samedi 7 décembre 2019

HAYDN – Les Saisons (Oratorio 1801) – Karl BÖHM (1967) – par Claude Toon



- Ahhhh, le temps frisquet vous inspire M'sieur Claude… Les saisons, surement le printemps pour commencer, comme chez Vivaldi, un peu de chaleur…
- Les saisons ont inspiré nombre de compositeurs Sonia, mais en effet Vivaldi reste de loin le plus connu dans ce domaine avec sa suite de quatre concertos vivifiants…
- Vous mentionnez le mot Oratorio, il y a un rapport avec une liturgie ? Comme l'autre grand oratorio de Haydn, La Création ?
- Non, plutôt des tableaux bucoliques et oui à la fin un chant de reconnaissance… Mais la comparaison est pertinente car ces deux grandes œuvres sont de la même veine.
- Vous nous proposez une gravure ancienne du taciturne Karl Böhm, ce n'est pas trop daté, voire dans un style romantique assez pesant ?
- Bonne remarque. Non, Karl Böhm anime avec vivacité et humour la partition, la prise de son est l'une des meilleures jamais réalisées par DG ; bien entendu, il y a d'autres belles versions…

Haydn vers 1800
La succession des saisons est le concept rêvé pour les compositeurs de musique classique dont la plupart des œuvres reposent sur le principe d'un enchaînement de mouvements, a priori quatre pour ce sujet… Vivaldi, le baroqueux italien est universellement connu grâce à ses "quatre saisons", un ensemble de concertos pour violon solo et orchestre à cordes. Même les moins friands de musique classique en ont entendu parler. Et de vous à moi, parmi les centaines de concertos écrits par le vénitien, voilà l'une de ses plus belles partitions.
Le thème inspire les créateurs dans tous les genres musicaux : voici une petite liste non exhaustive parmi les plus grands : Tchaïkovski a composé une suite pour piano intitulée Les saisons, pourtant elle comprend 12 pièces, une par mois évoquant un moment propre à la vie quotidienne, les fêtes, les travaux des champs… ; plus original, Astor Piazzolla a composé une virevoltante suite en quatre volets pour bandonéon, ensemble de violoncelles et une contrebasse. (Il existe un disque comportant cette œuvre poétique et enflammée couplée à la suite de Tchaïkovski transcrite pour cette formation de cordes, Orféo). Parfois, un musicien se limite à une seule saison : La symphonie "le printemps" de Schuman ou la sonate n°5 titrée de même pour violon et piano de Beethoven (voir l'index). Citons encore Ronde de Printemps pour orchestre de Debussy, la symphonie des saisons de Spohr, mais là, comme on dirait à la Bourse, nous tombons dans le "second marché" 😀.
Avec Haydn, c'est du sérieux (au sens figuré du terme, l'humour et l'épicurisme étant omniprésents dans ses œuvres). En 1801, le compositeur est au crépuscule de sa carrière mais au sommet de son génie pas assez reconnu de nos jours. Il écrit un oratorio composé de quatre cantates de 30 minutes chacune. Pour la forme, on pense à l'oratorio de Noël de Bach ou au Messie de Haendel : des ouvertures orchestrales, des airs, des récitatifs et des chœurs. Le grand jeu, deux bonnes heures de musique d'une fantaisie hors normes…
Je ne reviens pas sur la biographie générale de Haydn déjà développée dans divers articles dont l'un sur trois symphonies "londoniennes" (Clic). Sa production est immense, des centaines de CD. 1795 : le maître a 63 ans, il revient à Vienne après son second voyage à Londres. Une légende de la vie musicale dans toutes les villes d'Europe même à Paris. "Le plus grand compositeur vivant" se plaît-on à dire. Il doit accepter un nouveau mécène, le prince Nicolas II Esterházy. Ce personnage n'aime ni la musique ni Haydn. Plutôt un bienfait, il n'exige de son maître de chapelle qu'une messe par an… Ça tombe bien, Haydn étant Franc-maçon composera lesdites messes "en speed" (six grandes messes verront le jour et ne sont pas si négligeables que cela). Ainsi, il dispose de tout son temps pour travailler sur deux domaines qui le passionnent : le quatuor et l’oratorio.
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Haydn ne s'est jamais impliqué avec fougue dans l'art lyrique. Il a composé des opéras un peu oubliés car oubliables, mais ce travail est un passage obligatoire dans les cours d'Europe. Il a peu écrit pour la liturgie, juste quelques petites messes alimentaires avant le groupe des six dernières plus ambitieuses et pour respecter son contrat. Côté oratorio ou cantate, rien ou presque, sauf à considèrer quand même la transcription pour voix et orchestre de son quatuor énigmatique "les 7 paroles du Christ en croix". Un chef d'œuvre de spiritualité. Ah si, en 1775, un oratorio en italien et assez académique "Le Retour de Tobie".
Fasciné par les oratorios sacrés d'Haendel entendus à Londres comme Israël en Egypte, Haydn va travailler de 1796 à 1798, sur un premier monument : La Création. Pour le livret la tâche sera rude et mêlera les textes de la Genèse, des Psaumes et du Paradis perdu de Milton. À l'inverse d'Haendel qui utilisait un orchestre baroque où dominaient surtout les cordes, Haydn recourt à un orchestre riche, celui élargi des symphonies londoniennes, et qui va devenir la référence pendant toute l'époque romantique qui pointe son nez, en l'occurrence avec les symphonies de Beethoven. Le succès est immense, le public pléthorique écoute depuis les rues avoisinantes tant bien que mal…

