samedi 6 novembre 2021

R.I.P. Nelson FREIRE (1944-2021) – par Claude Toon

 


- Houlà Claude, le samedi devient la rubrique nécrologique… Le maestro Bernard Haitink il y a peu… Et je te sens là encore très touché…
- Le pianiste brésilien nous a quittés à 77 ans, une quinzaine avant mes 70 ans. J'admirais son jeu et j'avais pu brièvement lui serrer la main ; pas par mondanité, mais sa poigne de bûcheron m'avait laissé songeur par rapport à la subtilité à fleur de peau de son jeu…
- Dans le blog, trois chroniques lui sont consacrées… voyons… Chopin, Debussy et Brahms… tu nous prépares un florilège ?
- Oui et très varié, je ne pouvais pas laisser partir sans un mot un artiste aussi génial et discret, mais j'aimerais ne pas publier tous les samedis…
- Je te comprends, deux RIP si proches, mauvaises coïncidences… Luc ne t'en voudra pas, j'en suis sûre… 


Nelson Freire et Guiomar Novaes (1977)

Sonia connaît bien mes artistes favoris, tant les anciens qui ne sont plus que les jeunes qui leur succèdent. Le pianiste Nelson Freire en faisait partie. Comme je le disais il y a quelques semaines à propos de la disparition du maestro néerlandais Bernard Haitink à l'âge bien plus vénérable de 92 ans, je hais rédiger des RIP, risquant d'enfoncer des portes ouvertes à coups de platitudes dithyrambiques.

Donc même méthode, je vous propose une copie in extenso de la biographie du pianiste brésilien de l'article consacré aux préludes, livre I, de Debussy. (Clic)

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Le pianiste brésilien est le géant du clavier le plus discret, voire timide, du gotha des virtuoses de notre temps. Et on ne sera guère surpris si je pense que son nom s'efface au bénéfice de ceux de Martha Argerich, une de ses amies les plus proches, de Maurizio PolliniKristian Zimmermann sans citer le très discuté Lang Lang, chéri des médias. (Plus considéré depuis que les jaloux snobs ont reconnu son réel talent).

Nelson Freire est né en 1944 à Boa Esperança au Brésil. C'est à Rio de Janeiro qu'il étudie le piano auprès de Nise Obino et Lucia Blanco. L'influence de cette dernière sera déterminante dans l'approche de la sensualité et de l'onirisme de la musique de Debussy par l'hypersensible et timide jeune homme. Il donne quelques concerts dès son plus jeune âge… Il s'envole ensuite pour Vienne se perfectionner avec Bruno Seidlhofer, le professeur du classico-jazzman Fiedrich Gulda. Il fait connaissance de Martha Argerich. Il s'en suivra une complicité ininterrompue entre ces deux artistes. 

Nelson Freire et Martha Argerich
pendant les sixties

Ô oui hypersensible ! Car rentré au Brésil sans laurier marquant, le jeune artiste est devenu dépressif et comme paralysé face au clavier. (Vous savez le concours Chopin ou le Prix Tchaïkovski dont 95 % des lauréats n'ont connu qu'une gloire tellement sans lendemain, que leurs noms n'existent que dans Wikipédia ; le monde du classique est étrange…). Jouer à quatre mains avec un ami le guérit et une carrière de rêve commence.

Freire est un pianiste fidèle au texte, à la virtuosité subtile et sincère. Avec un touché aussi délicat, le monde sensuel de Debussy ne pouvait que trouver un interprète émouvant.

La discographie de cet artiste ivre de récitals n'est pas immense. Ses enregistrements des deux concertos de Brahms accompagnés par Riccardo Chailly chez Decca ont créé un choc en 2006 en bousculant le palmarès établi !

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Quelques ajouts : Nelson Freire était un gamin surdoué donnant ses premiers récitals dès ses cinq ans. Ses parents limiteront ces concerts pour éviter de projeter leur gamin tel un Mozart dans un star system préjudiciable à son développement.

Grand interprète de Chopin et notamment du 2ème concerto, il vouait une admiration à la pianiste brésilienne Guiomar Novaes (1895-1979) qu'il avait entendu jouer cette œuvre en aucun cas académique à Rio de Janeiro en 1959. La photo jaunasse scannée prise chez lui en 1977 démontre l'attachement qu'il porta à la virtuose comme plus tard à Martha ArgerichGuiomar Novaes, un peu oubliée de nos jours sans doute à cause d'une discographie rare. J'avais acheté en 1966 l'un de mes premiers disques, le concerto "l'empereur" de Beethoven sous ses doigts avec l'orchestre de Bamberg. (Columbia). J'essayerai d'en parler dans un futur billet.

