- Deux chroniques consécutives sur l'univers
de la symphonie M'sieur Claude ? Vous dérogez à votre principe de varier les plaisirs
chaque semaine…
- Mais, ma chère Sonia, je n'ai pas
de principe. J'ai découvert ce compositeur aux partitions décoiffantes et
réjouissantes, et en ce moment ce n'est pas inutile… J'en fait profiter nos lecteurs…
- Je vous l'accorde, et les artistes
nous viennent d'où ?
- Un orchestre de Taiwan !
- Heuuu, vous blaguez ! C'est, heuuu…
une contrefaçon, hi hi hi…
- Très rigolo ! L'orient et l'extrême
orient, le Japon notamment, ont un public de mélomanes avertis qui tient la
dragée haute à nos compatriotes ! Là c'est dit !!
Gernot Schmalfuss (né en 1943) XXXX |
La musique est sympa, et la musique classique en
particulier en ce qui me concerne (mon péché mignon). Après l'écoute de
milliers de disques, l'audition de centaines de concerts, il y a toujours la
découverte du compositeur de derrière les fagots qui ne semble connu ni d'Eve
ni d'Adam. Et là, j'apprécie l'informatique qui exploite des analogies dans nos centres d'intérêt lors des achats effectués sur des sites
marchands, ou de l'écoute de morceaux sur YouTube ou Deezer. Ok, nous sommes
musicalement "fliqués", mais ces systèmes nous suggèrent ainsi par mails ou playlist des
horizons nouveaux à travers des extraits d'autres ouvrages parfois déjà connus,
mais la plupart du temps écrits par des petits maîtres que l'histoire n'a pas
hissés au premier plan. Et puis je salue au passage le label autrichien CPO, souvent rencontré dans mes
chronique (Gouvy, Atterberg…)
qui, contrairement, aux majors comme Dgg
n'hésitent pas à graver ce patrimoine délaissé en recourant à des musiciens de
très bon niveaux, même s'il ne sont pas estampillés "virtuoses planétaires" comme ceux des philharmonies
de Vienne, Berlin
ou Chicago.
Et c'est ainsi que nous ne retrouvons de manière
insolite à Taïwan pour écouter une frétillante
symphonie de l'époque classique née sous la plume de Antonio
Cartellieri, un compositeur de l'âge classique qui, comme son
nom ne l'indique pas était allemand… né de père italien cependant.
Sonia ironisait sur le succès de la musique classique
en Extrême-Orient. Si je vous dis que le livret très complet inclus par CPO
propose les textes en allemand, anglais, mais aussi en japonais à la place du
français, vous n'aurez plus aucun doute sur l'inertie de nos ministères de la
culture et de l'éducation, sans compter l'appauvrissement des programmes musicaux
des chaînes de télé publiques. Oui
Sonia, je sais, je radote ! Mais que voulez-vous, je ne me m'y fais pas à cette
situation. Un prof de musique de mon fiston avait décrété que Mozart était un bien plus grand
compositeur que Beethoven car il avait
composé 41 symphonies au lieu de 9 ! Avec des cours aussi c**s, rien de
surprenant qu les jeunes générations se détournent des bonnes musiques de tous les styles !
Sur le web, les informations en français sur cet
ensemble chinois sont inexistantes. Rien de grave, j'adore farfouiller à la
recherche de nouveautés musicologiques, même si mon anglais n'a rien de shakespearien
;o). L'Evergreen Symphonia Orchestra a
été la phase finale d'un travail de pédagogie et de promotion artistiques dans l'île
commencé en 1986. L'orchestre a vu
le jour avec l'appui de consultants étrangers en 2001, en formation de chambre avec une vingtaine de musicien dans
un premier temps, puis dès 2002, son
effectif a été porté à 71 instrumentistes.
