- Mais Claude, Ring ce n'est pas une série de films d'horreur japonais
et yankee, une vidéo maudite, une fille pourrie dans un puits ? Que
vient faire Wagner dans cette affaire ?
- Tu mélanges tout Sonia ! Le Ring est une abréviation du titre
générique "Der Ring des Nibelungen" (l'anneau du Nibelung), un ensemble
de quatre opéras comme Siegfried et La Walkyrie, de l'Héroïc Fantasy
avant l'heure…
- Ah ouiii, je suis sotte, une quinzaine d'heures en tout… Mais la
chronique va cumuler cinquante pages… Du délire !
- Je te rassure, je n'envisage pas de commenter ces opéras pour lesquels
la littérature est déjà très abondante. Philippe Jordan l'a dirigé en
France de 2010 à 2013 à l'opéra Bastille. Ce disque est une anthologie
symphonique, mais moins banale que celles saturant la discographie…
- Tu veux parler des disques avec la Chevauchée des Walkyrie, la marche
funèbre de Siegfried, les passages archi-connus…
- Exactement, certes on y écoute ces incontournables mais aussi des
morceaux moins courants et la scène finale chantée par Nina Stemme… Et
l'intégrale culte de 1953 à Bayreuth (Clemens Krauss)
Philippe Jordan |
Philippe Jordan |
Sacré
Wagner
! L'œuvre de sa vie, trois opéras et un prologue sous le titre
tétralogie… Un anneau en or qui attire la poisse à une famille de dieux, des géants,
un dragon, des jeunes guerriers et guerrières… On suspecte Wagner
comme étant un mentor d'Hitler. Je connais même quelqu'un qui pensait
que le compositeur avait sa carte au parti nazi, une intellectuelle en plus…
Ah c'est sûr,
Wagner
mort en 1883 et l'infâme moustachu né en 1890, on sent la
haute réflexion. Le führer qui aurait dû mieux écouter et étudier la
démonstration dans le
Ring
: les conflits de pouvoir, et la soif de l'or magique conduisent tous les
personnages à l'anéantissement total dans
Le crépuscule des dieux, le fangeux Walhalla disparaissant dans un océan de flammes (comme les
villes allemandes en 1945) et l'anneau maléfique retournant au calme
dans les flots du Rhin.
Ok,
Wagner
habile philosophe et compositeur de génie ne brillait pas par l'empathie… Ô
la jalousie a bien compliqué la vision que l'on a de l'homme : son théâtre à
Bayreuth offert de son vivant par un roi un peu dingue,
Louis II de Bavière, dont
Richard
était un courtisan assidu, le monarque étant un fan obsessionnel de ses
opéras. Après tout, plutôt que crever de faim comme
Schubert… Plus contestable,
Wagner, comme 99% de ses concitoyens chrétiens, professait un antisémitisme
culturel. De nos jours où l'on parle à longueur de temps
d'assimilation, l'islamophobie a rejoint l'antisémitisme rampant.
Wagner n'admettait pas un judaïsme qui s'excluait des règles de la vie en société germanique et qui préférait l'autarcie. Néanmoins, attention aux a priori ; citons le documentariste et musicologue Hilan Warshaw : "Par conséquent, ce serait une injustice, un anachronisme, et une méconnaissance de la réalité objective de confondre l'antijudaïsme tel que le manifestait Wagner comme nombre de ses contemporains, avec l'antisémitisme racialiste des nazis durant le siècle suivant." Je ne me cherche pas une excuse alambiquée pour justifier mon admiration pour la musique d'un compositeur étiqueté depuis sa mort comme sulfureux. Une conséquence de l'exploitation par des soudards abjects fascinés par le style héroïque de son œuvre et les accents parfois "barbares" de son orchestration. Siegfried ou Lohengrin étaient-il les archétypes du surhomme aryen ? Franchement, quelle question idiote ! Je m'oblige à adhérer à la réalité des faits, même choquante, et à nuancer mes jugements, j'abhorre le sectarisme woke.
Hilan Warshaw (1977) |
Après la mort de
Richard, sa fille Cosima et surtout sa belle-fille Winifred (un
monstre en jupon) l'épouse de Siegfried, le fils de Richard, transformeront Bayreuth au fil des ans en l'un des pires bastions nazis…
Ce qui a mis exagérément en avant ce trait dérangeant de la pensée
wagnérienne, on ne peut le nier. Dérangeant mais ambiguë,
Wagner
côtoyait nombre de juifs, à la fois musiciens et amis… le pianiste
Carl Tausig, le maestro
Hermann Levi
qui dirigea la première de
Parsifal,
Angelo Neumann, qui fit la promotion des opéras du maître dans toute l'Europe et le
pianiste
Joseph Rubinstein.
