jeudi 15 septembre 2022

HAYDN - Symphonies N°6 à 8 " Heures du jour" (1761) – Günter HERBIG (1973) – par Claude Toon


- Dis Claude, tu aimes bien nous faire écouter les symphonies de Haydn par groupes… Rarement de manière isolée comme celles de Mozart ou de Mahler… Une raison ?
Sonia, Joseph Haydn a écrit 104 symphonies en quarante ans ! les premières, héritées du style concerto grosso baroque tardif, et les dernières qui fleurent bon le romantisme des débuts de Beethoven. 104 symphonies à raison d'une par semaine, ça prendrait deux ans… Passionnant le blog classique… Donc je propose des regroupements de symphonies caractéristiques de l'évolution du style dans le parcours de Haydn 

- Très juste, je n'avais pas pensé à ça. Il est vrai que ce sujet d'illustrer en musique les heures de la journée est amusant. Des œuvres longues ?
- Oui pour l'époque mais pas trop, 20-25 minutes chacune, les trois sont réunies sur un seul CD dans diverses interprétations…  
- 1973 ? tu as préféré une version à l'ancienne plutôt que sur instruments d'époque.
- Günther Herbig proposait déjà il y a cinquante ans des interprétations légères et animées, pas des choucroutes symphoniques. Je privilégie toujours le fond sur la forme. Il y a de très belles gravures dans tous les genres interprétatifs, j'en conseillerai quelques-unes… 


Joseph Haydn
Joseph Haydn

Le mot symphonie (du grec symphonia soit "ensemble de sons harmonieux") est un mot multi-usage dont l'emploi s'étend bien au-delà de l'univers musical, de l'époque classique à la période moderne. Ainsi, Symphony in english se décline en une liste infinie d'aberrations sémantiques : société financière, chansons, logiciels, composants numériques php (Symfony), un jeu vidéo et, en cherchant bien on trouvera peut-être une cafetière 😊.

N'y voyez pas de sarcasmes, le terme initialement musicologique suggère l'harmonie, l'équilibre des formes et des sentiments exprimés, en un mot : la séduction, l'attirance. Donnerait-il confiance en conséquence, expliquant ainsi son utilisation par les marchands du temple hors du sérail des compositeurs, célèbres ou pas.

Dans certains sites ou ouvrages, on lit que l'inventeur de la forme symphonique académique serait Haydn. Mouais, bof… Il est vrai que Joseph, avec ses 104 partitions écrites entre 1757 et 1795, soit une période d'une quarantaine d'années fixera la construction quasi obligée suivante : un premier mouvement animé (précédé parfois d'un cours adagio en guise d'ouverture), un mouvement plus méditatif, un menuet et plus tard un scherzo à titre d'intermède et une conclusion échevelée. Quatre mouvements ! Il n'est pas le seul à promouvoir cette construction…

N'oublions pas d'autres pionniers qui, en assurant la transition entre le baroque tardif de Bach et de Haendel et le classicisme, apporteront d'autres premières pierres à l'édifice symphonique qui ne connaitra des modifications majeures qu'au début du XXème siècle, principalement avec les symphonies de Gustav Mahler qui cherchera de nouvelles voies en intégrant des passages de types oratorios, une plus grande variété de mouvements (jusqu'à 6) et enfin une orchestration délirante. Citons : les fils de Bach comme C.P.E, les courtes et joyeuses symphonies de Johann-Baptist Vanhal dont je vous avais proposé l'écoute en 2017 (Clic), l'italien Antonio Cartellieri (CLic) et bien entendu Mozart qui dès sa 6ème symphonie K 43 de 1767 abandonne le divertimento tripartite hérité du concerto grosso et du divertimento par ajout d'un menuet-trio. Quant aux dernières symphonies de la N° 36 à 41 "Jupiter", elles concurrencent les londoniennes de Haydn et anticipent l'esprit du romantisme.

