jeudi 23 septembre 2021

Hans KNAPPERTSBUSCH & Philharmonie de Vienne – BEETHOVEN & WAGNER (1962) – par Claude Toon


- Tiens Claude, une vidéo de 1962, c'est nouveau non ? Dis, après les noms polonais migraineux, derechef avec les teutons… Pfffff !
- Oui Sonia, une idée : découvrir des live historiques qui vieillissent bien, et des artistes qui ont forgé la légende…
- La légende, la légende… C'est vite dit… J'ai jamais entendu parler de ce monsieur Knappertsbusch, d'ailleurs à part toi, qui… Heuuuu…
- Au moins tous les fans de Parsifal, l'opéra de Wagner dont le maître enregistra à Bayreuth deux versions mythiques en 1953 et 1962…
- Birgit Nilson, une très belle voix de stentor je crois, mais Wilhelm Backhaus, le pianiste, il ne m'évoque rien…    
- Encore un grand nom du XXème siècle Sonia, mais plutôt du début… L'image et le son ne sont pas top, mais toute une époque… 


Hans Knappertsbusch (1888-1965)

En visualisant et écoutant la vidéo YouTube, j'étais à des lieux de penser que Teldec avait réédité en DVD ces captations de l'ORF (la radio-télévision autrichienne). De toute façon j'avais envie de partager entre mélomanes cette soirée du 31 mai 1962, la philharmonie de Vienne sous la baguette de Hans Knappertsbusch. Plusieurs raisons : à moins de commenter Parsifal, l'ultime et mystique opéra de Wagner pour lequel l'ambitieux Wagner fit construire le Festpielhaus de Bayreuth, il n'y a guère d'occasion de vous présenter ce maestro iconoclaste de la grande tradition de la musique allemande de la première moitié du XXème siècle… Et puis ce programme est typique du répertoire de cet homme : Beethoven et Wagner. En prime un pianiste dit "de légende" Wilhelm Backaus et également Birgit Nilson, LA soprano wagnérienne de l'après-guerre qui malgré un physique de lutteuse suédoise (son pays d'origine) est restée incomparable dans les incarnations d'Isolde ou de Brunehilde dans les péplums wagnériens mais aussi de Salomé ou d'Elektra, "folles furieuses" dans les drames éponymes de Richard Strauss.

Pourquoi se passionner pour ce programme à l'image floue et grisâtre, au son étriqué et un chouia distordu ? La réponse serait la même pour un film de Chaplin, Renoir, Fellini de l'époque du réalisme ou encore les chefs-d'œuvre du cinoche des années 30-50 en NB ; l'émotion, la finesse de la mise en place ou en scène, l'implication totale et pointilleuse d'artistes ayant consacré une vie à parfaire leur art.

