lundi 7 mars 2022

WAGNER – Der Ring des Nibelungen – P. JORDAN (Anthologie - 2013) / C. KRAUSS (1953) - par Claude Toon


- Mais Claude, Ring ce n'est pas une série de films d'horreur japonais et yankee, une vidéo maudite, une fille pourrie dans un puits ? Que vient faire Wagner dans cette affaire ?
- Tu mélanges tout Sonia ! Le Ring est une abréviation du titre générique "Der Ring des Nibelungen" (l'anneau du Nibelung), un ensemble de quatre opéras comme Siegfried et La Walkyrie, de l'Héroïc Fantasy avant l'heure…
- Ah ouiii, je suis sotte, une quinzaine d'heures en tout… Mais la chronique va cumuler cinquante pages… Du délire !
- Je te rassure, je n'envisage pas de commenter ces opéras pour lesquels la littérature est déjà très abondante. Philippe Jordan l'a dirigé en France de 2010 à 2013 à l'opéra Bastille. Ce disque est une anthologie symphonique, mais moins banale que celles saturant la discographie…
- Tu veux parler des disques avec la Chevauchée des Walkyrie, la marche funèbre de Siegfried, les passages archi-connus…
- Exactement, certes on y écoute ces incontournables mais aussi des morceaux moins courants et la scène finale chantée par Nina Stemme… Et l'intégrale culte de 1953 à Bayreuth (Clemens Krauss)


Philippe Jordan
Philippe Jordan

Sacré Wagner ! L'œuvre de sa vie, trois opéras et un prologue sous le titre tétralogie… Un anneau en or qui attire la poisse à une famille de dieux, des géants, un dragon, des jeunes guerriers et guerrières… On suspecte Wagner comme étant un mentor d'Hitler. Je connais même quelqu'un qui pensait que le compositeur avait sa carte au parti nazi, une intellectuelle en plus… Ah c'est sûr, Wagner mort en 1883 et l'infâme moustachu né en 1890, on sent la haute réflexion. Le führer qui aurait dû mieux écouter et étudier la démonstration dans le Ring : les conflits de pouvoir, et la soif de l'or magique conduisent tous les personnages à l'anéantissement total dans Le crépuscule des dieux, le fangeux Walhalla disparaissant dans un océan de flammes (comme les villes allemandes en 1945) et l'anneau maléfique retournant au calme dans les flots du Rhin.

Ok, Wagner habile philosophe et compositeur de génie ne brillait pas par l'empathie… Ô la jalousie a bien compliqué la vision que l'on a de l'homme : son théâtre à Bayreuth offert de son vivant par un roi un peu dingue, Louis II de Bavière, dont Richard était un courtisan assidu, le monarque étant un fan obsessionnel de ses opéras. Après tout, plutôt que crever de faim comme Schubert… Plus contestable, Wagner, comme 99% de ses concitoyens chrétiens, professait un antisémitisme culturel. De nos jours où l'on parle à longueur de temps d'assimilation, l'islamophobie a rejoint l'antisémitisme rampant.

Wagner n'admettait pas un judaïsme qui s'excluait des règles de la vie en société germanique et qui préférait l'autarcie. Néanmoins, attention aux a priori ; citons le documentariste et musicologue Hilan Warshaw : "Par conséquent, ce serait une injustice, un anachronisme, et une méconnaissance de la réalité objective de confondre l'antijudaïsme tel que le manifestait Wagner comme nombre de ses contemporains, avec l'antisémitisme racialiste des nazis durant le siècle suivant." Je ne me cherche pas une excuse alambiquée pour justifier mon admiration pour la musique d'un compositeur étiqueté depuis sa mort comme sulfureux. Une conséquence de l'exploitation par des soudards abjects fascinés par le style héroïque de son œuvre et les accents parfois "barbares" de son orchestration. Siegfried ou Lohengrin étaient-il les archétypes du surhomme aryen ? Franchement, quelle question idiote ! Je m'oblige à adhérer à la réalité des faits, même choquante, et à nuancer mes jugements, j'abhorre le sectarisme woke. 