C'est le violoniste et maestro indonésien Lim Kek-tjiang qui a conduit le jeune orchestre
à la maturité jusqu'à l'arrivée de Gernot Schmalfuss
en 2007. Ce hautboïste d'origine
allemande, né en 1943, a également
suivi une formation de chef d'orchestre. Il a été soliste de l'orchestre de Munich à partir des années 70
tout en assurant des concerts symphoniques au niveau international. Sa
discographie montre un goût prononcé pour l'époque classique : les génies comme
Mozart ou Haydn,
et leurs contemporains plus confidentiels comme Johan-Gottlieb
Graun, Theodor von
Schacht. Logique que ce chef se soit intéressé à Antonio Cartellieri…
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Antonio
Cartellieri cumulait les handicaps favorisant l'absence de
notoriété. Né en 1772 (Mozart est en pleine gloire), mort en 1807
(Beethoven est en pleine gloire), il n'a
donc vécu que 35 ans à cette époque charnière où la musique de l'époque
classique est dominé par Mozart,
Haydn et Beethoven.
Je parle bien d'époque classique, pas de baroque ! Pour cette subtilité, voir
l'article consacré à C.P.E. Bach (Clic). Si on ajoute à cela que des documents
sur la vie de ce musicien semble rarissimes et que le portrait ci-contre est le
seul connu… difficile de s'imposer. Résumons :
Casimir Antonio Cartellieri voit le jour à Gdansk,
ville encore polonaise avant d'être rattachée à la Prusse en 1795. Son père originaire de Milan explique le patronyme du jeune
homme. Sa mère est native de Riga. Il
commence ses études musicales auprès de ses parents. Gdansk, Riga, le prénom
d'Antonio : très difficile avec de telles références pour percer dans une
Europe où tout semble s'épanouir à Vienne, Prague, Londres, etc. Sa chance, si
je puis dire, sera l'explosion du couple
en 1786 puis le départ avec sa mère
pour Berlin.
De son parcours, guère de certitudes. Étude de la
composition à Berlin, puis départ pour Vienne, la Mecque de la musique
classique. Perfectionnement avec Salieri
? Possible mais pas certain. Cartellieri
rejoint donc ce groupe de musiciens, compositeurs et pédagogues chez qui le
talent l'emporte sur le génie, ce qui n'est pas une raison pour les placer aux
rencards : Czerny, Salieri,
quelques autres… Inutile de préciser que chercher des partitions manuscrites
confère à une chasse aux trésors perdus. Cartellieri
a surtout composé lors de sa courte carrière chez le prince Lobkowicz des cantates, des opéras et
des concertos. Quelques œuvres ont eu l'honneur du disque… À la cour Lobkowicz, dès 1796, il fait aussi office de violoniste et chef d'orchestre.
Cartellieri symphoniste
? Et bien oui depuis les travaux de Dieter
Kückler et Gernot Schmalfuss qui ont joué
aux détectives musicologiques et reconstitué les quatre symphonies gravées sur cet
album. Une musique typiquement viennoise qui n'a rien à envier à certaines
symphonies de Mozart et Haydn. Quatre œuvres qui peuvent
revendiquer sans honte cette illustre filiation.
Nota :
contrairement aux dires de Wikipédia, Cartellieri n'a jamais créé en public la symphonie
"héroïque" de Beethoven qui s'est occupé himself de cette
affaire le 7 avril 1805 à Vienne. Par contre Cartellieri en a sans doute assuré une bêta-exécution privée chez Lobkowicz peu de jours avant. J'avoue avoir une confiance relative dans la rigueur de ce
site encyclopédique… (Source J & B Massin - 1967 - La "Bible" sur Ludwig).
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La date précise de composition et de création des symphonies
semble inconnue. De même l'orchestration n'est pas précisée mais doit se
rapprocher de celle en vigueur chez Haydn dans la série des Londoniennes (sauf la "militaire"), à savoir : 2 flûtes, 2
hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes.
Tout ce qu'il y a de plus classique à cette époque. On peut le déduire de
l'écoute…
Hormis la 2ème
symphonie qui zappe sur le menuet, la forme en quatre mouvements
est également de mise. Toutes les symphonies ont un air de famille, nous
allons écouter la 1ère symphonie un
peu plus dans le détail. Sa durée est de 18'.