On pourra penser à juste titre que de nos jours l'interprétation de Beethoven et de Wagner a gagné en légèreté avec des tempos plus palpitants, certes, mais retrouve-t-on si souvent que ça la tragique tension des premières mesures de l'ouverture de Leonore III qui débute le concert, un exemple parmi cent ? Pas si facile à dénicher ce DVD !

~~~~~~~~~~~~~~~~~~


Hans Knappertsbusch vers 1900
xxxxxxxxx

Curieux hasard. J'avais commencé la rédaction de ce billet le 1er août et je la reprends le 1er septembre, jour de réception de la revue Diapason et… sous le titre Monsieur K, ce numéro contient un petit article à propos de la parution d'une série de cinq coffrets ; successivement : Philharmonie de Vienne (19 CD), Philharmonie de Berlin (13 CD), Philharmonie de Munich (11 CD), Autres orchestres de légendes (11 & 10 CD), édition Scribendum. Une somme vertigineuse d'ouvrages symphoniques dirigés par Knappertsbusch depuis les 78 tours de 1920 aux dernières gravures en stéréo de 1965. Pas d'opéra dans cette anthologie. Et, second hasard, la photo illustrant ce papier est la même que celle que j'avais sélectionnée. Il faut dire que les clichés "en civil" presque cool et de belle qualité photographique du maestro d'allure si typiquement teutonne sont fort rares…

Rien de bien neuf dans le texte ne concurrencera ce que je pensais évoquer sur l'homme et l'artiste. Juste une annonce discographique détaillée et bienvenue pour les fans du chef d'une époque où il rivalisait avec Wilhelm Furtwängler, Richard Strauss, Otto Klemperer, Bruno Walter, Karl Böhm, le jeune Karajan et bien d'autres maestros héritiers du style en vigueur au début du XXème siècle : à savoir une grandeur au romantisme appuyé mais scrupuleux de la mise en place de chaque note en respect des partitions. Knappertsbusch, personnalité atypique, est trop souvent étiqueté comme un wagnérien compulsif et rien que ça ! Il y a une explication à cet a priori, j'y viens…

Hans Knappertsbusch voit le jour en 1888 dans la ville moyenne de Elberfeld près de Düsseldorf. J'aime beaucoup cette photo du maestro enfant choisie comme en-tête de son site Facebook. Un jeune et beau garçon blond, un pur aryen au regard autoritaire qui deviendra adulte un colosse. Le Fürher l'aurait adoré comme icône de ses délires raciaux si l'admiration avait été au programme de Knappertsbusch, mais ça ne sera vraiment pas le cas… N'anticipons pas.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~


Hans Knappertsbusch en 1930

Son père, distillateur de spiritueux, voit d'un sale œil les velléités du fiston d'envisager une carrière musicale. Opiniâtre, l'adolescent accepte d'étudier la philosophie à Bonn puis, bravant l'autorité parentale, il suit des cours de direction d'orchestre à Cologne. (Les villes sont assez proches de Elberfeld.) À Bonn, il dirigeait déjà l'orchestre des élèves.

Dès 1909, Hans papillonne entre Mülheim, Bochum, Elberfeld, villes de la Ruhr et Leipzig en Prusse pour se faire la baguette. Une incroyable opportunité s'offre à l'apprenti maestro de 21 ans : Siegfried Wagner (fils de Richard et dédicataire à sa naissance de Siegfried-Idyll - Clic), alors directeur (juste après Dieu) du festival de Bayreuth le prend comme assistant de 1909 à 1912. Il enrichit son style de chef wagnérien avec l'appui de Hans Richter. Hans Richter est l'ami depuis 1868 de Richard Wagner et sera son défenseur jusqu'à sa mort en 1916 ; ajoutons qu'il créera Lohengrin à Bruxelles et le Ring à Bayreuth.

Hans Knappertsbusch devient un passionné du compositeur. On peut même affirmer que toute sa vie et sa carrière seront au service des œuvres lyriques du génie bavarois. N'oublions pas que la famille Wagner fonctionne comme une secte. L'héritage artistique et la direction du Festspielhaus de Bayreuth restent depuis l'origine sous le contrôle absolu des Wagner : Siegfried Wagner (1869-1930), puis l'épouse de celui-ci, Winifred Williams-Wagner (1897-1980), une fanatique nazie convaincue chassée de son poste de gardienne du temple de la colline sacrée de Bayreuth lors de la dénazification de 1945 qui entraîne aussi la fermeture du festival