Les artistes et créateurs ne choisissent pas leur public, hélas. On
parle actuellement de supprimer les noms de
Richard
Strauss
des rues et places en Bavière qui portent son nom.
Richard
Strauss
âgé à l'époque de la seconde guerre et qui fut congédié en 1935 de
ses fonctions de président de la
Reichsmusikkammer, car insuffisamment
impliqué dans l'idéologie nazie au dire des dirigeants. Autre controverse :
faire de même à Vienne pour
Herbert von Karajan
qui, certes avait adhéré au parti par carriérisme pour pouvoir
exercer sa passion. Il sera détesté par Hitler suite à un
"loupé" dans
les maîtres chanteurs
en 1939, Hitler donnera cet ordre à Winifred Wagner :
"Moi vivant, Herr von Karajan ne dirigera jamais à Bayreuth" et, en 1945, le maestro devait fuir une possible arrestation…
Cette tentative d'une génération polémiste de réécrire un passé douloureux
voire honteux en effaçant jusqu'à l'existence des personnalités artistiques
en retrait face au régime maudit de leur patrie est grotesque. On ne
reproche aucunement à cette jeunesse l'ignominie de certains de leurs aînés.
Les noms de Himmler, Goebbels, Goering resteront
associés à jamais à l'indicible, sauf à caviarder les livres d'histoire, on
ne s'en prive pas outre-Rhin. Celui de
Wagner
sera, lui, en priorité, associé à deux des plus beaux drames d'amour et de
mysticisme de l'art Lyrique :
Tristan & Isolde
et
Parsifal.
Tu vois Sonia, on en arrive toujours à déplorer les ravages de l'inculture
et des débats superficiels. La musique adoucit les mœurs, alors écoutons là.
- Pourquoi cette mise au point sur un ton mesuré et nourrie
d'informations contrôlées au moins dix fois te connaissant…
- On vit une époque troublée Sonia, beaucoup de journalistes ou de
politiciens réécrivent l'histoire à des fins de propagande assez viles…
Et dans d'innombrables sujets : artistiques, géopolitiques,
scientifiques… C'est angoissant…
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Wagner vers 1860 |
XXXX |
Impossible de résumer une saga lyrique aussi monumentale, scindée en un
prologue et trois opéras ; ces trois derniers durant quatre heures
chacun et le prologue 2 bonnes heures. Il existe une littérature
considérable sur un travail de rédaction du livret et de mise en musique qui
occupera
Wagner
de 1848 pour anticiper les options esthétiques, philosophiques et
musicologiques structurant l'ouvrage jusqu'à la création du conclusif
Crépuscule des Dieux
en 1876. Je n'ai rien à innover dans le domaine, seuls quelques
indications sur le contexte des extraits symphoniques se justifient pour
savourer la beauté épique de la partition. 28 ans de travail avec une
interruption d'une douzaine d'années consacrées à la composition de
Tristan et Isolde
représenté en 1865, puis de l'unique opéra burlesque de
Wagner
:
les maîtres Chanteurs de Nuremberg
créé en 1868.
Wagner
rédige en 1848 un plan du projet. En créateur romantique avéré, il
exploite les légendes moyenâgeuses, Le
Mythe des Nibelungen, long récit daté
du XIIème siècle mettant en scène des nains exploitant des mines
d'or dans les tréfonds de la terre et les exploits du guerrier Siegfried… Je
n'ose pas rafraîchir vos mémoires, Tolkien dans
Le Seigneur des anneaux puise également
abondamment dans ces textes tout comme Fritz Lang dans son film muet
Les Nibelungen de 1924. Une
autre source d'inspiration évidente sera les panthéons grecs et nordiques,
mythologies inépuisables pour structurer le livret de conflits de puissance
et de domination ; dans ce domaine aucun changement, noblesses et
politiciens ayant pris la place de ces divinités corruptibles. Notons que
l'intérêt du compositeur pour les poèmes épiques conduira
Wagner
à adapter les textes celtes pour
Tristan et Isolde
et les légendes arthuriennes du Graal pour
Parsifal
et pour
Lohengrin, on pense à Chrétien de Troyes et Wolfram von Eschenbach…
Pour le
Ring, Wagner
fera preuve d'ne ambition créatrice démesurée :
concevoir l'œuvre d'art total. Sur la forme : le livret (8000 vers),
la musique (une centaine de leitmotive et un orchestre pléthorique) ; sur le
fond : Wagner
intègre toute ses interrogations : Le
Ring
deviendra dissertation philosophique, sociologique et même psychanalytique
sur le machiavélisme du pouvoir, du désir, de la trahison, mais aussi de
l'amour. Comme on dit "vaste sujet"😊.
