Une chronique spéciale musique zarbie… J'ai dit zarbie ? comme c'est
zarbie…
Rockin', Pat et Luc |
Sonia organise un pot pour souder les équipes… Elle a trouvé l'idée
dans le Manager français… Elle a mis un trio de rédacteurs à
contribution pendant que Nema examine un truc avec le Toon.
Tout en beurrant des sandwichs, Luc, Rockin et
Pat écoutent la musique du danois
Rued Langgaard, sa
1ère symphonie
chroniquée il y a déjà bien longtemps par Claude.
Mr Pat : "C'est du raide cette symphonie, faut reconnaître, c'est du
brutale…"
Maître Luc : "ça date du Toon, du temps des grandes heures, seulement on a dû arrêter
ce genre de chroniques, y'a des mélomanes qui devenaient sourds, ça
faisait des histoires…"
Mr Pat : "J'ai connu une danoise qu'en écoutait au petit déjeuner. Faut quand
même admettre que c'est plutôt une musique d'homme."
Mr Rockin : "J'lui trouve un goût de Bruckner…"
Maître Luc : "Y'en a, ça me rappelle la fin de la 5ème…"
Mr Rockin : "Vous avez beau dire, y'a pas seulement que du Bruckner, y'a autre
chose, ce ne serait pas des fois du Brahms ? Hein ?"
Mr Pat : "Si, y'en a aussi... Le début du premier concerto pour piano…"
Maître Luc : "Mouais, du Steve Wilson ou du Pink Floyd avec l'effectif du Requiem de
Berlioz… Du délire mahlérien vendu en vrac sur Leboncoin… Pat, économise
le beurre, plus fine la couche… […] Tiens salut Nema… Mais t'es livide
comme la Dame blanche… Malaise ?"
Mlle Nema : "j'ai rere-gagardeder la papartitition du machin des sphères… C'est
quoi-quoi ce tru-truc ? Je crains le pire…"
Langgaard en 1920 |
Préambule : J'ai pompé et développé ce dialogue écrit en réponse à
un commentaire rigolo et pertinent de Pat Slade lors de la
publication de la chronique consacrée à la
1ère symphonie
de
Rued Langgaard
en 2014
(Clic). Je n'ai qu'admiration pour la scène dite de la "cuisine" dans les Tontons flingueurs, un des
plans séquences qui me fera rigoler jusque dans la tombe, tout comme la
commande du repas par Lino Ventura dans une gargote de campagne dans
les Barbouzes "
Ah, ben vous allez me mettre des paupiettes en ouverture, et pis un
plat de côtes, hein… Non, non, attendez, mettez-moi d'abord un civet, au
lieu des paupiettes, hein, et puis… mon plat de côtes après quoi… et
puis, glissez-moi une p'tite paupiette avec, quoi, hein ?". Je n'insiste pas, tous nos lecteurs doivent connaître ça par cœur, c'est
l'essence même du style parfois décalé de nos articles a contrario de
l'académisme. Entrons dans le vif du sujet sans trop lui faire mal. Merci
Michel Audiard…
J'ai découvert l'œuvre étrange et spectaculaire commentée ce jour (si j'y
parviens) pendant une campagne de réparations des articles "classique"
depuis 2011. En gros… Vidéos YouTube disparues, mise en pages
désuètes dans les premiers temps, etc.. Après la réponse à
Pat reprise et augmentée 😊 ci-dessus, un lecteur, Nuldu59, me
proposait, je le cite "De Langgaard, il faut surtout écouter la Musique des sphères, une œuvre
étonnante qui fait la jonction entre Strauss et Ligeti". Ce que j'ai fait hier. Ah ouiiiii !… Pour du bizarre c'est du bizarre…
La
musique des sphères
se situe complétement hors des standards de l'époque côté langage : la bonne
vieille tonalité, la
polyrythmie de
Stravinsky, les gammes
modales de
Bartok
ou de
Debussy, les débuts du dodécaphonisme et du
sérialisme de
Schoenberg
(utilisation des 12 tons chromatiques simultanément), et même la démesure
des orchestrations prométhéennes de
Richard Strauss
comme dans La
symphonie Alpestre
; et aussi étrangère aux formes usuelles du répertoire :
symphonie,
oratorio,
poème symphonique (peut-être la forme
la plus proche de l'ouvrage en format blockbuster orchestral et choral). À
noter que s'écarter de ces conventions traditionnelles d'écriture sera
clairement revendiqué par
Langgaard, lors de la composition de la
musique des sphères.
