mercredi 20 avril 2022

FREEDOM "Freedom" (1971), by Bruno



     Nombreux sont ceux proclamant que dans la vie, pour réussir dans quelque domaine que ce soit, il n'y a pas que la volonté et les capacités, mais aussi la chance. La chance d'être là au bon moment, de rencontrer au moment opportun les personnes adéquates ; tout cela ferait partie intégrante de ce facteur chance. Dans le cas de Bobby Harrison, il semblerait effectivement qu'en dépit de ses talents, de ses aptitudes de musicien et de compositeur, à l'encontre de toute logique, il ne soit jamais parvenu à faire décoller une carrière musicale pourtant prometteuse. Il fait partie de cette longue liste de beautiful losers des années 70 qui malgré tout, ont réussi à gagner le respect d'un certain public. En Angleterre, une biographie.


     Bobby Harrison
a pourtant touché de près le statut envié de célébrité dès 1967, en étant membre de la mouture de Procol Harum qui a enregistré le fameux "Whiter Shade of Pale". Avant que Gary Brooker, le chanteur, décide d'embaucher deux musiciens de son groupe précédent, The Paramounts. Injustice, lui-même et son autre compagnon débauché, n'apparaissent même pas sur le clip-vidéo (l'un des premiers) du méga-tube.

     Les deux victimes fraîchement débarquées ne s'apitoient pas longuement sur leur sort, et rebondissent prestement en fondant un nouveau groupe qu'ils baptisent "Freedom", et en embauchant un chanteur et un claviériste. Deux singles empreints de psychédélisme sortent rapidement, sans faire de vagues. 

     La chance... fait une entrée par le biais d'un certain Dino de Laurentiis. Un producteur italien qui ne va tarder à se faire un nom en Europe et aux Amériques avec des films à gros budgets (pas toujours finauds) - "Barbarella", "Death Wish", "Les 3 jours du condor", "King Kong" (de 1977), "Bison Blanc", "Flash Gordon", Conan", "Conan le Destructeur", "Kalidor", "Peur Bleue", "Dune", "L'Année du dragon", "Maximum Overdrive", "Desperate Hours", "Breakdown". A partir des années 80, sa compagnie sera notamment connue pour ne pas prendre de risques en se contentant de produire quelques suites bancales et de pâles copies de films fantastique et d'action. Mais auparavant, en 1969, il cherche un groupe anglais abordable financièrement, afin d'inclure dans la B.O. de son dernier film,  "Nerosubianco" (ou "White and Black" en version anglaise), le son Pop-rock et psychédélique du swinging London. Rien de singulier, néanmoins le groupe en composant une musique entre les Small Faces et Pink Floyd, réalise une musique qui, aujourd'hui encore, est appréciée par les amateurs du genre.

     Cependant, Bobby Harrison est séduit par l'explosion du British-blues et par ce nouveau son agressif et ramassé, généré par une ribambelle de jeunes chevelus, férus de Blues mais aussi traumatisés par Hendrix et Clapton. Ces prophètes d'un nouveau genre bientôt nommé heavy-rock ou hard-rock. La formation est remaniée en fonction. Harrison ne s'embarrasse pas des détails et met tout le monde dehors - c'est son groupe - et repart à zéro avec de nouveaux venus. Il recrute un multi-instrumentiste en la personne de Walter Monaghan, ancien membre de Rust, groupe de Rock psychédélique ayant réalisé un disque "Come With Me" en cette année 1969. Monaghan est capable de passer de la basse à la guitare ou aux claviers, d'assurer le chant et de composer. Et Roger Saunders, le guitariste de The Washington DC's. Un gentil groupe Pop qui a sorti une poignée de singles. Harrison a une mauvaise expérience avec les chanteurs, ces paons avides d'adulation, à commencer par son éviction de Procol Harum. C'est en conséquence qu'il fonde un trio, ou chacun assure plus ou moins le chant, supprimant ainsi le poste chanteur (non instrumentiste) captivant généralement plus facilement les regards - et parfois aussi plus concentré sur ses postures et chorégraphie que sur la musique. Ce nouveau format lui permet en même temps de chanter, et pas seulement en tant que choriste -tout en restant barricadé derrière ses fûts. 


