mercredi 28 septembre 2022

SNAFU " Snafu / First - same " (1973), by Bruno



     Le nom de groupe SNAFU ne signifie plus rien aujourd'hui. Il n'évoque même pas un vague écho. Sauf peut-être pour les amateurs de musique des années 70, ou les personnes d'un certain âge. Pas pour les perdreaux de la veille. A la limite, les inconditionnels de Whitesnake, curieux du passé des (nombreux) musiciens qui ont fait un passage dans cette grosse machine de Heavy-rock. Car, en effet, l'un des fondateurs de ce groupe n'est autre que Micky Moody, le guitariste chapeauté et moustachu, fidèle lieutenant de Coverdale pendant plus de cinq années. Le guitariste qui a su garder et entretenir la flamme bluesy au sein du Serpent Blanc.


   Mais, au niveau des musiciens, l'intérêt de SNAFU ne se limite pas à Moody, qui n'est pas loin d'être ce qu'on se plaît à nommer un "super-groupe". En effet, on y retrouve aussi Bobby Harrison, également co-fondateur. Le malchanceux écarté de Procol Harum et qui n'a réussi à pérenniser un Freedom pourtant chargé de promesses. Bobby, initialement batteur, se dirige progressivement vers le chant.

     Peter Solley, homme de l'ombre, débutant comme musicien de studio avant de rejoindre Terry Reid (il joue sur ses deux premiers, dont le magistral album éponyme) puis le Crazy World d'Arthur Brown. Il fonde ensuite le méconnu, mais pas moins talentueux groupe de Rock-progressif, Paladin.

     Colin Gibson, bassiste qui suscite l'intérêt dès lors que l'irascible Ginger Baker l'entraîne dans Ginger Baker 's Air Force. Plus tard, on le retrouve aux côtés d'Alvin Lee, puis de Steve Howe et de Graham Bonnet.

     Bien sûr, donc, il y a Micky Moody, qui a déjà une sérieuse réputation au Royaume -Uni avec une carrière qui devient sérieuse dès 1968 (alors qu'il n'a pas encore 18 ans) avec la formation Tramline qui réalise deux disques de British blues dans la veine de Chicken Shack, guère renversant (en dépit de quelques bons moments sur le second essai - toutefois, il a des défenseurs qui le classe même parmi les groups de proto-Hard-blues). C'est surtout en intégrant Juicy Lucy en 1970, et en jouant sur les trois derniers disques, qu'il gagne ses premiers galons (1). Et enfin, à la batterie, Micky a sollicité son ancien collègue de Tramline, Terry Popple

     C'est lors d'une tournée commune, entre Juicy Lucy et Freedom, que Moody et Harrison apprennent à se connaître et à s'apprécier. Après la défection des membres de Freedom, Harrison s'empresse d'enregistrer un premier album solo (2). Pour cela, il s'adresse à Micky Moody pour l'épauler.. Finalement, le courant passant, tous deux décident de fonder ensemble un groupe. Bien décidés à frapper un grand coup ; un peu amers de rester en seconde division, malgré des disques tels que "Freedom", "Lie Back and Enjoy It", "Get a Whiff a This", "Pieces", voire "Through the Years".


     La musique de Snafu est totalement influencée par la musique américaine, et d'après les aveux de Harrison himself, en particulier par celle des Allman Brothers et plus encore par Little Feat; avouant sans détour qu'il s'agit de son groupe préféré. On retrouve bien - sans que cela soit trop marqué -, l'influence des Allman, - Snafu reprendra d'ailleurs "Don't Keep Me Wonderin " -, par contre celle de Little Feat est prégnante
. Référence plus affirmée sur les deux premiers essais. Cependant, l'approche de Snafu est plus âpre, plus rocailleuse, portant naturellement encore en elle les scories de Freedom et de Juicy Lucy. Soit plus porté sur le Blues et le Rhythm'n'blues que le sextet angelin. Et puis il y a la voix de Bobby, cette voix robuste, autoritaire, apte à broyer de la caillasse. Désormais, Bobby a définitivement lâché ses fûts pour se consacrer à plein temps au chant, ne s'octroyant qu'occasionnellement quelques exercices aux percussions. Chose plutôt rare à l'époque, et en général dans la musique Rock, mais musicalement, il s'agit d'un effort de groupe. Plus précisément, aucun des musiciens n'essaye de briller plus que les autres, de se mettre en avant dans quelques envolées sortant du cadre. Evidemment, Sholley et Moody placent naturellement quelques courts soli, mais cela reste toujours concis et approprié.

