vendredi 16 septembre 2022

KOMPROMAT de Jérôme Salle (2022) par Luc B.

L’histoire est rocambolesque, mais elle est vraie. D’ailleurs c’est écrit à l’écran : « très librement inspirée… » tout est dans le « très », on n’y reviendra…

Vous vous souvenez sans doute de l’histoire de Yoann Barbereau, directeur de l’Alliance française d’Irkoutsk, bled du fin fond de la Sibérie orientale, arrêté en 2015 par la police russe sous prétexte qu’il détenait des images pédopornographiques dans son téléphone. Une accusation montée de toutes pièces pour le compromettre, d’où le terme kompromat, un gentil hobby des services secrets soviétiques. Barbereau passe par la case prison, l'hôpital psychiatrique, l'assignation à résidence. Il avait réussi à échapper à un procès truqué en semant ses surveillants, avait traversé tout le continent pour revenir en France. A côté, Di Caprio dans THE REVENANT c'est Bambi.

Un scénario spectaculaire qui ne pouvait qu’inspirer le cinéma. On se croirait dans la série LE BUREAU DES LÉGENDES. C’est Jérôme Salle qui s’y colle. Un réalisateur qui ne fait pas dans la dentelle, LARGO WINCH, ANTHONY ZIMMER, mais bon y’a Gilles Lellouche, un acteur que j’aime bien, donc allons-y. D’autant que j’avais entendu que le film était dans la lignée de thrillers type LES TROIS JOURS DU CONDOR de Sydney Pollack. Une référence.

Dans le film, le personnage s’appelle Mathieu Roussel, directeur, donc, de l’Alliance française d’Irkoutsk, très fier de montrer un spectacle de danse devant un parterre de notables locaux. La séquence est joliment filmée, on sent Roussel un peu tendu par l’enjeu, sur scène deux danseurs sous une lumière rouge s’enlacent, chaque geste est chorégraphié, les corps exultent. Toussotements dans la salle, regards gênés, des spectateurs se lèvent, quittent la salle. C’est un fiasco, pire, un scandale. Une démonstration de l’esprit perverti de l’occident. Le mécène russe qui a financé le ballet, à qui Roussel demandera de l’aide plus tard, lui répondra « vous représentez tout ce que je déteste ».

Le lendemain, Mathieu Roussel est arrêté par la police. La scène est réussie, car subite, comme ce qui suit, l’entrevue devant le juge, l’énoncé de l’accusation, l’enfermement dans une geôle avec une dizaine de codétenus qui rapidement sauront que Roussel est accusé de pédophilie, ce qui n’arrange pas l’ambiance… L'ombre de Costa-Gavras plane sur ces premières séquences. 

Les scènes où Roussel est en résidence surveillée, bracelet électronique à la cheville, pisté par deux sbires à chacune de ses deux heures de sorties autorisées, sont parmi les plus réussies du film, car on est dans ce que j’appellerai le quotidien d’un type normal. Courses au supermarché, rencontres clandestines, discussions avec son avocat en montant le son de la radio parce qu’ils se savent sur écoute, tout cela est très classique, mais ça fonctionne. On se dit tout de même que le gars, pour un attaché culturel, a déjà de bons réflexes d'espion.

Impression hélas confirmée quand le réalisateur confond Mathieu Roussel avec Jason Bourne. On commence de moins en moins à croire à cette histoire. Mention à cette scène dans une forêt où notre contractuel de la culture met au tapis quatre mercenaires entraînés. De John le Carré on passe à James Bond, la mise en scène avance lourdement les pieds chaussés de gros sabots, le tout surligné par une musique qui affole les tympans et totalement hors de propos.

Au bout d’une heure le sort de Roussel nous laisserait presque indifférent. Jérôme Salle ne parvient pas à nous rendre ce récit palpitant.

Si l’idée était de s’inspirer des thrillers paranoïaques américains type LE CONDOR, KLUTE, MARATHON MAN c’est clairement raté. On y voit trop clair dans ce film sans réelle tension. Et il y a ce problème d’écriture : pourquoi raconter ça en flashback ? Une histoire comme celle-ci devrait être linéaire, le spectateur devait découvrir un  fur et à mesure ce qui vit le héros. Si on sait dès le départ que Roussel doit échapper à des poursuivants en pleine forêt, c’est donc qu’il est parvenu à se soustraire de ses geôliers, à passer les frontières, que l’ambassade de France à Moscou ne l’aura pas sauvé.  