Gennady Rozhdestvensky () |
Drôle de personnage que
Rued Langgaard, je reprends les points essentiels de sa biographie rédigée en
2014.
Né dans une famille de musiciens il apprend avec facilité le piano et
compose dès l'âge de huit ans. Un peu de peinture et d'écriture de contes
entre les gammes, comme tous les surdoués touche-à-tout. Il enchaîne
l'apprentissage du violon, de l'orgue et du contrepoint avec son compatriote
plus célèbre
Carl Nielsen.
Trop dispersé dans ses recherches artistiques, il a du mal à se trouver des
postes autres qu'organiste. C'est sa gigantesque
symphonie N° 1
qui va assurer un tournant à son avenir. Symphonie héritée de
Bruckner
et
Mahler
par ses proportions, il obtiendra d'Arthur Nikisch que
Max Fiedler
crée sa symphonie à la
Philharmonie de Berlin
en 1913 ! La Grande Guerre arrive,
Langgaard
ne saura pas transformer totalement ce premier succès.
Dans les 40 années qui suivent, le compositeur s'enlisera en composant à
tout va des ouvrages de plus en plus ringgaards. Dans un fouillis de 431
œuvres, on trouve l'opéra
Antikrist, de la musique de chambre, des pièces pour orgue trop longues et des
symphonies trop courtes et tarabiscotées (exemple la
12ème
"Helsingeborg" de 1946 et de 7 minutes 😧 qui renvoie au style de
Max Bruch
des années 1870.
Clic (Bruch
qui n'a pas composé que des populaires concertos pour violon).
Peu de choses seront créées de son vivant.
Langgaard
: le compositeur de l'étrange… Le disque, petit à petit, permet de découvrir
de belles pages de son catalogue surabondant, donc de se faire une opinion
plus positive.
Thomas Dausgaard
a enregistré l'intégrale des symphonies en 7 CD, mais l'avant-gardisme
des débuts de carrière laisse place à un simpliste anticonformisme
franchement dépassé… Une bonne trentaine de parutions à explorer néanmoins
dans divers genres pour les curieux…
Gitta-Maria Sjöberg |
Le musicologue danois (né en 1953) Bendt Viinholt Nielsen,
biographe de
Langgaard, classe
Musique des sphères
comme l'une des plus innovantes œuvres danoises du début du XXème siècle. Après sa découverte, j'étendrai ce qualificatif à la musique
occidentale en générale. N'oublions pas que nous sommes en 1916 quand
Langgaard
jette les premières notes et si l'on se réfère à la liste des compositeurs
et explorateurs de nouveaux langages énumérés plus haut, cette fresque
symphonique et chorale, par son étrangeté hors normes, peut rivaliser
avec : le
Sacre du printemps
de
Stravinsky
(1912),
Le pierrot lunaire, œuvre fondatrice du dodécaphonisme de
Schoenberg
(1912),
Jeu
de
Debussy
(1912). Le postromantisme prend fin à mon humble avis avec
Le chant de la Terre
de
Mahler
(1909-1911). Que des ouvrages novateurs accueillis froidement.
La symphonie Alpestre
de
Richard Strauss
datée de 1915, par son orchestration délirante utilisant nombre
d'instruments peu communs, ne fait que montrer avec une certaine emphase que
le postromantisme est à bout de souffle, bien que l'enchantement descriptif
de l'œuvre n'handicape en rien son intérêt.
