- Ahhhh, le temps frisquet vous inspire M'sieur Claude… Les saisons,
surement le printemps pour commencer, comme chez Vivaldi, un peu de
chaleur…
- Les saisons ont inspiré nombre de compositeurs Sonia, mais en effet
Vivaldi reste de loin le plus connu dans ce domaine avec sa suite de
quatre concertos vivifiants…
- Vous mentionnez le mot Oratorio, il y a un rapport avec une liturgie ?
Comme l'autre grand oratorio de Haydn, La Création ?
- Non, plutôt des tableaux bucoliques et oui à la fin un chant de
reconnaissance… Mais la comparaison est pertinente car ces deux grandes
œuvres sont de la même veine.
- Vous nous proposez une gravure ancienne du taciturne Karl Böhm, ce
n'est pas trop daté, voire dans un style romantique assez pesant ?
- Bonne remarque. Non, Karl Böhm anime avec vivacité et humour la
partition, la prise de son est l'une des meilleures jamais réalisées par
DG ; bien entendu, il y a d'autres belles versions…
Haydn vers 1800 |
La succession des saisons est le concept rêvé pour les compositeurs de
musique classique dont la plupart des œuvres reposent sur le principe d'un
enchaînement de mouvements, a priori quatre pour ce sujet…
Vivaldi, le baroqueux italien est universellement connu grâce à ses "quatre saisons", un ensemble de
concertos pour violon
solo et orchestre à cordes. Même les moins friands de musique classique en
ont entendu parler. Et de vous à moi, parmi les centaines de concertos
écrits par le vénitien, voilà l'une de ses plus belles partitions.
Le thème inspire les créateurs dans tous les genres musicaux : voici une
petite liste non exhaustive parmi les plus grands :
Tchaïkovski
a composé une suite pour piano intitulée
Les saisons, pourtant elle comprend 12 pièces, une par mois évoquant un moment propre
à la vie quotidienne, les fêtes, les travaux des champs… ; plus original,
Astor Piazzolla
a composé une virevoltante suite en quatre volets pour bandonéon, ensemble
de violoncelles et une contrebasse. (Il existe un disque comportant cette
œuvre poétique et enflammée couplée à la suite de
Tchaïkovski
transcrite pour cette formation de cordes, Orféo). Parfois, un
musicien se limite à une seule saison : La
symphonie
"le printemps" de
Schuman
ou la
sonate n°5
titrée de même pour violon et piano de
Beethoven
(voir l'index). Citons encore
Ronde de Printemps
pour orchestre de
Debussy, la symphonie des saisons de
Spohr, mais là, comme on dirait à la Bourse, nous tombons dans le "second marché" 😀.
Avec
Haydn, c'est du sérieux (au sens figuré du terme, l'humour et l'épicurisme étant
omniprésents dans ses œuvres). En
1801, le compositeur est au
crépuscule de sa carrière mais au sommet de son génie pas assez reconnu de
nos jours. Il écrit un oratorio composé de quatre cantates de 30 minutes
chacune. Pour la forme, on pense à l'oratorio de Noël
de
Bach
ou au
Messie
de
Haendel
: des ouvertures orchestrales, des airs, des récitatifs et des chœurs. Le
grand jeu, deux bonnes heures de musique d'une fantaisie hors normes…
Je ne reviens pas sur la biographie générale de
Haydn
déjà développée dans divers articles dont l'un sur trois
symphonies "londoniennes"
(Clic). Sa production est immense, des centaines de CD.
1795 : le maître a 63 ans, il
revient à Vienne après son second voyage à Londres. Une légende de la vie
musicale dans toutes les villes d'Europe même à Paris. "Le plus grand compositeur vivant" se plaît-on à dire. Il doit accepter un nouveau mécène, le prince
Nicolas II Esterházy. Ce
personnage n'aime ni la musique ni Haydn. Plutôt un bienfait, il n'exige de son maître de chapelle qu'une messe par
an… Ça tombe bien,
Haydn
étant Franc-maçon composera lesdites messes "en speed" (six grandes messes
verront le jour et ne sont pas si négligeables que cela). Ainsi, il dispose
de tout son temps pour travailler sur deux domaines qui le passionnent : le
quatuor et l’oratorio.