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"Le matin" (William Hogarth)
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Pour l'iconographie de ce billet, j'ai choisi Les quatre parties du jour de l'artiste anglais William Hogarth. Des huiles peintes en 1736, puis reproduites en une série de quatre gravures à l'eau-forte et au burin. Elles sont publiées en 1738. L'histoire de ce polyptyque est romanesque, je vous renvoie à l'article Wikipédia où je l'ai déniché. (Clic)

 

Avec Beethoven, Schubert et Mendelssohn, les premiers romantiques officiels, la symphonie n'échappent plus ou presque à son organisation en quatre mouvements avec une orchestration de type 2/2/2/2 – 2 trompettes - 2/3 cors, parfois 3 trombones et les timbales. Quelques exceptions très marquantes dans ce XIXème siècle : la 9ème de Beethoven avec sa partie chorale ou sa symphonie "pastorale" en cinq mouvements tout comme la Rhénane (n°3) de Schumann. On pourrait mentionner d'autres "écarts" mais plutôt rares. Les romantiques tardifs comme Tchaïkovski ou Dvorak seront plus aventureux, et notons au passage que depuis l'héroïque de Beethoven en 1803 et la symphonie fantastique de Berlioz en 1830, de divertissement de plus en plus ambitieux au cours du siècle des lumières en termes d'écriture et de durée, la symphonie a pris un visage nettement plus figuratif voire épique et spiritualiste (Bruckner)…

 

La numérotation usuelle des symphonies de Haydn s'arrête à 104. Il faut ajouter deux symphonies A & B de jeunesse et éventuellement la symphonie concertante pour violon et alto de forme concerto en trois mouvements (Clic). Nous sommes habitués pour les identifier (mémoire eidétique exigée 😊) à une numérotation dans le catalogue Hoboken qui n'est aucunement chronologique. Par ailleurs il existe des variantes à certaines partitions. Les symphonies n°6 à 8 sont en fait les 22ème à 24ème écrites par Haydn lors de sa prise de fonction chez les Esterhazy en 1761, Haydn a 29 ans. Les quatre années précédentes, le jeune maître avait donc déjà écrit 21 symphonies. Des œuvres courtes encore marquées par le style concerto grosso.


"Midi" (William Hogarth)

Le trio de symphonies écoutées ce jour est le premier à posséder des sous-titres évocateurs : "Matin", "Midi" et "soir". Tant à l'époque baroque que classique, l'expressionisme en musique n'a pas encore pris l'essor qu'il connaitra pendant le romantisme, une dimension essentielle de ce renouveau intellectuel et artistique devrais-je ajouter. Par ailleurs, chacune dure d'une bonne vingtaine de minutes (étendue imposante et inconnue jusque-là).

Parmi les partitions disponibles chez le prince Paul-Antoine Esterhazy, celle des Quatre saisons d'Antonio Vivaldi créée en 1728 occupe une place de choix. Certes, elle constitue un groupe non pas de symphonies mais de quatre concertos pour violon solo, cordes et continuo. Son originalité tient dans la rédaction d'un programme très détaillé qui accompagne chacun des concertos. Et quand on parle de programme, il faut préciser : quatre sonnets (14 vers) rédigés de la main de Vivaldi ; la poésie narrative nourrit ainsi ce bijou du maitre italien… Le prince Esterhazy aime-t-il cette symbiose poésie-musique quand il commande à Haydn une série de quatuors évoquant les heures et plus précisément "Matin", "Midi" et "soir" ? Aucun document ne permet d'étayer l'hypothèse d'une demande complémentaire pour "la nuit". 

À l'évidence, le projet d'une musique d'essence descriptive séduit Haydn. Ne sera-t-il pas, quarante ans plus tard, le compositeur d'un oratorio pour solistes, chœur et orchestre intitulé "les saisons", le texte chanté magnifiant travaux des champs et hymne à la nature à la manière des sonnets de Vivaldi. Une composition fantasque de deux heures ! (Clic)

Haydn servira la famille princière hongroise Esterhazy dès 1761 et jusqu'à la fin de sa carrière en 1802 même s'il vivra jusqu'en 1809. À cette époque où un compositeur (maitre de chapelle) n'est pas plus considéré qu'un laquais, le prince Nicolas Ier Joseph Esterházy (1714-1790), qui régnera dès 1762 laissera toute liberté de création à Haydn en qui il a reconnu un génie en devenir… Preuve de la fidélité réciproque, un renouvèlement de contrat en 1779 supprimera la clause d'exclusivité du travail de Joseph vis-à-vis du prince. Lors de la succession, Nicolas II n'aimera pas Haydn mais ne changera rien ; une seule exigence, écrire une messe par an, ce sera six belles œuvres…