Hilan Warshaw (1977)

Après la mort de Richard, sa fille Cosima et surtout sa belle-fille Winifred (un monstre en jupon) l'épouse de Siegfried, le fils de Richard, transformeront Bayreuth au fil des ans en l'un des pires bastions nazis… Ce qui a mis exagérément en avant ce trait dérangeant de la pensée wagnérienne, on ne peut le nier. Dérangeant mais ambiguë, Wagner côtoyait nombre de juifs, à la fois musiciens et amis… le pianiste Carl Tausig, le maestro Hermann Levi qui dirigea la première de Parsifal, Angelo Neumann, qui fit la promotion des opéras du maître dans toute l'Europe et le pianiste Joseph Rubinstein.

Les artistes et créateurs ne choisissent pas leur public, hélas. On parle actuellement de supprimer les noms de Richard Strauss des rues et places en Bavière qui portent son nom. Richard Strauss âgé à l'époque de la seconde guerre et qui fut congédié en 1935 de ses fonctions de président de la Reichsmusikkammer, car insuffisamment impliqué dans l'idéologie nazie au dire des dirigeants. Autre controverse : faire de même à Vienne pour Herbert von Karajan qui, certes avait adhéré au parti par carriérisme pour pouvoir exercer sa passion.  Il sera détesté par Hitler suite à un "loupé" dans les maîtres chanteurs en 1939, Hitler donnera cet ordre à Winifred Wagner : "Moi vivant, Herr von Karajan ne dirigera jamais à Bayreuth" et, en 1945, le maestro devait fuir une possible arrestation…

Cette tentative d'une génération polémiste de réécrire un passé douloureux voire honteux en effaçant jusqu'à l'existence des personnalités artistiques en retrait face au régime maudit de leur patrie est grotesque. On ne reproche aucunement à cette jeunesse l'ignominie de certains de leurs aînés. Les noms de Himmler, Goebbels, Goering resteront associés à jamais à l'indicible, sauf à caviarder les livres d'histoire, on ne s'en prive pas outre-Rhin. Celui de Wagner sera, lui, en priorité, associé à deux des plus beaux drames d'amour et de mysticisme de l'art Lyrique : Tristan & Isolde et Parsifal.

Tu vois Sonia, on en arrive toujours à déplorer les ravages de l'inculture et des débats superficiels. La musique adoucit les mœurs, alors écoutons là.