Chanson des Nibelungen Manuscrit |
On comprendra mieux la limite que je me fixe de préférer guider le lecteur
découvrant ces pages symphoniques isolées des opéras. Dessiner le contexte
narratif d'un morceau réduit au style "poème symphonique" suffit en
lui-même. Raconter même brièvement l'intégralité de l'ouvrage n'a ici aucun
intérêt. Les plus courageux pourront lire les articles de Wikipédia
(Clic).
De nombreuses gravures d'extraits symphoniques existent déjà depuis
l'invention du phonographe. Certains sont très enregistrés voire trop comme
la Chevauchée des Walkyries qui,
de vous à moi, n'est peut-être pas justement le passage le plus inspiré 😊.
J'avais consacré en 2013 une chronique à l'anthologie
Wagner
d'Otto Klemperer de 1963 en omettant volontairement les morceaux extraits du
Ring, en concentrant l'écoute sur les autres grands opéras comme
Lohengrin,
Tristan,
Tannhäuser, etc. Nous avions écouté en 2013 l'Orchestre de Cleveland
dirigé par
George Szell dans Voyage sur le Rhin &
Marche funèbre de
Siegfried.
Philippe Jordan
nous gâte avec ce double album, des extraits connus mais des adaptations
inédites de l'Or du Rhin, et la
scène ultime du Crépuscule des Dieux
chantée par
Nina Stemme.
(Clic)
Philippe Jordan
a déjà fait la une de la chronique consacrée à sa production de
Salomé
de
Richard Strauss
au
Royal Opera of Covent Garden
en 2008 paru en DVD.
Philippe Jordan
se montra avec la fougue de son
Ring
donné à l'Opéra Paris-Bastille entre 2010 et 2013 un
talentueux héritier de son père
Armin Jordan, maestro suisse de renom disparu en 2006 et lui aussi interprète
inspiré du
Ring
à l'opéra de Genève (Clic).
3 flûtes + 2 piccolos, 4 hautbois + 1 cor anglais, 3 clarinettes si♭ et la,
1 clarinette basse si♭, 3 bassons, 8 cors + 4 tubas wagnériens en si♭
et fa, 4 trompettes en ut, 1 trompette basse en mi♭, 4 trombones (2 ténors,
basse et contrebasse), tuba contrebasse, timbales 2 percussionnistes,
cymbales, grosse caisse, tam-tam, triangle, glockenspiel, 6 harpes ! 16
violons I, 16 seconds II, 12 altos, 12 violoncelles,
8 contrebasses.
Derniers détails, les esquisses de L'or du Rhin datent de 1851. La Walkyrie sera composé entre 1851 et 1856. Les ébauches de Siegfried, qui un temps était un projet isolé, datent de 1848 mais la dernière note ne sera couchée qu'en 1871. Entre temps, de 1857 à 1859 Wagner compose Tristan en témoignage d'amour "platonique" envers Mathilde Wesendonck, puis entre 1861 et 1867, la comédie lyrique Les maîtres chanteurs de Nuremberg voit le jour. Dès 1868, Wagner apporte des corrections aux œuvres déjà écrites et termine Le crépuscule des Dieux en 1874. L'or du Rhin et La Walkyrie sont créés à Munich en 1869 et 1870. L'intégrale du Ring est enfin représentée pendant l'été 1876 au Festspielhaus de Bayreuth dont la construction est fraîchement achevée ! Un conseil, faites un planning 😊.