Fin 2019, le pianiste fait une mauvaise chute à Rio de Janeiro, se brisant sévèrement une épaule. Il s'en remet… Mais le COVID arrive, les concerts sont annulés. Privé de son instrument et du public, il s'efface, se réfugie dans une forme de dépression. En 2021, il n'assiste pas en tant que juré et aux côtés de Martha Argerich au concours Chopin de Varsovie évènement quinquennal et d'importance planétaire pour les jeunes pianistes. Nota : la moitié des candidats étaient d'origine asiatique même si né en occident, et comme en 2015, trois des six premiers lauréats le sont… À méditer ! Voir article : Chopin –Concerto N°1 - Kate Liu vs Seong-Jin Cho.

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Deux souvenirs de concerts


Brahms Concerto N° 1 au TCE en 2006
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Le 13 mars 2006 : Théâtre des Champs-Elysées. j'obtiens deux "mauvaises" places pour un concert du Gewandhaus de Leipzig que Riccardo Chailly vient de prendre en main ; programme Brahms, 1er concerto et 2ème symphonie. Au clavier : Nelson Freire. L'homme est courtaud, la coiffure et la barbe ébouriffées, une dégaine de vieux sage… Riccardo Chailly est plus feu-follet (un italien 😊) La tempête symphonique introductive se déchaîne, le clavier opposera intimisme et virilité. Brahms réinventait le romantisme sur des bases néoclassiques… La critique dans le Monde du 15 mars :

"Nelson Freire et Riccardo Chailly font de la musique ensemble avec un naturel et une précision chimique. Ils sont chacun la bonne proportion et l'ingrédient exact à cette réussite dont le disque des deux concertos pour piano de Brahms qui vient juste de paraître chez Decca témoigne parfaitement. Leur Brahms est tout à la fois lumineux et grave, réservé et jaillissant."

Lors de l'entre-acte, Nelson Freire assure une dédicace, chose rare après un marathon pianistique de 50 minutes. J'ai acheté pour Maggy le double album DECCA gravé en live quelques semaines plus tôt à Leipzig et réunissant les deux concertos de Brahms. (Clic) L'une des réalisations incontournables de ces deux chefs-d'œuvre en ce début du XXIème siècle, si ce n'est une référence… Défilé de spectateurs : qui avec son programme, qui avec son billet du concert et moi avec mes CD. Je me débats avec la cellophane pour extraire le livret… Je bredouille dans un anglais d'aéroport ma demande "pour F." ; sourires, quelques mots et une poignée de main à me fracasser les métacarpes… 

Nelson Freire et Valery Gergiev

Je me demande toujours comment ces pianistes virtuoses jouent si facilement en fond de clavier avec des doigts si puissants. J'ai des doigts de cousette et j'avais parfois du mal à éviter les accords imprévus… J'apprendrai plus tard que le maître parle un français impeccable… alors moi et mon "anglais d'aéroport" 😳. Oui Sonia, je blablate, mais il y a des souvenirs à la fois musicaux et de brèves rencontres qui marquent une vie passionnée de mélomane et, inversement, des concerts oubliables… Revenons à nous moutons.

Le 26 septembre 2009 : Salle Pleyel, orchestre symphonique de Londres avec Valery Gergiev au pupitre. Programme : 2ème concerto de Brahms (et oui) et 11ème symphonie de Chostakovitch. Le maestro dirigera la symphonie à Londres et le disque publié a été commenté en 2011. De nouveau une interprétation flamboyante du concerto, en fait une symphonie en quatre mouvements avec piano obligé. Œuvre plus mature, plus poétique, d'une inventivité mélodique rarement égalée… Le lendemain, les deux artistes récidiveront avec le 1er concerto. Les critiques seront au diapason d'un concert d'anthologie.

