- Houlà Claude, le samedi devient la rubrique nécrologique… Le maestro
Bernard Haitink il y a peu… Et je te sens là encore très touché…
- Le pianiste brésilien nous a quittés à 77 ans, une quinzaine avant mes
70 ans. J'admirais son jeu et j'avais pu brièvement lui serrer la
main ; pas par mondanité, mais sa poigne de bûcheron m'avait laissé
songeur par rapport à la subtilité à fleur de peau de son jeu…
- Dans le blog, trois chroniques lui sont consacrées… voyons… Chopin,
Debussy et Brahms… tu nous prépares un florilège ?
- Oui et très varié, je ne pouvais pas laisser partir sans un mot un
artiste aussi génial et discret, mais j'aimerais ne pas publier tous les
samedis…
- Je te comprends, deux RIP si proches, mauvaises coïncidences… Luc ne
t'en voudra pas, j'en suis sûre…
Nelson Freire et Guiomar Novaes (1977) |
Sonia connaît bien mes artistes favoris, tant les anciens qui ne sont plus
que les jeunes qui leur succèdent. Le pianiste
Nelson Freire
en faisait partie. Comme je le disais il y a quelques semaines à propos de
la disparition du maestro néerlandais
Bernard Haitink
à l'âge bien plus vénérable de 92 ans, je hais rédiger des RIP, risquant
d'enfoncer des portes ouvertes à coups de platitudes dithyrambiques.
Donc même méthode, je vous propose une copie in extenso de la biographie du
pianiste brésilien de l'article consacré aux préludes, livre I, de
Debussy.
(Clic)
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Le pianiste brésilien est le géant du clavier le plus discret, voire
timide, du gotha des virtuoses de notre temps. Et on ne sera guère
surpris si je pense que son nom s'efface au bénéfice de ceux
de Martha Argerich, une de ses amies les plus proches, de Maurizio Pollini, Kristian Zimmermann sans citer le très discuté Lang Lang, chéri des médias. (Plus considéré depuis que les jaloux snobs ont
reconnu son réel talent).
Nelson Freire est né en 1944 à Boa Esperança au Brésil. C'est à Rio de Janeiro qu'il étudie le piano auprès de Nise Obino et Lucia Blanco. L'influence de cette dernière sera déterminante dans l'approche de la sensualité et de l'onirisme de la musique de Debussy par l'hypersensible et timide jeune homme. Il donne quelques concerts dès son plus jeune âge… Il s'envole ensuite pour Vienne se perfectionner avec Bruno Seidlhofer, le professeur du classico-jazzman Fiedrich Gulda. Il fait connaissance de Martha Argerich. Il s'en suivra une complicité ininterrompue entre ces deux artistes.
Nelson Freire et Martha Argerich pendant les sixties |
Ô oui hypersensible ! Car rentré au Brésil sans laurier marquant,
le jeune artiste est devenu dépressif et comme paralysé face au
clavier. (Vous savez le concours
Chopin ou le Prix Tchaïkovski
dont 95 % des lauréats n'ont connu qu'une gloire tellement sans
lendemain, que leurs noms n'existent que dans
Wikipédia ; le monde du classique est étrange…). Jouer à
quatre mains avec un ami le guérit et une carrière de rêve
commence.
Freire est un pianiste fidèle au texte, à la virtuosité subtile et
sincère. Avec un touché aussi délicat, le monde sensuel de Debussy ne pouvait que trouver un interprète émouvant.
La discographie de cet artiste ivre de récitals n'est pas
immense. Ses enregistrements des deux concertos de Brahms accompagnés par Riccardo Chailly chez Decca ont créé un choc en 2006 en bousculant le palmarès établi !
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Quelques ajouts :
Nelson Freire
était un gamin surdoué donnant ses premiers récitals dès ses cinq ans. Ses
parents limiteront ces concerts pour éviter de projeter leur gamin tel un
Mozart dans un star system préjudiciable à son développement.
Grand interprète de
Chopin
et notamment du
2ème concerto, il vouait une admiration à la pianiste brésilienne
Guiomar Novaes
(1895-1979) qu'il avait entendu jouer cette œuvre en aucun cas
académique à Rio de Janeiro en 1959. La photo jaunasse scannée prise
chez lui en 1977 démontre l'attachement qu'il porta à la virtuose
comme plus tard à
Martha Argerich…
Guiomar Novaes, un peu oubliée de nos jours sans doute à cause d'une discographie rare.