Difficile de saisir les concepts musicaux qui ont guidé la rédaction de
Musique des sphères. Comme chez
Varèse
(bientôt dans le blog) ou
Charles Ives
aux USA, il n'est pas incongru que l'original esthète danois surdoué est
traduit "tout ce qui lui passait par la tête", technique employée en psychothérapie classique, mais ici, à travers une
pensée cohérente, d'éventuels conflits dans sa psyché trouvant leurs
résolutions dans une architecture mélodique harmonieuse.
Contrairement à son compatriote
Nielsen
attaché au cartésianisme,
Langgaard
pratique à l'évidence une spiritualité proche de l'occultisme dont nous
parlait Pat Slade il y a peu. L'ouvrage apparaissant donc comme un
voyage astral ; l'orchestration démesurée, répartie en deux orchestres,
insuffle un espace sonore pluridimensionnel dont les bizarreries imposées
aux instrumentistes dépassent très largement le cadre du postromantisme
tardif parfois attribué comme style prépondérant de
Musique des sphères. Ah cette obsession d'étiqueter une œuvre en rapport à un courant
artistique déterminé ou à une école !
Langgaard
avouait lui-même :
"Dans L’Harmonie des sphères, j’ai complètement abandonné tout ce qu’on
entend par thèmes, cohérence, forme et continuité. C’est une musique que
voilent les brumes noires et impénétrables de la mort."
Un commentaire assez clair sur les choix du compositeur en termes de forme
et de notation solfégique, à l'inverse de cet énigmatique petit texte
introductif également de sa main sur les intentions expressives :
Le Paradis de Dante (Gustave Doré) |
"La musique céleste et terrestre d’accords incandescents que joue la vie
avec des griffes de bête prédatrice – une couronne d’iris ceignant son
visage de marbre qui arbore un sourire stéréotypé – bien que vivant –,
démoniaque et semblable au lis." Chacun trouvera un sens bien personnel à la formulation. À vrai dire, je
ne me suis pas attardé, la musique étant le plus subjectif des arts.
Le résultat est assez bluffant pour ne pas dire hypnotique, à noter que
l'effectif instrumental n'a pas pour but de déclencher une
Apocalypse sonore inspirée des
allégories dantesques de l'ultime livre du Nouveau Testament, le livre des
Révélations de Saint-Jean, symbolique traduite par
Langgaard
en un cataclysme tonitruant que la rhétorique de sa citation pourrait
laisser craindre. ("griffes de bête prédatrice" et "accords incandescents".)
Postromantique ? Bof ! Plutôt un ouvrage iconoclaste bien dans l'air du
temps de ce début du XXème siècle où ce qu'on appelle musique
"classique" se réinvente. Cet ouvrage me fait songer au
Poème de l'Extase
de
Scriabine, encore un poème symphonique colossale et métaphysique de 1908.
Scriabine
rêvait de l'œuvre d'art totale : musique, projection d'images, bonbonnes de
parfum, trois de nos sens étant sollicités. La pauvreté des moyens
techniques de l'époque ne permettra pas la réalisation d'un tel projet, mais
cette anecdote montre le bouillonnement intellectuel parfois délirant – une
bonne chose - qui agite tous les artistes en ces temps-là. (Montparnasse et
sa myriade de peintres, sculpteurs et poètes novateurs et fauchés…).
