jeudi 17 février 2022

LANGGAARD – Musique des sphères (1916) – G.-M. SJÖBERG & G. ROZHDESTVENSKY (2017) – par Claude Toon


Une chronique spéciale musique zarbie… J'ai dit zarbie ? comme c'est zarbie…


Rockin', Pat et Luc

Sonia organise un pot pour souder les équipes… Elle a trouvé l'idée dans le Manager français… Elle a mis un trio de rédacteurs à contribution pendant que Nema examine un truc avec le Toon. Tout en beurrant des sandwichs, Luc, Rockin et Pat écoutent la musique du danois Rued Langgaard, sa 1ère symphonie chroniquée il y a déjà bien longtemps par Claude.

Mr Pat : "C'est du raide cette symphonie, faut reconnaître, c'est du brutale…"
Maître Luc : "ça date du Toon, du temps des grandes heures, seulement on a dû arrêter ce genre de chroniques, y'a des mélomanes qui devenaient sourds, ça faisait des histoires"
Mr Pat : "J'ai connu une danoise qu'en écoutait au petit déjeuner. Faut quand même admettre que c'est plutôt une musique d'homme."
Mr Rockin : "J'lui trouve un goût de Bruckner…"
Maître Luc : "Y'en a, ça me rappelle la fin de la 5ème"
Mr Rockin : "Vous avez beau dire, y'a pas seulement que du Bruckner, y'a autre chose, ce ne serait pas des fois du Brahms ? Hein ?"
Mr Pat : "Si, y'en a aussi... Le début du premier concerto pour piano…"
Maître Luc : "Mouais, du Steve Wilson ou du Pink Floyd avec l'effectif du Requiem de Berlioz… Du délire mahlérien vendu en vrac sur Leboncoin… Pat, économise le beurre, plus fine la couche… […] Tiens salut Nema… Mais t'es livide comme la Dame blanche… Malaise ?"
Mlle Nema : "j'ai rere-gagardeder la papartitition du machin des sphères… C'est quoi-quoi ce tru-truc ? Je crains le pire…"

Partition

Langgaard en 1920

Préambule : J'ai pompé et développé ce dialogue écrit en réponse à un commentaire rigolo et pertinent de Pat Slade lors de la publication de la chronique consacrée à la 1ère symphonie de Rued Langgaard en 2014 (Clic). Je n'ai qu'admiration pour la scène dite de la "cuisine" dans les Tontons flingueurs, un des plans séquences qui me fera rigoler jusque dans la tombe, tout comme la commande du repas par Lino Ventura dans une gargote de campagne dans les Barbouzes " Ah, ben vous allez me mettre des paupiettes en ouverture, et pis un plat de côtes, hein… Non, non, attendez, mettez-moi d'abord un civet, au lieu des paupiettes, hein, et puis… mon plat de côtes après quoi… et puis, glissez-moi une p'tite paupiette avec, quoi, hein ?". Je n'insiste pas, tous nos lecteurs doivent connaître ça par cœur, c'est l'essence même du style parfois décalé de nos articles a contrario de l'académisme. Entrons dans le vif du sujet sans trop lui faire mal. Merci Michel Audiard

 

J'ai découvert l'œuvre étrange et spectaculaire commentée ce jour (si j'y parviens) pendant une campagne de réparations des articles "classique" depuis 2011. En gros… Vidéos YouTube disparues, mise en pages désuètes dans les premiers temps, etc.. Après la réponse à Pat reprise et augmentée 😊 ci-dessus, un lecteur, Nuldu59, me proposait, je le cite "De Langgaard, il faut surtout écouter la Musique des sphères, une œuvre étonnante qui fait la jonction entre Strauss et Ligeti". Ce que j'ai fait hier. Ah ouiiiii !… Pour du bizarre c'est du bizarre… La musique des sphères se situe complétement hors des standards de l'époque côté langage : la bonne vieille tonalité, la polyrythmie de Stravinsky, les gammes modales de Bartok ou de Debussy, les débuts du dodécaphonisme et du sérialisme de Schoenberg (utilisation des 12 tons chromatiques simultanément), et même la démesure des orchestrations prométhéennes de Richard Strauss comme dans La symphonie Alpestre ; et aussi étrangère aux formes usuelles du répertoire : symphonie, oratorio, poème symphonique (peut-être la forme la plus proche de l'ouvrage en format blockbuster orchestral et choral). À noter que s'écarter de ces conventions traditionnelles d'écriture sera clairement revendiqué par Langgaard, lors de la composition de la musique des sphères.