"Soir" (William Hogarth)

Grâce à cette liberté offerte au compositeur dans ses choix de production, Haydn peut jouer la carte de l'imagination novatrice. Les trois symphonies épousent ainsi la forme officielle en quatre mouvements tout en recourant à l'écriture sonate bi-thématiques. Si le concerto grosso destiné au divertissement et au concert est encore à la mode, il n'en retient que la fantaisie de l'orchestration et le récit concertant avec solistes, donc :

Un ou deux violons et un violoncelle solistes, une flûte, deux hautbois, un basson, deux cors, cordes, un clavecin ad libitum.

Lors de l'écoute, on s'étonne de l'importance donnée aux vents et aux cuivres. Les concertos grosso de Haendel ne font appel qu'au cordes tout comme les premiers divertimentos de Mozart. Bach s'était montré beaucoup plus inventif dans son instrumentation des concertos brandebourgeois


Symphonie no 6 en ré majeur "le Matin" Hob. I:6

(Partition)

{Playlist 1} Adagio - Allegro : les violons éclairent doucement (pp) d'une lumière matinale l'adagio sur deux mesures suivies de quatre mesures réunissant tous les instruments dans un lever de soleil rythmé et crescendo (f>ff>f). [0:50] Le thème principal allègre est confié à la flûte et repris au hautbois. La forme sonate s'affirme par de nombreuses reprises du thème déchaînant de vaillantes mélodies colorées par diverses formations orchestrales concertantes. Même les cors proposeront leur vision de cette aube punchy [3:19]. Le chef Günter Herbig ne sera pas en retard à sa répétition, quelle fraicheur et vivacité pour cette version datée de 1973 sur instruments modernes, un effectif allégé a priori et non un lourd orchestre symphonique hors de propos !

"La nuit" (William Hogarth)

{Playlist 2} Adagio - Andante - Adagio : seuls les cordes jouent le jeu d'une calme grasse matinée. Nous rêvassons au son d'un violon solo. Le rythme est marqué malgré un climat tendre et mélodieux tel le tic-tac de l'horloge préfigurant la célèbre symphonie 102.

{Playlist 3} Menuet : Comme souvent le rythme simplet de danse du menuet masque une idée plus personnelle dans l'inspiration. On a entendu ça mille fois. Plus original, dans le trio le basson caracole en compétition avec la contrebasse et le violoncelle ; plutôt drolatique mais pas inattendu chez le jovial Haydn.

{Playlist 4} Allegro : Un motif fuse de la flûte puis du violon. S'élance un final vif-argent très concertant et amusant qui montre qu'après plusieurs cafés une journée trépidante commence. Les solos instrumentaux sont diablement virtuoses.

Dans ces quelques lignes, j'espère avoir dévoiler la plupart des clés de l'esprit gouleyant de tout le triptyque. Les métaphores étant, ça va de soi, les fruits de mes élucubrations. Hormis dans quelques passages mélancoliques, Haydn est le compositeur de la joie de vivre. Ce qui ne l'empêche en aucun cas d'enfiévrer dans son écriture la souffrance dans des ouvrages tragiques comme "Les sept paroles du Christ en croix", quatuor bouleversant de 1786 transposé en sinfonia pour cordes et même en oratorio. Donc pour les symphonies 7 & 8, je ne détaille pas…


Günter Herbig

Symphonie no 7 en Ut majeur "le Midi" Hob. I:7

(Partition)

{Playlist 5} Adagio - Allegro : La partition précise le recours à un second violon soliste

{Playlist 6} & {Playlist 7} Recitativo - adagio

{Playlist 8} Menuet

{Playlist 9} Allegro


Symphonie no 8 en sol majeur "le Soir" Hob. I:8

(Partition)

{Playlist 10} Allegro molto

{Playlist 11} Andante

{Playlist 12} Menuet

{Playlist 13} Presto : surnommé Tempesta. La virulence du propos tant au niveau du tempo que de l'orchestration chamarrée agit comme une coda tumultueuse achevant l'ensemble des trois symphonies.