- Pourquoi cette mise au point sur un ton mesuré et nourrie d'informations contrôlées au moins dix fois te connaissant…
- On vit une époque troublée Sonia, beaucoup de journalistes ou de politiciens réécrivent l'histoire à des fins de propagande assez viles… Et dans d'innombrables sujets : artistiques, géopolitiques, scientifiques… C'est angoissant…  

~~~~~~~~~~~~~~~~~


Wagner vers 1860
XXXX

Impossible de résumer une saga lyrique aussi monumentale, scindée en un prologue et trois opéras ; ces trois derniers durant quatre heures chacun et le prologue 2 bonnes heures. Il existe une littérature considérable sur un travail de rédaction du livret et de mise en musique qui occupera Wagner de 1848 pour anticiper les options esthétiques, philosophiques et musicologiques structurant l'ouvrage jusqu'à la création du conclusif Crépuscule des Dieux en 1876. Je n'ai rien à innover dans le domaine, seuls quelques indications sur le contexte des extraits symphoniques se justifient pour savourer la beauté épique de la partition. 28 ans de travail avec une interruption d'une douzaine d'années consacrées à la composition de Tristan et Isolde représenté en 1865, puis de l'unique opéra burlesque de Wagner : les maîtres Chanteurs de Nuremberg créé en 1868.

Wagner rédige en 1848 un plan du projet. En créateur romantique avéré, il exploite les légendes moyenâgeuses, Le Mythe des Nibelungen, long récit daté du XIIème siècle mettant en scène des nains exploitant des mines d'or dans les tréfonds de la terre et les exploits du guerrier Siegfried… Je n'ose pas rafraîchir vos mémoires, Tolkien dans Le Seigneur des anneaux puise également abondamment dans ces textes tout comme Fritz Lang dans son film muet Les Nibelungen de 1924. Une autre source d'inspiration évidente sera les panthéons grecs et nordiques, mythologies inépuisables pour structurer le livret de conflits de puissance et de domination ; dans ce domaine aucun changement, noblesses et politiciens ayant pris la place de ces divinités corruptibles. Notons que l'intérêt du compositeur pour les poèmes épiques conduira Wagner à adapter les textes celtes pour Tristan et Isolde et les légendes arthuriennes du Graal pour Parsifal et pour Lohengrin, on pense à Chrétien de Troyes et Wolfram von Eschenbach…  

Pour le RingWagner fera preuve d'ne ambition créatrice démesurée : concevoir l'œuvre d'art total. Sur la forme : le livret (8000 vers), la musique (une centaine de leitmotive et un orchestre pléthorique) ; sur le fond : Wagner intègre toute ses interrogations : Le Ring deviendra dissertation philosophique, sociologique et même psychanalytique sur le machiavélisme du pouvoir, du désir, de la trahison, mais aussi de l'amour. Comme on dit "vaste sujet"😊.


Chanson des Nibelungen Manuscrit

On comprendra mieux la limite que je me fixe de préférer guider le lecteur découvrant ces pages symphoniques isolées des opéras. Dessiner le contexte narratif d'un morceau réduit au style "poème symphonique" suffit en lui-même. Raconter même brièvement l'intégralité de l'ouvrage n'a ici aucun intérêt. Les plus courageux pourront lire les articles de Wikipédia (Clic).

 

De nombreuses gravures d'extraits symphoniques existent déjà depuis l'invention du phonographe. Certains sont très enregistrés voire trop comme la Chevauchée des Walkyries qui, de vous à moi, n'est peut-être pas justement le passage le plus inspiré 😊. J'avais consacré en 2013 une chronique à l'anthologie Wagner d'Otto Klemperer de 1963 en omettant volontairement les morceaux extraits du Ring, en concentrant l'écoute sur les autres grands opéras comme Lohengrin, Tristan, Tannhäuser, etc. Nous avions écouté en 2013 l'Orchestre de Cleveland dirigé par George Szell dans Voyage sur le Rhin & Marche funèbre de Siegfried.

Philippe Jordan nous gâte avec ce double album, des extraits connus mais des adaptations inédites de l'Or du Rhin, et la scène ultime du Crépuscule des Dieux chantée par Nina Stemme. (Clic) Philippe Jordan a déjà fait la une de la chronique consacrée à sa production de Salomé de Richard Strauss au Royal Opera of Covent Garden en 2008 paru en DVD. Philippe Jordan se montra avec la fougue de son Ring donné à l'Opéra Paris-Bastille entre 2010 et 2013 un talentueux héritier de son père Armin Jordan, maestro suisse de renom disparu en 2006 et lui aussi interprète inspiré du Ring à l'opéra de Genève (Clic).

3 flûtes + 2 piccolos, 4 hautbois + 1 cor anglais, 3 clarinettes si♭ et la, 1 clarinette basse si♭, 3 bassons, 8 cors + 4 tubas wagnériens en si♭ et fa, 4 trompettes en ut, 1 trompette basse en mi♭, 4 trombones (2 ténors, basse et contrebasse), tuba contrebasse, timbales 2 percussionnistes, cymbales, grosse caisse, tam-tam, triangle, glockenspiel, 6 harpes ! 16 violons I, 16 seconds II, 12 altos, 12 violoncelles, 8 contrebasses. 

Derniers détails, les esquisses de L'or du Rhin datent de 1851. La Walkyrie sera composé entre 1851 et 1856. Les ébauches de Siegfried, qui un temps était un projet isolé, datent de 1848 mais la dernière note ne sera couchée qu'en 1871. Entre temps, de 1857 à 1859 Wagner compose Tristan en témoignage d'amour "platonique" envers Mathilde Wesendonck, puis entre 1861 et 1867, la comédie lyrique Les maîtres chanteurs de Nuremberg voit le jour. Dès 1868, Wagner apporte des corrections aux œuvres déjà écrites et termine Le crépuscule des Dieux en 1874. L'or du Rhin et La Walkyrie sont créés à Munich en 1869 et 1870. L'intégrale du Ring est enfin représentée pendant l'été 1876 au Festspielhaus de Bayreuth dont la construction est fraîchement achevée ! Un conseil, faites un planning 😊.

~~~~~~~~~~~~~~~~


Les filles du Rhin et Alberich (Opéra de Dresde).
Photo © Matthias Creutziger.