L'œuvre est créée par
Langgaard
lui-même en 1920 puis rejouée en 1921 en Allemagne. Succès
fort réservé, puisqu'il faut attendre 1968 pour une reprise de
Musique des sphères
à Stockholm ! Il faudra attendre 1980 pour la première danoise
dirigée par
John Frandsen. Quelques enregistrements ont enfin vu le jour, en 1983 puis en
1997 par
Gitta-Maria Sjöberg, l'Orchestre symphonique national danois
et le
chœur
étant dirigé par
Gennady Rozhdestvensky, une fois de plus pour le label risquophile Chandos (mes lecteurs
fidèles comprendront). J'établirai une modeste discographie alternative en
conclusion…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Le cosmos au XIIIème siècle |
Pas d'étonnement quand j'ai constaté que la gravure dominant la
discographie était celle du chef russe
Gennady Rozhdestvensky, premier maestro invité dans le blog pour aborder le cycle des
symphonies
de
Jean Sibelius
et, en l'occurrence, la
4ème, l'une des plus dramatiques, très marquée par les brumes et les mythes
épiques finlandais, une suite de mouvements anxiogènes marquant l'avancée
vers l'avant-gardisme de la carrière de
Sibelius en cette année 1910. (Toujours cette période 1910-1920, on
n'y échappe pas 😊). Une intégrale de référence d'origine Melodya des
années 70 au son… acceptable
(Clic).
Je vous invite à découvrir la carrière de ce chef au look du nain "Prof'
dans Blanche Neige de Disney
(Clic). R.I.P., depuis l'écriture de ce billet, le maestro nous a quittés en
2018 à l'âge de 87 ans à Moscou. Il résidait encore à Paris, rue
Mozart
depuis 1995. Un étrange concours de circonstances pour cet homme qui
disait "Mozart se dirige tout seul !".
Prokofiev, avare de compliment, avait dit du jeune chef surdoué, diplômé à 16 ans ;
"super-génie" ! Si ce chef abordait par ses fonctions le répertoire classique et
romantique (on lui doit une attachante intégrale
Bruckner), son travail et sa discographie n'a pas d'équivalent concernant les
compositeurs du XXème siècle, notamment slaves. (Voir le billet
mentionné). Belle démonstration avec cette interprétation haut de gamme de
Musique des sphères
au crépuscule de sa carrière, ce n'est en rien une surprise pour cet artiste
ouvert à la modernité…
Gitta-Maria Sjöberg
(née en 1957) est une soprano suédoise. Elle fut soliste du
Royal Danish Theatre
jusqu'en 2013 tout en suivant une carrière internationale. À signaler
dans sa discographie un bel album anthologique
Verdi-Puccini
paru chez Danacord Records.
(Deezer)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Abordons l'orchestration ou plutôt la double orchestration puisque
Langgaard a prévu deux orchestres 😨.
1 : 4 flûtes + piccolo, 3 hautbois + cor anglais, 3 clarinettes, 3 bassons,
8 cors, 3 trompettes, 3 trombones + tuba basse, 8 timbales (2 groupes de
4 ?), cymbales, tamtam, cloche, piano avec couvercle ouvert pour accès
direct aux cordes, orgue violons I & II, altos (14), violoncelles et
contrebasses.
2 : 2 flûtes, 1 hautbois, 2 clarinettes, 1 cor, 1 timbale, harpe, 3
violons, 2 altos, 1 violoncelle et 1 contrebasse. (Oui Sonia, un petit air
d'orchestre baroque)
Le Paradis de Dante (Gustave Doré) |
Le Paradis de Dante (Gustave Doré) |
La
musique des sphères
s'exécute en 35 minutes et comporte 15 sections enchaînées, chacune d'une
durée sensiblement égale de 1 à 3 minutes et un chouia. Même si les
transitions se font très en douceur, le climat musical, les jeux de timbres
et les variations de nuances de pppp à ffff sont pour le moins
variés et par la même forgent la clé du charme ésotérique de cette musique
aux tendances New-Âge datant pourtant de 1920…
Langgaard
associe un sous-titre à chaque section : une expression poétique ou une
longue métaphore un tantinet absconse mais qui, comme les prophéties de
Nostradamus, prennent un sens lors de l'écoute du morceau. Je propose
les traductions en français reprises des annotations manuscrites sur la
partition photocopiée chez IMSLP. Je ne commente pas tout. Mais
l'originalités de l'écriture, unique dans l'histoire de la musique, mérite
des détours.