jusqu'en 1951 (Furtwängler dirigera la 9ème symphonie de Beethoven pour la réouverture). Cette année-là le petit fils Wieland Wagner (1917-1966) prend les rênes du festival et le révolutionne par des mises en scène modernistes très dépouillées. Knappertsbusch n'appréciera guère l'abandon du carton-pâte et des costumes en peau de bête inspirées des cartoon Pierrafeu (anachronisme, mais c'est l'idée). À la mort prématurée de Wieland, son frère Wolfgang (1919 -2010) reprend le flambeau mais invite des metteurs en scène hors du cénacle tel Patrice Chéreau en 1976 qui scandalise en compagnie de Pierre Boulez en dynamitant la routine imposée au Ring façon Tarzan. Wolfgang préfère la gestion et son fils Gottfried Wagner (né en 1947) déteste sa famille compromise avec le nazisme. Ses sœurs Eva et Katharina Wagner cogèrent le festival depuis 2008. Le festival n'échappe jamais à cette famille surprenante. Hélas les grands chanteurs wagnériens se font bien rares…

Wilhelm Backaus (1884-1969)
XXX

Nota : Lors du centenaire de la mort du compositeur en 1976 Wieland Wagner s'opposera sans appel à la présence de sa mère Winifred qui jugeait encore bon de répondre à propos de sa complicité avec Hitler "Je l'accueillerai comme l'ami qu'il a toujours été à la maison" ; sa fille Friedelind Wagner fut à l'inverse une opposante virulente au nazisme et affirma en substance que son "grand-père Richard n'aurait pas adhéré à ce régime de butors". Je partage cette idée, l'anéantissement total de tous les personnages à la fin du Crépuscule des Dieux n'anticipait-il pas l'effondrement de ce régime nourri de trahisons, de violence et de haine par des monstres ? Aux caciques nazis sanguinaires et corrompus, opposons la pureté et la noblesse des héros Lohengrin ou ParsifalC'est dur d'être admiré par des béotiens !!!

Hans Knappertsbusch bien que patriote détestait l'idéal nazi. Idolâtré comme interprète de Wagner, musicien fétiche du Fürher, il refuse pourtant d'appliquer la nouvelle règle qui consiste à interpréter l'hymne hitlérien, le Horst-Wessel-Lied, en introduction des concerts ! Hitler furieux lui interdira dès 1936 de diriger en Bavière (donc à Bayreuth et à Munich). Malgré ses distances idéologiques, "avoir continuer de diriger en Allemagne" le fait condamner au silence de 1945 à 1946, date où les alliés le réhabilite pour "leur erreur"… Hans Knappertsbusch n'acceptera plus aucun poste officiel, travaillant sur invitation avec les Philharmonies de Vienne ou de Berlin, etc.

Hans Knappertsbusch restera un homme du passé, du postromantisme. L'avantage : une fidélité sans faille aux partitions, une rigueur dans la mise place et une direction illustrant le principe que le compositeur est le seul à connaître la quintessence de sa musique. En revanche, l'homme est à la fois bonhomme et colérique, voire grossier et insultant, le dictateur du pupitre à l'ancienne comme Toscanini. Knappertsbusch abhorrait les répétitions, exigeant que les musiciens, tout comme lui-même, apprennent par cœur et seuls leurs partitions. Une gestique économe et quelques regards ne devant servir lors du concert qu'à obtenir l'unité expressive. Et dans Wagner avec lequel déchiffrer des partitions de 500 pages seraient une perte insensée de temps, le résultat est fulgurant.

Pour BrucknerBeethoven et Brahms autres passions du chef, c'est moins le cas. Wagner exigeait un respect absolu de son chromatisme complexe, ses confrères offraient la possibilité aux maestros d'une plus grande liberté d'imagination pour animer leurs œuvres. Par ailleurs, comme plus tard Celibidache, "Kna" (surnom amical) n'aimait guère les studios et les disques d'une qualité sonore plutôt médiocre pour sa génération, il faut bien le reconnaître… 

Sa discographie officielle est donc très disparate, ce qui explique que sa notoriété soit encore confidentielle, contrairement à un Furtwängler, un Klemperer ou un WalterPourtant en 1951 et en 1962, à Bayreuth, dirigeant Parsifal en live avec les castings de chanteurs de rêve de l'époque, il signera ce qui demeurent deux gravures culte. Avant d'écouter le concert, quelques mots sur les solistes.