Gennady Rozhdestvensky ()

Drôle de personnage que Rued Langgaard, je reprends les points essentiels de sa biographie rédigée en 2014.

Né dans une famille de musiciens il apprend avec facilité le piano et compose dès l'âge de huit ans. Un peu de peinture et d'écriture de contes entre les gammes, comme tous les surdoués touche-à-tout. Il enchaîne l'apprentissage du violon, de l'orgue et du contrepoint avec son compatriote plus célèbre Carl Nielsen.

Trop dispersé dans ses recherches artistiques, il a du mal à se trouver des postes autres qu'organiste. C'est sa gigantesque symphonie N° 1 qui va assurer un tournant à son avenir. Symphonie héritée de Bruckner et Mahler par ses proportions, il obtiendra d'Arthur Nikisch que Max Fiedler crée sa symphonie à la Philharmonie de Berlin en 1913 ! La Grande Guerre arrive, Langgaard ne saura pas transformer totalement ce premier succès.

Dans les 40 années qui suivent, le compositeur s'enlisera en composant à tout va des ouvrages de plus en plus ringgaards. Dans un fouillis de 431 œuvres, on trouve l'opéra Antikrist, de la musique de chambre, des pièces pour orgue trop longues et des symphonies trop courtes et tarabiscotées (exemple la 12ème "Helsingeborg" de 1946 et de 7 minutes 😧 qui renvoie au style de Max Bruch des années 1870. Clic (Bruch qui n'a pas composé que des populaires concertos pour violon).

Peu de choses seront créées de son vivant. Langgaard : le compositeur de l'étrange… Le disque, petit à petit, permet de découvrir de belles pages de son catalogue surabondant, donc de se faire une opinion plus positive. Thomas Dausgaard a enregistré l'intégrale des symphonies en 7 CD, mais l'avant-gardisme des débuts de carrière laisse place à un simpliste anticonformisme franchement dépassé… Une bonne trentaine de parutions à explorer néanmoins dans divers genres pour les curieux…


Gitta-Maria Sjöberg

Le musicologue danois (né en 1953) Bendt Viinholt Nielsen, biographe de Langgaard, classe Musique des sphères comme l'une des plus innovantes œuvres danoises du début du XXème siècle. Après sa découverte, j'étendrai ce qualificatif à la musique occidentale en générale. N'oublions pas que nous sommes en 1916 quand Langgaard jette les premières notes et si l'on se réfère à la liste des compositeurs et explorateurs de nouveaux langages énumérés plus haut, cette fresque symphonique et chorale, par son étrangeté hors normes, peut rivaliser avec : le Sacre du printemps de Stravinsky (1912), Le pierrot lunaire, œuvre fondatrice du dodécaphonisme de Schoenberg (1912), Jeu de Debussy (1912). Le postromantisme prend fin à mon humble avis avec Le chant de la Terre de Mahler (1909-1911). Que des ouvrages novateurs accueillis froidement. La symphonie Alpestre de Richard Strauss datée de 1915, par son orchestration délirante utilisant nombre d'instruments peu communs, ne fait que montrer avec une certaine emphase que le postromantisme est à bout de souffle, bien que l'enchantement descriptif de l'œuvre n'handicape en rien son intérêt.

Difficile de saisir les concepts musicaux qui ont guidé la rédaction de Musique des sphères. Comme chez Varèse (bientôt dans le blog) ou Charles Ives aux USA, il n'est pas incongru que l'original esthète danois surdoué est traduit "tout ce qui lui passait par la tête", technique employée en psychothérapie classique, mais ici, à travers une pensée cohérente, d'éventuels conflits dans sa psyché trouvant leurs résolutions dans une architecture mélodique harmonieuse.

Contrairement à son compatriote Nielsen attaché au cartésianisme, Langgaard pratique à l'évidence une spiritualité proche de l'occultisme dont nous parlait Pat Slade il y a peu. L'ouvrage apparaissant donc comme un voyage astral ; l'orchestration démesurée, répartie en deux orchestres, insuffle un espace sonore pluridimensionnel dont les bizarreries imposées aux instrumentistes dépassent très largement le cadre du postromantisme tardif parfois attribué comme style prépondérant de Musique des sphères. Ah cette obsession d'étiqueter une œuvre en rapport à un courant artistique déterminé ou à une école ! Langgaard avouait lui-même :

"Dans L’Harmonie des sphères, j’ai complètement abandonné tout ce qu’on entend par thèmes, cohérence, forme et continuité. C’est une musique que voilent les brumes noires et impénétrables de la mort."