Le succès est tel que Le baron Gottfried van Swieten, qui a adapté en anglais La Création, suggère l'idée d'un Oratorio mettant en musique le poème Les Saisons de James Thomson. Haydn sourcille face au manque de religiosité de ce poème, un oratorio doit respecter une certaine dimension sacrée à l'époque. Swieten et Haydn se chamaillent, mais le texte final que d'aucuns trouveront naïf dans sa peinture du monde paysan trouve son équilibre à partir de la version allemande de 1745. On coupe dans les 200 pages de l'œuvre de Thomson, on taille, on chipote, on ajoute les trois personnages pour les airs. Bien entendu, les fans british du poète crient au blasphème, en un mot : la routine de tout projet nouveau !
Baron Gottfried van Swieten
Haydn acceptera le livret en l'état, mais refusera à van Swieten trop d'ajout de bruits de la nature, grenouille et oiseaux, etc. Attendons Mahler et Messiaen pour ce genre de fantaisie, un oratorio même profane ne doit pas devenir une grande "symphonie des jouets".
La première a lieu à Vienne le 24 avril 1801, le succès est plus nuancé que pour la Création même si les solistes et les musiciens sont les mêmes. Nous ne sommes pas encore à l'époque romantique où l'évocation des us et coutumes de la plèbe fait le succès des concerts pour notables !
Donc, quatre parties. Chacune commence par une petite ouverture symphonique. Puis, suit une dizaine de récitatifs, d'airs, de chœurs, mais aussi des dialogues chantés par les solistes en complicité avec le chœur. Une fois de plus Haydn innove, intégrant des éléments propres à l'opéra dans un oratorio. L'ouvrage est extrêmement vivant. Les choristes ont des rôles définis (des paysans par exemple) et chantent soit a cappella soit, divisés, un hymne liturgique. Comme dans la Création qui mettait en scène des personnages bibliques, Haydn imagine ici trois personnages ruraux !
Simon : un fermier (basse) ; Hanne : sa fille (soprano) et Lucas, un jeune paysan (ténor).
L'orchestre est très rutilant pour cette fin de l'âge classique : 2 flûtes + picolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons + 1 contrebasson, 4 cors (c'est exceptionnel, souvent 2), 2 trompettes, 3 trombones (alto, ténor et basse), timbales, tambourin, triangle, cymbales, cordes et pianoforte. Un chœur mixte important. Un effectif que l'on ne retrouvera fréquemment qu'à la seconde moitié du XIXème siècle (Brahms).
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La discographie est assez riche. Par son effectif l'ouvrage s'adapte aussi bien au style moderne, avec des chanteurs lyriques et des orchestres symphoniques, qu'à des ensembles jouant sur instruments d'époque et faisant appel à des chanteurs spécialisés dans le chant baroque. J'ai retenu la version culte de Karl Böhm de 1967 dirigeant l'excellent orchestre symphonique de Vienne. Deux chanteurs ont déjà été présentés dans le blog : la basse finlandaise Martti Talvela, la soprano Gundula Janowitz qui chantera dans la Création dirigée par Karajan en 1969. Enfin le ténor Peter Schreier sera présenté lors d'une chronique à venir. Une grande voix qui débutait sa carrière. Un plus, la prise de son possède une clarté et une dynamique exceptionnelles.
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Plutôt que des explications alambiquées, je préfère proposer ce tableau qui permet de suivre au mieux l'œuvre. En bistre, une traduction du titre de chaque morceau qui permet de se faire une idée de la scénette poétique. Une phrase complémentaire indique la manière qu'a choisie Haydn pour chanter et illustrer musicalement le propos.
On pense parfois que Karl Böhm appartient à l'époque de la direction d'orchestre marmoréenne ! Tu parles… L'introduction vibre d'une vitalité jamais entendue ailleurs, la lisibilité instrumentale est fabuleuse ; les bourgeons éclatent, les agneaux et veaux s'ébrouent. Bluffant ! Je viens d'écouter cette ouverture par l'immense Philippe Herreweghe et l'orchestre des Champs-Elysées. Dieu que c'est appliqué, morne plaine, le printemps se fait requiem, incompréhensible de la part de cette artiste génial… Bon, je vous laisse écouter tranquillement.  (Playlist de 43 vidéos pour 40 airs, chœurs, etc. Les N° dédoublés sont indiqués)