À ce propos, la version Freire-Chailly a donné lieu à une chronique en 2018 (Clic)

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Dans la presse

Si vous tapez "Nelson Freire" dans google, vous serez surpris de voir que toute la presse même la PQR (de Ouest-France à La Provence…) a parlé de sa disparition. Un hommage appuyé pour un pianiste relativement secret, du fait que pendant un quart de siècle, il ne fréquente pas les studios d'enregistrement, tel un Celibidache ou un Mravinsky ou encore l'hédoniste confrère Vladimir Horowitz en fin de carrière, vivant en ermite dans un grand appart' de NY, à quelques pas d'une pièce où des ingénieurs du son attendait jour après jour son bon vouloir…

Les articles très similaires soulignent la technique exemplaire, la subtilité du jeu très poétique et la fidélité aux partitions donc à l'inspiration des compositeurs. Nelson Freire s'effaçait toujours, trop diront certains… Je vous invite à les parcourir, je ne dirai rien de plus pertinent voire évident.

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 Liste des chroniques précédentes

2012

Debussy : Les préludes (cahier 1), Children's Corber - Nelson Freire

Clic

2013

Chopin  : Scherzo N°1 & 2 - 3 Nocturnes (écoute des 4 scherzos et des 20 nocturnes)

Clic

2018

Brahms : Concerto pour piano n° 2 - Orchestre du Gewandhaus de Leipzig - Riccardo Chailly

Clic

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Discographie

Elle est hétéroclite mais de haut niveau. Nelson Freire n'a jamais signé de contrat durable avec un label sauf en début de carrière avec Columbia-CBS devenu Sony Classical puis tardivement avec DECCA.

Le coffret Sony des gravures réalisées entre 1969 et 1971 est un trésor. Le jeune virtuose fougueux s'impose comme une révélation, un successeur de Rubinstein, d'Horowitz et d'autres… Un coffret de 7 CD (cher) est disponible et comporte : trois concertos (Tchaïkovski, Grieg, Schumann) avec l'orchestre de Munich dirigé par le génial Rudolf Kempe. Le jeune pianiste aborde un florilège du grand répertoire romantique : Schumann, Schubert (Impromptus), Brahms (Sonate 3) et Chopin (Préludes et études), et quelques autres perles.

Autre disque miraculeux, les concertos de Liszt avec Michel Plasson au pupitre. Une lumière se diffuse enfin de ces ouvrages un peu "bourrins".

Pour ne pas oublier que Nelson Freire se voulait le chantre de la musique brésilienne, il existe un réjouissant récital de pièces de son concitoyen Heitor Villa-Lobos et d'autres compositeurs brésiliens. Ce disque, sans doute le dernier gravé par Nelson Freire paraîtra en 2012 en France.

Et bien entendu, je conseille l'écoute des albums commentés dans le blog, prioritairement les concertos de Brahms avec Riccardo Chailly.


Vidéos


La valse de Maurice Ravel à quatre mains et deux pianos : un duo entre Nelson Freire et sa complice Martha Argerich, en live et en 2003 au Japon. Le concerto N°2 de Chopin en concert avec Mikko Franck dirigeant l'orchestre de radio France. Un concert du 26 avril 2019, l'un des derniers.

Critique de Télérama : Le 26 avril 2019, lors de l’un de ses derniers concerts, il joue le Concerto pour piano et orchestre numéro 2 de Chopin, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France. En majesté sur la scène de la Philharmonie de Paris, derrière son grand instrument à queue noir, il écoute, presque religieusement, tête baissée et mains sur les genoux, la première partie de l’orchestre. Et puis, conservant les yeux clos ou regardant son clavier, il se met à jouer, de manière claire, puissante et douce à la fois, avec souplesse. Ses doigts caressent les touches, sautent dessus parfois. Sa passion de musicien, disait-il, était le toucher.




Le prélude de la Bachianas Brasileiras no. 4 de Villa-Lobos d'une finesse incomparable, en 1985. (La version orchestrale de 1941 sera sujet d'une chronique dans quelques semaines.) Enfin la magie de la jeunesse : un concert du jeune prodige de 1965 filmé et diffusé par la radio bavaroise avec un programme opposant volcanisme et tendresse :

0:23 Liszt – Waldesrauschen
4:24 Moszkowski - Etude Op.72 No.6
6:08 Debussy - Etude No.11 "Pour les arpèges composés"
10:24 Scriabine - Etude Op.8 No.12 "Patético"
12:48 Rachmaninov - Étude-tableau Op.39 No.5
17:48 Villa-Lobos - Bachianas brasileiras No.4 : Dança



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