage).


 Sur "The Wolf", la syncope du chant de 
Cody, le rapproche du rap - hérésie ! -. Dans le même genre de traitement dont use et abuse Kid Rock, ainsi que, certainement plus à propos, The Cadillac Three. De ce trio de Nashville, on rapprochera aussi le mid-tempo appuyé, le Heavy-honky-tonk "Whole World Gone Crazy"  "... On me parle politique en me disant de prendre position. Dis si tu es de droite ou de gauche, ou inconstant parce qu'on ne peut jouer au milieu. Quel chemin vas tu prendre ? Mais moi, je n'essaie que d'être en règle avec l'Homme. Pardonne-moi mes péchés, je ne comprend pas. Je ne suis qu'un bon vieux garçon essayant de joindre les deux bouts. Est-ce moi où le monde est devenu fou ? "

   "Antioche", fricote plus avec un Blues-rock bien épais, voguant entre ZZ-Top et un Gov't Mule cuivré. Morceau légèrement boueux, à peine expurgé par les cuivres et des chœurs  en concordance avec la chanson évoquant l'enfance traumatisante d'un garçon baignée dans la violence, finissant irrévocablement sa vie dans la violence.  "Ses yeux sont injectés de sang. Papa est parti, il avait l'habitude de la battre. Je pouvais entendre les cris. Ce n'est pas réparable. Je le déteste tellement, même si je porte son nom. Mais un jour ça changera, lorsque je serai grand. Cache les bleus et les cicatrices, et prétends que c'est un foyer heureux... Ils disent que je suis le produit de mon éducation, mais maintenant je travaille pour l'Oncle Sam. Je deviens plus fort et méchant. J'apprends à tuer... Il m'ont enfermé à Coffield. Je suppose que j'ai eu une petite soif de sang des nuits de Falloujah (1)

   Les puristes les plus intégristes pourront toujours se rabattre sur un "Feel's" enlevé, digne successeur du Lynyrd Skynyrd original ; ou "Mission to Mars" qui, en dépit de son titre, s'installe dans un Country rock traditionnel, apte à entamer une line dance. Le morceau traite avec humour du désarroi d'un pauvre hère ne pouvant plus vivre de sa terre désormais polluée, se réfugiant dans des fantasmes où il pourrait chevaucher quelques comètes pour rejoindre la nouvelle terre promise. "For The Kids" se conforte aussi dans un certain classicisme, s'inclinant plus vers la Country que vers le Rock; son sujet - présenté comme une lettre du chanteur à sa compagne - tourne autour du sentiment égoïste de parents courant après les fantômes d'une jeunesse passée, au risque de casser l'enfance de leur progéniture. 


 Voire sur le magique "Heavy On Me" se présentant d'abord comme une ballade aux doux parfums de matins printaniers, avec un sublime travail de guitares acoustiques, avant d'être percuté par une bourrasque de heavy-blues Zeppelien. Sublime. Une chanson de John Jeffers (le Gibson-man du groupe) qui puise son inspiration d'un grave accident de VTT avec un traumatisme crânien qui lui a failli lui couter l'audition ; le bougre s'est vu mal d'autant que son garçon devait naître. Ou encore en clôture, "Heart of Stone", une sombre et solitaire ballade acoustique, introspection sur les années passées et gâchées, et à la prétention d'une maturité difficile à atteindre. "Parfois, je regarde dans le miroir et n'aime pas ce que j'y vois. Et je me demande si un jour elle connaîtra mon côté sombre. Mon reflet ne serait qu'une coquille de vérité ? "

   Pour finir, "Other Side", d'aspect un peu brouillon avec ce chant bizarrement saturé, comme capté par un piètre micro de guichet, rode près de chez feu-Tom Petty, voire de Neil Young et de son Crazy Horse. 

     Pas de titre vraiment percutant, au refrain ou au riff catchy, qui harponne les synapses à la première écoute, mais un album solide, qui pourrait s'imposer comme un parangon actuel du genre. Sans recourir au moindre abattage médiatique, Whiskey Myers s'installe dans le club restreint des apôtres d'un Southern-rock des plus fiables et authentiques. 


No.TitreAuteursTemps
1."Tornillo" (instrumental)Cody Cannon0:47
2."John Wayne"
  • Cannon
  • Jamey Gleaves
  • Tony Kent
4:55
3."Antioch"Cannon4:05
4."Feet's"Cannon4:34
5."Whole World Gone Crazy"John Jeffers3:04
6."For the Kids"Cannon5:38
7."The Wolf"Cannon5:37
8."Mission to Mars"
  • Cannon 
  • Aaron Raitiere
3:50
9."Bad Medicine"Cannon5:12
10."Heavy on Me"Jeffers4:37
11."Other Side"Cannon4:47
12."Heart of Stone"Cannon4:25
Total  :51:37


(1) Ville d'Irak où se sont déroulés de nombreux combats. Notamment ce que l'on nomme guérilla urbaine. Des associations et une partie de la presse dénoncent le décès de nombreux civils, dont des enfants. Ils dénoncent aussi l'usage de bombes au phosphore blanc et de Napalm. On soupçonne aussi l'utilisation de munitions à l'uranium appauvri (initialement conçu contre les blindages tel que celui des chars d'assaut). La ville fait partie des lieux où les taux de cancers et de malformations auraient fortement augmenté. Le tireur d'élite Chris Kyle (un texan) - immortalisé par le film "American Sniper" - s'y était distingué.




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Autres articles / Whiskey Myers [liens] : ➽ "Road of Life" (2018)  ➽ "Firewater" (2011)   " Whiskey Myers " (2019)

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