     Cependant, c'est bien sur du gros funk, en mode Caterpillar, que s'ouvre l'album. "Long Gone" serait un peu ce qu'aurait pu donner la rencontre entre Free et le Deep Purple Mark IV. Un comparatif peut-être un peu osé, lourd à porter, mais rien ne le contredit. Il y a aussi quelques liens avec le James Gang ère Tommy Bolin, qui va sortir l'album "Bang" quelques mois plus tard. Le laid-back "Said He The Judge" par contre, accuse volontiers le poids de Little Feat. Lors des deux break, objets d'accélération contrôlée, on remarque la maîtrise de Micky Moody à la slide qui, loin de jouer tout en force avec moult effets de dérapage, préfère construire des phrases sautillantes et gazouillantes. 


 Surprenant, "Monday Morning" repose totalement sur les épaules de Pete Solley. Non pas aux claviers, mais au violon pour un Country bastringue et campagnard où Moody en profite pour sortir la mandoline. Le contraste est des plus marqués avec  "Drowning in the Sea of Love". Unique reprise de l'album, une clef ouvrant aussi la voie à la Soul. Une bonne chanson de Joe Simon (3), composée par le tandem faiseur de tubes Kenneth Gamble et Leon Huff (4). Le morceau gagne ici en consistance grâce aux couches de guitare de Moody, dont une wah-wah à faire pâlir de jalousie toutes celles de la blaxploitation. Sur le dernier mouvement le morceau s'envole vers des sphères Santanaesques des plus goûteuses. La voie d'Harrison change de registre, de timbre en gommant ses aspérités pour se faire plus veloutée.

   "Goodbye U.S.A." s'accomplit aussi dans la Soul de qualité, soutenu ici par une basse ronde et imposante. Hélas, Solley, se prenant pour Bernie Worell, entache la pièce par des bidouillages de synthés datés et plutôt incongrus. "That's the Song", véritable explosion de joie, remet les pendules à l'heure avec un heavy-rhythm'n'blues à réveiller les morts. Solley taquine à la fois le piano et l'orgue, tandis que Moody crame sa pédale wah-wah sur un rythme funky torride et soutenu. (Cette pièce sera reprise par son co-auteur, Jerry Marcellino, sous le nom de J. Jocko, dans une version anémiée)

   S'il y a une chanson au tempérament marqué par le  Southern-rock, c'est bien "Country Nest". En particulier en raison d'un piano placé ici en avant et se situant alors entre Billy Powell et Leon Russell. Avec le retour du crin-crin de Sholley, "Funky Friend" va crotter ses bottes dans le champêtre. Sur un tempo relativement enlevé, il entraîne dans la danse cow-boys, tenancières, palefreniers, fermières, outlaws, pied-tendres, jusqu'à finir sur un rythme effréné, où les esprits - et les différences - s'oublient dans ce tourbillon hypnotique.

     La presse d'antan s'accordait pour dire que Snafu n'était pas un groupe très intéressant, sinon, à la limite, on pouvait s'attarder le troisième et dernier album : "All Funked Up". Ce qui est injuste. Par contre, que cela ne soit pas très "hard-rock", que cela n'est rien à voir avec Whitesnake, c'est un fait. Et peu probable que les amateurs de la face la plus dure de cette institution anglaise accrochent. Même si l'on retrouve à droite et à gauche (plus sur les deux galettes suivantes) quelques éléments que Moody récupèrera pour les soumettre à sa majesté Coverdale. Rien d'étonnant puisque Moody a été le compositeur le plus prolixe de Whitesnake, après Coverdale, de 1978 à 1982. Il es aussi le guitariste des deux disques solo de Coverdale (sur lesquels il co-signe quelques chansons). Leur trois disques sont d'un très bon niveau, joués par des musiciens d'excellence . Et ce premier et éponyme album est peut-être son meilleur. A mon sens, un album presque sans faute de goût (à l'exception des quelques légers bidouillages au synthé sur "Goodbye USA"). 

     Malheureusement, Snafu a misé sur le mauvais cheval en signant avec Patrick Meehan, le manager de Black Sabbath, qui venait de créer, avec son père, son propre label. La société ferme ses portes au bout de seulement deux ans. Raison pour laquelle les deux premiers opus de Snafu furent difficiles à dénicher jusqu'à leur édition en CD.

