mercredi 23 janvier 2019

HACKENSACK "Up The Hard Way" (1974), by Bruno


     Bon, dans la série des perles des 70's oubliées, en voilà une particulièrement obscure. Pourtant, on y retrouve Nicky Moore. Un chanteur aux allures de Volstagg, un peu malchanceux, qui ne parvint jamais vraiment à percer en dépit d'un solide coffre et d'un réel talent de chanteur. Même plus tard, lorsqu'il intégra Samson, en remplacement d'un certain Bruce Dickinson qui a préféré tenter sa chance auprès d'un quintet de chevelus amateurs de poupées décharnées.
Probablement desservit par un physique antagoniste avec ceux filiformes généralement abordés par les musiciens, il n'a pu charmer les foules. Oui, car même dans le petit monde des haredeureauqueux, le charisme peut avoir son importance.
Et pourtant, quel chanteur. De la veine des meilleurs.
 

   La naissance d'Hackensack remonte à 1968. Comme la grande majorité des groupes de l'époque, le groupe a dû longtemps galérer avant d'avoir l'opportunité d'enregistrer un disque. Étonnamment car sa réputation scénique le suivait comme une traînée de poudre. On disait leurs prestations incendiaires, virulentes. Ce qu'atteste les pistes lives que des passionnés exhumeront des années plus tard, bien après leur séparation. Visiblement, ce quartet n'avait pas attendu le succès retentissant des "In Rock" et "Paranoïd" pour sonner lourd et agressif.

     Généralement, les rares chroniques qui ont pu être écrites sur cet unique album sorti tardivement en 1974, lui reprochent de ne pas retranscrire l'intense fureur de leurs concerts. Des concerts dont les rares témoignages captés attestent d'une fabuleuse énergie animale, irradiant d'électricité et de folie. Il avait la réputation d'être un des plus Heavy sur scène. On a toutes les raisons de croire que si le groupe avait eu l'opportunité d'enregistrer à l'époque un disque live dans de bonnes conditions, il aurait eu toutes les chances de trôner auprès des séminaux "Grand Funk Live", "Free Live", "Live At Sunbury", "Performance, Rockin' the Fillmore". Bref, du genre qui privilégient la spontanéité et l'énergie à la technique. Du genre brut, cru, et authentiques.
     Étonnamment, cette galette de 1974 offre une tout autre image. Au point où l'on doute qu'il s'agisse bien du même groupe. Est-ce que Hackensack avait été mal conseillé, ou même poussé à réaliser alors un disque nettement plus calme et apaisé ? Ou est-ce que, comme bien d'autres groupes, fouler la scène et affronter le public transformaient la troupe en un commando de berserkers ? Ou bien étaient-ils fatigués de bourlinguer, de galérer, et aspiraient à un peu de confort, espérant un petit succès grâce à des compositions plus accessibles ? Le titre de leur unique trahit d'ailleurs un ressentiment :  "Up The Hard Way" (Dure est la route).
La pugnacité peut avoir ses limites. surtout lorsque l'on constate que tant de pairs qui ont commencé en même temps, et même plus tard, ne savent plus quoi faire de leurs gains, les dilapidant dans des futilités, alors que sur les planches, ils n'étaient pas nécessairement meilleurs. Cependant, ce serait une erreur de snober cet unique témoignage studio sous prétexte qu'il ne récèle pas la rage que le quatuor délivrait sur scène.


      Leur premier essai est un 45 tours, sorti en 1972, dont la face A, "Movin' On",  est signée par monsieur Mick Ralphs (où il y joue aussi de la Lap-steel), alors guitariste dans Mott The Hoople. Le disque n'a pas d'écho, au contraire de la version de Bad Company sortie d'abord sur le 33 tours éponyme en 1974, puis l'année suivante en single. Modeste succès, il s'installa néanmoins dix semaines dans les charts. Il est vrai que la version de Bad Company est meilleure et plus aboutie. Elle a eu le temps nécessaire pour être portée à maturation.

     Si "Up The Hard Way" peut s'avérer inégal, voire parfois bancal, il contient suffisamment de chansons dignes d'attention pour ne pas tomber aux oubliettes.
 Il fait la part belle à un Heavy-blues brut, épuré, assis sur un tempo laconique et ombragé d'un spleen automnal ; à mi-chemin entre la ballade Soul et un mid-tempo.