1 -
Comme des rayons de soleil sur une bière (cercueil) ornée de fleurs
odorantes - Poco mosso : Un lever
de soleil, une aurore bleutée que symbolise une tenue pp de
trémolos de doubles croches assurées
par 16 violons I, chacune des huit paires de violons jouant une note d'une
gamme de mi à l'octave1 à mi à l'octave2. Le tempo est
noté Poco mosso soit "plus animé", la mesure ♩ = 58
impose un tempo largo (très lent). Dès la quatrième mesure, mesure par
mesure et un à un, des couples d'altos font leur entrée, jouant également en
trémolos une note différente pour chaque couple en commençant par ré à
l'octave1, puis si, la…jusqu'à mi naturel. Chaque instrument
conservant sa note, tant pour les violons I que les altos, se crée alors un
accord "en tutti" de plus en plus riche, jusqu'à 8 notes pour les violons et
7 pour les altos.
Ainsi l'incertitude tonale progresse petit à petit et surgissent du néant
des timbres de plus en sophistiqués. (Regarder la partition sera plus clair,
des connaissances modestes en solfège suffisent.) L'effet obtenu est celui
d'un crescendo à la fois en termes de nuance (niveau sonore) mais aussi
d'expansion spatiale, puisqu'en général les violons I sont à gauche sur
scène et les altos à droite répartis sur 4 rangées. De nos jours, seuls
l'électronique la plus élaborée permettrait cette ascension musicale, pas
des centaines de notes, mais sans la chaleur ni le velouté si poétique des
instruments à cordes classiques. Bigre pour les instrumentistes et le chef,
bonjour la galère en répétition !
Dès la première page, nous plongeons à la fois dans les recherches du
maître mais aussi dans un univers musical tridimensionnel. L'espace de
Langgaard
sera plus spirituel que géométrique ! Des roulements de timbales syncopés
isolés peuvent être perçus comme matière à une interrogation sur le mystère
du divin, son pouvoir, son courroux…
Le mouvement se développe sur ce principe surprenant "d'accords complexes", de clusters distribués sur les pupitres des cordes qui, tel un mouvement
ondulatoire enchaînent crescendos-decrescendos ; musique des sphères,
musique du mystère…
Cratère Clavius - son et lumière de Ligeti |
Cratère Clavius - son et lumière de Ligeti |
Quarante ans plus tard,
György Ligeti
(1823-2006) admettra l'influence de ce modèle de litanie par
superposition de lignes monodiques imaginée par
Langgaard
dans ses propres compositions ; lui aussi développant de glaçantes
stagnations mélodiques et recourant à des tempos incroyablement lents tant
dans les pages chorales qu'orchestrales comme
Lontano
de 1967, le
Requiem
de 1965 et le "micropolyphonique"
Lux Æterna.
Pour les cinéphiles, pensons au flippant
Requiem
(Kyrie) de
Ligeti
entendu dans la scène angoissante de la découverte du monolithe dans le
cratère Clavius sur la Lune dans
2001 Odyssée de l'espace de
Kubrick et à
Lontano
dans Shining. Une influence des
superpositions en vagues de l'orchestration straussienne n'est pas à
exclure.
2 : [2:32]
Comme le scintillement des étoiles dans le ciel bleu au coucher du
soleil
- Adagio : Dans l'introduction
de la seconde partie, les quatre flûtes et la clarinette solo réitèrent le
principe de répartition additionnelle de différentes mais similaires phrases
mélodiques, avec une entrée décalée de 3 ou 1 mesures par pupitre. Le son
cristallin et fusionnel dans l'aigu se confronte et se combine avec les
grave ténébreux d'un la # à l'octave-1 psalmodié par sept cors.
Les violons maintiennent leur lointaine présence mais legato, sans trémolos.
