- Heuuu, sauf votre respect M'sieur Claude, vous avez la tremblote ou
votre clavier fait des rebonds ? Deux "a" et deux "g", c'est bizarre
!
- Ah ah, ma chère Sonia,
poursuite de notre voyage dans la musique du septentrion, en l'occurrence
après la Suède et la Finlande : le Danemark…
(J'aime bien les mots un peu déroutants pour Sonia… Quoique il ne faut pas s'y fier, elle a une bonne culture cette petite !!)
(J'aime bien les mots un peu déroutants pour Sonia… Quoique il ne faut pas s'y fier, elle a une bonne culture cette petite !!)
- Ah oui c'est vrai, c'est votre dada la musique nordique c'est temps-ci,
en alternance avec les compositeurs du Top 50 classique comme Bach et
Schubert….
- Oui, la musique allemande-austro-hongroise s'impose souvent, mais
j'espère ouvrir des nouveaux horizons à mes lecteurs les plus
fidèles…
- C'est comment le style de ce monsieur Laine…garde, intimiste ?
- Heuu plutôt musclé au contraire, mais non dépourvu de poésie, très
particulier mais d'écoute aisée…
Que l'on ne s'y trompe pas à voir sa photo,
Rued Langgaard
n'a rien d'un prof de fac farfelu venant de mettre la dernière main à une
thèse sur Droopy (I'm happy).
Quoique…
Et pour rebondir sur mon échange avec Sonia, je viens de recevoir les
programmes des concerts parisiens pour 2014-2015 et y'en a marre de la
énième intégrale annuelle des
symphonies
de
Brahms, des
concertos
de
Beethoven, etc. Ok, il faut remplir les salles, mais des programmes mixtes seraient
de bonnes idées, je ne sais pas moi ? Tiens si : le
2ème concerto
de
Rachmaninov
suivi de cette
symphonie
de
Langgaard
qui jette pas mal. Rachmaninov
pour attirer le chaland et
Langgaard
pour sortir des sentiers battus…
Il faut dire que par son extravagance artistique, le compositeur danois n'a
rien fait pour chercher la postérité. Né en
1893 et disparu en
1952 (59 ans), il se refuse
toute sa vie à revendiquer son appartenance à l'une des écoles musicales du
XXème siècle où l'on voit s'affronter le post-romantisme (Strauss), l'atonalité de l'école de Vienne (Schoenberg), la polyrythmie (Stravinsky)… que sais-je encore ? Non sa carrière est singulière pour le moins…
Né dans une famille de musicien (père élève de
Liszt), il apprend avec facilité le piano et compose dès l'âge de huit ans. Un
peu de peinture et d'écriture de contes entre les gammes, comme tous les
surdoués touche-à-tout. Il enchaîne l'apprentissage du violon, de l'orgue et
du contrepoint avec son compatriote plus célèbre
Carl Nielsen. Trop dispersé, il a du mal à se trouver des postes autres qu'organistes.
C'est sa gigantesque symphonie N° 1 qui va assurer un tournant à son avenir.
C'est l'époque du post-romantisme monumental avec les
symphonies
de
Mahler
(la
3ème
notamment) ou les
poèmes
symphoniques
à rallonge de
Richard Strauss
(la symphonie Alpestre). Ainsi en 1911,
Langgaard
compose dans l'air du temps voire avec des ambitions avant-gardistes. Avec
l'appui de sa famille, il obtient d'Arthur Nikisch
et
Max Fiedler
- rien de moins que les patrons de la
Philharmonie de Berlin
- que sa symphonie soit créée par le second en
1913 ! La Grande Guerre arrive,
Langgaard
ne saura pas transformer totalement ce premier succès.