     Freedom nouvelle formule ne tarde pas à avoir un contrat, et enregistre dans l'année. C'est pour le label Parisien, BYE, normalement plus porté sur le Jazz, que le trio signe. La distribution va rester confidentielle - et tardive, avec des sessions qui se terminent en juillet 1969 et l'album qui ne sort que l'année suivante. "Freedom At Last" (à cause de son titre, cet album a souvent été désigné, à tort, comme le dernier du groupe) témoigne d'un groupe encore à la recherche d'une voie, d'une personnalité. L'album a visiblement été sorti dans la précipitation, avec pas moins de six reprises sur douze morceaux, et quatre morceaux qui ont été récupérés du matériel inexploité de Rust (ou bien ont été co-écrits par un ancien membre de ce groupe). Du psychédélisme, il ne subsiste que quelques rares rémanences, et on est donc loin de Rust et du premier essai. Le groupe se voue désormais au British-blues, ce qui ne l'empêche pas de céder à la tentation de jouer quelques morceaux Pop. Si cette galette s'était retrouvée plus tôt chez les disquaires - soit en 1969 -, elle aurait pu goûter un petit succès, les reprises de Chicago-blues étant de bonne tenue. Et même les reprises de "Cry Baby Cry" des Beatles et de "Time of the Seasons" des Zombies (qui, en dépit de son immense succès outre-Atlantique n'avait pas percé en Angleterre), en version plus rock que les originaux, sont d'assez bonne facture. sans omettre "Have Love Will Travel", signé Saunders alors qu'il s'agit d'une reprise de The Sonics. Mais cela sent trop la recherche du succès, renforcée par ces reprises qui tapent dans divers genres, comme pour augmenter leurs chances d'accroche. 

     D'autant plus que la première face, à l'exception du premier morceau, ne comporte que des reprises. Manque de confiance ? Ou pression de la maison de disques dans l'espoir d'assurer un minimum de ventes ? C'est peut-être ce qui a incité le groupe à changer de label. 

      Harrison décide de s'accaparer le poste de chanteur. Une décision primordiale puisqu'il va très vite s'épanouir à cette place, jusqu'à bientôt continuer sa carrière en délaissant la batterie pour se consacrer pleinement à ce poste. Plus tard encore, il aura même l'opportunité de réaliser des disques solo en s'appuyant sur ses qualités de chanteur. 


   Mais auparavant, avec Freedom, il réalise un très bon disque éponyme, - la troisième réalisation du groupe -, coincé entre le British-blues et le Hard-blues, entre Free et Hackensack (1). Voire Mountain, sans l'écrasant sustain de Leslie West et la voix de troubadour de Pappalardi. Un Hard-blues paresseux, qui prend son temps, qui respire, qui ne s'embarrasse pas de notes superflues, qui va généralement à l'essentiel. Exception faite de la reprise du "Pretty Woman" d'Albert King, ici passablement alourdie et franchement grevée par Saunders qui a dû prendre un truc et se croire au sein de Cream à l'époque héroïque, voire de Mountain (bis repetita). Mais il n'est ni Clapton, ni West. Le tout avec une approche au niveau du chant qui n'est pas sans évoquer Uriah Heep. Car si Bobby Harrison reste le chanteur principal, Monagham et Saunders chantent également et s'harmonisent régulièrement, apportant ainsi une certaine puissance mélodique, tranchant avec la dureté des riffs gras et flâneurs. Comme le dit Harrison : " Nous chantons tous. Nous sommes tous des lead vocalistes, ainsi nous sommes un "trois pièces" avec un joli gros son. ". Il y a une large différence entre "Freedom at Last" et l'album éponyme. A commencer par une production adéquate, équilibrée et aérée, un rien aride mais gardant un cachet de groupe live. L'album étant enregistré au Trident studios de Londres, on retrouve un certain Roy Thomas Baker en tant qu'ingénieur. L'homme qui venait de produire le "Fire & Water" de Free et qui va rapidement asseoir sa réputation en travaillant sur les albums de Queen de la décennie.

