- Ah M'sieur Claude, le second et dernier concerto pour piano de Brahms.
Hum, voyons, vous avez déjà chroniqué le 1er en… 2015. Des
œuvres identiques ?
- Non pas vraiment, si le 1er est une œuvre de jeunesse
(1859), le 2nd de 1881 date de sa maturité. De plus, il
comporte quatre mouvements, rare dans le genre…
- Vous avez raconté dans un papier que vous aviez entendu Nelson Freire
et Riccardo Chailly interpréter ce concerto en concert, un moment
inoubliable je crois ?
- Oui au TCE, le 1er concerto, quelques semaines après la
parution de ce double album réalisé à Leipzig… J'ai les CDs dédicacés pour
ma chère Maggy par le très affable pianiste…
- C'est gentil pour elle. Une question évidente : il doit exister une
flopée d'enregistrements de ce grand concerto… ?
- Ô oui, tous les pianistes virtuoses ont abordé ce répertoire, beaucoup
de réussites, j'en avais parlé lors de la première chronique, je vais
compléter la liste…
Riccardo Chailly et Nelson Freire en concert |
Et oui, 16ème chronique consacrée au compositeur hambourgeois.
Il faut dire qu'entre ses symphonies, concertos et perles de la musique de
chambre, si la production du bonhomme est moins fournie que celle d'un
Mozart
ou d'un
Haydn, peu d'œuvre donnent le sentiment d'avoir été écrite en série…
Je ne réécris pas la biographie de
Johannes, un résumé est à lire dans le billet présentant les quintettes opus 111
pour alto et opus 115
pour clarinette
(Clic). Il y a des détails complémentaires dans les autres articles.
(Index)
Vingt-deux ans séparent la composition du monumental
concerto n°1
qui, par ses proportions olympiennes, fut relativement mal accueilli par le
public lors de sa création en
1859, du second. La puissance
symphonique et minérale de l'introduction imposait une majesté inconnue
jusqu'alors, même dans les
concertos
de Beethoven.
L'écriture du
second concerto
se situe entre 1878 et
1881, la création aura lieu à
Budapest en 1881. Entre les
deux compositions, Brahms
a vaincu ses craintes quant à l'écriture des
symphonies. Crainte de rester trop en deçà de son modèle absolu dans le genre : Beethoven. Les
deux premières symphonies
sont des réussites totales et ont démontré que le classicisme de Brahms, très opposé aux aventures contrapuntiques et chromatiques de Wagner
et de Bruckner, avait encore sa place dans l'univers de la musique germanique. Et puis,
le reproche fait à Brahms
de soi-disant se tourner vers le passé ne repose sur rien de bien solide et
fait rapidement flop en y regardant de près. Brahms
a bousculé la forme sonate très codifiée avec ses thèmes AB(C),
réexposition, etc. en se tournant avec gourmandise vers les variations. Et
puis notre concerto de ce jour prend la forme d'une symphonie pour piano
avec un scherzo en second mouvement et un violoncelle qui vole presque la
vedette au piano dans le mouvement lent. Par ailleurs les dimensions de la
partition rappellent celles du premier concerto de
1859 avec une durée d'exécution
de 50 minutes environ. Alors, Brahms
ringard et traditionaliste ? À d'autres…
Brahms par Willy von Beckerath |
Brahms
ne cessera d'alléger ses œuvres sur le fond et la forme en avançant en âge, cherchant une clarté sonore qui
lui fait parfois défaut en début de carrière. L'orchestration romantique est
laissée de côté pour un retour à celle de la symphonie héroïque de
Beethoven :
2/2/2/2, 4 cors, 2 trompettes, timbales. (Pas de trombones, et pas de
trompettes et de timbales dans les 3ème et 4ème
mouvements).
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Troisième enregistrement avec la présence du chef italien
Riccardo Chailly. Après La
symphonie écossaise
de Mendelssohn
et la
symphonie n°0
de Bruckner, revoici le maestro à la tête de l'orchestre du
Gewandhaus
de Leipzig
qu'il conduit depuis 2005 après avoir dirigé le
Concertgebouw d'Amsterdam
de 1988 à 2004. Une carrière d'exception.
(Clic)
Nelson Freire a également été au centre de deux chroniques consacrées à des pièces de Chopin
et de Debussy
(Clic). En 2005-2006, à l'évidence,
le courant passe entre le pianiste brésilien et le chef milanais. En
novembre 2005 pour le
2ème concerto
et en février 2006 pour le
1er, les micros sont présents dans la salle de Leipzig. Le double album
récompensé par la critique paraît dans la foulée, d'où mon achat après le
concert parisien où est donné le
1er concerto
face à un auditoire statufié par la violence contrôlé de l'exécution.
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Johann Strauss II et Brahms vers 1890 |
Nota : La vidéo ci-dessous propose l'intégrale de cette interprétation.
Elle est constituée de six vidéos enchainées automatiquement.