Dans les 40 années qui suivent, le compositeur va s'enliser en composant à
tout va des ouvrages de plus en plus ringgaards. Dans un fouillis de 431
œuvres, on trouve l'opéra
Antikrist, de la musique de chambre, des
pièces pour orgue
trop longues et des
symphonies
trop courtes et tarabiscotées. La
11ème
"Ixion" est d'une brièveté et d'un vide grotesques (6 minutes ; note : 1/6) (clic). Pourtant
Ravel
avec des pièces comme
Une barque sur l'océan
ou
Beethoven
avec ses
ouvertures
ont démontré que l'on peut faire des pièces géniales en temps limité. Peu de
chose seront créée de son vivant.
Langgaard
: le compositeur de l'étrange… Le disque, qui petit à petit enregistre son
catalogue permet quand même de se faire une opinion plus positive.
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J'avais déjà parlé du chef finlandais
Leif Segerstam
à propos des symphonies de
Madetoja
(Clic). J'aime bien son look heroïc fantasy : 1xx kg sur la balance, la barbe de
magicien, le viking de la baguette magique de maestro.
Leif
Segerstam
est à la fois un chef réputé, notamment pour l'interprétation de la musique
scandinave et contemporaine, et aussi un compositeur prolifique…
Né en 1944, élève de la
Julliard School, cet artiste
dénote un caractère en harmonie avec son allure : fantasque mais souriant.
Il a composé
265 symphonies !!!
Haydn
avec ses
104 symphonies
fait pâle figure ;o) La
n° 212
est dédié au jeune chef vénézuélien
Gustavo Dudamel
dont j'avais commenté l'interprétation de la
3ème symphonie
de
Beethoven. (Clic)
Personnage hyper actif,
Leif Segerstam
a dirigé de nombreux orchestres, principalement au Danemark et en Finlande,
en parallèle de son travail d'écriture.
En tant qu'interprète,
Segerstam
opte pour une spontanéité parfois irrationnelle aux oreilles des puristes.
Pourtant, critiques et mélomanes apprécient ses concerts pleins de surprises
et d'enthousiasme. Marque d'estime de son talent et son vaste répertoire, il
est l'invité d'orchestres prestigieux comme les
Symphoniques
de
Chicago
ou de
Londres.
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Commencée alors que le jeune Rued n'a que 14 ans, cette longue première symphonie se rapproche de deux genres de musique orchestrale à programme : La symphonie, à l'instar de la 6ème "Pastorale" de Beethoven (5 mouvements aussi avec des sous-titres explicites pour chaque mouvement) et les poèmes symphoniques pour leur orientation descriptive et narrative. Tardivement, cette symphonie sera surnommée "Pastorale des rochers". L'esprit général de l'œuvre repose sur le voyage de l'âme d'un héros, son admiration pour la nature et surtout le gravissement d'une montagne comme épreuve à la fois spirituelle et initiatique. Un parallèle peut être fait avec Ce que l'on entend sur la montagne, l'un des poèmes symphoniques les plus développés de Franz Liszt (1850) et, bien entendu, la symphonie Alpestre de Richard Strauss qui sera créée en 1915. Le sujet de l'envolée métaphysique vers les hauts sommets passionne à l'évidence les artistes romantiques…
L'orchestration est luxuriante et, là encore, elle se rapproche des
effectifs grandioses de mise chez
Mahler
ou
Richard Strauss. Il n'est donc pas surprenant que seule la
Philharmonie de Berlin
ait eu les épaules assez solides pour créer cet ouvrage d'un jeune danois
qui n'avait peur de rien. Hors les nombreuses cordes, bois et cuivres sont
enrichis, la percussion n'est plus du tout celle du XIXème
siècle, aux timbales
Langgaard
ajoute cymbales, tamtam, également des harpes, etc. Dans le final, le
compositeur ajoute 7 cuivres, ce qui n'est pas sans rappeler la fin de la
5ème symphonie
de
Bruckner, ou encore
Strauss
dans le puissant poème symphonique
Une vie de héros
de 1898. Je viens de citer
nombre de compositeurs marquants qu'admirait
Langgaard.