J'avais acheté en 1966 l'un de mes premiers disques, le
concerto
"l'empereur" de
Beethoven
sous ses doigts avec l'orchestre de Bamberg. (Columbia). J'essayerai d'en parler dans un futur billet.
Fin 2019, le pianiste fait une mauvaise chute à Rio de Janeiro, se
brisant sévèrement une épaule. Il s'en remet… Mais le COVID arrive, les
concerts sont annulés. Privé de son instrument et du public, il s'efface, se
réfugie dans une forme de dépression. En 2021, il n'assiste pas en
tant que juré et aux côtés de
Martha Argerich
au concours Chopin de Varsovie évènement quinquennal et d'importance
planétaire pour les jeunes pianistes. Nota : la moitié des candidats étaient
d'origine asiatique même si né en occident, et comme en 2015, trois
des six premiers lauréats le sont… À méditer ! Voir article :
Chopin –Concerto N°1 - Kate Liu vs Seong-Jin Cho.
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Deux souvenirs de concerts
Brahms Concerto N° 1 au TCE en 2006 xxxx x |
Le 13 mars 2006 : Théâtre des Champs-Elysées. j'obtiens deux "mauvaises" places pour un concert du Gewandhaus de Leipzig que Riccardo Chailly vient de prendre en main ; programme Brahms, 1er concerto et 2ème symphonie. Au clavier : Nelson Freire. L'homme est courtaud, la coiffure et la barbe ébouriffées, une dégaine de vieux sage… Riccardo Chailly est plus feu-follet (un italien 😊) La tempête symphonique introductive se déchaîne, le clavier opposera intimisme et virilité. Brahms réinventait le romantisme sur des bases néoclassiques… La critique dans le Monde du 15 mars :
"Nelson Freire et Riccardo Chailly font de la musique ensemble
avec un naturel et une précision chimique. Ils sont chacun la
bonne proportion et l'ingrédient exact à cette réussite dont le
disque des deux concertos pour piano de Brahms qui vient juste
de paraître chez Decca témoigne parfaitement. Leur Brahms est
tout à la fois lumineux et grave, réservé et jaillissant." |
Lors de l'entre-acte,
Nelson Freire
assure une dédicace, chose rare après un marathon pianistique de 50 minutes.
J'ai acheté pour Maggy le double album DECCA gravé en live quelques
semaines plus tôt à Leipzig et réunissant les deux concertos de
Brahms. (Clic) L'une des réalisations
incontournables de ces deux chefs-d'œuvre en ce début du XXIème
siècle, si ce n'est une référence… Défilé de spectateurs : qui avec son
programme, qui avec son billet du concert et moi avec mes CD. Je me débats
avec la cellophane pour extraire le livret… Je bredouille dans un anglais
d'aéroport ma demande "pour F."
; sourires, quelques mots et une poignée de main à me fracasser les
métacarpes…
Nelson Freire et Valery Gergiev |
Je me demande toujours comment ces pianistes virtuoses jouent si facilement en fond de clavier avec des doigts si puissants. J'ai des doigts de cousette et j'avais parfois du mal à éviter les accords imprévus… J'apprendrai plus tard que le maître parle un français impeccable… alors moi et mon "anglais d'aéroport" 😳. Oui Sonia, je blablate, mais il y a des souvenirs à la fois musicaux et de brèves rencontres qui marquent une vie passionnée de mélomane et, inversement, des concerts oubliables… Revenons à nous moutons.
Le 26 septembre 2009 : Salle Pleyel,
orchestre symphonique de Londres
avec
Valery Gergiev
au pupitre. Programme :
2ème concerto
de
Brahms
(et oui) et
11ème symphonie
de
Chostakovitch. Le maestro dirigera la symphonie à Londres et le disque publié a été
commenté en 2011. De nouveau une interprétation flamboyante du
concerto, en fait une symphonie en quatre mouvements avec piano obligé.
Œuvre plus mature, plus poétique, d'une inventivité mélodique rarement
égalée… Le lendemain, les deux artistes récidiveront avec le
1er concerto. Les critiques seront au diapason d'un concert d'anthologie.