     Ha ! Oui, sinon S.N.A.F.U. est un acronyme de l'armée américaine signifiant "Situation Normal : All Fucked Up !". Littéralement "situation normale : c'est le bordel !". Soit "c'est la merde, comme d'habitude". C'est aussi le nom donné à un personnage de dessin animé réalisé spécifiquement pour l'armée américaine dans un but pédagogique. Comme si on s'adressait à des enfants...

Side one
No.TitleWriter(s)
1."Long Gone"Harrison - Moody5:18
2."Said He the Judge"Harrison, Moody, P. Solley4:25
3."Monday Morning"Harrison - Moody 3:00
4."Drowning of the Sea of Love"K. Gamble - L. Huff5:39
Side two
No.TitleWriter(s)
5."Country Nest"Harrison, Peter Solley5:14
6."Funky Friend"Harrison - Moody3.54
7."Goodbye USA"Harrison - Moody 4.25
8."That's the Song"Peter Solley, Jerry Marcellino4:27

(1) Auparavant, très jeune, il quitte sa ville natale, Middlesbrough (Yorkshire du Nord), pour tenter sa chance à Londres, avec le groupe The Roadrunners dans lequel on retrouve un Paul Rodgers qui ne va pas tarder à lâcher sa basse pour se consacrer pleinement au chant (grand bien lui en a pris)

(2) Cet album solo sera finalisé et édité en 1975, juste après que Snafu ait lui aussi sombré. Sur cet album, "Funkist", plutôt orienté heavy-funk et rhythm'n'blues, on retrouve aussi Tony Iommi et Ian Paice.

(3) Décédé le 21 décembre 2021

(4) Auteurs du fameux "Me & Ms Jones", ainsi que des "I'm Gonna Make You Love Me", "Cowboys to Girls", "Love Train", "For the Love of Money", "I Love Music"

P.S. : double pochette signée Roger Dean.



🎼✈
 Articles liés (liens) : Juicy Lucy 👉  "Lie Back and Enjoy It" (1970)  *** Freedom 👉 " Freedom " (1971) *** 
David Coverdale & Whitesnake  👉 "The story part one" (1976-1980)  *** David COVERDALE  👉 " White Snake " (1977)

5 commentaires:

  1. Bien que fan de Moody j'avais jamais entendu parler de ce groupe avant ta chronique ! Pour moi "Snafu" restait juste le titre d'un morceau du groupe East of Eden , ancienne gloire éphémère des seventies . Depuis la fin de White Snake je suis la carrière des deux guitaristes , mais j'avoue avoir un faible pour Bernie Mardsen que j'ai vu en live en 2019 à plusieurs reprises. Je possède quelques disques de Moody et Mardsen en duo et il y a de belles petites perles en particulier le live "The night the guitars came to play" . Les trois derniers Mardsen en solo sont aussi recommandables .

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    1. Je connais bien cet album live de ce sympathique duo de vieux compères. Un live sans esbrouffes, sans pathos, joué avec une décontraction rare et avec des musiciens en osmose. A mon sens, Bernie Marsden fait partie de ces guitaristes qui n'ont pas jouie d'une réputation au niveau de leur talent. D'autant que sa palette est bien large. Seule la période Whitesnake lui avait valu de justes honneurs. Il me semble que c'est Bonamassa qui a dit grand bien sur lui.

      J'aime bien les trois albums de Snafu qui naviguent entre Soul, Rhythm'n'blues, (gros) Funk et un Rock aux tonalités "sudistes". Toutefois, le dernier, "All Funked Up" marque le pas, semblant parfois se chercher (4 reprises / 10 pièces) ; c'était pourtant l'album généralement conseillé par la presse (française), le seul à écouter (si on a du temps à perdre)... Ils n'avaient probablement dû écouter que la première face 😊

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  2. Au sujet de Micky Moody, deux de ses albums solo, "I Eat Them for Breakfast" et "Don't Blame Me", sont deux petites perles à mettre à l'abri au coffre. 😁

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  3. je note pour les disques de Moody que tu conseilles ! Merci. Effectivement Bonamassa a Bernie à la bonne ! J'ai eu le plaisir de les voir ensemble en concert en 2019 et je peux te dire que c'etait jouissif!

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    1. Avec une telle affiche, je n'en doute pas 😊

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