Das Rheingold : prélude, intermèdes et entrée des dieux dans le Walhalla

Dans le Ring, le prologue et les trois journées (opéras) du Ring ne comportent pas d'ouverture, contrairement, par exemple, à Tristan et Parsifal dont les ouvertures riches en leitmotive adoptent la forme d'un poème symphonique proche du quart d'heure. Dans le Ring, une courte introduction nous plonge directement dans la scène de l'acte I, remarque applicable aux autres actes des trois journées. De fait, par leur brièveté, ces introductions ne sont jamais jouées dans les anthologies symphoniques. Pour L'Or du Rhin, Erato et Philippe Jordan proposent une "suite" inédite puisée dans les épisodes les plus palpitants. Trois parties sont enchaînées dans la vidéo 1.

Découverte pittoresque ! il y a quelques temps, j'avais commenté la technique*, a priori innovante, d'enrichissement des accords chromatiques, note par note, paire de pupitres par paire de pupitres des cordes, dans la musique de sphères de 1920 de Rued Langgaard. (Clic) La sophistication de la tonalité et des timbres évoluant ainsi de mesure en mesure pour aboutir à un énigmatique climat sonore. Enfer et damnation, je parcours la partition du prélude de l'Or du Rhin et je m'aperçois que l'extravagant danois a chapardé cette idée géniale au grand Wagner.

(*) Solfège un peu ésotérique, vous pouvez zapper, je ne vous en voudrai pas 😊.


Nina Stemme chante Brünehilde

Imaginons le Rhin à l'aurore, un lever de soleil, l'évocation majestueuse du domaine des dieux, les sombres forêts, le courant puissant du fleuve, symbole de domination. 8 contrebasses puis 3 bassons (à partir de la cinquième mesure) incarnent le grondement des flots, soutiennent un sombre accord legato pendant 117 mesures (!!). La musique semble surgir du néant. Pourtant, respiration oblige, toutes les quatre mesures, les bassons marquent une pause exprimant le halètement d'une ascension, celle qui marquera la fin du prologue quand les Dieux grimperont vers le Walhalla. Mesure 17 [0:32], le 8ème cor, rejoint de mesure en mesure par ses sept confrères développent une mélodie illustrant l'ondulation des eaux. La beauté des sonorités favorisant le grave est suffocante. Difficile d'imaginer que cette musique débute une saga aussi violente. [1:34] un thème ondoyant et sensuel aux cordes illustre le jeu aquatique des trois filles du Rhin, des ondines chargées de veiller sur l'or magique, objet de toute les convoitises. Philippe Jordan n'hésite pas à dramatiser de manière prémonitoire le flot musical par une direction bien articulée.

Ce prélude introduit la scène 1. Les nymphes Woglinde, Wellgunde et Flosshilde ne sont guère sérieuses. Le nain laid et lubrique Alberich tentera de les séduire en encaissant leurs sarcasmes. Naïves, les filles le laisseront maudire l'"amour" (au sens sentimental), imprécation lui permettant de voler l'or et d'obtenir le pouvoir absolu. 14H de tragédie commence… Alberich retourne vers l'antre des nains, Mime lui forge son anneau d'or…

Originalité du disque : L'or du Rhin n'inclut pas de passage orchestral avant le final. Le chef compose ici un pot-pourri de brèves sections. Synopsis : Le Dieu des dieux, Wotan, aidé par le Dieu du feu Loge descendra voler l'or dans l'antre des nains. Il utilisera le larcin pour payer les géants Fafner et Fasolt bâtisseur du Walhalla ; de l'or à la place de l'union forcée avec Freia, déesse de la beauté et de la fécondité et fille de Fricka, l'épouse de Wotan. Fafner tue Fasolt et s'enfuit avec l'or qu'il gardera après sa métamorphose en dragon. Wotan et sa suite entrent dans le Walhalla. Cette fausse conclusion donne à Wagner l'opportunité d'écrire une monumentale conclusion orchestrale.