1 -
Maestoso
: (Le ressac et les lueurs du soleil) : un ressac ? Non une déferlante, une vraie ! Une force symphonique
primitive balaye l'espace. Un tel pathétisme est surprenant chez un
compositeur aussi jeune. Rapidement le chant d'un hautbois calme le jeu
avant une reprise du maelstrom de cuivres et le jaillissement des longues
phrases farouches aux cordes scandées par les cymbales. Oui, le jeune
Langgaard
avait le don de l'orchestration et
Leif Segerstram
le don de la faire briller de tous ses feux. 24 minutes pour ce premier
mouvement. Le jeune homme imite
Bruckner, il faut oser… Il va réussir à maintenir les tensions dramatiques dans
cette immense introduction mais… se plantera en beauté dans le final ! Le
développement central alterne médiation et reprise en variations du thème
initial. C'est majestueux comme l'indique la notation du tempo et facile à
écouter.
Langgaard
n'hésite pas à faire intervenir le tuba forte dans les pianissimi de
l'orchestre. Détail qui signe la marque d'un orchestrateur né et très
imaginatif dans le choix des couleurs de l'opposition des graves et des
aigus. Tout cela pourrait passer pour un romantisme paroxystique voire
boursouflé. Il faut pourtant plutôt y voir la fougue d'un jeune compositeur
fasciné par les exploits orchestraux entendus dans les œuvres de ses aînés.
Vers [13'], une marche implacable et crescendo n'est pas sans rappeler les
codas brucknériennes (notamment celle de la
symphonie n°4 "Romantique"
–
Clic). [16'30"] Une romance d'une élégante fluidité conduit ce mouvement,
presque parfait à lui seul par son architecture et sa diversité, vers une
coda frénétique citant les thèmes initiaux de l'introduction.
2 – Lento
: (Les fleurs des montagnes) : plus court (11') ce lento se veut plus classique d'écriture avec ses
bucoliques et lointains solos de cors colorant une grande méditation aux
cordes. [3'09"] Un vent frémissant traverse l'orchestre. Cet effet pictural
précédant d'autres évocations pastorales apporte un repos et une immense
tendresse après les déferlements du Maestoso. On pensera ici et là au climat
de nébulosité sonore qu'affectionnait
Wagner. Belle coda rêveuse en conclusion.
3 – Lento misterioso
: (Légende) : ce petit mouvement (5') étrange semble prolonger le Lento. C'est tout à
fait vrai que le mystère plane dans la mouvance sensuelle des premières
mesures. Il faut se laisser porter dans les méandres qui conduisent à
[2'50"] vers une prière pathétique et poignante.
Leif Segerstram
épure le son de l'orchestre pour éviter l'inévitable pathos qui peut surgir
d'une musique fort démonstrative portée par une bonne centaine de
musiciens…
4 – Marcato - Andante
: (Ascension de la montagne) : soyons clair, nous avons entendu le meilleur… cet andante n'apporte
aucun thème ou motif bien palpitant. Sert-il d'incontournable scherzo. Non
car il n'en a pas la forme symétrique avec un trio central. Le discours
assez épais et peu imaginatif confirme qu'il n'a d'autre rôle que de
répondre au découpage en programme de l'œuvre.
5 – Maestoso allargando
: (Courage) : Bruno utilise parfois avec ironie sympathique le terme de "Bourrin"
pour certains Rocks trop "corsés" (pas fait exprès). Ça s'applique
parfaitement à ce final gigantesque de 23' ! C'est méritoire de tenter
d'imiter
Bruckner ou
Mahler, les seuls compositeurs à tenir la distance et à continuer de captiver un
auditoire déjà gorgé de 45 minutes de musique. Ce final se cherche en
permanence et évolue dans une banalité ennuyeuse.
Langgaard
tente d'alterner mélodies et climax, syncopes et clusters. C'est fouillis et
déstructuré.