1- Allegro : Sur un
martèlement de timbales, un thème héroïque scandé par l'orchestre s'élance avant
de céder la place à une seconde idée plus mélodieuse. Forme sonate académique
oblige, les deux motifs sont repris da capo. La surprise vient de la variété
agreste de l'orchestration. Les bois et les cuivres se taillent un rôle
important dans l'opposition tragi-comique du discours. Le développement, plus
poétique laisse entendre chaque instrument. On pense à un concerto pour
orchestre. Certes Haydn n'est pas loin, mais
plutôt le Haydn des parisiennes de 1785
qui marque l'apogée du style classique, à l'instar des ultimes symphonies de Mozart et de la première de Beethoven.
2 – Andante expressivo
: Cartellieri
imagine son mouvement lent comme un concerto pour cors, bois et cordes. Il en
ressort une mélodie très tendre qui, pour ce passage, peut faire penser à Weber. Cartellieri
s'inscrit parfaitement dans cet âge où le travail sur des contrepoints très étudiés
précède l'époque romantique. Et puis Cartellieri ne se perd pas dans d'inutiles
répétitions, et tout le charme de la composition se concentre sur cette
élégante brièveté. L'Evergreen
Symphonia Orchestra distille un plaisir évident à jouer cette
musique guillerette et peu métaphysique, un plaisir communicatif. C'est bien en
place, l'orchestre respire. On peut noter un manque de chaleur des cordes, une
certaine dureté des bois dans cet orchestre encore vert, petits défauts de
jeunesse qui sont largement compensés par une vitalité éblouissante.
3 – Menueto –
Moderato : Un délicat petit menuet se déhanche sur une mélodie
des cordes. Une fois de plus, on songe à un esprit de sérénade et de
divertissement hérité de Mozart.
Le trio est un court dialogue du hautbois et du basson accompagné des cordes.
4 – Finale Allegro : Le
final est abordé presque avec pathétisme. Le tempo est vif pour ces
frémissements énergiques des cordes. Le développement, très mozartien, montre
encore cet intérêt que porte le compositeur à une participation active de
l'harmonie. Il en ressort une détermination du discours qui ne se démentira pas
dans les trois autres symphonies proposées dans cet album passionnant et
original.
Haydn, Mozart, Beethoven…
Attention de ne pas se méprendre, Cartellieri
ne surgit pas de l'oubli comme un simple imitateur des grands de son temps. Sa
musique porte sa marque personnelle de par son flot vivifiant et coloré. Les
points de composition notés dans la présentation de la première
symphonie prennent encore plus de sens dans les 3ème et 4ème symphonies.
Ces œuvres plus longues (23 minutes) révèlent un univers plus psychologique que
divertissant, notamment dans les adagio-allegro initiaux richement construits. J'irai
même jusqu'à écrire que leur intensité émotionnelle dépasse celle du
jeune Schubert dans
l'écriture de sa première symphonie en 1813. Certes par la suite, ce ne sera plus vrai.
Si Cartellieri n'avait pas quitté ce monde précocement,
il aurait pu nous enchanter. Et à ce sujet, le final de la 3ème
symphonie fait appel à des cymbales et un triangle. La sonorité martiale
obtenue n'est pas sans rappeler une certaine symphonie N° 100 "militaire"
(1794) de Haydn qui recourait aux
mêmes fantaisies orchestrales…
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Et pour faire plus connaissance avec cet orchestre
taïwanais : à la suite de la symphonie, une vidéo d'une ouverture de Chostakovitch dirigé par Gernot
Schmalfuss en 2008. On remarquera que les jeunes et jolies
chinoises dominent par leur nombre l'effectif !!! Nous ne sommes pas au royaume de la phallocratie autrichienne…
Comme tu l'as si un bien écris, prenez un shaker, mettre un tiers de Haydn, un tiers de Mozart et un tiers de Beethoven, rajouter un tiers de Cartellieri et vous aurez une symphonie très agréablement écoutable. Comment Claude ? Dans un shaker il n'y a que trois tiers ? Ben...! Sa dépend de la grandeur de tiers non ??
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