Un commentaire assez clair sur les choix du compositeur en termes de forme et de notation solfégique, à l'inverse de cet énigmatique petit texte introductif également de sa main sur les intentions expressives :


Le Paradis de Dante (Gustave Doré)

"La musique céleste et terrestre d’accords incandescents que joue la vie avec des griffes de bête prédatrice – une couronne d’iris ceignant son visage de marbre qui arbore un sourire stéréotypé – bien que vivant –, démoniaque et semblable au lis." Chacun trouvera un sens bien personnel à la formulation. À vrai dire, je ne me suis pas attardé, la musique étant le plus subjectif des arts.

Le résultat est assez bluffant pour ne pas dire hypnotique, à noter que l'effectif instrumental n'a pas pour but de déclencher une Apocalypse sonore inspirée des allégories dantesques de l'ultime livre du Nouveau Testament, le livre des Révélations de Saint-Jean, symbolique traduite par Langgaard en un cataclysme tonitruant que la rhétorique de sa citation pourrait laisser craindre. ("griffes de bête prédatrice" et "accords incandescents".)

Postromantique ? Bof ! Plutôt un ouvrage iconoclaste bien dans l'air du temps de ce début du XXème siècle où ce qu'on appelle musique "classique" se réinvente. Cet ouvrage me fait songer au Poème de l'Extase de Scriabine, encore un poème symphonique colossale et métaphysique de 1908. Scriabine rêvait de l'œuvre d'art totale : musique, projection d'images, bonbonnes de parfum, trois de nos sens étant sollicités. La pauvreté des moyens techniques de l'époque ne permettra pas la réalisation d'un tel projet, mais cette anecdote montre le bouillonnement intellectuel parfois délirant – une bonne chose - qui agite tous les artistes en ces temps-là. (Montparnasse et sa myriade de peintres, sculpteurs et poètes novateurs et fauchés…).

L'œuvre est créée par Langgaard lui-même en 1920 puis rejouée en 1921 en Allemagne. Succès fort réservé, puisqu'il faut attendre 1968 pour une reprise de Musique des sphères à Stockholm ! Il faudra attendre 1980 pour la première danoise dirigée par John Frandsen. Quelques enregistrements ont enfin vu le jour, en 1983 puis en 1997 par Gitta-Maria Sjöberg, l'Orchestre symphonique national danois et le chœur étant dirigé par Gennady Rozhdestvensky, une fois de plus pour le label risquophile Chandos (mes lecteurs fidèles comprendront). J'établirai une modeste discographie alternative en conclusion…

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Le cosmos au XIIIème siècle

Pas d'étonnement quand j'ai constaté que la gravure dominant la discographie était celle du chef russe Gennady Rozhdestvensky, premier maestro invité dans le blog pour aborder le cycle des symphonies de Jean Sibelius et, en l'occurrence, la 4ème, l'une des plus dramatiques, très marquée par les brumes et les mythes épiques finlandais, une suite de mouvements anxiogènes marquant l'avancée vers l'avant-gardisme de la carrière de Sibelius en cette année 1910. (Toujours cette période 1910-1920, on n'y échappe pas 😊). Une intégrale de référence d'origine Melodya des années 70 au son… acceptable (Clic).

Je vous invite à découvrir la carrière de ce chef au look du nain "Prof' dans Blanche Neige de Disney (Clic). R.I.P., depuis l'écriture de ce billet, le maestro nous a quittés en 2018 à l'âge de 87 ans à Moscou. Il résidait encore à Paris, rue Mozart depuis 1995. Un étrange concours de circonstances pour cet homme qui disait "Mozart se dirige tout seul !". Prokofiev, avare de compliment, avait dit du jeune chef surdoué, diplômé à 16 ans ; "super-génie" ! Si ce chef abordait par ses fonctions le répertoire classique et romantique (on lui doit une attachante intégrale Bruckner), son travail et sa discographie n'a pas d'équivalent concernant les compositeurs du XXème siècle, notamment slaves. (Voir le billet mentionné). Belle démonstration avec cette interprétation haut de gamme de Musique des sphères au crépuscule de sa carrière, ce n'est en rien une surprise pour cet artiste ouvert à la modernité…

Gitta-Maria Sjöberg (née en 1957) est une soprano suédoise. Elle fut soliste du Royal Danish Theatre jusqu'en 2013 tout en suivant une carrière internationale. À signaler dans sa discographie un bel album anthologique Verdi-Puccini paru chez Danacord Records. (Deezer)

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Abordons l'orchestration ou plutôt la double orchestration puisque Langgaard a prévu deux orchestres 😨.