Leif Segerstram
assure pourtant la lisibilité maximum d'un discours hétéroclite. Après
plusieurs écoutes, ce n'est pas creux, mais au contraire trop riche et
roboratif. Là où
Bruckner
et
Mahler
maîtrisaient les architectures complexes par un travail contrapuntique
rigoureux avec rappels et variations à partir des motifs musicaux de base,
Langgaard
se perd dans une structure massive difficile à suivre. L'ajout des cuivres
(honnêteté de
Segerstram
de respecter la partition) ne fait qu'alourdir cette partie.
Leif Segerstram
recourt à un tempo mesuré ce qui permet d'isoler chaque passage et d’admirer
malgré tout l'excellente orchestration de ces divers morceaux. Le final
n'est pas de la dentelle. Cela dit j'ai entendu bien pire dans ma vie
question lourdeur (non, pas de noms !).
Tiens, à écrire ce texte tout en réécoutant, je me surprends à mieux
apprécier ce final et me demande si je n'ai pas été trop sévère en
introduction…
Une œuvre atypique à découvrir pour les fans de musique post-romantique à
l'orchestration expansive. Les trois premiers mouvements sont de très beaux
témoignages de l'énergie caractéristique des grands poèmes symphoniques si
prisés à l'époque (voir
l'île des morts
de
Rachmaninov
il y a quels semaines –
Clic). Prise de son excellente. C'est le premier enregistrement mondial qui
date de 1994 (CHANDOS).
Le chef danois
Thomas
Dausgaard
a enregistré l'intégrale en 7 disques de toutes les symphonies plus ou moins
farfelues écrites par
Langgaard
(avec voix ou piano, parfois minimalistes ou encore désordonnées). Elle est
assez chère et réservée aux obsédés de la découverte qui ont de la place
sans modération pour ranger leurs CD. Plusieurs de ces gravures sont
disponibles sur Deezer ou Youtube pour les petits curieux.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'intégralité de la
symphonie
dans l'interprétation de
Leif Segerstam.
Mov.I: Brænding og Solglimt: Maestoso [00:00]
Mov.II: Fjeldblomster: Lento [23:09]
Mov.III: Sagn: Lento misterioso [35:00]
Mov.IV: Op ad Fjeldet: Marcato [40:45]
Mov.V: Livsmod: Maestoso allargando [46:58]
Puis la
symphonie N° 288 codirigée du piano par le compositeur et par le premier violon de l'Turku Philharmonic Orchestra. Leif Segerstam est
au piano à gauche. Il y a une impressionnante scie égoïne derrière
le colosse (pour découper le piano ou jouer de la scie musicale ?)
Oui, des sonorités qui rappelles Bruckner, mais ,personnellement à la première écoute, j'y entend aussi du Brahms ! Mais j'ai surtout compris ce que fait le père Noël quand il n'est pas en tournée le 25 décembre, il écris des symphonies et dirige un orchestre.
RépondreSupprimerTa remarque me rappelle la discussion en préparant le pot du vendredi soir à la redac':
SupprimerMaître Luc : Il date du Toon, du temps des grandes heures, seulement on a du arrêter les chroniques, y'a des mélomanes qui devenaient sourds !
Mr Pat : J'ai connu une polonaise qu'en écoutait au petit déjeuner. Faut quand même admettre que c'est plutôt une musique d'homme.
Mr Rockin : J'lui trouve un goût de Bruckner...
Maître Luc : Y'en a.
Mr Rockin : Vous avez beau dire, y'a pas seulement que du Bruckner, y'a autre chose, ce serait pas des fois du Brahms ? Hein ?
Mr Pat : Si, y'en a aussi... Le début du premier concerto pour piano...
De Langgaard, il faut surtout écouter la Musique des sphères, une œuvre étonnante qui fait la jonction entre Strauss et Ligeti et son opéra Antechrist.
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