1 – Allegro non troppo
: Une notation de tempo qui chez Brahms
anticipe toujours le climat général à elle-seule. De l'allégresse, de
l'énergie mais une sérénité sous-jacente, des contrastes émotionnels comme
les affectionne le compositeur, notamment dans sa musique de chambre.
Contrairement à la majestueuse et imposante introduction du
1er concerto, Brahms
retient la leçon du
concerto l'Empereur de Beethoven. Le premier thème est joué calmement par
un cor solo. Le piano lui
répond par des arpèges ascendants très poétiques. Bois et cordes concluent
cette brève introduction et laisse le piano développer les premières idées
épiques de ce concerto d'emblée bien romantique… Une cadence sautillante,
jouant sur une succession d'arpèges toniques. [1:30] L'orchestre s'interpose
pour un premier intermède, une ballade très variée au climat orageux et
pathétique. Malgré la modestie de l'orchestration, le dialogue entre les
pupitres est plutôt allant avec les interventions extatiques des cors
[3:06]. On sent déjà que le premier mouvement sera long, Brahms
prend son temps et, comme souvent, semble confirmer à travers une forme
sonate moyennement classique son goût pour les variations, ces motifs et
fantaisies qui apparaissent ici et là pour ne jamais lasser l'auditeur.
[3:26] Le piano se retrouve en vedette après cette exposition échevelée. Et
voici des accords f puissants et staccatos, notés sans pédale, donc
très exigeants envers le soliste.
Une multitude de motifs dérivés va fleurir l'espace sonore de ce long
mouvement. On ne peut nier une dimension symphonique à cet allegro, y
compris pour le piano auquel le compositeur semble refuser tout instant
d'intimité. Les références à des réflexions philosophiques chères au
romantisme n'existent pas à mon sens. Nous écoutons une musique pure qui par
sa vivacité offre une ambiance combative, une palette de timbres, de
ruptures de rythme et de tonalité qui préfigurent une évidente modernité
dans le discours. Détailler plus avant une telle inventivité reste du
domaine d'écrits plus savants (Partition). [V2-5:53] La longue coda débute sur un rappel plus sombre du thème
initial au cor.
Le jeu affirmé de
Nelson Freire, sa précision, le refus d'un legato mielleux et démodé dans cette musique,
présente une facette de Brahms
d'une rare virilité. Cet engagement puissant explique sans doute le succès
de ce disque. On pourra faire la même remarque à propos de la direction de
Riccardo Chailly.
Souvenir de Budapest par Nikoletta Király ©2017 |
2 – Allegro appassionato
: Brahms
songeait-il déjà à sa future
3ème symphonie
à l'époque ? Cela pourrait expliquer la présence insolite d'un scherzo dans
un concerto de facture classique. Curieusement, entre le saisissant allegro
et le merveilleux et étrange Andante, cette petite pause trouve parfaitement
sa place… En aucun cas, une coquetterie. Si l'allegro recourait au si bémol
majeur, tonalité enthousiaste, place ici au sombre ré mineur. Le premier
thème jaillit du piano secondé par les cordes chantant dans le grave. Des
traits sévères un rien démoniaques. La seconde idée initiée par les violons
se prolonge par une mélodie élégante au piano. Le contraste est amusant,
presque goguenard. Brahms
rejoue avec gourmandise tout ce bloc thématique et fait intervenir les vents
et les cuivres avec véhémence. [V3-4:30]. Le trio s'annonce sous forme d'une
marche scandée à laquelle s'oppose une méditation du piano. Très fugace
cette accalmie…
Et puis toujours cette impression d'écouter des variations imaginatives.
[V3-6:32] Retour du scherzo illustré d'un dialogue facétieux de quelques
bois. Un crescendo accelerando entraine cet intermède un peu fou vers une
coda en forme de bacchanale ; l'une des pages les plus survoltées du maitre.
3 – Andante
: Brahms
académique et néoclassique ? Ah
ah ! Voici l'un des mouvements
les plus insolites de la littérature concertante pour piano car il n'est pas
choquant d'affirmer que le violoncelle solo ravit la vedette au piano.
(Vedette américaine pour ne pas trop exagérer.) De lointains pizzicati des
contrebasses accompagnent le premier thème élégiaque joué par le violoncelle
solo ! Cordes au complet et bassons prolongent le climat nocturne, un mini
poème symphonique qui va conduire à une entrée tardive du piano après le
retour du violoncelle dialoguant avec le hautbois. [V4-2:44] Le récit du
piano émerge enfin discrètement des brumes de la forêt pour dérouler une
mélodie plus anxieuse, staccato. Une réelle tension dans le jeu du clavier
en opposition avec la douce torpeur de la ligne de chant du violoncelle. Une
fois de plus, la richesse du tissu orchestral confirme la dimension
symphonique de l'ouvrage. Parfois l'orchestre ne sert que de faire valoir
chez certains concurrents (Chopin
?). La partie centrale tisse une dramaturgie aux accents presque tragiques.