Jonas Kaufmann est Sigmund

[4:00] Philippe Jordan nous régale dans diverses séquences : les jeux nautiques des filles dominés par le facétieux hautbois. [4:56] La seconde scène permet la visite près du futur Walhalla et l'exposé des leitmotive au cor et de mélodies en arpèges de harpes pleines de douceur avant la fureur. [8:48] Voici l'un des "clous" de l'Or du Rhin : la descente dans l'antre des nains ; la haine et la fourberie commencent leur ravage illustrées par une musique ténébreuse et diabolique et le fracas des enclumes. [12:07] Philippe Jordan n'oublie pas les négociations hargneuses avec les géants, leur marche lourde et pataude scandée aux contrebasses. Bien que ce "montage" semble un peu B.O.F, il magnifie l'habileté mélodique et orchestrale du compositeur, la synergie entre la frénésie de l'action et une instrumentation aux accents débridés. [14:45] De sublimes trémolos annoncent le célèbre final souvent enregistré et sous-titré "entrée des dieux dans le Walhalla". Dramatisme et grandiloquence (volontaire) marquent la victoire à la Pyrrhus de Wotan ayant sauvé Freia. La direction de Philippe Jordan se veut subtile, favorisant chaque solo, dégageant chaque leitmotiv. En un mot, la musique de Wagner perd son côté étiqueté à tort bourrin pour retrouver sa quintessence : le romantisme suprême.

 

2 & 3 Die Walküre : Chevauchée des Walkyries & Incantation du feu

Les deux morceaux choisis correspondent au début et à la conclusion de l'Acte III de la première journée. Résumé très minimaliste : Un guerrier blessé, Sigmund se réfugie chez Hunding, un noble Nibelung en froid avec Wotan depuis le vol de l'or, et Sieglinde fille illégitime de Wotan et épouse de Hunding (un mariage arrangé). Sigmund est aussi un batârd de Wotan (il l'ignore). Sieglinde et Sigmund se séduise en secret. Influencé par Fricka, déesse du mariage ulcérée par l'inceste, Wotan tue Sigmund en châtiment de cette liaison. De cette union naîtra Siegfried, enfant sauvé tout comme sa mère par Brünnehilde, fille de Wotan et sœur des Walkyries, des guerrières. Pour avoir sauvé Sieglinde et Siegfried, Brünnehilde sera emprisonnée par son père dans un cercle de feu que seul un preux chevalier pourra rompre, chevalier chargé aussi de reprendre l'or à Fafner. Deux extraits :

La Chevauchée des Walkyries est une introduction fort connue, on la joue sans les chants des guerrières occupées à ramasser les morceaux de leurs victimes, beurk 😫. Franchement une page tonitruante et un soupçon grandiloquente, les cymbales surchauffent…

Siegfried réveille Brünnehilde
XXX

L'Incantation du feu : ce morceau rarement joué de manière isolé le mérite pourtant. Il repose sur une mélopée mêlant de nombreux leitmotive dont ceux qui formeront la thématique annonçant la destruction totale du Walhalla à la fin du Crépuscule des Dieux. Une profonde amertume du discours montre des héros qui ont perdu de leur superbe. Wotan, fatigué, se résout-il vraiment à l'emprisonnement de sa fille de son propre gré ? Philippe Jordan souligne avec passion l'infinie variété des motifs, sa direction très nuancée et le recours à un tempo enfiévré exaltent les contradictions psychologiques qui sont légion dans cet opéra : la droiture, la fidélité et l'engagement vs l'adultère et l'inceste, le serment chevaleresque vs la trahison. Wagner termine la première journée par une complainte pianissimo aux sonorités diaphanes égaillées par le dialogue enchanteur des six harpes et du glockenspiel ; des timbres féériques et cristallins d'une modernité que l'on n'entendra plus avant l'ère moderne. Tous les autres pupitres nimbent la scène d'une sourde inquiétude en s'associant ppp dans l'extrême grave. 


4 Siegfried : Murmures de la forêt

Des années ont passé… Siegfried jeune homme frustre et sans peur a été élevé par Mime, le frère d'Alberich. Le but des frères est d'envoyer Siegfried tuer Fafner pour lui reprendre l'or. De son côté Wotan déguisé en voyageur fait de même. Pour intriguer, ça intrigue ! Siegfried ressoude enfin l'épée magique de Sigmund, Notung, brisée dans l'épisode précédent. Siegfried parvient à tuer Fafner, mais un oiseau lui révèle la conjuration. Il occit Mime. Siegfried apprend qu'il est l'élu pour libérer Brünnehilde de sa prison ardente. Wotan tente de l'en empêcher mais Siegfried brise sa lance, laissant Wotan définitivement convaincu que l'époque des Dieux est révolue, qu'une nouvelle génération plus jeune de simples humains peut s'imposer. Brünnehilde et Siegfried, tante et neveu, s'éprennent l'un de l'autre et décident de mettre fin à la domination de toutes les divinités, décision préfigurant ainsi la troisième et dernière journée.