~~~~~~~~~~~~~~


Birgit Nilson (1918-2005)

Certains instrumentistes virtuoses sont entrés dans la légende en visitant un vaste répertoire ou parfois comme serviteur, admirateur et zélateur d'un compositeur particulier. On pense à Glenn Gould et à son talent pointilliste (parfois discutable) principalement dans Bach (l'exemple le plus médiatique), Arthur Rubinstein dans Chopin et pas que… Etc. Wilhelm Backaus fut un serviteur exemplaire de Beethoven ; certes il n'est pas resté le seul, pensons à : Arrau, Brendel et d'autres…

Né en 1884 à Leipzig, le jeune Wilhelm Backaus révèle très tôt des dons évidents comme pianiste. Il donne son premier concert à l'âge de huit ans et rencontrera Brahms en 1895 lors d'une exécution du second concerto de ce dernier. Brahms dirige l'orchestre, Eugen Albert étant au clavier, un ouvrage dément (Clic) qui marquera beaucoup Wilhelm.

En 1905, il remporte devant Bela Bartok le prix Anton Rubinstein. Arthur Rubinstein imaginera qu'il y a eu magouille pour établir le palmarès… et sera fâché à vie avec Backaus… Il se présentera lui-même en 1910 mais repartira juste avec une mention. Il faut dire que les juifs, surtout polonais, étaient mal vus du jury formé d'artistes russes… Pfff ! Bref…

Backaus voyagera beaucoup, modernise par une style raffiné et clair le jeu du clavier, parfois ampoulé d'effets romanesques à force de se vouloir romantique. Grand interprète de Bach et Brahms, c'est Beethoven qui sera sa passion et, à ce titre, il enregistrera de nombreuses gravures des concertos et deux intégrales des sonates dont une à la charnière de la monophonie et de la stéréo… Des disques encore disponibles plus ou moins régulièrement chez plusieurs labels. Je donnerai quelques indications sur la particularité de son jeu lors de l'écoute du 4ème concerto, bluffant !

 