[V5-0:27] Puis une longue et langoureuse méditation du piano où
Nelson Freire
semble survoler les touches. [V5-2:21] Le violoncelle fait son retour et
rejoint le piano dans un dialogue amoureux. Une exception dans l'histoire du
concerto que cette rencontre en duo, un chassé-croisé entre deux jeunes
amants instrumentaux tels les couples comme Tristan et Isolde ou celui de la
nuit Transfigurée
de Schoenberg
qui admirait Brahms. Que de parallèles possibles… Ce choix d'un "double concerto" n'eut pas
que des adeptes à la création comme toute initiative excentrique… Pourtant
mon dieu, quelle rêverie sensuelle.
4 – Allegretto grazioso
: Après un andante en état de grâce, Brahms
conclut son concerto par un mouvement allant mais sans emphase comme pour ne
pas briser le charme. Le premier thème sera enjoué, un soupçon ludique et
guilleret. Timbales et trompettes sont absentes pour éviter tout
triomphalisme. [V5 - 1:13] Une jolie phrase d'essence tzigane, motif dont Brahms
raffolait (écoutez ses danses hongroises) propose une seconde idée que le
compositeur va développer avec empressement. Mesures après mesures, le
concerto s'achève de manière endiablée mais sans virulence excessive.
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Dans une discographie pléthorique, difficile d'établir de manière objective
un palmarès de soi-disant références. La sélection proposée dans la
chronique consacrée au 1er concerto garde toute sa valeur pour ce
second concerto plus tardif. Quelques têtes d'affiches nouvelles pour
compléter :
L'une des premières gravures stéréophoniques en
1958 réunissait pour RCA
Arthur Rubinstein
et
Josef Krips
et
l'orchestre RCA. Deux monstres sacrés et les débuts fringants de la stéréo. On trouve cet
enregistrement mythique dans diverses présentations dont un coffret de 9 CD.
Volcanique, parfois bonhomme et drôle, absolument aucun dérapage romanesque.
Rubinstein
récidivera au crépuscule de sa vie avec l'orchestre de Philadelphie
et
Eugene Ormandy
en 1971 (RCA
– 6/6).
Autre gravure indémodable :
Emil Gilels
et
Eugen Jochum
dirigeant la
Philharmonie de Berlin
en 1972. Racée et élégante, un clavier électrisant et la probité du
chef allemand (DG – 6/6).
Parmi les parutions récentes,
Hélène Grimaud
revient à son cher
Brahms en 2012 en gravant les deux concertos sur deux soirées. Le 1er
à Munich avec L'orchestre de la radiodiffusion bavaroise
et le 2nd à la
Philharmonie de Vienne, dans les deux sessions, Andris Nelsons
est à la baguette. Un jeu aéré et bien fringuant, contrairement aux dires de
certains critiques qui n'aiment pas la personnalité atypique de l'artiste
"lycantrophile". Quelle fluidité dans le scherzo. Quelles féminité et
spontanéité dans l'andante (DG
– 6/6)
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Gilels - Jochum pour les deux et Gilels - Reiner (RCA) pour le n°2 font parfaiement mon bonheur dans ce répertoire depuis des années.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup aussi Arrau - Giulini (EMI) et Fleisher - Szell (CBS), excellents et très complémentaires. En revanche, je n'ai pas trop accroché à Grimaud - Nelsons au moment de son achat, et je n'y revins pas souvent... Quant à Rubinstein, selon le jour et mon humeur, je peux être plus ou moins réservé dans ces concertos. Il existe d'ailleurs une anecdote fameuse de son enregistrement du premier avec Reiner, que je rapporte ici : http://latelierdediablotin.fr/WordPress3/2015/07/lart-de-la-peur-in-jalousies-et-vacheries/
Pour ce deuxième concerto, Richter - Leinsdorf jouit également d'une très belle réputation, non usurpée.
Merci Diablotin pour tous ces ajouts et précisions.
SupprimerAh oui, pas mal la "vacherie" de Reiner vis-à-vis de Rubinstein. J'ai trouvé ce concerto de Rachmaninov sur Youtube. Heu ? L'orchestre ne tire pas un peu la couverture à lui lors de son entrée après la suite d'accords du piano ? :o)
Bonsoir,
RépondreSupprimerPour ma part, outre ceux déjà cité par Diablotin, mes chouchous sont:
- Gina Bachauer accompagnée par le London et Dorati. Pour l'emphase globale, le toucher franc de la pianiste et le lyrisme viril de l'accompagnement.
- Van Cliburn, acompagné de Reiner avec le Chicago. Quand Van Cliburn joue avec Reiner il se produit une osmose particulière que le pianiste ne me parait trouver qu'avec ce chef. Sur chaque oeuvre qu'il réenregistra avec quelqu'un d'autre, le résultat m'a jusqu'à présent toujours été décevant. A commencer par ce fameux concerto (par exemple la mouture avec Kondrashine et l'orchestre de Moscou).
Pour l'anecdote citée par Diablotin, elle m'était connue sous une variante. Au lieu d'un corniste de l'orchestre, ce serait Rubinstein qui demandait à Reiner s'il était possible de refaire une prise où lui et l'orchestre n'était pas bien en phase. La suite est identique.
Au plaisir de vous lire de nouveau.