- B'jour M'sieur Claude…
Je vous sens tendu à pianoter sur votre bureau… les yeux rivés sur votre écran…
- Oui Sonia, je commence
un article sur un CD cultissime mais hélas difficile à trouver dans le
commerce… Cela dit, comme dit M'sieur Luc, on est un blog, pas un disquaire…
- Ah je comprends, ça
vous agace de nous mettre l'eau à la bouche… Mais vous devez proposer d'autres belles
versions de cette symphonie de Sibelius je pense…
- Oui heureusement ce
n'est pas ce qui manque, mais franchement pour un album paru en 2010 et attendu
depuis 35 ans par les mélomanes et les fans du compositeur finlandais, être en
rupture de stock, voire épuisé… l'industrie du disque se tire dans le pied !
- Dites, pour le nom du
chef, russe à tous les coups, vous faites comment pour ne pas vous tromper, pour
éviter les fautes ?
- Copier-coller…
- Évidement, hi hi…
Oui,
Sonia a vu juste. J'avais le choix
entre cette intégrale ENFIN parue en CD en 2010 et celle gravée par John Babirolli fin des années 60 et qui
vient de reparaître dans une nouvelle présentation. Mais, d'une part nous avons
déjà parlé de Barbirolli il y a peu de
temps dans la chronique consacrée à la 6ème
symphonie de Mahler
(clic). Et, d'autre part, je n'aurais pas souvent la possibilité de parler du
chef russe Gennady Rozhdestvensky dont
la plupart des enregistrements ont été édités chez Melodya, un label qui a survécu à l'ère soviétique mais qui est diffusé
avec parcimonie dans nos contrées. Et j'ajouterai que je m'astreins à ne pas présenter
systématiquement les mêmes artistes, ce n'est pas un scoop…
Gennady Rozhdestvensky me fait immanquablement penser
à "prof", l'un des sept nains de Blanche Neige. Surtout l'âge venu,
le petit homme replet, savamment dégarni et aux yeux brillants de malice
derrière ses lunettes cerclées, ne dirige pas. Non, il joue avec son orchestre.
Il y a, comme on le verra, une fougue dans sa battue qui électrise les
musiciens.
Pour
la petite histoire, les millions de cinéphiles qui découvraient les premiers plans du vaisseau
Discovery dans 2001 Odyssée de l'espace
de Kubrick, écoutaient en même temps un
extrait de la suite de Gayaneh
de Khatchatourian dirigée par Gennady Rozhdestvensky. Une direction
pure et un climat presque glaçant qui illustraient à merveille l'isolement et
les espaces infinis filmés dans ce passage. Ce n'est pas dans mes habitudes de
digresser, mais je vous propose ce morceau de la B.O. interprété par le maestro
à la tête de l'Orchestre de Leningrad.
Gennady Rozhdestvensky, né en 1931 dans une famille de musiciens, montre des prédispositions
musicales si précoces, que Serge Prokofiev, pourtant avare de compliment dira de lui : "Super-génie". Le personnage
est un original, mais avant tout un chef d'orchestre scrupuleux, éclaircissant
les partitions à l'extrême mais sans sécheresse. Durant sa carrière dans son
pays et lors de nombreuses tournées, il va surtout s'attacher à défendre la
musique slave de son temps : Chostakovitch,
Edison Denisov, Alfred
et Irina Schnittke et Sofia
Goubaïdoulina, deux compositrices !
Sa
discographie reflète son attachement pour la musique slave. Ses enregistrements
pour Melodya sont, comme je l'ai
déjà dit, édités de manière erratique. Par contre le label anglais Chandos offre des enregistrements
originaux de compositeurs contemporains et scandinaves. Hors cette intégrale Sibelius qui a marqué l'histoire du
disque, on trouve une intégrale énergique des symphonies
de Prokofiev et une autre consacrée au danois
Carl Nielsen.
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Né
en 1865, Jean
Sibelius est un contemporain de Richard
Strauss et Gustav Mahler, et un musicien d'égale importance à mes yeux dans le domaine symphonique.
Est-ce à dire que comme ces deux compositeurs, nous sommes face à un
postromantique ? Oui comme je l'avais écris dans une brève biographie dans la
chronique consacrée à son célèbre concerto
pour violon sous les doigts de Hilary Hahn (clic) ! Mais je serais moins
affirmatif pour cette 4ème symphonie composée en 1910 et 1911 (année de la mort de Mahler) qui flirte avec le modernisme et
prend ses distances avec les formes sonates classiques.
