En 1968, Columbia décida de donner un nouveau souffle à la carrière de Johnny Cash. La maison de disque remplaça donc Don Law par Bob Johnson. Le producteur se fit connaître grâce à son travail pour Bob Dylan, Simon and Garfunkel et Willie Nelson. Prenant ces faits d’armes pour un gage de modernité, Columbia espérait sans doute faire entrer son countryman dans le rang des rockers modernes.
Lors de leur première rencontre, Cash présenta au nouveau producteur un projet en apparence beaucoup moins commercial, il voulait enregistrer un concert dans une prison. Johnson trouva l’idée formidable, la prison fascinant les rockers depuis qu’Elvis chanta « Jailhouse rock ». Musique révolutionnaire par essence, le rock vit souvent le pénitencier comme une consécration, une manière de prouver son essence révolutionnaire.
La country et la folk transformèrent également le hors la loi en personnage romanesque, célébrèrent l’homme vivant selon ses propres lois. La prison fut aussi dépeinte comme le symbole de l’oppression que les élites infligèrent aux petites gens. Le prisonnier fut donc dépeint comme l’homme ayant tout perdu, celui qui franchit les limites par désespoir. Certains purent penser qu’il est normal de punir certaines dérives, tout en s’étonnant que cette justice aveugle emprisonne majoritairement les hommes de basses conditions.
Quand Johnson et Cash présentèrent leur projet, Columbia eut peur du scandale que pouvait engendrer un tel cadeau fait aux détenus. Jouer dans une prison par charité chrétienne est une chose, immortaliser ce moment et le promouvoir en est une autre. De plus, à l’époque des Byrds et d’un Dylan convertis à l’électricité, l’homme en noir voulait centrer cette prestation sur ses vieux succès.
Malgré ses réticences, la maison de disque dut céder face à l’insistance du countryman et de Johnson. C’est ainsi que l’homme en noir vint taper à la porte de la prison de Folsom. Avec sa coiffure de teddy boy et sa guitare en bandoulière, Cash avait l’allure d’un troubadour que l’on amenait au bagne. La porte s’ouvrit dans un grincement inquiétant, c’était le rugissement métallique de cette machine broyeuse d’hommes. Le groupe fut emmené sur la scène pour vérifier quelques détails techniques pendant que Cash eut une discussion avec le gardien. Celui-ci lui demanda de ne pas jouer les chansons pouvant rappeler aux prisonniers qu’ils sont emprisonnés. Le maton semblait nerveux, l’arrivée de Cash fut pour lui une menace perturbant sa routine quotidienne. Sortez l’homme de son train-train quotidien et il se met à réfléchir, or réfléchir c’est déjà désobéir.
[monsieur et madame Cash, June Carter] Une fois ces petites directives ridicules terminées, Cash entendit du bruit dans la salle de concert, le groupe était prêt et les prisonniers attendaient leur bienfaiteur. Cash prit donc place sur scène en prononçant ces paroles historiques : « Hello I’m Johnny Cash ». S’en suivit une clameur magnifique s’interrompant pour écouter les premières notes de « Folsom prison blues ». Sur un rythme ferroviaire, l’histoire de cet homme entendant le train depuis sa cellule prit une ampleur dantesque. En plus des riffs bucoliques de Luther Perkins, il y eut ces mots que toute cette foule prit comme une preuve de compassion. « And I Shout a man in Rhino, just to watch him die ». Les bonnes gens pourraient trouver les acclamations saluant cette phrase inquiétantes, il est vrai que ces hommes ne sont sans doute pas des enfants de chœurs, mais leur enthousiasme décuple la portée de ce récit.
Pendant quelques minutes, l’homme en noir fut des leurs, ils l’écoutèrent tout comme ils écouteraient un compagnon de cellule. Cette proximité donna à « Dark as dungeon » une saveur particulière, ce folk n’ayant jamais sonné aussi juste que dans ces circonstances. Puis, le prisonnier étant avant tout un homme, il se vit offrir sa ration de bluettes sentimentales à faire pleurer dans les chaumières. Cash rappela à ces hommes leur famille sur « Give my love to rose », leur parla de la solitude sur « I still miss someone », fit renaître le folk dans ce qu’il a de plus poignant. Puis, comme il ne fut pas là pour filer le bourdon à un tel public, Cash accéléra le tempo pour jouer quelques « rock du bagne ».
Les détenus eurent donc droit à un « Cocaine blues » ébouriffant et « I got stripe » qui est à Johnny Cash ce que « Johnny be good » est à Chuck Berry, une bombe électrique nourrie par la force du pur rock’n’roll.
La première prison de ces hommes est d’abord dans leur tête, ces barreaux sont faits des peines et des angoisses liées à l’isolement. Lors de sa prestation, Cash sortit ces misérables de leurs cachots psychologiques, les fit voyager auprès du condamné à mort de « 25 minutes to go » ou du condottiere moderne de « Orange blossom special ». Impossible ensuite de clore la soirée sans jouer « Jackson », titre désormais gravé dans le marbre de l’histoire musicale américaine. Les chœurs toujours aussi poignants de Johnny et June Carter constituèrent ainsi le point d’orgue d’une fête parfaite. Ce soir-là, le public n’eut pas droit à « Walk the line » mais qu’importe. L’espace de quelques minutes, ces hommes condamnés à l’isolement retrouvèrent la joie de communier autour d’une musique parlant de leurs joies passées et rendant leur peine plus supportable.
Quand l’album finit par sortir, le public fut charmé par l’ambiance si particulière qui s’en dégageait. Après ce succès, Johnny Cash multiplia les passages dans les pénitenciers, au point de transformer ces évènements en gimmicks populistes. Dans la prison de Folsom, l’initiative était encore neuve, une magie réconfortante s’échappait de cette musique. « Johnny Cash at Folsom prison » n’est pas un album ordinaire, c’est un monument, un mythe, un totem sacré.
j'ai plus en mémoire l'album"At San Quentin" que celui de "At Folson Prison"
RépondreSupprimerCelui-ci est effectivement extraordinaire, quelle ambiance, quelle frénésie ! Avec les premières parties, avant que la star arrive. J'ai un exemplaire en 2 ou 3 cd, avec un bonus DVD, je pensais que c'était le film du concert. Sauf qu'il n'a pas été filmé, juste des photographies, des témoignages, en anglais sans sous-titre...
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