1 : 4 flûtes + piccolo, 3 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes, 3 bassons, 8 cors, 3 trompettes, 3 trombones + tuba basse, 8 timbales (2 groupes de 4 ?), cymbales, tamtam, cloche, piano avec couvercle ouvert pour accès direct aux cordes, orgue violons I & II, altos (14), violoncelles et contrebasses.

2 : 2 flûtes, 1 hautbois, 2 clarinettes, 1 cor, 1 timbale, harpe, 3 violons, 2 altos, 1 violoncelle et 1 contrebasse. (Oui Sonia, un petit air d'orchestre baroque)


Le Paradis de Dante (Gustave Doré)
Le Paradis de Dante (Gustave Doré)

La musique des sphères s'exécute en 35 minutes et comporte 15 sections enchaînées, chacune d'une durée sensiblement égale de 1 à 3 minutes et un chouia. Même si les transitions se font très en douceur, le climat musical, les jeux de timbres et les variations de nuances de pppp à ffff sont pour le moins variés et par la même forgent la clé du charme ésotérique de cette musique aux tendances New-Âge datant pourtant de 1920Langgaard associe un sous-titre à chaque section : une expression poétique ou une longue métaphore un tantinet absconse mais qui, comme les prophéties de Nostradamus, prennent un sens lors de l'écoute du morceau. Je propose les traductions en français reprises des annotations manuscrites sur la partition photocopiée chez IMSLP. Je ne commente pas tout. Mais l'originalités de l'écriture, unique dans l'histoire de la musique, mérite des détours.

 

1 - Comme des rayons de soleil sur une bière (cercueil) ornée de fleurs odorantes - Poco mosso : Un lever de soleil, une aurore bleutée que symbolise une tenue pp de trémolos de doubles croches assurées par 16 violons I, chacune des huit paires de violons jouant une note d'une gamme de mi à l'octave1 à mi à l'octave2. Le tempo est noté Poco mosso soit "plus animé", la mesure = 58 impose un tempo largo (très lent). Dès la quatrième mesure, mesure par mesure et un à un, des couples d'altos font leur entrée, jouant également en trémolos une note différente pour chaque couple en commençant par ré à l'octave1, puis si, la…jusqu'à mi naturel. Chaque instrument conservant sa note, tant pour les violons I que les altos, se crée alors un accord "en tutti" de plus en plus riche, jusqu'à 8 notes pour les violons et 7 pour les altos.

Ainsi l'incertitude tonale progresse petit à petit et surgissent du néant des timbres de plus en sophistiqués. (Regarder la partition sera plus clair, des connaissances modestes en solfège suffisent.) L'effet obtenu est celui d'un crescendo à la fois en termes de nuance (niveau sonore) mais aussi d'expansion spatiale, puisqu'en général les violons I sont à gauche sur scène et les altos à droite répartis sur 4 rangées. De nos jours, seuls l'électronique la plus élaborée permettrait cette ascension musicale, pas des centaines de notes, mais sans la chaleur ni le velouté si poétique des instruments à cordes classiques. Bigre pour les instrumentistes et le chef, bonjour la galère en répétition !

Dès la première page, nous plongeons à la fois dans les recherches du maître mais aussi dans un univers musical tridimensionnel. L'espace de Langgaard sera plus spirituel que géométrique ! Des roulements de timbales syncopés isolés peuvent être perçus comme matière à une interrogation sur le mystère du divin, son pouvoir, son courroux…

Le mouvement se développe sur ce principe surprenant "d'accords complexes", de clusters distribués sur les pupitres des cordes qui, tel un mouvement ondulatoire enchaînent crescendos-decrescendos ; musique des sphères, musique du mystère… 

Cratère Clavius - son et lumière de Ligeti
Cratère Clavius - son et lumière de Ligeti

Quarante ans plus tard, György Ligeti (1823-2006) admettra l'influence de ce modèle de litanie par superposition de lignes monodiques imaginée par Langgaard dans ses propres compositions ; lui aussi développant de glaçantes stagnations mélodiques et recourant à des tempos incroyablement lents tant dans les pages chorales qu'orchestrales comme Lontano de 1967, le Requiem de 1965 et le "micropolyphonique" Lux Æterna.