Juriste et violoniste
de formation, le jeune homme se détournera du droit qui l'ennuie, et renoncera à
devenir un virtuose au bénéfice de la composition. L'univers symphonique le
passionne et ses deux premières symphonies créées en 1899 puis 1902 rencontrent
un succès triomphal. Oui, elles sont toutes les deux des héritières du
romantisme, voire de Tchaïkovski.
Mais Sibelius voyage, rencontre Richard Strauss, maître de l'orchestration
sophistiquée. Il compose une 3ème symphonie, plus concise, plus
originale qui sera accueillie plus fraîchement.
En
Finlande, l'heure est à la dictature et à la censure qui l'accompagne. Ce n'est
pas du goût de Sibelius. Jusqu'en 1908, Sibelius
nourrit sa musique de l'évocation des splendeurs des paysages et légendes
finlandaises. 1908, un tournant
dramatique, un style nouveau va naître. On opère le compositeur d'un cancer à
la gorge. Même de nos jours, c'est grave. Sibelius
déprime, sent l'ange de la mort planer au dessus de lui. Il ne sait pas qu'il
ne disparaîtra qu'en 1957 à l'âge
très avancé de 91 ans ! Il va
confier ce regard sur lui-même, sur les incertitudes du destin, sur sa peur du
trépas, dans sa 4ème symphonie dont le style
et les modes de composition vont révolutionner son écriture, et pour tout dire
la musique de son temps.
J'ai
lu que Sibelius serait un anti Mahler, un postromantique indifférent aux
courants modernistes. C'est très discutable ! De 1908, à sa disparition en 1911,
Mahler sera hanté par la mort, et les
adagios glacés de sa 9ème
symphonie offrent un excellent parallèle avec ceux, tout aussi
graves, de la 4ème de Sibelius. Par contre, là où Mahler étire le temps et enrichit son
orchestration jusqu'au burlesque (voir article sur la 6ème
symphonie, clic), Sibelius
dépouille l'orchestre et raréfie le tissu symphonique de manière tout à fait
nouvelle. (La partition ne fait que 40 pages !). Si on remarque que la 9ème de Mahler
se termine dans les limbes d'un orchestre au départ gigantesque, mais… devenu
quasi désert dans les dernières mesures, la fascination névrotique pour le
néant, par orchestration désincarnée interposée, est très similaire chez ces
deux grands visionnaires. Quant à la 4ème de
Sibelius écoutée aujourd'hui, soyons clair, c'est une œuvre plutôt sombre.
- Heuuu, M'sieur Claude,
c'est plus fort que vous les jeux de mots dans les articles ?
- Hein ? Moi ? Ce n'est
pas mon genre… Notez bien Sonia, que commencé dans la noirceur, l'ouvrage
s'achève dans l'espoir…
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1 – Tempo Molto
moderato, quasi adagio : Basson, violoncelle et contrebasse : une longue
phrase funeste transperce le silence. Quelle pensée traverse l'âme de Sibelius
? Une idée noire musicale ? L'effet est comparable aux premières mesures de la 5ème de Beethoven en moins
dramatique, en plus intériorisé ! Un méditatif solo de violoncelle prolonge
cette introduction. Le style mélodique de la symphonie est donné dès ces
premières mesures. Un à un les autres instruments d'un orchestre des plus
classiques se mêlent et nous plongent dans les sombres pensées d'un compositeur
inquiet. Mais dans ces entrelacs aux cordes d'une beauté sidérante, les traits
rudes des cuivres invitent à une vision moins sévère du climat ambiant.
Sibelius retrouve des sonorités des symphonies précédentes. Nostalgie des
paysages de Finlande, soleil couchant sur la Baltique, miroitement des lacs… On
ressent plus de nostalgie que de crainte dans cette page symphonique.
J'avais
acheté quelques vinyles de cette intégrale lors de sa parution. Le pressage
russe était immonde et criard. La réédition en CD tient du miracle. Gennady Rozhdestvensky entrecroise avec
précision le flot continu de ce rêve à la fois ténébreux et ensoleillé de
souvenirs plus radieux. L'orchestre de
la radio de Moscou aurait pu décevoir, nous ne sommes ni à Vienne ni à Londres, et pourtant la magie opère grâce à ces cordes aux
sonorités agrestes, sans vibrato maniéré. Les cuivres sont brillants, avec
justement un rien de vibrato typiquement slave apportant le pathétisme qui sied
à cette œuvre.