Un crescendo rageur martelé aux timbales marque un climax au centre du
mouvement.
3 : [5:07]
Comme la lumière et les profondeurs
- Più lento : Changement radical
de climat. Une marche funèbre scandée par les timbales est suivie d'un
entrelacement mélodique sévère aux cors puis plus délicatement par les
violons. Étrange et sidéral…
4 : [7:18]
Comme la réfraction des rayons du soleil dans les vagues
- Adagio : La suite répétitive
de 10 arpèges syncopés aux flûtes préfigure l'émergence du style
"minimaliste" et "répétitif" innové par
Steve Reich
et
Philip Glass
dans les années 70. On poursuit par un arpège féérique et en tutti aux
flûtes 2 à 4 soutenues de nouveau par des trémolos aux violons. Tout cela en
35 secondes d'enchantement, de jeux de lumières sur l'écume des vagues ! Un
orchestre gigantesque certes… mais quelle légèreté dionysiaque du phrasé.
Merci maestro
Rozhdestvensky.
5 : [7:53]
Comme l'étincellement d'une perle de rosée au soleil par un beau matin
d'été
– Adagio : Après une chatoyante
introduction de triolets de piccolo, va suivre une radieuse péroraison de
flûtes puis, encore une curiosité, vingt violons (chacun sa partition) et
six altos (en trois groupes de deux) entonnent une prière… Incroyable et
fantasmagorique dans le sens où les violonistes et altistes danois ne
dérivent jamais vers une confusion a priori inévitable dans une polyphonie
aussi complexe dans laquelle un brouillon vibrato n'a pas sa place.
6 : [8:42]
Désir - Désespoir - Extase : Pas
très clair ce sous-titre 😊. En parallèle un prolongement de la prière aux
cordes du mouvement 5 de plus en plus articulée (supplique gémissante ou
désir ?), un sépulcrale roulement des timbales s'impose suggérant une sourde
rancœur, atmosphère étouffante accentuée par la froideur de quelques légers
et épars coups de cymbales. L'orchestre progresse crescendo vers un tutti
marqué par l'apothéose au grand orgue et au tamtam [9:40], et de plus aucune
vulgarité dans cet effet extatique, point "d'orgue" de la prière un temps
contrariée. Est-ce autrement le désir spirituel de l'ascension de l'Alpha
vers l'Oméga paradisiaque ou l'expression tragique du mot "désespoir" ? Je laisse l'auditeur arbitrer. Ce passage plus long épouse le schéma
decrescendo – crescendo – decrescendo (sans le climax à l'orgue, juste un
roulement de timbale [11:40]). Des variations concertantes et olympiennes
entre groupes orchestraux nous saisissent à bras le corps. Le
poème de l'Extase
de
Scriabine
paraîtrait simpliste après la débauche polyphonique instrumentale entendue.
Attention, cette architecture n'agit en aucun cas comme élément de symétrie
formelle type sonate ; ascension et descente s'élaborent par la
magie de l'orchestration (notamment de
nouveau la continuité vaporeuse des vagues frémissantes aux violons et
altos). Difficile de tout entendre au disque…
7 : [12:16]
Âme du monde - Abîme - Tous les jours de l'âme
: jeux des flûtes, de clarinettes, interventions martiales des timbales
(roulements ou frappes), toujours ce flot de cordes évoquant le chaos
cosmique… Interprétation de l'intention musicale totalement libre… Une
musique sans cesse surprenante…
8 : [14:33] Je souhaite...!
Animate : Premier chant allègre
de la soprano avec le texte repris par le chœur [15:00].
Supernova !!!!! |
9 : [15:53]
Chaos - Courir - Loin et proche
: Impetuoso : furie aux cordes
et intermède. Retour au calme dans la sphère stellaire suggéré par le chant
des cors.