Dans la réelle histoire, les services secrets français avaient monté une opération d’exfiltration, mais la présidentielle de 2017 avait tout fait capoter. Ce versant politique de l’histoire aurait été passionnant. L'individu contre le système, contre les enjeux diplomatiques, mais c’est absent du film. L’ambassadeur français est une caricature de politicard frileux, le fait qu’il soit joué par Louis-Do de Lencquesaing, par ailleurs très bon, mais habitué à ces rôles de crapules, tue tout suspens.

Ce qui fait le sel de films tel L’ÉVADÉ D'ALCATRAZ, ce sont les longs préparatifs de l'évasion, minutieux, puis la confrontation entre le plan imaginé et sa mise en œuvre. A mon sens, c'était les préparatifs qu'il fallait filmer plus que le résultat. Est-ce que le plan va fonctionner ? Mais à part foutre le camp le plus loin et rapidement possible, on ne connait rien du plan, à part changer de carte SIM ! Traverser la Russie avec les mecs du KGB aux trousses passe pour une épreuve de Fort Boyard 

KOMPROMAT est dans la lignée de thrillers français récents comme BOITE NOIRE de Yann Gozlan, ou GOLIATH de Frédéric Tellier, pas parfaits, mais qui se tenaient mieux. Il est clair que Jérôme Salle voulait faire de cette histoire un film d'action (d'où l'entame percutante) alors que ce n'est pas le sujet. Et en plus, côté action, c'est mou du genou.

Yoann Barbereau n’a pas aimé le film, ne s'y est pas reconnu, et l’a fait savoir. En promo, l’équipe de KOMPROMAT a interdiction de citer son nom, c'est dire l'ambiance... D'où le « librement inspirée par… ». Y'a aussi des histoire de droits, puisque Barbereau travaillait aussi à une adaptation en série télé, un format qui aurait sans doute permis de creuser davantage le sujet.

couleur - 2h07  - format scope 1:2.39  


4 commentaires:

  1. Déjà, le bureau des légendes, même si c'est d'un autre niveau que plus belle la vie, c'est plus très crédible à mesure que défilent les épisodes ... mais bon, ça se laisse regarder ...
    Un film (plus ou moins) d'action français, ça me semble être un oxymore ... dès qu'on s'écarte un peu trop de Rohmer, Lelouch et Rivette, ça se voit trop qu'on a pas les moyens, les réalisateurs, les scénaristes, les acteurs, les types aux effets spéciaux ... autant on pouvait faire illusion y'a 30-40 ans, autant maintenant ça fait cinéma du pauvre ...

    Sinon, un type qui traverse la russie pour rentrer chez lui, ça me dit quelque chose (les grands esprits, etc ...)

    RépondreSupprimer
  2. Je crains que le souci ne soit pas un manque de moyen (y'en a) mais un manque d'idées et surtout de savoir-faire. Il s'agit de calibrer la chose pour être certain du retour sur investissement et d'un passage télé. Rohmer et Lelouch... le cinéma français ne se résume pas à ça, tout de même. Les films de cape et d'épée d'André Hunebelle avec Jean Marais, ça avait de la gueule (si on ne connait pas Richard Thorpe et Michael Curtiz).

    "Le Bureau des Légendes" c'était tout de même formidable, dans l'écriture, la mise en scène, l'interprétation, les intrigues, même si à la fin cela se trainait un peu. Avec "Engrenages", une très bonne série française. La crédibilité, on s'en fout. L'histoire d'espionnage dans "La mort aux trousses" elle est crédible ?

    Le type qui traverse la Russie... je ne vois pas... le docteur Jivago ?

    RépondreSupprimer
  3. L'union Soviétique ayant éclaté en 1991, l'emploi de "soviétique" est impropre...
    Gilles Lellouche ne m'inspire rien en tant qu'acteur (comme tant de contemporains) et le rejet en tant que "people" (idem). Il a prouvé en 2017 qu'on pouvait traiter via les réseaux sociaux un candidat à l'élection présidentielles représentant à l'époque 1,5 millions d'électeurs de "sac à m...." sans que cela n'émeuve grand monde... Il est vrai que l'intéressé avait alors commis l'irréparable : enfreindre le "cordon sanitaire" (sic)...

    RépondreSupprimer
  4. Sinon, je constate que nous sommes revenus dans les années 80 : les "barbus" faisant une pause à la buvette, les méchants, ce sont à nouveau les ruskovs...

    RépondreSupprimer