     La chanson éponyme aurait vraisemblablement pu avoir du succès quatre plus tôt, tant elle baigne dans un Heavy-blues en droite ligne de Free, voire de Cactus. Toutefois, c'est tout de même encore plus cru, prêt de l'os, que ces derniers. La guitare ne s'embarrasse d'aucun effet, même pas d'une once de réverbération. La guitare rythmique taille des riffs à la hachette, et la lead adoucit à peine le propos à travers une overdrive rappeuse et une wah-wah épineuse. Bien que le tempo soit ralenti pour flirter avec un slow-blues parfumé à la Soul blanche, la pièce suivante, "A Long Way To Go", ne dément pas cette première impression. Elle est enrichie d'une chorale féminine qui appuie la couleur Soul. Moore a bien assimilé l'esprit de Free, notamment dans cette façon de prendre son temps, de ne pas surcharger l'espace, et surtout de laisser respirer la musique. Avec cette pièce, il régénère l'essence de Free, tant bien même que seul Nicky Moore possèdent toutes les qualités pour s'épanouir aisément dans ce contexte.


"Goodbye World" s'enfonce un peu plus dans un spleen moite, et glisse dans la ballade démoralisante, testamentaire. C'est à la limite de tomber dans le larmoyant, et dure une minute de trop.
Sous ses allures d'Ogre de Charles Perrault, Nicky Moore est un grand sentimantal puisqu'il se plait à réitérer les instants "tendres" (tout est évidemment relatif) et mélancolique. C'est fois-ci en allant encore plus loin avec "Blindman".  Une ballade désabusée évoquant l'écriture de Ray Davis.
Toujours dans le romantisme avec "Nothern Girl" écrit en hommage à sa femme. Une ballade, tout de même appuyée, qui se termine sur un instrumental de deux minutes où la guitare reprend  l'"Ode à la Joie", extrait de la neuvième symphonie de Ludwig Van Beethoven ; le ton durçit progressivement jusqu'à s'encombrer d'une rythmique au faux airs de Boléro de Ravel.

   On pourrait supposer que l'instrumental servant d'introduction à "Goodbye Badboy", "Angels Theme" est largement inspiré du travail de Wishbone Ash, mais il semblerait plutôt préfigurer les intros de Scorpions (ère Roth) et d'UFO. C'est d'autant plus troublant que la robuste rythmique de "Goodbye Badboy" alterne avec un riff  reggae transfiguré par les forges d'un dieu nordique qui évoque vivement l'esprit de "Is There Anybody There" des teutons d'Hanovre. La dernière partie, par contre, est du pur Cactus.


     Une fois n'est pas coutume, d'autant plus à cette époque pour un groupe obscur et pour sa première - et dans ce cas unique - réalisation, mais la production est limpide. On croirait la troupe effectuer une prestation, live, devant soi ; on sentirait presque le souffle de ce Volstagg-rocker, ainsi que le crépitement des lampes d'amplis en surchauffe. Il faut croire que l'on avait cru en ce groupe en faisant appel à Derek Lawrence pour la production (2). La maison de disque, en l'occurence Polydor, y croyait d'autant qu'elle avait fait personnaliser les étiquettes du 33 tours.

     Alors que les compositions du groupe (majoritairement attribuées à Moore) frôlent le sans faute, qu'elle est donc l'utilité d'avoir incorporé deux reprises ? La première, "Lazy Cow", bien que non dénuée d'intérêts en cultivant un Southern-rock fricotant avec la comédie musicale par un refrain échappé du Rocky Horror Picture Show (1), avec chœurs d'harpies à l'avenant, sonne bien trop typiquement américain pour vraiment s'intégrer à l'ensemble. La seconde, "Hot Damn Home Made-Wine", résonne comme un vieux country interprété par une bande de joyaux poivreaux qui ont pas mal éclusé.
Un choix incompréhensible puisque ces deux chansons - du même auteur Chase Hodges - sont non seulement en décalage avec l'ensemble, mais le dénature. Même si "Lazy Cow" est sympathique.