~~~~~~~~~~~~~~~~
Les filles du Rhin et Alberich (Opéra de Dresde). Photo © Matthias Creutziger. |
Das Rheingold : prélude, intermèdes et entrée des dieux dans le Walhalla
Dans le
Ring, le prologue et les trois journées (opéras) du
Ring
ne comportent pas d'ouverture, contrairement, par exemple, à
Tristan
et Parsifal
dont les ouvertures riches en leitmotive adoptent la forme d'un poème
symphonique proche du quart d'heure. Dans le
Ring, une courte introduction nous plonge directement dans la scène de l'acte
I, remarque applicable aux autres actes des trois journées. De fait, par
leur brièveté, ces introductions ne sont jamais jouées dans les anthologies
symphoniques. Pour L'Or du Rhin, Erato et
Philippe Jordan
proposent une "suite" inédite puisée dans les épisodes les plus palpitants.
Trois parties sont enchaînées dans la vidéo 1.
Découverte pittoresque ! il y a quelques temps, j'avais commenté la
technique*, a priori innovante, d'enrichissement des accords chromatiques,
note par note, paire de pupitres par paire de pupitres des cordes, dans la
musique de sphères
de 1920 de
Rued Langgaard.
(Clic)
La sophistication de la tonalité et des timbres évoluant ainsi de mesure en
mesure pour aboutir à un énigmatique climat sonore. Enfer et damnation, je
parcours la partition du prélude de l'Or du Rhin
et je m'aperçois que l'extravagant danois a chapardé cette idée géniale au
grand
Wagner.
(*) Solfège un peu ésotérique, vous pouvez zapper, je ne vous en voudrai
pas 😊.
Nina Stemme chante Brünehilde |
Imaginons le Rhin à l'aurore, un lever de soleil, l'évocation majestueuse
du domaine des dieux, les sombres forêts, le courant puissant du fleuve,
symbole de domination. 8 contrebasses puis 3 bassons (à partir de la
cinquième mesure) incarnent le grondement des flots, soutiennent un sombre
accord legato pendant 117 mesures (!!). La musique semble surgir du néant.
Pourtant, respiration oblige, toutes les quatre mesures, les bassons
marquent une pause exprimant le halètement d'une ascension, celle qui
marquera la fin du prologue quand les Dieux grimperont vers le Walhalla.
Mesure 17 [0:32], le 8ème cor, rejoint de mesure en mesure par
ses sept confrères développent une mélodie illustrant l'ondulation des eaux.
La beauté des sonorités favorisant le grave est suffocante. Difficile
d'imaginer que cette musique débute une saga aussi violente. [1:34] un thème
ondoyant et sensuel aux cordes illustre le jeu aquatique des trois filles du
Rhin, des ondines chargées de veiller sur l'or magique, objet de toute les
convoitises.
Philippe Jordan
n'hésite pas à dramatiser de manière prémonitoire le flot musical par une
direction bien articulée.
Ce prélude introduit la scène 1. Les nymphes Woglinde,
Wellgunde et Flosshilde ne sont guère sérieuses. Le nain
laid et lubrique Alberich tentera de les séduire en encaissant
leurs sarcasmes. Naïves, les filles le laisseront maudire l'"amour" (au
sens sentimental), imprécation lui permettant de voler l'or et d'obtenir
le pouvoir absolu. 14H de tragédie commence… Alberich retourne
vers l'antre des nains, Mime lui forge son anneau d'or…
Originalité du disque : L'or du Rhin n'inclut pas de passage orchestral avant le final. Le chef compose ici un pot-pourri de brèves sections. Synopsis : Le Dieu des dieux, Wotan, aidé par le Dieu du feu Loge descendra voler l'or dans l'antre des nains. Il utilisera le larcin pour payer les géants Fafner et Fasolt bâtisseur du Walhalla ; de l'or à la place de l'union forcée avec Freia, déesse de la beauté et de la fécondité et fille de Fricka, l'épouse de Wotan. Fafner tue Fasolt et s'enfuit avec l'or qu'il gardera après sa métamorphose en dragon. Wotan et sa suite entrent dans le Walhalla. Cette fausse conclusion donne à Wagner l'opportunité d'écrire une monumentale conclusion orchestrale.
