vendredi 18 février 2022

ENQUETE SUR UN SCANDALE D'ETAT de Thierry de Peretti (2022) par Luc B.

J’adore l’avertissement en début de film « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant réellement existé… bla bla bla… ce film est une œuvre de fiction ». Et mon cul, c’est du KFC ? On peut comprendre ses précautions*, vu le contenu de cette histoire (vraie) tirée d’un bouquin du journaliste Emmanuel Fansten (joué ici par Pio Marmaï) qui avait recueilli le témoignage de Hubert Avoine (rebaptisé Hubert Antoine dans la fiction ! et joué par un Roschdy Zem juste impérial).

Le film s’ouvre sur une séquence à Marbella. Trois zodiacs débarquent sur une plage des valises marocaines (surnom des gros paquets de cannabis conditionnés avec une poignée !) aussitôt chargées dans des 4X4 et planquées dans une villa. Un certain Hubert Antoine supervise l’opération. Deuxième séquence, à Paris. Devant un parterre de flics, Jacques Billard, un ponte des Stups, explique son plan anti-drogue, s’attaquer à la logistique des trafiquants moins qu’au produit en lui-même.

En octobre 2015, on se souvient de ce fait divers : trois camionnettes remplies ras la gueule de résine de cannabis, sont découvertes à Paris dans une rue du très chic XVIème arrondissement, même pas verrouillées, garées sous les fenêtres d’un hôtel particulier appartenant au trafiquant !    

Jacques Billard passe un mauvais quart d’heure dans le bureau de la procureur de la république, devant justifier ce fiasco. A moins que tout cela ne fasse partie de sa stratégie. Au même moment, Hubert Antoine contacte un journaliste de Libé, Stéphane Vilner, et se confie sur son boulot de taupe, pour le compte de Billard.

L’histoire est complexe, les ramifications nombreuses, on sent que le réalisateur Thierry de Peretti fait de son mieux pour rendre l’intrigue moins opaque. Et ce n’est pas simple, car justement, le principal témoin, Hubert Antoine, n’est pas très clair sur les bords. Antoine est au choix un lanceur d’alerte, un repenti, ou un beau salopard. Il explique à longueur d'entretiens avec le journaliste son tandem formé avec Jacques Billard, qu'il considère « comme mon propre frère » un jeu en eau trouble, la tactique qui consiste à laisser entrer des quantités de drogue pour la suivre à la trace et démanteler les réseaux. Ca se compte en milliers de tonnes…

La question étant : Billard, sa hiérarchie et donc l’Etat Français, est-il le premier pourvoyeur de dope du pays ? C’est la thèse soutenue par Hubert Antoine, écœuré du système, qui décide de tout balancer. Le spectateur aura pendant près d’une heure et demie sa version des faits. Le gars est attachant, séduisant, un brin mégalo, on boit ses aventures rocambolesques comme du petit lait, sa collaboration avec la DEA américaine, son infiltration auprès de El Chapo. Antoine aime être le centre des débats, au centre des articles de Libé, d’un livre, pavoiser devant les caméras de télé. Le film est très précis à ce sujet, conférences de rédaction, tractations entre médias (l’équipe télé à Marbella), éditeurs.

A un repas, il pose la question à l’éditeur qui publiera son livre, s’inquiète de ce qu’il touchera : « et pourquoi Stéphane et moi on ne se partage pas les bénefs 50/50, après tout cette histoire, c’est moi et lui, uniquement ? ». Le type déconcerte, pas facile à cerner. Sur cet aspect le film est palpitant. D’autant que la fin du film brouille les cartes. Jacques Billard portera plainte pour diffamation à la sortie du livre. Au tribunal, il dira sa vérité, faisant d’Hubert Antoine le roi des mythos. Billard étant lui-même pas franc du collier, difficile de dire qui est blanc ou noir, ou gris très foncé... 

Le film se distingue par sa mise en scène. Thierry de Peretti renonce à tout romanesque, il gomme tous les aspects attendus dans un thriller, l’anti BAC NORD, refusant les recettes américaines qui ont pourtant fait leurs preuves chez Sidney Lumet, Sydney Pollack, Alan J Pakula, ou récemment Spielberg et son PENTAGONE PAPERS.

D’abord de Peretti filme au format 1:1.37, qui enferme les personnages dans un cadre resserré, étouffant. Le film n’est qu’une suite de scènes dialoguées, des gars à table, assis. Pour autant, pas de plans fixes, mais une caméra en mouvement, lents, qui scrute tour à tour les visages, plutôt que d’user des classiques champ / contre-champ.

Il y a un très beau plan séquence au début, à Marbella. La caméra cadre Hubert Antoine à l’étage de sa villa, descend au rez de chaussée, suit Antoine sortir au bout de son jardin, recadre sur la mer où arrivent les zodiacs. Les conférences de rédaction à Libé sont aussi filmées en longs plans, très lents et la dernière scène au tribunal n’est qu’un seul long plan séquence.

Ce film est déroutant et pourra profondément ennuyer. Le réalisateur fait le choix de maintenir la tension uniquement sur la foi de discussions, dialogues, propos tenus (la bande annonce est à ce titre assez mensongère...). Le dispositif est osé, radical, mais à mon sens pas dénué d’intérêt.  Y’a un truc énervant par contre, les scènes en boite de nuit (à trois reprises, pourquoi ce choix ?) où la musique d’ambiance est si forte qu’on n’entend pas certaines répliques. Exemple, après la soirée qui fête la sortie du bouquin, pourquoi Vilner et Antoine se fâchent-ils ?  

A force de vouloir dégraisser sur l’os (on pense parfois au cinéma très dialogué mais statique de Rohmer) je pense que le réalisateur risque de perdre ses spectateurs en route. Dans une scène, le collègue de Vilner s’inquiète de voir ses sms disparaître de son téléphone, sous ses yeux. Victime d'un hacker ? Si oui, pourquoi, comment, qui ? Des investigations auraient pu être lancées, la parano est un aspect propre à ce genre de film (voir BOITE NOIRE) mais le réalisateur n’en fait rien, passe à autre chose, on en sera pour nos frais !

Film atypique, très calculé dans sa mise en scène, froid, j’ai aimé, ou disons, en ai perçu les qualités formelles. Mais ça peut dérouter. On est loin du numéro séduisant du tandem Robert Redford / Dustin Hoffman. Roschdy Zem, Pio Marmaï et Vincent Lindon sont incroyablement justes dans leurs interprétations.

* Cette mention est apparue au cinéma la première fois en 1933, après la mésaventure du studio MGM et son film  « Raspoutine », attaqué par un certain Félix Ioussoupov, qui s’était reconnu à l’écran sous un nom fictif, et avait obtenu 125 000 dollars de dommage et intérêts. On n’est jamais trop prudent. Désormais, les films de cinéma ne sont que fiction à 100% ! Même les biopics ?

couleur  -  2h00  -  format 1:1.37

1 commentaire:

  1. Malgré tes réserves, ça me donne bien envie d'aller le voir, ce Scandale d'Etat. Ton commentaire est un chef-d’œuvre en termes de récit et d'humour, Luc. Impossible de décrocher les yeux de mon écran en lisant cette chronique. T'as dû y passer un max de temps pour la rédiger ! Je te le redis : même si tu ne donnes que 3 claps de cinéma sur 6, t'as réussi à piquer ma curiosité. Merci pour les références par ci par là (toujours pas vu BAC Nord, au fait).
    freddiefreejazz

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