     Cependant, en dépit de l'excellence de titres comme "A Long Way To Go",  "Goodbye Badboy", "Up The Hard Way", "Nothern Girl" et "Blindman" rien dans ce disque ne laisse deviner, ou confirmer les témoignages de la débauche d'énergie de ce groupe sur scène.
Sur les planches, tel un Dr Jekyll, Hackensack changeait totalement d'apparence et de comportement, en mutant carrément en Mister Hyde stéroïdé. Cependant, quoi qu'il en soit, les deux personnalités valaient le détour.

     A la surprise générale, Hackensack s'est reformé en 2017 et a enregistré un disque, "The Final Shunt", sur le label Audio Archives. Celui qui avait exhumé les pistes lives, "Give It Some" et "Live the Hard Way".


Bonus :
Ray Smith avait acheté à Mick Ralphs une Gibson Melody Maker qu'il revendit plus tard ... à Paul Kossof ! Étonnant non ? En fait, alors qu'Hackensack effectuait la première partie d'une tournée avec Free, Koss, séduit par le son de la Melody Maker, a souhaité l'essayer pendant un concert. Enthousiasmé, il n'était plus très chaud pour la rendre. En conséquence, son manager fit une offre intéressante à Smith.

Le dessin de la pochette est de Jim Fitzpatrick. Un irlandais au style épique, influencé par les comics, à la croisée de Jack Kirby et de Barry Windsor-Smith. Il s'était déjà fait remarqué un an plus tôt, par un excellent travail effectué pour illustrer la pochette de "Vagabons of the Western World". Une commande d'un ami métis qui le sollicitera à nouveau, et régulièrement jusqu'en 1980 (la dernière commande étant pour une pochette portant le titre "Chinatown").


(1) Pour mémoire, avant le film de 1975, il y avait le Rocky Horror Show ; la comédie musicale de Richard O'Brien, jouée à Londres à partir de juin 1973.
(2) Derek Lawrence : premier producteur de Deep-Purple, mais plus connu pour son excellent travail avec Wishbone Ash (du 1er à Argus, ainsi que "Live Dates" et "No Smoke Without Fire")



🎶♩☮🌠

4 commentaires:

  1. Il est gentil le Bruno...Faudrait peut être préciser que l'ami métis de Fitzpatrick c'était Phil Lynott...
    Et qu'il a dessiné aussi les pochettes de Nightlife, Johnny the Fox, Black Rose A rock legend (Je l'ai en vinyl celui là), Jailbreak. Putain Thin Lizzy quoi!!!!
    Moi je trouve qu'il y a du Druillet aussi dans son graphisme

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    1. Evidemment, l'ami. La référence est évidente. C'était pour vérifier si le lecteur suivait ... :-)

      Druillet ? Mmmm... j'suis pas d'accord. Cependant, Druillet avait lui-même revendiqué l'influence de la BD américaine, et notamment des comics. Alors, pi't'être ...
      Kirby, c'est l'approche des ombres, des traits épais pour les accentuer, de l'éclat du métal et ces flots d'énergie pure qu'il parvennait à figer sur le papier comme si c'était brûlant, dangereux, léthal.
      Windsor-Smith, c'est pour les décors et arrières plans, ce romantisme gothique et raffiné. Evident pour les visages.
      En scrutant le travail pour "Jailbreak" (quel disque !!), on pourrait rajouter John Buscema.

      Quoi qu'il en soit, les pochettes de Thin Lizzy sont un régal pour les yeux. C'était si fort que "Renegade" avait jeté un froid. S'agissait'il bien du même groupe ?

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  2. Underrated band ! qui plus est, de bonne facture dans cette époque ou de nombreuses galettes sortaient chez les disquaires ( et oui ! y en a plus que peau de zob dans ce métier ! )

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  3. Il y a encore quelques résistants, des passionnés.
    Aujourd'hui, le bon côté des choses - si l'on peut dire - c'est que lorsque l'on rentre chez un disquaire, on est certain (à 80%) d'y trouver des trucs intéressants. Généralement, ils ne s'embarrassent pas trop du tout venant qui est plutôt un produit pour grandes surfaces.

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