À ce propos, la version
Freire-Chailly
a donné lieu à une chronique en 2018
(Clic)
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Dans la presse
Si vous tapez "Nelson Freire" dans google, vous serez surpris de voir que toute la presse même la PQR
(de Ouest-France à
La Provence…) a parlé de sa
disparition. Un hommage appuyé pour un pianiste relativement secret, du fait
que pendant un quart de siècle, il ne fréquente pas les studios
d'enregistrement, tel un
Celibidache
ou un
Mravinsky
ou encore l'hédoniste confrère
Vladimir Horowitz
en fin de carrière, vivant en ermite dans un grand appart' de NY, à quelques
pas d'une pièce où des ingénieurs du son attendait jour après jour son bon
vouloir…
Les articles très similaires soulignent la technique exemplaire, la subtilité du jeu très poétique et la fidélité aux partitions donc à l'inspiration des compositeurs. Nelson Freire s'effaçait toujours, trop diront certains… Je vous invite à les parcourir, je ne dirai rien de plus pertinent voire évident.
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Liste des chroniques précédentes
2012 |
Debussy : Les préludes (cahier 1), Children's Corber - Nelson Freire |
|
2013 |
Chopin : Scherzo N°1 & 2 - 3 Nocturnes (écoute des 4 scherzos et des 20 nocturnes) |
|
2018 |
Brahms : Concerto pour piano n° 2 - Orchestre du Gewandhaus de Leipzig - Riccardo Chailly |
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Discographie
Elle est hétéroclite mais de haut niveau.
Nelson Freire
n'a jamais signé de contrat durable avec un label sauf en début de carrière
avec Columbia-CBS devenu Sony Classical puis tardivement avec
DECCA.
Le coffret Sony des gravures réalisées entre 1969 et
1971 est un trésor. Le jeune virtuose fougueux s'impose comme une
révélation, un successeur de
Rubinstein, d'Horowitz
et d'autres… Un coffret de 7 CD (cher) est disponible et comporte : trois
concertos
(Tchaïkovski,
Grieg,
Schumann) avec l'orchestre de Munich
dirigé par le génial
Rudolf Kempe. Le jeune pianiste aborde un florilège du grand répertoire romantique :
Schumann,
Schubert
(Impromptus),
Brahms
(Sonate 3) et
Chopin
(Préludes
et
études), et quelques autres perles.
Autre disque miraculeux, les
concertos
de
Liszt
avec
Michel Plasson
au pupitre. Une lumière se diffuse enfin de ces ouvrages un peu
"bourrins".
Pour ne pas oublier que
Nelson Freire
se voulait le chantre de la musique brésilienne, il existe un réjouissant
récital de pièces de son concitoyen
Heitor Villa-Lobos
et d'autres compositeurs brésiliens. Ce disque, sans doute le dernier gravé
par
Nelson Freire
paraîtra en 2012 en France.
Et bien entendu, je conseille l'écoute des albums commentés dans le blog, prioritairement les concertos de Brahms avec Riccardo Chailly.
Vidéos
La valse de Maurice Ravel
à quatre mains et deux pianos : un duo entre
Nelson Freire
et sa complice
Martha Argerich, en live et en 2003 au Japon. Le
concerto N°2
de Chopin
en concert avec
Mikko Franck
dirigeant l'orchestre de radio France. Un concert du 26 avril 2019, l'un des derniers.
Critique de Télérama
:
Le 26 avril 2019, lors de l’un de ses derniers concerts, il joue le
Concerto pour piano et orchestre numéro 2 de Chopin, avec l’Orchestre
philharmonique de Radio France. En majesté sur la scène de la
Philharmonie de Paris, derrière son grand instrument à queue noir, il
écoute, presque religieusement, tête baissée et mains sur les genoux,
la première partie de l’orchestre. Et puis, conservant les yeux clos
ou regardant son clavier, il se met à jouer, de manière claire,
puissante et douce à la fois, avec souplesse. Ses doigts caressent les
touches, sautent dessus parfois. Sa passion de musicien, disait-il,
était le toucher.
Le prélude de la Bachianas Brasileiras no. 4 de Villa-Lobos d'une finesse incomparable, en 1985. (La version orchestrale de 1941 sera sujet d'une chronique dans quelques semaines.) Enfin la magie de la jeunesse : un concert du jeune prodige de 1965 filmé et diffusé par la radio bavaroise avec un programme opposant volcanisme et tendresse :
0:23 Liszt – Waldesrauschen
4:24 Moszkowski - Etude Op.72 No.6
6:08 Debussy - Etude No.11 "Pour les arpèges composés"
10:24 Scriabine - Etude Op.8 No.12 "Patético"
12:48
Rachmaninov - Étude-tableau Op.39 No.5
17:48 Villa-Lobos -
Bachianas brasileiras No.4 : Dança
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