Günter Herbig n'est hélas pas très connu dans nos contrées. Ce chef allemand (né en 1931 dans l'actuelle République Tchèque) n'est pas un adepte des studios d'enregistrement rappelant en cela Sergiu Celibidache ou Carlos Kleiber… Le maestro nonagénaire peut pourtant se prévaloir d'une carrière enviable. Formé à l'école de Hermann Abendroth, Hermann Scherchen et Herbert von Karajan (excusez du peu !), trois géants du XXème siècle, Herbig débute sa carrière dans les fosses des opéras de Weimar et Potsdam.

Jusqu'en 1984, vivant en RDA, il dirigera notamment la philharmonie de Dresde et surtout succédera à Kurt Sandeling (Clic) à la tête de l'orchestre symphonique de Berlin, le concurrent à l'est du mur de la Philharmonie de Berlin (de 1977 à 1983).

En 1984, en délicatesse avec le régime stalinien et tyrannique de David Honecker, il émigre au USA pour succéder à Antal Dorati à la tête de l'excellent orchestre de Détroit. Il dirigera aussi comme directeur l'orchestre de Toronto. Parallèlement, le maestro dirige en tournée personnelle les plus grandes phalanges planétaires. Ces compositeurs de prédilections sont : Haydn, Brahms, Schubert et surtout Mahler. Comme je le disais sa discographie est un peu chiche, essentiellement gravée avec les orchestres d'Allemagne de l'Est pour des labels mal distribués en France.

Bien que du début des années 1970, ses interprétations consacrées à Haydn sont des modèles de légèreté et de vitalité. On bénéficie par cette direction au cordeau pleine de verve de la facétie des meilleures interprétations baroques malgré un ensemble d'instruments modernes à effectif réduit, oui mais c'est la Staastkapelle de Dresde, l'un des 3 ou 4 orchestres très hauts de gamme allemand. J'ai réécouté les célèbres versions d'Antal Dorati dans son intégrale pour DECCA… cela sonne quand même à mon humble avis un peu teuton à la manière des londoniennes qui flirtent déjà avec le romantisme. On pourra citer pour mémoire Neville Marriner, j'avoue m'être un peu assoupi à la réécoute, donc problème inverse vs Dorati, un manque criant de ferveur. Avis personnel comme toujours.

Günter Herbig n'a pas enregistré l'intégrale des symphonies de Haydn mais quelques cycles essentiels comme les londoniennes n° 93 à 104.


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Si dans les versions sur instruments modernes, j'ai un faible pour celle de Günter Herbig, on pourra se rapprocher des temps présents avec trois parutions attachantes.

Souvent le label anglais Naxos nous surprend en proposant pour son catalogue des orchestres hors du Gotha international… En 1994, place au Nothern Chamber Orchestra et à son chef Nicholas Ward, aucun ne bénéficiant de quelques lignes dans Wikipédia 😟. Et pourtant à l'épaisseur regrettable de Dorati ou Marriner, j'avoue avoir été séduit par la joyeuseté du discours. Certes le chef ne fait aucune reprise, ramenant ainsi son album à 69 minutes au lieu de 77 minutes. Prise de son fine (Naxos – 1994 – prix modique -5/6). L'intégrale du corpus symphonique de Haydn a ainsi été réalisée au fil du temps avec divers orchestres de région.

Bien évidement ces symphonies à la lisière du baroque tardif et de l'époque classique ont séduit les baroqueux, pas toujours avec bonheur. Haydn le visionnaire n'a pas à subir les sonorités râpeuses qui sied à Telemann. Deux gravures valent pourtant le détour. Celle du Freiburger Barockorchester dirigé du violon solo par Petra Müllejans. Couleurs rutilantes (ah les cors), dynamisme, articulation, ma version d'époque favorite (Harmonia Mundi – 2002- 6/6). Je vous invite à écouter le triptyque intégré ci-dessus en playlist).

Autre interprétation de grande classe, quoiqu'un peu frénétique à mon goût, de Il Giardino Armonico sous la conduite de Giovanni Antonini, spécialiste de Vivaldi. (α – 2022 -5/6).



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