mercredi 7 avril 2021

DAVID COVERDALE "White Snake" (1977), By Bruno


     Ouaip, "White Snake". Avant d'être le patronyme d'une grosse machine de Heavy-rock à brasser les liasses de dollars, c'était le titre d'un album. Du premier effort solo d'un chanteur qui, lassé, épuisé par d'incessantes tournées et l'ambiance désormais délétère du groupe qui l'avait accueilli, aspirait à un peu de tranquillité. Un album assez bien accueilli par la presse mais boudé par les fans de Deep Purple, puis par ceux de Whitesnake, jusqu'à être longtemps quasiment oblitéré de la discographie de David Coverdale.


     Le jeune David Coverdale souhaite revenir à ses fondamentaux, ainsi qu'à un peu plus de simplicité et de spontanéité. Mais aussi à une musique qui ne reposerait plus sur la personnalité écrasante de musiciens à l'ego aussi imposant qu'est leur immense talent. Empêchant aussi le sien de vraiment déployer ses ailes. Les années Blackmore, toutes aussi formatrices qu'elles aient pu être, furent aussi l'écho de tensions, de stress et d'incertitudes. La suite avec Tommy Bolin et Glenn Hughes fut pour le moins stressante et traumatisante. Le premier a bousillé sa vie et a réussi, par ses prestations scéniques aléatoires et de plus en plus désincarnées, à saborder un cuirassé que l'on croyait insubmersible : Deep Purple. Le second a commencé à perdre sérieusement les pédales depuis l'incursion à haut risque en Indonésie (où Patsy Collins, son garde du corps et ami, perdit la vie de façon pour le moins étrange : deux chutes successives de trois étages... ), et contribue à flinguer lui aussi les concerts. Où et comment deux grands musiciens se tirent eux-mêmes une balle dans le pied (ou la tête) en tombant dans les drogues dures (1). Coverdale en tire des leçons qu'il retiendra. Si l'on veut bâtir une solide carrière, il faut s'entourer de personnes certes capables, mais pas trop prétentieuses, capables d'une certaine humilité, et surtout éviter les junkies. On tolérera à la limite les accrocs à la boisson...

     Coverdale, après avoir passé une audition sans suite auprès d'Uriah Heep,  souhaite pouvoir s'épanouir en s'investissant dans le Blues de ses héros. Celui du British-blues, de ces groupes qui l'ont remodelé pour en faire le ciment fondateur d'un nouveau genre : le Hard-rock. Hydre tentaculaire dont les appendices influent encore, cinquante ans plus tard, sur la musique actuelle. Il est évident que l'ex-vendeur de chaussures est profondément marqué par Free. Le classique  du Mark III, "Mistreated", en étant la preuve par quatre. Et puis son style de chant doit aussi beaucoup à Paul Rodgers. D'ailleurs, le choix initial de Deep Purple, Blackmore en tête, était initialement fixé sur Rodgers (2). Ce pourrait-il donc que Coverdale aurait été un "Paul Rodgers" de substitution ? Qui sait ? Cela l'enlève rien à son réel talent . Son brio, tant au chant qu'à la composition - question texte, il ne fait pas toujours dans la finesse - et la durée de sa carrière peuvent en attester. 


 Pour le seconder dans cette nouvelle aventure, il recrute Micky Moody. Lieutenant idéal, aguerri par des années sur la route, et une tripoté d'albums dont certains sont parmi les meilleurs de la décennie, dans le genre Heavy-rock bien chargé de Blues, de Boogie et de Rhythm'n'blues. A savoir "Lie Back and Enjoy It" et "Get a Whiff a This" avec Juicy Lucy, et "Snafu" et "Situation Normal" avec Snafu. Sans omettre que pour certains, l'album de Tramline, "Somewhere Down The Line" de 1968, son premier lp, ferait partie de ses albums qui aurait servi de terreau au Hard-blues. Il est vrai que leur slow-blues "Sorry, Sorry" paraît avoir été copieusement pillé par Led Zeppelin qui semble s'être contenté d'épaissir considérablement le son. De plus, Moody a côtoyé Paul Rodgers - un court moment au sein de The Roadrunners -, ce qui, d'une certaine manière, le rapproche de son idole. Moody va être l'élément déterminant pour apporter un peu de Rock'n'roll et de boogie-rock à un album qui s'annonçait introspectif, relativement sombre et peu remuant...

     Etonnamment, en dépit de sa défection, Coverdale reste dans la maison "Purple". Il profite non seulement du label du groupe - Purple Records - mais pour la production, il loue les services de Roger Glover. Tous deux ont fait connaissance lors de l'enregistrement de "Butterfly Ball and The Grasshooper's Feast", le projet de Roger Glover (avec le fameux clip de la grenouille ménestrel, à laquelle Dio avait prêté sa voix).

      Coverdale a déjà composé la majorité du répertoire à enregistrer lorsque Moody le rejoint en Allemagne, où il a élu domicile pour raison fiscale (et à ce moment là, les finances de David ne sont pas au mieux). Bien sûr, il y a déjà les prémices du futur Whitesnake, le groupe - celui de la première mouture avec Moody et Bernie Marsden -, cependant, la couleur prédominante est avant tout celle du Blues et de la Soul. 

