vendredi 5 novembre 2021

LA FRACTURE de Catherine Corsini (2021) par Luc B.

- Ai-je droit à un préambule ?

- Ca y est, y va encore gueuler…

- Pfff, pas du tout Sonia, c’est pas l’genre de la maison…

On entend parfois des trucs du genre, ah le cinéma français n’est plus ce qu’il était, entre drames intimes chiantissimes en appartement chics et bouffonneries comiques qui ne font pas rire.

Bon, j’ai jeté un œil sur le dernier Dany Boon, c’est vrai que ça frise la cata… Mais quand on cherche bien, on trouve. Et je suis là, très modestement, pour vous servir de guide. On dit aussi que le cinéma français ne parle pas du réel, au contraire des Anglais. La semaine dernière, je vous parlais de ILLUSIONS PERDUES de Giannoli, et cette fois de LA FRACTURE. Deux films aux antipodes, une adaptation littéraire et classique en costume, grosse production, mais dont les thèmes résonnaient dans notre actualité, et un petit film coup de poings qui lui aussi dresse un panorama terrible de notre société.

La réalisatrice Catherine Corsini, qu’on a découvert en 1999 avec LA NOUVELLE EVE (qui révélait Karin Viard), n’a jamais caché ses opinions politiques, ses combats, ses engagements. Elle en remplit à ras bord LA FRACTURE*, ça fuse de tous les côtés, sans doute trop, mais on ne pourra pas douter de ses intentions.

Le film se déroule sur quelques heures, une nuit. Le prologue en montage parallèle est rapide, informatif. On est dans l’urgence (sic), allons droit à l’essentiel. Donc d’un côté Raf (comme Raphaëlle ?) et Julie, en couple mais plus pour longtemps, puisqu’il y a de l’orage dans l’air. Julie se barre, Raf lui court après, glisse, tombe, se fracture le coude : direction les Urgences**. Yann, routier, gilet jaune en pleine manif parisienne, harangue les CRS, se prend une grenade, le mollet en charpie : direction les Urgences. Urgences surchargées par manque d’effectif, l’infirmière Kim enchaîne sa sixième nuit de garde…

C’est dans un décor quasi unique, et le temps d'une nuit que Catherine Corsini met en scène le chaos. Pour cela, elle choisit de filmer caméra à l’épaule. Je ne suis pas très fan, les premières minutes sont assez pénibles, tout est cadré de très près (donc pourquoi ce format scope ?) visages en gros plans, seconds ou arrières plans flous la plupart du temps. L’agacement gagne aussi avec les personnages, surtout celui de Raf, bobo enquiquinante et superficielle, hautaine, on comprend pourquoi Julie veut larguer les amarres.

Les patients hurlent dans tous les coins, protestent, les équipes médicales sont débordées. Catherine Corsini filme les antagonismes, les classes sociales, les opinions politiques divergentes et à priori irréconciliables. Les infirmières sont briefées pour noter les noms des gilets jaunes estropiés, ce qu’elles refusent, passent prodiguer des soins de brancard en brancard, entassés dans les couloirs. Raf est odieuse, traitant de « prix nobel » l’interne qui la soigne parce qu’il demande une radio pour s’assurer que son coude est bien cassé (quand on voit l’articulation ça ne faisait aucun doute).

Ce qui relie Raf et Yann, c’est l’obsession de leur travail. Raf est illustratrice, elle ne se sépare jamais de son carnet et son crayon, désespérée de ne plus pouvoir se servir de son bras droit, plâtré. Elle croque les visages qu’elle voit autour d’elle, jolie scène quand elle offre à Yann le dessin qui le représente. Lui est routier, livreur, chaque minute en moins sur les routes signifie moins de revenu.

Avec le temps, à force justement de filmer au plus près, on s’attache à ces personnages. Comme lorsque Julie croise un ancien camarade de classe venu faire soigner sa fille manifestante gazée par les flics. On s’ignore, on s’évite, et puis lors d’une pause cigarette, contraint, on se reparle. C'est ça aussi ce film, des gens qui se parlent. Yann dit à un moment : « Macron, on voulait le voir, lui parler...».

Si au départ on est dans les stéréotypes que chacun se renvoie à la tronche, au final surgit une tranche d'humanité déglinguée. Le film est plein de petits moments, souvent drôles, savoureux, parfois dramatiques, lorsque Yann découvre une petite vieille décédée dans son lit, ou ce malade paranoïaque qui faute de traitement pète un plomb, et prend Kim en otage.   

Dans un film tourné dans un décor si exigu, avec une multitude de personnages qui courent partout, les déplacements des comédiens comme de la caméra doivent être millimétrés. Donc répétés. Mais Catherine Corsini a justement demandé à certains de ses interprètes, en douce, de faire tout autre chose, pour déstabiliser le dispositif et provoquer l'accident. Le film n'est jamais statique, la forme épouse le fond. La caméra est sans cesse en mouvement alors que les protagonistes sont cloués en fauteuil, ou sur un lit.

Beaucoup de thèmes sont abordés, la faillite de l’hôpital public sous perfusion, les classes sociales antagonistes, le mal être de la société française, la peur du lendemain, de tout perdre, les violences en tous genre et policières en particulier. Ca fait un peu fourre-tout, catalogue de doléances, empilement de situations qui frise parfois la caricature, mais le film se revendique de ce focus grossissant, l’intention est là, le geste est louable, et efficace.

Valeria Bruni Tedeschi est parfaite en Buster Keaton larmoyant, Marina Foïs toujours très juste, Pio Marmaï étonne encore dans un nouveau registre. Mais au milieu de ce chaos, on retiendra Kim, l’infirmière, jouée par Aissatou Diallo Sagna, réellement aide-soignante de profession, magnifique. Le film se conclut sur son visage lumineux.

* On aura compris le titre à double sens, fracture physique et sociale (chère à Chirac !)

** le film a été tourné avant le Covid, donc pas de masques à l'hosto !

 

couleur  -  1h40  -  scope 2:39

 

Les réalisateurs ont rarement la main sur les bandes annonces, d'où des choix musicaux assez douteux, ici un crescendo lyrico-machinchose mille fois entendu (coller ça sur n'importe quelle BA ça fonctionnera !) qui ne correspond pas du tout à l'esprit du film.  


3 commentaires:

  1. « On dit aussi que le cinéma français ne parle pas du réel »
    Au contraire. Mais le « réel » des « bobos » (terme galvaudé mais je n'en vois pas d'autre à brûle-pourpoint). En tous cas, il œuvre efficacement pour le « pouvoir d'achat », le mien en tous cas, en me faisant faire des économies (au prix où est la place)...

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  2. La place à 4,50 euros, moins qu'un kebab, quand on se donne la peine de chercher. "Bobos" terme effectivement galvaudé, fourre-tout, justement caricaturé dans ce film.

    Ai-je à faire au même anonyme que cet été, avec "Titane" ? Si oui, ravi de vous revoir parmi nous. Vous n'allez pas aimer les articles de vendredi prochain, plein de petits bourges en mal de vivre...

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  3. j'ai encore en tête le merveilleux et lumineux film de Catherine Corsini "La belle Saison" avec Cecile De France et Izia Higelin , une splendeur ,!

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