10 : [18:01]
Dépérissement des fleurs :
Animato grasiozo : Après ces
élans avant-gardistes, quelle surprise de replonger dans une musique
d'essence romantique et son touchant solo sensuel de flûte…
11 : [19:37]
Aperçu du soleil à travers les larmes
: : Lento mysterioso :
indubitablement, un adagio de Bruckner fait une petite visite : long thème
romantique en reptation aux cordes. Le contraste de la méditation cordes
bois qui s'étire près de cinq minutes, la pulsation hypnotique ne sera
troublée que par un roulement de timbales. Musique décidément des plus
étranges… L'influence du passé se manifeste par les deux longs passages
calmes et d'écriture post-romantique avérée. Ne parlait-on pas de synthèse
des styles anciens chez
Langgaard
?
12 : [24:54]
Carillon des cloches : Regardez ! Il vient
: Animato e agitato : À
l'évidence, le compositeur joue le jeu des citations, celles des motifs
élégiaques et enveloppant des symphonies de
Brahms et des premières de
Sibelius. Là est à mon sens le talon d'Achille de l'ouvrage très moderniste dans sa
première partie (la moitié environ) et ces reprises mariant néoclassicisme
et postromantisme.
13 : [26:50]
L'évangile des fleurs - De loin
: la poésie conserve ses droits avec le second chant de la Soprano
accompagné par une mélodie fort traditionnelle. Enfin, la beauté sonore est
là, les dialogue entre la petite harmonie, quelques cordes, la harpe. "Quand je plonge mon cœur dans l'océan, et les larmes et les rires dans
les yeux…". Non je ne parle pas le danois, c'est marqué sur la partition😊.
14 : [29:18] Le nouveau jour :
La soprano termine son chant tandis qu'un choral de cuivres invite un
chassé-croisé des cordes et des percussions métalliques, principalement les
cloches, à un retour à la modernité initiale… À un violon solo répond un
carillon…
15 : [30:51] La fin : Antéchrist – Christ : Saisissante et dantesque fresque sonore hurlée par le chœur et les huit cors fff… Langgaard déchaîne toutes les forces instrumentales et chorales dans ce combat éternel et titanesque entre le bien et le mal. Cette coda démente culmine dans un sostenuto des timbales, des cordes et du métal. Langgaard décrit-il une nouvelle création ou la victoire du Christ sur l'Antéchrist, unique référence chrétienne objective dans l'œuvre ? Est-ce la fin du voyage cosmique et mystique ?
[33:06] Et bien non ! Dans La
musique des sphères
le big-bang (théorie inconnue à l'époque) n'est pas un début mais une
conclusion et prend la forme d'arpèges de harpe sur fond d'orgue, trémolos
des cordes, murmures du chœur, une expansion sonore démesurée culminant
ffff avant l'extinction decrescendo et brutale via un cluster en
guise de point d'orgue !
~~~~~~~~~~~~~~~~~~
La discographie en CD se résume à cet excellent enregistrement de
Gennady Rozhdestvensky
et un concurrent, toujours avec le même
orchestre Symphonique national danois
dirigé ici par
Thomas Dausgaard. Soprano :
Inger Dam Jensen. La prise de son est très spectaculaire et transparente mais de fait
parfois quasi inaudible lors des pppp avec You Tube (enceintes
additionnelles ou casque obligatoire). La direction est précise, sans
précipitation, mais peut-être un peu moins inspirée et fougueuse que celle
de
Rozhdestvensky. Bof… ne chipotons pas, voilà deux publications tout à fait
complémentaires. D'ailleurs j'ajoute la playlist… (Désolé pour les micro
interruptions lors des passages d'une vidéo à la suivante).
En complément
Lontano
de
Ligeti
sous la direction, rien de moins, de Claudio Abbado
à la tête de la
Philharmonie de Vienne… La partition en ligne n'est pas disponible, juste de maigres captures
d'écran montrant ce que
Ligeti
doit à son confrère du début du siècle…
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