Pour les cinéphiles, pensons au flippant Requiem (Kyrie) de Ligeti entendu dans la scène angoissante de la découverte du monolithe dans le cratère Clavius sur la Lune dans 2001 Odyssée de l'espace de Kubrick et à Lontano dans Shining. Une influence des superpositions en vagues de l'orchestration straussienne n'est pas à exclure.

2 : [2:32] Comme le scintillement des étoiles dans le ciel bleu au coucher du soleil - Adagio : Dans l'introduction de la seconde partie, les quatre flûtes et la clarinette solo réitèrent le principe de répartition additionnelle de différentes mais similaires phrases mélodiques, avec une entrée décalée de 3 ou 1 mesures par pupitre. Le son cristallin et fusionnel dans l'aigu se confronte et se combine avec les grave ténébreux d'un la # à l'octave-1 psalmodié par sept cors. Les violons maintiennent leur lointaine présence mais legato, sans trémolos. Un crescendo rageur martelé aux timbales marque un climax au centre du mouvement.

3 : [5:07] Comme la lumière et les profondeurs - Più lento : Changement radical de climat. Une marche funèbre scandée par les timbales est suivie d'un entrelacement mélodique sévère aux cors puis plus délicatement par les violons. Étrange et sidéral…

4 : [7:18] Comme la réfraction des rayons du soleil dans les vagues - Adagio : La suite répétitive de 10 arpèges syncopés aux flûtes préfigure l'émergence du style "minimaliste" et "répétitif" innové par Steve Reich et Philip Glass dans les années 70. On poursuit par un arpège féérique et en tutti aux flûtes 2 à 4 soutenues de nouveau par des trémolos aux violons. Tout cela en 35 secondes d'enchantement, de jeux de lumières sur l'écume des vagues ! Un orchestre gigantesque certes… mais quelle légèreté dionysiaque du phrasé. Merci maestro Rozhdestvensky.

5 : [7:53] Comme l'étincellement d'une perle de rosée au soleil par un beau matin d'été Adagio : Après une chatoyante introduction de triolets de piccolo, va suivre une radieuse péroraison de flûtes puis, encore une curiosité, vingt violons (chacun sa partition) et six altos (en trois groupes de deux) entonnent une prière… Incroyable et fantasmagorique dans le sens où les violonistes et altistes danois ne dérivent jamais vers une confusion a priori inévitable dans une polyphonie aussi complexe dans laquelle un brouillon vibrato n'a pas sa place.

6 : [8:42] Désir - Désespoir - Extase : Pas très clair ce sous-titre 😊. En parallèle un prolongement de la prière aux cordes du mouvement 5 de plus en plus articulée (supplique gémissante ou désir ?), un sépulcrale roulement des timbales s'impose suggérant une sourde rancœur, atmosphère étouffante accentuée par la froideur de quelques légers et épars coups de cymbales. L'orchestre progresse crescendo vers un tutti marqué par l'apothéose au grand orgue et au tamtam [9:40], et de plus aucune vulgarité dans cet effet extatique, point "d'orgue" de la prière un temps contrariée. Est-ce autrement le désir spirituel de l'ascension de l'Alpha vers l'Oméga paradisiaque ou l'expression tragique du mot "désespoir" ? Je laisse l'auditeur arbitrer. Ce passage plus long épouse le schéma decrescendo – crescendo – decrescendo (sans le climax à l'orgue, juste un roulement de timbale [11:40]). Des variations concertantes et olympiennes entre groupes orchestraux nous saisissent à bras le corps. Le poème de l'Extase de Scriabine paraîtrait simpliste après la débauche polyphonique instrumentale entendue. Attention, cette architecture n'agit en aucun cas comme élément de symétrie formelle type sonate ; ascension et descente s'élaborent par la magie de l'orchestration (notamment de nouveau la continuité vaporeuse des vagues frémissantes aux violons et altos). Difficile de tout entendre au disque…

7 : [12:16] Âme du monde - Abîme - Tous les jours de l'âme : jeux des flûtes, de clarinettes, interventions martiales des timbales (roulements ou frappes), toujours ce flot de cordes évoquant le chaos cosmique… Interprétation de l'intention musicale totalement libre… Une musique sans cesse surprenante…

8 : [14:33] Je souhaite...! Animate : Premier chant allègre de la soprano avec le texte repris par le chœur [15:00].