Les Murmures de la forêt est un passage très apprécié. On peut trouver ses racines dans la Scène au bord du ruisseau de la "Pastorale" de Beethoven. La pièce débute sur un rythme bucolique aux cordes, [2:37] au loin on entend des cors, [2:53] l'intervention du violon solo touche au sublime et introduit [3:20] le chant des flûtes et des picolos imitant le gazouillis des oiseaux qui accompagnent la course du jeune homme. Le morceau s'achève de manière guillerette, symbolisant l'ardeur de Siegfried


Siegfried combat Fafner

5 à 7 Le Crépuscule des dieux : 5 - Voyage de Siegfried sur le Rhin, 6 - Marche Funèbre de Siegfried, 7 - Immolation de Brünnehilde chantée par Nina Stemme.

Le titre de la dernière journée-opéra résume le synopsis à lui seul… la complexité des événements est telle que les spécialistes estiment que Wagner surcharge exagérément l'histoire et le nombre de personnages… donc juste un récapitulatif. En plus des trois actes, un prologue met en scène trois "Nornes" (mi divinités mi pythonisses) qui remémorent les actes précédents pour en tisser l'avenir. Leur corde du destin se rompt, les Dieux n'ont plus d'avenir. En quelques mots, l'heure a sonné de juger les crimes, la fourberie et l'appât de l'or dans un feu expiatoire qui anéantira divinités et créatures perfides. Brünnehilde s'éloigne provisoirement de Siegfried qui part vers d'autres combats… (Voyage de Siegfried sur le Rhin"). Le fils d'Alberich, Hagen, tentera par divers maléfices et utilisation de filtres de reprendre l'or […] et tuera Siegfried d'un coup de lance dans le dos. (Marche Funèbre de Siegfried.) Brünnehilde décide de mettre fin à toutes ces haines. Un bûcher engloutira le corps de Siegfried, le Walhalla, puis Brünnehilde qui, après avoir honorer Siegfried et maudit Wotan, se jette dans le brasier avec son cheval Grane, symbole de fidélité. Le Walhalla s'effondre, le Rhin déborde. Les filles du Rhin reprennent l'anneau et entraînent Hagen dans les abysses… (Immolation de Brünnehilde).

Le Voyage de Siegfried sur le Rhin s'apparente à une ouverture épique par ses dimensions (12 minutes). Débutant sur de sombres accords, Wagner développe un chant épique aux clarinettes, classiques et basses, puis élance le héros dans une chevauchée richement orchestrée que l'on aurait souhaitée plus hardie sous la baguette de Philippe Jordan. L'orchestre de l'opéra de Paris atteint ses limites par rapport aux Philharmonies de Vienne ou de Berlin. Cela dit la direction reste vivante et les couleurs des cuivres sont de bon aloi. Wagner signe l'un des intermèdes orchestraux parmi les plus riches du Ring par sa maîtrise des variations sur maints leitmotive.

Brünnehilde se jette dans le bûcher

La Marche Funèbre de Siegfried est une œuvre dans l'œuvre ; pathétique et déchirante, on assiste à une procession chancelante de personnages épuisés par les félonies, un chœur funèbre et désespéré des cuivres et des cymbales mais sans la facilité braillarde de la Chevauchée des Walkyries.