     L'entame, "Nobody", recèle encore une âme sixties portée par l'engouement d'une jeunesse qui n'a pas encore perdu l'espoir d'une nouvelle société plus égalitaire, plus juste et moins entravée par le travail. "In Search of Something" s'en extirpe presque, semblant plonger dans un hard-blues des plus binaire, mais son travail poussé des chants l'amène à une savoureuse fusion de Free et d'Uriah Heep. Mariage semblant voué à l'échec sur le papier, pourtant Freedom a réussi l'alchimie. Avec en sus, quelques infidélités passagères avec Steppenwolf 😁. Saunders apporte du sel en cuisinant d'onctueuses crèmes fouettées de wah-wah. Repêché du précédent disque, "Dusty Track", qui a pris en quelques mois du poil aux pattes, se révèle nettement plus mordant, fortement enraciné dans un solide hard-blues bourru, traçant un profond sillon dans le bitume.

G à D : Monaghan, Saunders & Harrison
   Jusque là, c'est un sans faute qui érige déjà l'album parmi les perles oubliées des 70's. Hélas, "Made Man Laws" se vautre dans une relative platitude, manquant singulièrement de relief. C'est vite rattrapé par l'excellent boogie "Ain't No Chance To Score" qui fait de l'ombre à un Status Quo qui n'a pas encore totalement trouvé ses marques. Bien moins pop que ces derniers, ce boogie-rock, par sa rugosité, sa tendance à faire taper du pied (stomp your feet !) et à être repris en chœur par le public, aurait très bien pu faire l'affaire de Slade. [ouais, okay, c'est basique ; mais c'est bon]

   Second faux pas avec la reprise de "Pretty Woman", par ses allures de pièce rapportée et un débordement inattendu de Saunders qui a pourtant été jusque là irréprochable. Probablement bien plus digeste pour des oreilles ignorantes ne connaissant pas l'original ou simplement peu coutumières du Blues. Pourtant, en matière de Blues, la formation s'était montrée plus convaincante sur l'album précédent, avec "Down in the Bottom" et "Built for Comfort", dans un style proche du premier Free ("Ton of Sobs").

   Retour aux choses sérieuses avec la chanson éponyme, lourde, pesante, mais savamment aérée par les chœurs, ici en avant, tandis que Harrison, de sa voix graveleuse, semble lutter contre le poids des mots et de l'orchestration. Serait-ce en accord avec la pochette naïve, d'inspiration de films d'action des 60's, paraissant glorifier une inévitable révolution armée pour briser les chaînes d'une société oppressante ou d'un despote. Presque un romantisme fantasmée des soulèvements Russes et d'Amérique centrale. Toutefois, au dos de la pochette, le dessin révèle une autre facette. Ce n'est en fait qu'une imposante façade publicitaire, derrière laquelle le trio se cache pour prendre paisiblement du bon temps, pour flâner à l'abri des regards inquisiteurs. Guitare, pêche, lecture et tranquillité.

   Surprise avec un final qui a bien des airs de Pub-rock . Normal car ce "Frustated Woman" est quasiment un décalque du "Dirty Water" du groupe américain de garage rock, The Standells - chanson magnifiée par The Inmates (qui en fit un de ses classiques, et un petit hit aux USA ).

     Après ce très bon opus, Freedom ne tarde pas à remettre le couvert avec "Through the Years" qui sort la même année. Un peu moins réussi, c'est néanmoins encore un bon disque qui vaut aussi le détour. Ne serait-ce que pour la chanson éponyme, aux parfums d'un Led Zeppelin fringuant, et la ballade "Thanks" que Saunders reprend à son compte sur son unique album solo. Mais le succès n'est pas vraiment au rendez-vous, et le groupe finit par abdiquer. Harrison va continuer sur sa lancée en s'alliant avec Micky Moody, tandis que Monaghan va papillonner de droite à gauche, rejoignant d'abord Mick Abrahams, pour finir la décennie aux USA, chez Ted Nugent. Quant à Roger Saunders, après un essai en solo porté par une douce Pop sobrement orchestrée et teintée de folk mettant en valeur sa talent de compositeur au piano, "The Roger Saunders Rush Album", il se contente de la vie du musicien de studio et d'accompagnateur intérimaire. A l'occasion, en collaboration, il compose pour autrui. Un choix qui lui permet pour la première fois de gagner honorablement sa vie.

(1) Dans la reformation bien tardive du groupe, on retrouve Stu Mills, le second bassiste d'Hackensack. [ 👉 lien


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