     Ainsi, si le disque débute par un rustre et énergique "Lady", proche de Juicy Lucy (évidemment ? La première ébauche de David était à l'origine destinée au répertoire de Purple), la suite s'étale nonchalamment dans une contrée plus introspective et reposée. A commencer par "Blindman", superbe ballade de blue-eyed Soul libérant la force charnelle du timbre de Coverdale. Une pièce qui n'aurait pas dépareillé dans les albums de Bad Company. Elle fait une nouvelle apparition en 1980, sur "Ready an'Willing", avec une nouvelle orchestration - de la part de Bernie Marsden - qui lui donne plus de consistance au détriment de l'émotion. "Goldies Place" s'enfonce plus profondément dans la Soul avec le renfort de quelques cuivres et le soutien de choristes. C'est un peu comme si le "Bring Me Down" de Cactus avait été repris sur un tempo judicieusement ralenti, jusqu'à paraître se mouvoir en terrain boueux.  La place accordée aux choristes sur ce morceau évoque celle faite aux Blackberries au sein d'Humble Pie sur "Eat It".


  
"Whitesnake" - la chanson -probablement le morceau tendant le plus le bras vers le Hard-rock, annonce la prochaine couleur de Whitesnake - le groupe -, à l'aube des années 80. "Time On My Side", ersatz de Bad Company manquant de conviction, semble coincé à un carrefour, tournant sur lui-même sans arriver à décider quelle direction emprunter. Maillon faible de l'album, vite rattrapé par l'excellent "Peace Lovin' Man", qui présente bien des similitudes avec Joe Cocker et de ses Mad Dogs and English Man et autre Grease Band. L'ancien plombier de Sheffield étant alors également une référence majeure de Coverdale. Ce serait également ce dernier qui jouerait du piano qui résonne ici comme du pur Leon Russell (qui a composé pour Cocker et a été un membre des Mad Dogs). Même les chœurs sont à l'avenant. Un grand moment de white Soul. 

   "Sunny Days" , Rock'n'roll festif, sympathique, mais sans prétention, portant quelques réminiscences de Deep Purple Mark III, boosté par des cuivres et un piano honky-tonk. "Hole in the Sky" est une autre et magistrale pièce de white Soul qui, aujourd'hui encore, a tous les attributs pour séduire un large public. Une chanson intemporelle qui a la capacité de séduire toutes sortes d'auditoires (pour peu que l'on change l'interprète car la connotation de chanteur de hard-rock reste péjorative en Europe). Certes, les paroles sont d'une simplicité exemplaire, mais Coverdale a cette faculté de donner du sens aux paroles les plus creuses.  "Celebration" clôt le chapitre en beauté. Totalement festif, il donne l'image d'une bande de rockers, perdue dans New-Orleans, invitée par un brass band à les rejoindre pour une chaude fiesta où les musiciens jouent au milieu d'une foule dansante, suante et souriante. Cela irradie de gaieté et de satisfaction. Comme si ce morceau, judicieusement placé en coda, représentait la sortie d'un état de déception et d'amertume de Coverdale. Comme si cet album, absolument personnel, était le chemin par lequel il fallait passer pour retrouver une certaine sérénité, pour se ressourcer, se reconstruire, et voir la lumière. "I see the light !!"

     Bien qu'en général assez bien accueilli par la presse, la réception du public fut à l'époque plutôt froide. Au point que pendant des années, ce premier jet, ainsi que le second ("Nortwinds"), furent boudés, ignorés. C'est qu'une frange du public attendait, sinon une continuité, au moins une filiation avec Deep-Purple bien plus marquée. On en retrouve bien un peu, mais guère suffisamment pour étancher la soif de ceux qui espéraient être à nouveau aspirés par la puissance de feu et la grandiloquence de Purple. Mais Coverdale a préféré faire son retour par la petite porte, par une musique plus simple, plus mesurée. Plus humble ? Cet album ne semble même avoir eu droit à une digne promotion d'envergure. Et en l'absence de formation concrète, l'album ne peut être défendu par une tournée. Même si Micky Moody, bien que se produisant déjà avec Bob Young au sein de The Young & Moody Band  - dont le premier essai, produit par Glover, est sorti peu de temps avant celui-ci -  va rester fidèle à Coverdale jusqu'en 1983. Lors des premiers succès concrets de Whitesnake, cet album et le suivant "Northwinds" ne sont que des mirages ; des disques introuvables dont on a vaguement entendu parlé. Et encore, pas toujours. Seuls quelques initiées le connaissent, et ne sont pas toujours tendres envers lui. Il était d'ailleurs communément entendu que le premier album valable était "Lovehunter" de 1979. Aujourd'hui réhabilité, ce premier essai a des légions d'admirateurs.

Face 1
NoTitreAuteursDurée
1.LadyCoverdale, Moody3:48
2.BlindmanCoverdale6:01
3.Goldies PlaceCoverdale5:03
4.WhitesnakeCoverdale, Moody4:22
Face 2
NoTitreAuteursDurée
5.Time on My SideCoverdale, Moody4:26
6.Peace Lovin' ManCoverdale4:53
7.Sunny DaysCoverdale3:31
8.Hole in the SkyCoverdale3:23
9.CelebrationCoverdale, Moody4:11


(1) Pour mémoire, Tommy Bolin succombe à une overdose d'héroïne, le 4 décembre 1976, à l'âge de vingt-cinq ans. Quant à Glenn Hughes, alors qu'il était sobre avant de rejoindre Deep-Purple, il mettra des années pour parvenir à se libérer de l'emprise de la cocaïne. Jusqu'à son retour inespéré aux débuts des années 90, il était considéré comme un musicien non viable, voire fini.

(2) Paul Rodgers avait déjà entamé l'aventure avec Bad Company et il n'était pas question d'abandonner un projet en plein essor, au succès déjà retentissant sur deux continents, et où l'entente était plus que cordiale. De plus, sachant qu'ils avaient débauché le chanteur-bassiste de Trapeze, il aurait répondu aux démarcheurs qu'ils n'avaient pas besoin de lui puisqu'ils avaient Glenn Hughes


 
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