L'immolation de Brünnehilde conclut le drame. Brünnehilde chante sa détresse, honnit l'anneau maudit, embrase le bûcher. L'orchestre l'accompagne de mille feux grâce à une instrumentation d'une richesse stupéfiante, enchaînant les leitmotive opposant chagrin, anathème et colère. [11:17] Cette rage éclate par un rugissement des trombones et des tubas. [12:32] Les flammes embrasent la scène. Nina Stemme (soprano dramatique suédoise) tient le rôle avec passion et sans les débordements vocaux entendus par le passé. [16:10] On n'entend pas l'ultime supplication de Hagen. La "coda" est une marche tragique, un cataclysme orchestral, [16:40] mais Wagner choisit le thème de la Rédemption par l'amour, hymne quasi mystique, des vagues impétueuses de violons et de harpes (toujours le Rhin, mais assagi), [18:23] la perfidie laissant enfin place à l'extase amoureuse…

~~~~~~~~~~~~~~~~~

 

Les quatre dernières gravures agrémentant ce billet sont de Arthur Rackam (1867-1939), dessinateur anglais qui a œuvré dans le domaine de l'illustration des contes pour enfants (ceux de Grimm) mais aussi pour adultes comme cette série dédiée au Ring de Wagner. Moins célèbre que le graveur Gustave Doré inimitable par la précision de son trait, le graphisme de Rackam se singularise par les expressions des visages et surtout par des couleurs mordorées inspirées à l'évidence par Turner. (Non Sonia ! Pas Rackam le Rouge, on parle de Wagner pas de Tintin ; Tss Tss !!)

La playlist de l'album de Philippe Jordan puis prévoyez une grande thermos de café, des barres vitaminées, une bouteille d'eau, tout pour une quinzaine d'heures culte (pauses pipi comprises) : 1953 - Bayreuth et Clemens Krauss. Une biographie succincte de grand wagnérien (1893-1954) est à consulter dans la chronique dédiée à la Rhapsodie pour Contralto de Brahms chantée par Kathleen Ferrier. Je mentionnais déjà ce Ring historique dans cette mini biographie. (Clic)


~~~~~~~~~~~~~~~~~


Alberich et les filles du Rhin
XXX

Cet album anthologique sera une belle initiation à l'univers orchestral du Ring. De plus, la dernière scène chantée par Nina Stemme permet de s'évader de l'aspect purement orchestral vers l'art lyrique moderniste de Wagner et, nouveauté non négligeable, les ajouts inédits dans l'or du Rhin étendent largement la vision d'un Wagner orchestrateur imaginatif. Les autres maestros se limitent aux morceaux traditionnels.

La prise de son, comme l'orchestre, ne détrônent pas les musts de Georg Solti à Vienne, de Herbert von Karajan à Berlin, de Karl Böhm à Bayreuth pour citer les trois premières réalisations en stéréo des années 60. Mais apprécier ce niveau supérieur se mérite en écoutant les 14 heures de ce blockbuster scénique 😊😊.

Pour les versions plus anciennes, on trouve des gravures forcément nasillardes à écouter comme témoignage historique… avec des chanteurs aux physiques ingrats (Lauritz Melchior -1890-1972 – archétype du Siegfried grassouillet vêtu de sa peau de bête 😊 – on peut en rire, au disque on ne le voit pas… Mais bon sang quelle voix pour cet homme qui chanta 70 fois le Ring). Une version sort nettement du lot grâce à une monophonie correcte captée à Bayreuth en 1953 et l'intensité héroïque qui anime l'interprétation, celle de Clemens Krauss avec des voix qui n'existent plus de nos jours, les amateurs d'opéras apprécieront : Astrid Varnay, Regina Resnik, Wolfgang Windgassen, Hans Hotter, Gerhard Stolze, Ludwig Weber

En DVD, retenons le renouveau amorcé par le duo Boulez - Chéreau de 1976 à 1980 qui fit scandale par la mise en scène provocante. Les chanteurs s'investissent et gagnent en crédibilité théâtrale (on ne peut pas tout avoir).

En 1992, à la tête de l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise, Bernard Haitink au sommet de son talent signe sans doute la meilleure version récente du Ring. La Direction d'orchestre est fluide, transparente et la prise de son favorise tous les détails. Siegfried Jerusalem est le grand Siegfried de l'époque, Théo Adam campe un Alberich détestable (il le chante depuis près de quarante ans), James Morris a la réputation d'être le meilleur Wotan des temps, il le confirme (un nouveau Hans Hotter). La soprano dramatique Eva Marton n'est pas la Brünnehilde rêvée, sa prestation manque du souffle héroïque exigé, mais la conviction est là. Une Brünnehilde au tempérament féminin ? Et pourquoi pas ?




Philippe Jordan


Clemens Krauss

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire