Peinture de William Wilson XIXème
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- Bonjour M'sieur Claude, tiens vous avez préféré illustrer votre
chronique par cette toile d'un peintre écossais à la place de la
pochette du CD !?
- Franchement, vous avez vu la jaquette Sonia ! Alors que le programme
suggère justement une belle toile en rapport avec cette symphonie
inspirée par un voyage en écosse…
- Oui, en effet, mais le chef a l'air sympa même si à moitié caché par
le texte…
- Oui, et un grand maestro que j'ai souvent mentionné dans les
discographies alternatives… Mais aujourd'hui, il est au centre de
l'article…
- Donc M'sieur Claude, direction l'Écosse, ses Highlands, sa grotte de
Fingal et ses cornemuses, sans oublier le monstre du Loch Ness… hi
hi…
- Tss Tss Sonia, nous sommes en 1842, le monstre n'a pas encore été
repéré par quelques
"addicts" du single malt…
La biographie complète de
Felix Mendelssohn
a été détaillée dans la chronique consacrée aux
Songes d'une nuit d'été, une musique de scène qui est l'œuvre la plus célèbre du compositeur et
dont la marche nuptiale a conclu quelques millions de mariages (Clic). Cette chronique commentait l'enregistrement culte par
Otto Klemperer
avec le
Philharmonia. J'aurais pu récidiver avec ce chef légendaire pour la
symphonie écossaise, mais un peu de changement ne nuit pas.
Mon premier choix aurait été
pour la belle version de
Christoph von Dohnanyi
à la tête de l'orchestre de Cleveland
(1993), mais le CD avait un temps disparu du catalogue. Donc, nous allons
découvrir cette belle symphonie romantique dans la version définitive de
1842 et grâce à l'un des
meilleurs orchestres d'Europe et au delà : Le
Gewandhaus de Leipzig, ici dirigé par
Riccardo Chailly, son directeur actuel.
Riccardo Chailly
? Tout le monde a entendu sa
valse jazz
de
Chostakovitch
immortalisée dans une pub CNP puis par les danseurs de salon… (Peut-être
sans savoir que c'est lui qui dirige.)
Natif de Milan, Riccardo Chailly
apprend la composition avec son père tout en suivant des études brillantes
le conduisant à devenir en
1973, à seulement 20 ans,
l'assistant de
Claudio Abbado
à la
Scala de Milan. Après un début de carrière itinérant et international, première
consécration comme directeur du
Concertgebouw d'Amsterdam en 1988. Le premier chef non néerlandais depuis un siècle et
notamment l'époque
Mengelberg-Beinum-Haitink). (Un orchestre rival des
philharmonies
de
Berlin
et de
Vienne.)
Il ouvre cet orchestre d'exception à un répertoire plus moderne en
signant des gravures consacrées à
Olivier Messiaen
et même une intégrale en 2 CDs des œuvres visionnaires (même encore de nos
jours) d'Edgar Varèse
(1883-1965). En parallèle de
deux
intégrales symphoniques de
Bruckner
et
Mahler
de belle facture, il s'intéresse à un pan mal connu du répertoire de
Chostakovitch
: les
suites jazz
et les
musiques de films.
En 2005, il devient directeur et chef principal de l'Orchestre du
Gewandhaus de Leipzig
(fondé en 1743 !), encore un ensemble de prestige. Pour les
enregistrements classiques,
Chailly
prend des libertés pour éviter la routine : l'orchestration de
Mahler
dans son intégrale des
symphonies
de
Schumann, des éditions définitives ou originales peu connues pour le disque
Mendelssohn
chroniqué aujourd'hui.
En concert, le style
Chailly
repose sur un plaisir gourmand et communicatif de diriger ainsi qu'une
fougue dans les accentuations qui vivifie les partitions qu'il
aborde…
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Pour rebondir d'emblée sur le choix du disque de
Riccardo Chailly, il faut rappeler que
Felix Mendelssohn
fut lui-même directeur du
Gewandhaus
de Leipzig
dès 1835 (il n'avait que 26
ans) jusqu'à sa mort prématurée en
1847. Hyperactif et
globetrotteur, il voyage en
Angleterre et en
Écosse puis en
Italie. Ces voyages
initiatiques en 1829 puis
1833 lui fourniront
l'inspiration pour la composition de la folâtre
4ème symphonie "Italienne"
et la
3ème
qui portera le surnom d'"Écossaise" après 1942, date de
l'achèvement réel de la partition. Durant sa courte vie,
Mendelssohn
se rendra de nombreuses fois en Angleterre pour donner des séries de
concerts. Il est sans doute le premier compositeur à proposer des œuvres
bilingues tel son oratorio
Elias
écrit en allemand et en anglais (Exception :
Haydn dans
La Création).
Jeune homme de son temps, romantique,
Mendelssohn
sera fasciné par les paysages grandioses et les coutumes folkloriques de
l'Écosse. Il écrit lui-même : "…être arrivé en Ecosse avec une inclination pour les chansons
populaires, une oreille pour la belle et odorante campagne et un cœur
pour les jambes dénudées des indigènes…" Sean Connery en kilt
n'apprécierait guère d'être étiqueté d'indigène :o)
La genèse de la
symphonie "Écossaise" s'étire d'une version initiale de
1829 jusqu'à sa refonte en
1842. Le compositeur
perfectionniste ne voudra pas publier en l'état la partition initiale. Il
prépare en 1842 une édition
pour un concert donné en juin à Londres. Cette édition a été retrouvée
récemment. Ô les différences avec l'édition "temporaire" de
1842, jouée habituellement,
ne sont pas immédiatement perceptibles pour un mélomane qui ne connaît pas
cette œuvre par cœur. La coda du premier mouvement sonne plus richement
avec des tuttis de cors éclatants. L'orchestration varie par-ci par-là et
paraît plus colorée. Un enregistrement original mais pas du tout un regard
nouveau sur la partition. Nous ne sommes pas chez
Bruckner
qui réécrivait tout plusieurs fois de A à Z ! La création officielle avait
eu lieu en mars à Leipzig.
John Constable : Paysage côtier et nuages
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En 1829,
Ludwig van
est mort depuis 2 ans…
Mendelssohn
recourt assez logiquement à l'orchestre beethovénien (2/2/2/2, 2
trompettes, mais 4 cors et non 2 ou 3, timbales et
cordes, pas de trombones). La rencontre avec le jeune
Berlioz
qui n'a pas encore écrit sa
symphonie fantastique
n'aura pas d'influence en faveur d'une extension de l'orchestre.
1 - Andante con moto – Allegro un poco agitato - Andante come I°
(primo)
: Dans son ouvrage consacré à
Mendelssohn, Rémi Jacob suggère une
influence du peintre
John Constable (1776-1837)
dans l'évocation du climat brumeux de l'introduction notée andante. Ce
peintre qui anticipe grandement le mouvement impressionnisme illustre
parfaitement par les lumières sombres et bleutées ce que
Mendelssohn
va peindre… en musique. Un premier thème opposant, tel un choral, bois et
cordes évoque le ciel lourd de l'Écosse, les teintes moussues des landes.
Une seconde idée plus énergique fait souffler un vent maritime décoiffant.
L'allegro déchaîne rapidement des expressions d'enthousiasme.
Mendelssohn
alterne ainsi descriptions et sentiments jubilatoires face aux paysages et
à la ferveur ambiante qu'il perçoit dans ce pays. On a souvent entendu ce
long premier mouvement joué de manière académique et pesante, sans
contraste. Ici,
Riccardo Chailly
oppose jeux ludiques et subtiles de l'harmonie confrontées aux phrases
altières des magnifiques cordes
du
Gewandhaus de Leipzig, puissantes mais soyeuses. Le chef italien articule et accentue chaque motif, chaque trait, fait
sonner virilement trompettes et cors. Sous sa direction, la symphonie
retrouve son aura romantique et sa vivacité qui annonce le
Wagner
du
Vaisseau Fantôme. Un voyage symphonique battu par les vents… La coda est éblouissante
d'exaltation.
Belle prise de son dynamique mais manquant un peu d'aération.
La grotte de Fingal (Carte postale du 19ème siècle) |
2 – Vivace Non Troppo
: Après celui de la
9ème symphonie
de
Beethoven,
Mendelssohn
va donner au scherzo ses lettres de noblesse à travers le second
mouvement. Une ritournelle vif-argent des violons introduit une mélodie
fantasque à la clarinette. Une mélodie à l'évidence sensée se substituer à
une cornemuse. Le thème n'est rien d'autre que celui d'un chant
traditionnel gaélique construit sur une gamme pentatonique et un rythme à
deux temps. C'est totalement innovant. La clarinette, instrument plus
véloce, instaure une ambiance bonhomme de fête villageoise. Pour laisser
le chant libre au développement de ce thème folklorique,
Mendelssohn
le confie successivement à tous les pupitres.
Riccardo Chailly
soutire des sonorités rutilantes de son orchestre. Un passage dont la
transparence, si difficile habituellement à obtenir, rayonne de mille
couleurs. Ce scherzo étant très court (4') et réjouissant (fa majeur) se
développe en rafale pour établir un lien avec les fresques venteuses du
premier mouvement.
3 – Adagio
: Cet adagio paraît serein par le recours à la tonalité de la majeur. On
retrouve l'esprit contemplatif du mouvement initial. L'introduction nous
replonge dans les brumes et forêts touffues. Pourtant, ce n'est guère
descriptif, la musique évolue vers des mélodies plus martiales et
tourmentées qui montrent que l'œuvre prétend être aussi une médiation plus
intime, une musique pure dont les clés expressives sont laissées à la
discrétion de chaque auditeur.
Mendelssohn
limite volontairement la diversité des couleurs dans l'orchestration,
réussissant à donner à cet adagio une cohésion tonale
exceptionnelle.
4 - Allegro vivacissimo
: Le final se veut fête champêtre avec son alternance de motifs très
rythmés opposés à des mélodies plus souples qui rappellent le chant de la
clarinette dans le scherzo.
Riccardo Chailly
contrôle un tempo régulier mais vif, évitant toute emphase et
précipitation dans ce fougueux final. La prise de son met parfaitement en
valeur le dialogue festif des bois, les traits voluptueux des cordes. Bien
des décennies avant la
5ème symphonie
de
Tchaïkovski, la coda prolonge de manière quasi indépendante le final en s'appuyant
sur un thème majestueux, limite glorieux diraient certains.
Le CD est complété par une reconstitution du
3ème concerto
pour piano resté inachevé. Une curiosité. En conclusion : une édition
originale de
l'ouverture
dite de la Grotte de Fingal.
Mendelssohn, comme beaucoup, avait été impressionné par cette monumentale
architecture naturelle et ses colonnes basaltiques qui rappellent la
Chaussée des Géants, une curiosité géologique assez identique mais
irlandaise. Plus qu'une ouverture, il s'agit d'un petit poème symphonique
dans lequel
Mendelssohn
met en musique à la fois le rugissement du ressac dans cette caverne
marine, et le sentiment de petitesse face au gigantisme du lieu.
Interprétation pleine de feu de
Riccardo Chailly.
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Pour l'édition classique de la
symphonie écossaise, la discographie est pléthorique. C'est l'une des œuvres les plus
populaires du compositeur. Je ne retiens dans mes suggestions que des
gravures stéréophoniques. En
1960,
Otto Klemperer
signe avec son
Philharmonia
un disque culte par l'incroyables clarté et distinction de sa direction.
On entend absolument toutes les notes. Le vieux chef semble favoriser une
approche métaphysique qui sied au romantisme de l'ouvrage. Certes, comme
souvent avec le maestro, les tempos sont assez lents et certains pourront
trouver cette version un tantinet marmoréenne. Idéal cependant pour
découvrir les moindres recoins de la partition, d'où la vidéo en fin
d'article avec un son très correct (EMI – SACD – 5,5/6).
Le maestro allemand
Christoph von Dohnányi
a gravé deux versions remarquables de cette symphonie. La première avec le
philharmonique de Vienne
au sein d'une intégrale qui ne quitte jamais le catalogue, une sorte de
référence pour le corpus. Lors de son passage à
Cleveland (1984-2002), il a récidivé avec cet excellent orchestre US en ajoutant
une cantate profane un rien satanique (c'est la mode au début du XIXème
siècle : Le
Freischütz de
Weber, les adaptations diverses du mythe de
Faust) portant le titre de
La Première Nuit de Walpurgis. (Decca et Telarc – 6/6)
On pourrait citer aussi
Peter Maag,
Herbert von Karajan
et
Claudio Abbado
qui ont bien servi cette symphonie.
la symphonie par Riccardo Chailly suivie par Otto Klemperer et le
Philharmonia dans l'intégralité de la symphonie dans la version originale.
Pour cette magnifique symphonie, j'ai un petit faible pour la version de Abbado, mais il est vrai que celle de Klemperer reste un must. Chailly est pas mal non plus, mais un poil plus rapide que le grand chef allemand.
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