Première partie : Le Printemps
n°1 : Introduction et récitatif des trois solistes dans l’ordre d’entrée basse-ténor-soprano annonçant la fuite de l’hiver et l’arrivée du printemps.
n°2 : Viens, doux printemps : alternance des chœurs d’hommes et de femmes évoquant des chœurs de paysans dans un climat de tradition pastorale.
n°3 : Du Bélier les clairs rayons du soleil tombent sur nous : Récitatif de Simon.
n°4 : Déjà le laboureur accourt au travail : Dans cet air de Simon, le plus célèbre de la partition, Haydn utilise pour la première fois le piccolo imitant le paysan sifflant derrière sa charrue.
n°5 : Le paysan a accompli son ouvrage : Récitatif de Lucas.
n°6 : Sois miséricordieux, Ô ciel ! : Trio des solistes avec chœur, un hymne et se terminant sur une fugue.
n°7 : Notre prière est exaucée : Récitatif de Hanne.
n°8a & 8b : O comme il est aimable le spectacle des prairies : Chant de joie pour solistes et chœurs.
n°9 : Éternel, puissant, bienveillant, Dieu : Chœur se terminant par une fugue à la gloire de Dieu.
[31:45] Deuxième partie : L’Été
n°10 : Dans le voile gris approche la tendre lumière du matin : Introduction et récitatif de Lucas, puis de Simon qui annonce l'arrivée du jour. Le hautbois se prend pour un coq. [34:52]
n°11 : Le gai berger rassemble ses joyeux troupeaux : Sonnerie des cors simulant un ranz suisse, air pastoral de Simon puis récitatif de Hanne.
n°12a & 12b : Il se lève le soleil, il approche, il vient, il rayonne, il brille : Pour trio et chœur. Un largo évoquant le lever du soleil, solistes et chœur.
n°13 : Maintenant tout s’anime et se meut : Récitatif de Simon puis récitatif de Lucas.
n°14 : La nature succombe sous le poids : Cavatine de Lucas soutenue par les cordes en sourdine, une flûte et un hautbois.
n°15 : Salut maintenant, sombres bosquets : Récitatif de Hanne.
n°16 : Quel réconfort pour les sens : Air de Hanne, cordes et un hautbois solo, intervention des autres instruments soulignant l'idée de l'éveil de forces nouvelles.
n°17 : Voyez! Dans l’air alourdi s’élève un nuage : Récitatif de Simon et Lucas, au loin un peu de tonnerre (roulement de timbales), récitatif de Hanne
n°18 : Ah, l’orage approche : L'orage éclate, fortissimo de tout l'orchestre ! Les flûtes cinglent les éclairs (la tempête dans la "pastorale" de Beethoven ?)
n°19a & 19b : Les sombres nuages se dissipent : trio et chœurs. On entend divers cris d’animaux : les fameuses grenouilles finalement acceptées par Haydn.

[1:07:32] Troisième partie : L’Automne
n°20 : Ce que le printemps par ses fleurs avait promis : récitatif de Hanne, puis récitatif de Lucas et Simon
n°21 : Ainsi la nature récompense-t-elle le travail : trio et chœurs
n°22 : Voyez comme la jeunesse accourt : récitatifs de Hanne, Simon puis Lucas.
n°23 : Venez beauté de la ville, et regardez les filles de la nature : Duo entre Lucas et Hanne, traité comme un duo d’amour d’opéra. (Ça devait arriver.)
n°24 : Maintenant les champs dénudés : Récitatif de Simon.
n°25 : Voyez sur les vastes prairies comme le chien file dans l’herbe ! : Air de Simon. Un chien traque le gibier. Tentative désespérée de la proie pour s'échapper. Un coup de feu et la mort de l'animal (la voix de Simon descend de deux octaves).
n°26 : Ici un cercle compact lève les lièvres au gîte : Récitatif de Lucas.
n°27 : Ecoutez les échos bruyants : Les cors convient les paysans à la chasse ; course poursuite et hallali des trombones excluant trompettes et timbales.
n°28 : Sur le cep brille maintenant : Récitatif des trois solistes.
n°29a & 29b : Vivat ! Le vin est là : Deux chœurs, un air joyeux de Ländler (danse villageoise) puis, les choristes "pris de boisson" 😋. Utilisation de percussions, inhabituel chez Haydn.

[1:41:52] Quatrième partie : l’Hiver
n°30 : Maintenant décroît l’année blafarde : Introduction adagio contrastant avec la liesse enivrée de la fin de l'Automne, récitatif de Simon.
n°31 : Lumière et vie sont affaiblies : Cavatine de Hanne accompagnée des cordes seules.
n°32 : Le grand lac est pétrifié : Récitatif de Lucas.
n°33 : Ici le voyageur s’arrête : Air de Lucas qui voyage et piétine dans la neige découragé… Réjouissance en découvrant la chaleur d'un refuge.
n°34 : Comme il approche, résonne à son oreille le son vif de voix claires : Récitatif des trois solistes.
n°35 : Ronronne, bourdonne, ronronne ! : Chanson de Hanne qui file le lin, le chœur simule le bruit du rouet (Chant des fileuses de Gottfried August Bürger.)
n°36 : Le lin est filé : Récitatif de Lucas
n°37 : Une fille qui tenait à l’honneur : Hanne et chœur ; Chanson d'un autre auteur, Christian Felix Weisse.
n°38 : Venant de l’est aride un souffle glacé avance : Récitatif de Simon.
n°39 : Contemple ici homme insensé, contemple l’image de la vie : Air et récitatif de Simon (citation tirée de la 40ème symphonie de Mozart).
n°40 : Alors le grand jour arrive : introduction joyeuse de tout l'orchestre. Trio de solistes et double chœur. Fugue teintée d'humanisme sur des thèmes maçonniques puis conclusion monumentale d'essence chrétienne, un hymne de reconnaissance marquée par deux Amen !!



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Pour conclure, trois versions hautement recommandables :
Dans le style orchestre moderne, en 1969 Herbert von Karajan signe pour EMI une interprétation qui fait toujours concurrence à la production de Karl Böhm. On retrouve Gundula Janowitz secondée par Werner Hollweg et Walter Berry, la basse favorite du maestro autrichien. Là encore une belle vitalité qui ne quitte pas le catalogue (EMI – 5/6).
Pour ceux qui recherchent un orchestre et des chœurs plus allégés, l'interprétation de Neville Marriner est pour eux. Une belle probité, mais le petit grain de bonhomie et le rayon de soleil pourra manquer à certains mélomanes (Philips – 5/6).

Sur instruments d'époque, ma préférence va à René Jacobs et son Freiburger Barockorchester qui retrouvent l'énergie et les myriades de couleurs de la partition. J'ajoute l'introduction du printemps en vidéo pour justifier ce propos. Les chanteurs sont des complices du chef : Werner Güra, Dietrich Henschel, Marlis Petersen. (HM – 6/6)

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