Jonas Kaufmann est Sigmund |
[4:00]
Philippe Jordan
nous régale dans diverses séquences : les jeux nautiques des filles dominés
par le facétieux hautbois. [4:56] La seconde scène permet la visite près du
futur Walhalla et l'exposé des leitmotive au cor et de mélodies en
arpèges de harpes pleines de douceur avant la fureur. [8:48] Voici l'un des
"clous" de l'Or du Rhin
: la descente dans l'antre des nains ; la haine et la fourberie commencent
leur ravage illustrées par une musique ténébreuse et diabolique et le fracas
des enclumes. [12:07]
Philippe Jordan
n'oublie pas les négociations hargneuses avec les géants, leur marche lourde
et pataude scandée aux contrebasses. Bien que ce "montage" semble un peu
B.O.F, il magnifie l'habileté mélodique et orchestrale du compositeur, la
synergie entre la frénésie de l'action et une instrumentation aux accents
débridés. [14:45] De sublimes trémolos annoncent le célèbre final souvent
enregistré et sous-titré "entrée des dieux dans le Walhalla". Dramatisme et grandiloquence (volontaire) marquent la victoire à la
Pyrrhus de Wotan ayant sauvé Freia. La direction de
Philippe Jordan
se veut subtile, favorisant chaque solo, dégageant chaque leitmotiv. En un
mot, la musique de
Wagner
perd son côté étiqueté à tort bourrin pour retrouver sa quintessence : le
romantisme suprême.
2 & 3 Die Walküre : Chevauchée des Walkyries & Incantation du feu
Les deux morceaux choisis correspondent au début et à la conclusion de
l'Acte III de la première journée. Résumé très minimaliste :
Un guerrier blessé, Sigmund se réfugie chez Hunding, un
noble Nibelung en froid avec Wotan depuis le vol de l'or, et
Sieglinde fille illégitime de Wotan et épouse de
Hunding (un mariage arrangé). Sigmund est aussi un batârd
de Wotan (il l'ignore). Sieglinde et Sigmund se
séduise en secret. Influencé par Fricka, déesse du mariage
ulcérée par l'inceste, Wotan tue Sigmund en châtiment de
cette liaison. De cette union naîtra Siegfried, enfant sauvé tout
comme sa mère par Brünnehilde, fille de Wotan et sœur des
Walkyries, des guerrières. Pour avoir sauvé Sieglinde et
Siegfried, Brünnehilde sera emprisonnée par son père dans
un cercle de feu que seul un preux chevalier pourra rompre, chevalier
chargé aussi de reprendre l'or à Fafner. Deux
extraits :
La Chevauchée des Walkyries est une
introduction fort connue, on la joue sans les chants des guerrières occupées
à ramasser les morceaux de leurs victimes, beurk 😫. Franchement une page
tonitruante et un soupçon grandiloquente, les cymbales surchauffent…
Siegfried réveille Brünnehilde |
XXX |
L'Incantation du feu : ce morceau
rarement joué de manière isolé le mérite pourtant. Il repose sur une mélopée
mêlant de nombreux leitmotive dont ceux qui formeront la thématique
annonçant la destruction totale du Walhalla à la fin du
Crépuscule des Dieux. Une profonde amertume du discours montre des héros qui ont perdu de leur
superbe. Wotan, fatigué, se résout-il vraiment à l'emprisonnement de
sa fille de son propre gré ?
Philippe Jordan
souligne avec passion l'infinie variété des motifs, sa direction très
nuancée et le recours à un tempo enfiévré exaltent les contradictions
psychologiques qui sont légion dans cet opéra : la droiture, la fidélité et
l'engagement vs l'adultère et l'inceste, le serment chevaleresque vs la
trahison.
Wagner
termine la première journée par une complainte pianissimo aux sonorités
diaphanes égaillées par le dialogue enchanteur des six harpes et du
glockenspiel ; des timbres féériques et cristallins d'une modernité que l'on
n'entendra plus avant l'ère moderne. Tous les autres pupitres nimbent la
scène d'une sourde inquiétude en s'associant ppp dans l'extrême
grave.
4 Siegfried : Murmures de la forêt
Des années ont passé… Siegfried jeune homme frustre et sans peur
a été élevé par Mime, le frère d'Alberich. Le but des
frères est d'envoyer Siegfried tuer Fafner pour lui
reprendre l'or. De son côté Wotan déguisé en voyageur fait de
même. Pour intriguer, ça intrigue ! Siegfried ressoude enfin
l'épée magique de Sigmund, Notung, brisée dans l'épisode
précédent. Siegfried parvient à tuer Fafner, mais un
oiseau lui révèle la conjuration. Il occit Mime.