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Haydn
ne s'est jamais impliqué avec fougue dans l'art lyrique. Il a composé des
opéras un peu oubliés car oubliables, mais ce travail est un passage
obligatoire dans les cours d'Europe. Il a peu écrit pour la liturgie, juste
quelques petites messes alimentaires avant le groupe des six dernières plus
ambitieuses et pour respecter son contrat. Côté oratorio ou cantate, rien ou
presque, sauf à considèrer quand même la transcription pour voix et
orchestre de son
quatuor
énigmatique "les 7 paroles du Christ en croix". Un chef d'œuvre de spiritualité. Ah si, en
1775, un oratorio en italien et
assez académique "Le Retour de Tobie".
Fasciné par les oratorios sacrés d'Haendel entendus à Londres comme
Israël en Egypte,
Haydn
va travailler de 1796 à
1798, sur un premier monument :
La Création. Pour le livret la tâche sera rude et mêlera les textes de la
Genèse, des
Psaumes et du
Paradis
perdu de
Milton. À l'inverse d'Haendel
qui utilisait un orchestre baroque où dominaient surtout les cordes,
Haydn
recourt à un orchestre riche, celui élargi des
symphonies londoniennes, et qui va devenir la référence pendant toute l'époque romantique qui
pointe son nez, en l'occurrence avec les
symphonies
de
Beethoven. Le succès est immense, le public pléthorique écoute depuis les rues
avoisinantes tant bien que mal…
Le succès est tel que
Le baron Gottfried van Swieten,
qui a adapté en anglais
La Création, suggère l'idée d'un Oratorio mettant en musique le poème
Les Saisons de
James Thomson.
Haydn
sourcille face au manque de religiosité de ce poème, un oratorio doit
respecter une certaine dimension sacrée à l'époque.
Swieten et
Haydn
se chamaillent, mais le texte final que d'aucuns trouveront naïf dans sa
peinture du monde paysan trouve son équilibre à partir de la version
allemande de 1745. On coupe
dans les 200 pages de l'œuvre de
Thomson, on taille, on chipote,
on ajoute les trois personnages pour les airs. Bien entendu, les fans
british du poète crient au blasphème, en un mot : la routine de tout projet
nouveau !
Baron Gottfried van Swieten |
La première a lieu à Vienne le 24 avril
1801, le succès est plus nuancé
que pour
la Création
même si les solistes et les musiciens sont les mêmes. Nous ne sommes pas
encore à l'époque romantique où l'évocation des us et coutumes de la plèbe
fait le succès des concerts pour notables !
Donc, quatre parties. Chacune commence par une petite ouverture
symphonique. Puis, suit une dizaine de récitatifs, d'airs, de chœurs, mais
aussi des dialogues chantés par les solistes en complicité avec le chœur.
Une fois de plus
Haydn
innove, intégrant des éléments propres à l'opéra dans un oratorio. L'ouvrage
est extrêmement vivant. Les choristes ont des rôles définis (des paysans par
exemple) et chantent soit a cappella soit, divisés, un hymne liturgique.
Comme dans
la Création
qui mettait en scène des personnages bibliques,
Haydn
imagine ici trois personnages ruraux !
Simon
: un fermier (basse) ; Hanne :
sa fille (soprano) et Lucas,
un jeune paysan (ténor).
L'orchestre est très rutilant pour cette fin de l'âge classique : 2 flûtes
+ picolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons + 1 contrebasson, 4 cors
(c'est exceptionnel, souvent 2), 2 trompettes, 3 trombones (alto, ténor et
basse), timbales, tambourin, triangle, cymbales, cordes et pianoforte. Un
chœur mixte important. Un effectif que l'on ne retrouvera fréquemment qu'à
la seconde moitié du XIXème siècle (Brahms).
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La discographie est assez riche. Par son effectif l'ouvrage s'adapte aussi bien au style moderne, avec des chanteurs lyriques et des orchestres symphoniques, qu'à des ensembles jouant sur instruments d'époque et faisant appel à des chanteurs spécialisés dans le chant baroque. J'ai retenu la version culte de Karl Böhm de 1967 dirigeant l'excellent orchestre symphonique de Vienne. Deux chanteurs ont déjà été présentés dans le blog : la basse finlandaise Martti Talvela, la soprano Gundula Janowitz qui chantera dans la Création dirigée par Karajan en 1969. Enfin le ténor Peter Schreier sera présenté lors d'une chronique à venir. Une grande voix qui débutait sa carrière. Un plus, la prise de son possède une clarté et une dynamique exceptionnelles.