2 – Allegro molto Vivace
:
La symphonie est monolithique, les mouvements s'enchaînent sans pause. Ce court
et étrange intermède, au tempo gracieux mais retenu, évoque une danse
villageoise. Sibelius, orchestrateur de
génie ? Incontestablement quand on entend les chassés-croisés des bois et des
cuivres dans ce qui tient lieu de trio dans un scherzo qui s'arrête brutalement,
sans reprise ! Comme si trop de gaîté était incongru dans cette symphonie
3 – Tempo Largo : ce mouvement grave, lent,
processionnaire est l'un des plus bouleversants jamais écrits par Sibelius par sa tragique simplicité. Les mots trouvent leur limite sémantique pour
traduire les émotions. Nous sommes dans l'errance. Les immenses phrases aux
cordes rappellent le Mahler des ultimes symphonies 9 et 10. Il n'est pas étonnant
que la tristesse qui sourde de cette musique ait dérouté le public lors de la
création, à une époque où la plaisanterie musicale, comme celle des ballets
russes, avait le vent en poupe. Le mouvement se développe jusqu'à atteindre des
tuttis élégiaques et paroxystiques. Gennady
Rozhdestvensky évite cependant toute emphase, tout climat
brumeux. Il en ressort une forme de rage, de volonté de vivre, une force que
l'on retrouvera dans la 5ème
symphonie.
4 – Allegro : Sibelius ne
pouvait guère plonger plus loin dans l'expression de son désarroi que dans le largo.
Le final est donc un allegro, mais il n'est ni vivace et encore moins presto. Force
est de constater que toute l'œuvre se déroule entre le calme et la langueur. Le
final se veut un désir de réconciliation avec la vie. Gennady
Rozhdestvensky accentue volontairement ce côté festif inattendu après
les affres des premier et troisième mouvements. La tonalité et la forme sonate
en prennent un coup ! Brutalement les dernières mesures retrouvent un accent
plaintif, comme si le compositeur voyait ses angoisses chasser quelques
souvenirs joyeux des années de bonheur… Conclusion terrible, très inhabituelle
là où une coda épique est souvent de mise. Sibelius
inaugure-t-il à sa manière la musique du XXème siècle ? Oui évidement
!
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Herbert von Karajan a été l'un des grands serviteurs de Sibelius dès l'époque de la monophonie
avec EMI. Contrairement à ses habitudes, aucune intégrale n'a été réalisée en
une seule fois pour un label déterminé comme EMI. L'enregistrement des 4 dernières symphonies avec sa Philharmonie de Berlin dans les années 60
reste son meilleur témoignage. Il est incontournable pour ceux qui sont
attachés à un Sibelius plus romantique. Le son moelleux de la Philharmonie de Berlin fait merveille dans ce style
(Dgg – 2 CD – 6/6).
Léonard Bernstein à New-York
(intégrale des années 60') puis dans les années 70' à Vienne
(seulement les 1, 2, 5 et 7) a bien servi le compositeur dans un bel équilibre
entre la sensibilité nordique et la précision du flot orchestral requise. J'ai
découvert Sibelius avec l'édition des
années 60', un choc ! (Sony – 5/6, pour les symphonies 4 à 7).
Enfin,
j'en parlais déjà en introduction, l'intégrale réalisée par John Barbirolli avec l'orchestre
Hallé est la seconde référence pour le cycle complet. Il se
dégage de son interprétation une énergie insoupçonnée chez ce chef introverti.
La prise de son est idéale et le prix pour ce coffret de 5 CD est de 15 €. Un
monument du disque (Warner – EMI - 6/6).
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Ne
pas voir Gennady Rozhdestvensky
aurait été un manque grave dans cet article. J'ai trouvé cette vidéo où le jovial maestro
dirige le sourire aux lèvres et l'œil malin une suite dite les "Âmes
mortes" d'Alfred Schnitke. Poilant sur
tous les plans ! Et puis la vidéo reproduisant le CD de la symphonie de Sibelius.
1er Mvt : [0'] - 2ème mvt : [9'59"] - 3ème mvt : [14'51"] - 4ème mvt : [24'49"]Intégrale en 3 CD des 7 symphonies - Melodya (livret en russe et en anglais)
Très belle intégrale que celle de ROZHDESTVENSKY, en effet, très typée aussi du fait que les cuivres de l'orchestre russe sont beaucoup plus "verts" que ceux que l'on entend plus fréquemment dans nos riantes contrées :-) Le chef russe s'inscrit dans la traction vive de Robert KAJANUS -des disques à connaître absolument-, au même titre que MAAZEL ou COLLINS (Decca, bien oublié de nos jours), voire le premier Karajan (Philharmonia, EMI), avant le ralentissement général constaté au milieu des années 60, où l'on a commencé à diriger Sibelius ample et plus lent, ce qui lui convient très bien aussi (le travail par strates orchestrales est bien mis en valeur, ainsi). Pour débuter dans la découverte de ces oeuvres, BARBIROLLI ou SANDERLING me semblent néanmoins préférable à ROZHDESTVENSKY.
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