Siegfried apprend qu'il est l'élu pour libérer
Brünnehilde de sa prison ardente. Wotan tente de l'en
empêcher mais Siegfried brise sa lance, laissant
Wotan définitivement convaincu que l'époque des Dieux est
révolue, qu'une nouvelle génération plus jeune de simples humains peut
s'imposer. Brünnehilde et Siegfried, tante et neveu,
s'éprennent l'un de l'autre et décident de mettre fin à la domination de
toutes les divinités, décision préfigurant ainsi la troisième et
dernière journée.
Les Murmures de la forêt est un
passage très apprécié. On peut trouver ses racines dans la
Scène au bord du ruisseau
de la "Pastorale" de
Beethoven. La pièce débute sur un rythme bucolique aux cordes, [2:37] au loin on
entend des cors, [2:53] l'intervention du violon solo touche au sublime et
introduit [3:20] le chant des flûtes et des picolos imitant le gazouillis
des oiseaux qui accompagnent la course du jeune homme. Le morceau s'achève
de manière guillerette, symbolisant l'ardeur de
Siegfried.
Siegfried combat Fafner |
5 à 7 Le Crépuscule des dieux :
5 - Voyage de Siegfried sur le Rhin, 6 - Marche Funèbre de Siegfried, 7 -
Immolation de Brünnehilde chantée par Nina Stemme.
Le titre de la dernière journée-opéra résume le synopsis à lui seul… la
complexité des événements est telle que les spécialistes estiment que
Wagner
surcharge exagérément l'histoire et le nombre de personnages… donc
juste un récapitulatif. En plus des trois actes, un prologue met en
scène trois "Nornes" (mi divinités mi pythonisses) qui remémorent
les actes précédents pour en tisser l'avenir. Leur corde du destin se
rompt, les Dieux n'ont plus d'avenir. En quelques mots, l'heure a sonné
de juger les crimes, la fourberie et l'appât de l'or dans un feu
expiatoire qui anéantira divinités et créatures perfides.
Brünnehilde
s'éloigne provisoirement de Siegfried qui part vers d'autres
combats…
(Voyage de Siegfried sur le Rhin").
Le fils d'Alberich, Hagen, tentera par divers maléfices
et utilisation de filtres de reprendre l'or […] et tuera
Siegfried d'un coup de lance dans le dos.
(Marche Funèbre de Siegfried.)
Brünnehilde
décide de mettre fin à toutes ces haines. Un bûcher engloutira le corps
de Siegfried, le Walhalla, puis Brünnehilde qui,
après avoir honorer Siegfried et maudit Wotan, se jette
dans le brasier avec son cheval Grane, symbole de fidélité. Le
Walhalla s'effondre, le Rhin déborde. Les
filles du Rhin reprennent l'anneau et entraînent Hagen
dans les abysses…
(Immolation de Brünnehilde).
Le
Voyage de Siegfried sur le Rhin s'apparente à une ouverture épique par ses dimensions (12 minutes).
Débutant sur de sombres accords,
Wagner
développe un chant épique aux clarinettes, classiques et basses, puis élance
le héros dans une chevauchée richement orchestrée que l'on aurait souhaitée
plus hardie sous la baguette de
Philippe Jordan. L'orchestre de l'opéra de Paris atteint ses limites par rapport aux
Philharmonies de Vienne
ou de
Berlin. Cela dit la direction reste vivante et les couleurs des cuivres sont de
bon aloi.
Wagner
signe l'un des intermèdes orchestraux parmi les plus riches du
Ring
par sa maîtrise des variations sur maints leitmotive.
Brünnehilde se jette dans le bûcher |
La Marche Funèbre de Siegfried est une
œuvre dans l'œuvre ; pathétique et déchirante, on assiste à une procession
chancelante de personnages épuisés par les félonies, un chœur funèbre et
désespéré des cuivres et des cymbales mais sans la facilité braillarde de la
Chevauchée des Walkyries.
L'immolation de Brünnehilde conclut le
drame.
Brünnehilde
chante sa détresse, honnit l'anneau maudit, embrase le bûcher. L'orchestre
l'accompagne de mille feux grâce à une instrumentation d'une richesse
stupéfiante, enchaînant les leitmotive opposant chagrin, anathème et colère.
[11:17] Cette rage éclate par un rugissement des trombones et des tubas.
[12:32] Les flammes embrasent la scène.