Supernova !!!!!

9 : [15:53] Chaos - Courir - Loin et proche : Impetuoso : furie aux cordes et intermède. Retour au calme dans la sphère stellaire suggéré par le chant des cors.

10 : [18:01] Dépérissement des fleurs : Animato grasiozo : Après ces élans avant-gardistes, quelle surprise de replonger dans une musique d'essence romantique et son touchant solo sensuel de flûte…

11 : [19:37] Aperçu du soleil à travers les larmes : : Lento mysterioso : indubitablement, un adagio de Bruckner fait une petite visite : long thème romantique en reptation aux cordes. Le contraste de la méditation cordes bois qui s'étire près de cinq minutes, la pulsation hypnotique ne sera troublée que par un roulement de timbales. Musique décidément des plus étranges… L'influence du passé se manifeste par les deux longs passages calmes et d'écriture post-romantique avérée. Ne parlait-on pas de synthèse des styles anciens chez Langgaard ?

12 : [24:54] Carillon des cloches : Regardez ! Il vient : Animato e agitato : À l'évidence, le compositeur joue le jeu des citations, celles des motifs élégiaques et enveloppant des symphonies de Brahms et des premières de Sibelius. Là est à mon sens le talon d'Achille de l'ouvrage très moderniste dans sa première partie (la moitié environ) et ces reprises mariant néoclassicisme et postromantisme.

13 : [26:50] L'évangile des fleurs - De loin : la poésie conserve ses droits avec le second chant de la Soprano accompagné par une mélodie fort traditionnelle. Enfin, la beauté sonore est là, les dialogue entre la petite harmonie, quelques cordes, la harpe. "Quand je plonge mon cœur dans l'océan, et les larmes et les rires dans les yeux…". Non je ne parle pas le danois, c'est marqué sur la partition😊.

14 : [29:18] Le nouveau jour : La soprano termine son chant tandis qu'un choral de cuivres invite un chassé-croisé des cordes et des percussions métalliques, principalement les cloches, à un retour à la modernité initiale… À un violon solo répond un carillon…

15 : [30:51] La fin : Antéchrist – Christ : Saisissante et dantesque fresque sonore hurlée par le chœur et les huit cors fffLanggaard déchaîne toutes les forces instrumentales et chorales dans ce combat éternel et titanesque entre le bien et le mal. Cette coda démente culmine dans un sostenuto des timbales, des cordes et du métal. Langgaard décrit-il une nouvelle création ou la victoire du Christ sur l'Antéchrist, unique référence chrétienne objective dans l'œuvre ? Est-ce la fin du voyage cosmique et mystique ?


[33:06] Et bien non ! Dans La musique des sphères le big-bang (théorie inconnue à l'époque) n'est pas un début mais une conclusion et prend la forme d'arpèges de harpe sur fond d'orgue, trémolos des cordes, murmures du chœur, une expansion sonore démesurée culminant ffff avant l'extinction decrescendo et brutale via un cluster en guise de point d'orgue !

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La discographie en CD se résume à cet excellent enregistrement de Gennady Rozhdestvensky et un concurrent, toujours avec le même orchestre Symphonique national danois dirigé ici par Thomas Dausgaard. Soprano : Inger Dam Jensen. La prise de son est très spectaculaire et transparente mais de fait parfois quasi inaudible lors des pppp avec You Tube (enceintes additionnelles ou casque obligatoire). La direction est précise, sans précipitation, mais peut-être un peu moins inspirée et fougueuse que celle de Rozhdestvensky. Bof… ne chipotons pas, voilà deux publications tout à fait complémentaires. D'ailleurs j'ajoute la playlist… (Désolé pour les micro interruptions lors des passages d'une vidéo à la suivante).

En complément Lontano de Ligeti sous la direction, rien de moins, de Claudio Abbado à la tête de la Philharmonie de Vienne… La partition en ligne n'est pas disponible, juste de maigres captures d'écran montrant ce que Ligeti doit à son confrère du début du siècle…




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