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Plutôt que des explications alambiquées, je préfère proposer ce tableau qui
permet de suivre au mieux l'œuvre. En bistre, une traduction du titre de
chaque morceau qui permet de se faire une idée de la scénette poétique. Une
phrase complémentaire indique la manière qu'a choisie
Haydn
pour chanter et illustrer musicalement le propos.
On pense parfois que
Karl Böhm
appartient à l'époque de la direction d'orchestre marmoréenne ! Tu parles…
L'introduction vibre d'une vitalité jamais entendue ailleurs, la lisibilité
instrumentale est fabuleuse ; les bourgeons éclatent, les agneaux et veaux
s'ébrouent. Bluffant ! Je viens d'écouter cette ouverture par l'immense
Philippe
Herreweghe
et l'orchestre des Champs-Elysées. Dieu que c'est appliqué, morne plaine, le printemps se fait requiem,
incompréhensible de la part de cette artiste génial… Bon, je vous laisse
écouter tranquillement. (Playlist de 43 vidéos pour 40 airs, chœurs,
etc. Les N° dédoublés sont indiqués)
Première partie : Le Printemps
|
|
n°1 : Introduction et récitatif des trois solistes dans l’ordre
d’entrée basse-ténor-soprano annonçant la fuite de l’hiver et
l’arrivée du printemps.
n°2 :
Viens, doux printemps
: alternance des chœurs d’hommes et de femmes évoquant des chœurs
de
paysans
dans un climat de tradition pastorale.
n°3 :
Du Bélier les clairs rayons du soleil tombent sur nous
: Récitatif de
Simon.
n°4 :
Déjà le laboureur accourt au travail
: Dans cet air de
Simon, le plus célèbre de la partition,
Haydn utilise pour la première fois le piccolo imitant le paysan
sifflant derrière sa charrue.
n°5 :
Le paysan a accompli son ouvrage
: Récitatif de
Lucas.
n°6 :
Sois miséricordieux, Ô ciel !
: Trio des solistes avec chœur, un hymne et se terminant sur une
fugue.
n°7 :
Notre prière est exaucée
: Récitatif de
Hanne.
n°8a & 8b :
O comme il est aimable le spectacle des prairies
: Chant de joie pour solistes et chœurs.
n°9 :
Éternel, puissant, bienveillant, Dieu
: Chœur se terminant par une fugue à la gloire de
Dieu.
|
|
[31:45]
Deuxième partie : L’Été
|
|
n°10 :
Dans le voile gris approche la tendre lumière du matin
: Introduction et récitatif de
Lucas, puis de
Simon
qui annonce l'arrivée du
jour. Le hautbois se prend pour un
coq. [34:52]
n°11 :
Le gai berger rassemble ses joyeux troupeaux
: Sonnerie des cors simulant un
ranz suisse, air pastoral de
Simon
puis récitatif de
Hanne.
n°12a & 12b :
Il se lève le soleil, il approche, il vient, il rayonne, il
brille
: Pour trio et chœur. Un largo évoquant le lever du soleil,
solistes et chœur.
n°13 :
Maintenant tout s’anime et se meut
: Récitatif de
Simon
puis récitatif de
Lucas.
n°14 :
La nature succombe sous le poids
: Cavatine de
Lucas
soutenue par les cordes en sourdine, une flûte et un
hautbois.
n°15 :
Salut maintenant, sombres bosquets
: Récitatif de
Hanne.
n°16 :
Quel réconfort pour les sens
: Air de
Hanne, cordes et un hautbois solo, intervention des autres instruments
soulignant l'idée de l'éveil de forces nouvelles.
n°17 :
Voyez! Dans l’air alourdi s’élève un nuage
: Récitatif de
Simon
et
Lucas, au loin un peu de
tonnerre
(roulement de timbales), récitatif de
Hanne
n°18 :
Ah, l’orage approche :
L'orage éclate, fortissimo de tout l'orchestre ! Les flûtes cinglent les
éclairs
(la tempête dans la "pastorale" de
Beethoven
?)
n°19a & 19b :
Les sombres nuages se dissipent
: trio et chœurs. On entend divers cris d’animaux : les fameuses
grenouilles
finalement acceptées par
Haydn.
|
|
[1:07:32]
Troisième partie : L’Automne
|
|
n°20 :
Ce que le printemps par ses fleurs avait promis
: récitatif de
Hanne, puis récitatif de
Lucas
et
Simon
n°21 :
Ainsi la nature récompense-t-elle le travail
: trio et chœurs
n°22 :
Voyez comme la jeunesse accourt
: récitatifs de
Hanne,
Simon
puis
Lucas.
n°23 :
Venez beauté de la ville, et regardez les filles de la
nature
: Duo entre
Lucas
et
Hanne, traité comme un duo d’amour d’opéra. (Ça devait arriver.)
n°24 :
Maintenant les champs dénudés
: Récitatif de Simon.
n°25 :
Voyez sur les vastes prairies comme le chien file dans
l’herbe !
: Air de
Simon. Un chien traque le gibier. Tentative désespérée de la
proie
pour s'échapper. Un coup de feu et la mort de
l'animal
(la voix de
Simon
descend de deux octaves).
n°26 :
Ici un cercle compact lève les lièvres au gîte
: Récitatif de Lucas.
n°27 :
Ecoutez les échos bruyants
: Les cors convient les paysans à la
chasse
; course poursuite et hallali des trombones excluant trompettes et
timbales.
n°28 :
Sur le cep brille maintenant
: Récitatif des trois solistes.
n°29a & 29b :
Vivat ! Le vin est là
: Deux chœurs, un air joyeux de
Ländler
(danse villageoise) puis, les choristes "pris de boisson" 😋. Utilisation de percussions, inhabituel chez Haydn.
|
|
[1:41:52]
Quatrième partie : l’Hiver
|
|
n°30 :
Maintenant décroît l’année blafarde
: Introduction adagio contrastant avec la liesse enivrée de la fin
de l'Automne, récitatif de
Simon.
n°31 :
Lumière et vie sont affaiblies
: Cavatine de
Hanne
accompagnée des cordes seules.
n°32 :
Le grand lac est pétrifié
: Récitatif de
Lucas.
n°33 :
Ici le voyageur s’arrête
: Air de
Lucas
qui voyage et piétine dans la neige découragé… Réjouissance en
découvrant la chaleur d'un
refuge.
n°34 :
Comme il approche, résonne à son oreille le son vif de voix
claires
: Récitatif des trois solistes.
n°35 :
Ronronne, bourdonne, ronronne
! : Chanson de
Hanne
qui file le lin, le chœur simule le bruit du rouet (Chant des
fileuses de
Gottfried August Bürger.)
n°36 :
Le lin est filé
: Récitatif de
Lucas
n°37 :
Une fille qui tenait à l’honneur
:
Hanne et chœur ; Chanson d'un autre auteur,
Christian Felix Weisse.
n°38 :
Venant de l’est aride un souffle glacé avance
: Récitatif de Simon.
n°39 :
Contemple ici homme insensé, contemple l’image de la
vie
: Air et récitatif de
Simon (citation tirée
de la 40ème symphonie de
Mozart).
n°40 :
Alors le grand jour arrive
: introduction joyeuse de tout l'orchestre. Trio de solistes et
double chœur. Fugue teintée d'humanisme sur des
thèmes maçonniques
puis conclusion monumentale d'essence
chrétienne, un hymne de reconnaissance marquée par deux
Amen
!!
|
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Pour conclure, trois versions hautement recommandables :
Dans le style orchestre moderne, en
1969
Herbert von Karajan
signe pour EMI une
interprétation qui fait toujours concurrence à la production de
Karl Böhm. On retrouve
Gundula Janowitz
secondée par
Werner Hollweg
et Walter Berry, la basse favorite du maestro autrichien. Là encore une belle vitalité
qui ne quitte pas le catalogue (EMI
– 5/6).
Pour ceux qui recherchent un orchestre et des chœurs plus allégés,
l'interprétation de
Neville Marriner
est pour eux. Une belle probité, mais le petit grain de bonhomie et le
rayon de soleil pourra manquer à certains mélomanes (Philips
– 5/6).
Sur instruments d'époque, ma préférence va à
René Jacobs
et son
Freiburger Barockorchester
qui retrouvent l'énergie et les myriades de couleurs de la partition.
J'ajoute l'introduction du printemps en vidéo pour justifier ce
propos. Les chanteurs sont des complices du chef :
Werner Güra,
Dietrich Henschel,
Marlis Petersen. (HM – 6/6)
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