Nina Stemme
(soprano dramatique suédoise) tient le rôle avec passion et sans les
débordements vocaux entendus par le passé. [16:10] On n'entend pas l'ultime
supplication de
Hagen. La "coda" est une marche tragique, un cataclysme orchestral, [16:40] mais
Wagner
choisit le thème de la
Rédemption par l'amour, hymne quasi
mystique, des vagues impétueuses de violons et de harpes (toujours le Rhin,
mais assagi), [18:23] la perfidie laissant enfin place à l'extase
amoureuse…
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les quatre dernières gravures agrémentant ce billet sont de
Arthur Rackam (1867-1939), dessinateur anglais qui a œuvré dans le
domaine de l'illustration des contes pour enfants (ceux de Grimm)
mais aussi pour adultes comme cette série dédiée au
Ring
de
Wagner. Moins célèbre que le graveur Gustave Doré inimitable par la
précision de son trait, le graphisme de Rackam se singularise par les
expressions des visages et surtout par des couleurs mordorées inspirées à
l'évidence par Turner. (Non Sonia ! Pas Rackam le Rouge, on parle de Wagner pas de
Tintin ; Tss Tss !!)
La playlist de l'album de Philippe Jordan puis prévoyez une grande thermos de café, des barres vitaminées, une bouteille d'eau, tout pour une quinzaine d'heures culte (pauses pipi comprises) : 1953 - Bayreuth et Clemens Krauss. Une biographie succincte de grand wagnérien (1893-1954) est à consulter dans la chronique dédiée à la Rhapsodie pour Contralto de Brahms chantée par Kathleen Ferrier. Je mentionnais déjà ce Ring historique dans cette mini biographie. (Clic)
~~~~~~~~~~~~~~~~~
Alberich et les filles du Rhin |
XXX |
Cet album anthologique sera une belle initiation à l'univers orchestral du
Ring. De plus, la dernière scène chantée par
Nina Stemme
permet de s'évader de l'aspect purement orchestral vers l'art lyrique
moderniste de
Wagner
et, nouveauté non négligeable, les ajouts inédits dans l'or du Rhin
étendent largement la vision d'un
Wagner
orchestrateur imaginatif. Les autres maestros se limitent aux morceaux
traditionnels.
La prise de son, comme l'orchestre, ne détrônent pas les musts de
Georg Solti
à Vienne, de
Herbert von Karajan
à Berlin, de
Karl Böhm
à Bayreuth pour citer les trois premières réalisations en stéréo des années
60. Mais apprécier ce niveau supérieur se mérite en écoutant les 14 heures
de ce blockbuster scénique 😊😊.
Pour les versions plus anciennes, on trouve des gravures forcément
nasillardes à écouter comme témoignage historique… avec des chanteurs aux
physiques ingrats (Lauritz Melchior
-1890-1972 – archétype du
Siegfried grassouillet vêtu de
sa peau de bête 😊 – on peut en rire, au disque on ne le voit pas… Mais bon
sang quelle voix pour cet homme qui chanta 70 fois le
Ring). Une version sort nettement du lot grâce à une monophonie correcte captée
à Bayreuth en 1953 et l'intensité héroïque qui anime
l'interprétation, celle de
Clemens Krauss
avec des voix qui n'existent plus de nos jours, les amateurs d'opéras
apprécieront :
Astrid Varnay,
Regina Resnik,
Wolfgang Windgassen,
Hans Hotter, Gerhard Stolze, Ludwig Weber…
En DVD, retenons le renouveau amorcé par le duo
Boulez
- Chéreau de 1976 à 1980 qui fit scandale par la mise
en scène provocante. Les chanteurs s'investissent et gagnent en crédibilité
théâtrale (on ne peut pas tout avoir).
En 1992, à la tête de l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise,
Bernard Haitink
au sommet de son talent signe sans doute la meilleure version récente du
Ring. La Direction d'orchestre est fluide, transparente et la prise de son
favorise tous les détails.
Siegfried Jerusalem
est le grand
Siegfried
de l'époque,
Théo Adam
campe un Alberich détestable (il
le chante depuis près de quarante ans),
James Morris
a la réputation d'être le meilleur
Wotan des temps, il le confirme
(un nouveau
Hans Hotter). La soprano dramatique
Eva Marton
n'est pas la
Brünnehilde rêvée, sa prestation manque du
souffle héroïque exigé, mais la conviction est là. Une
Brünnehilde au tempérament féminin ? Et
pourquoi pas ?
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