Birgit Nilson (1918-2005) n'est pas une nouvelle venue dans le blog. La soprano suédoise à la voix d'airain a parfois été étiquetée comme "la soprano du siècle", expression que je trouve toujours un peu excessive, même si dans le répertoire wagnérien, on peut à juste titre se poser la question pour cette diva ! Un physique puissant qui de nos jours ne lui faciliterait pas l'accès à des rôles de jeunes princesses comme Isolde, voire d'adolescente vénéneuse comme Salomé ou encore de l'hystérique Elektra dans les deux opéras de Richard Strauss… Mais quelle voix sans faiblesse, quelle présence tragique ! Relire l'article sur Tristan et Isolde, acte II scène 2 (Clic) à Bayreuth en 1966 sous la direction de Karl Böhm et en compagnie de Wolfgang Windgassen, son alter ego dans le rôle de ténor héroïque de Tristan… Encore le mot "légendaire" qui vient à l'esprit… Même le grand Jonas Kaufmann a renoncé à tenter l'exploit lyrique exigé par Wagner.

~~~~~~~~~~~~~~



Lise Davidsen et Jonas Kaufmann en 2020 à Covent Garden

L'ouverture Léonore III comme vous ne l'avez jamais entendue

Ludwig van Beethoven n'a écrit qu'un seul opéra. Un ouvrage atypique qui mériterait sa chronique. Le compositeur a beaucoup travaillé (on pourrait dire piétiner) entre 1804 et 1814 pour aboutir à la forme finale. L'audace l'emporte, musicalement parlant, sur les sommets lyriques apportés par Wagner ou les Véristes. Oui, audace est bien le mot car dans la trame d'un opéra bouffe de l'âge classique et ses travestis (MozartBeethoven introduit esprit de révolte, de lutte contre l'injustice, de fascination pour les courants républicains et libertaires… Fidelio est le premier opéra militant !

Beethoven n'est pas un homme de scène, il répond en 1804 à une commande. Passons sur les récritures de 1805, 1806 et 1814, tant du livret que de la partition qui verra se succéder quatre ouvertures. La première à Vienne devant des militaires français de la grande armée napoléonienne fera un bide… Le compositeur est déçu par Napoléon qui après la Révolution s'est fait proclamer Empereur. À ce propos, l'histoire s'inspire d'un événement ayant eu lieu en France pendant la Révolution, à Tours pour être précis.

Affiche de la création de 1814

Dans une prison de Séville au XVIIIème siècle. Le tyrannique gouverneur Don Pizzaro a fait embastiller Florestan, un opposant à sa dictature, ainsi que ses compagnons. Léonore, épouse de Florestan décide de se déguiser en homme pour intégrer la prison sous le pseudonyme de Fidelio. Un job de gardien sous le contrôle du sévère geôlier Rocco… La fille de ce dernier, Marcelline tombe amoureuse de Fidelio (très mozartien ce transformisme – comme dans Les noces de Figaro, rôle de Cherubin - que l'on retrouvera jusque dans Le chevalier à la rose de Richard Strauss ; rôle d'Octavian). Après maintes péripéties, l'arrivée du ministre Don Fernando mettra fin à l'incarcération arbitraire de Florestan et de ses compagnons sauvés par Léonore qui révèle son identité réelle ; Marcelline en sera triste. Le ministre met aux arrêts l'infâme Don Pizzaro… Le chœur final est chanté par les détenus enfin libres !!! Toute la pensée humaniste et "anarchiste" de Beethoven nourrit ce qui aurait pu n'être qu'un opéra bouffe de plus.  

Le rôle de Florestan est écrit pour un ténor héroïque ; Beethoven devance les Siegfried, Tristan ou Parsifal de Wagner ! L'orchestre est puissant : picolo, 2/2/2/2 + contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones (alto, ténor, basse), timbales et cordes ; plus une trompette en coulisse. (Partition de Leonore III)

Beethoven composera quatre ouvertures différentes au cours des ans. Des ouvertures imposantes, Léonore II et III dépassent le quart d'heure ; l'ouverture définitive change de nom en 1814, le titre devient Fidelio, elle ne dure que six minutes, une durée plus conforme aux usages du temps. Quatre versions de l'ouverture ont été composées au fil des réécritures : Léonore I, opus 138 (1807), Léonore II, opus 72 (1805), Léonore III, opus 72a (1806), Fidelio opus 72b (1814) qui sera au menu de la recréation de 1814 qui rencontrera le succès. L'ouverture de Léonore III débute le second et dernier acte de nos jours. Léonore II a du être jouée lors de la première en 1805 et fait partie des mises en bouche des concerts symphoniques actuels, en son temps son ampleur déséquilibrait le début de l'action qui se faisait trop attendre.

J'ai un faible pour Léonore III pour sa richesse thématique qui dépasse les limites de la tradition et fait songer à un poème symphonique, forme qui ne verra le jour qu'avec Liszt avec l'écriture de Ce qu'on entend sur la Montagne d'après Hugo en 1848 (Clic).

[1:42] Hans Knappertsbusch avait la réputation (exagérée) de diriger sèchement ; ici c'est un atout. La vaillance du trait de cordes et du coup de timbales initiaux ff fait songer aux premières mesures des symphonies 4 & 5 contemporaines, la rudesse d'un drame à venir… L'exposition p > pp (adagio) sonne ténébreuse, sinueuse, inquiétante mais sans aucune lourdeur, elle illustre à merveille les soupirs mélancoliques de l'héroïne. [3:46] la marche flûte-bois-cordes incisive exalte la volonté inextinguible de Léonore de lutter contre la tyrannie. Le maestro allemand adopte un staccato qui permet d'entendre tous les détails d'orchestration ; un style rare à l'époque sauf chez Furtwängler. [5:46] Le thème principal de l'opéra s'élance avec douceur pour culminer hardiment, un crescendo nous transportant de la tendresse amoureuse à l'héroïsme combatif. Il semblerait que la coda de l'ouverture se présente déjà, comme dans celle nommée Fidelio. De nombreuses reprises et variations vont suivre. 

Knappertsbusch lent ? Non, cette fausse impression provient de la mise en place de chaque détail, et puis l'orchestre de Vienne brille de tous ses feux. La gestique se veut économe mais incroyablement précise, la baguette devient le pinceau d'un Monet appliquant ses fines touches de couleurs. Le farouche final est une clameur, celle de la liberté, et aucunement une apocalypse symphonique un peu vaine comme on l'entend souvent, y compris par maître Karajan (une playlist des quatre ouvertures par l'autrichien est proposée en complément pour se faire une idée de l'évolution de la pièce). Une direction fluide et un parcours lumineux des motifs, donc des leitmotive, difficile à égaler, la passion…


Backaus vers 1960

Beethoven : concerto N° 4 (1806)

[21:20] Ludwig van a composé cinq concertos pour piano à ses débuts de carrière entre 1798 et 1809. Le 4ème date de 1806, il est donc contemporain du travail sur Fidelio et d'une certaine manière porte la marque de la vague romantique qui souffle sur l'œuvre de Beethoven de manière définitive depuis la création en 1804 de la symphonie "héroïque". Quatre de ces concertos majeurs du répertoire ont été commentés dans le blog dont ce 4ème par le duo Emil GilelsGeorge Szell ; je ne reviens donc pas sur sa genèse ni sur son analyse détaillée (Clic).

Dés les premières mesures confiées au soliste, une nouveauté, l'art de Backaus surprend par sa délicatesse ; pas d'esbrouffe, une certaine pudeur, chaque note joue son rôle, un climat énigmatique. Le virtuose ne cherche pas à épater mais à traduire les angoisses du compositeur au prise avec sa surdité grandissante et bien d'autres soucis… Dans le commentaire de 2016, je parlais de frappe feutrée. On la retrouve dans ce jeu tout en intériorité. Knappertsbusch se met au diapason du soliste en conduisant la philharmonie viennoise vers l'intimité. Une complicité d'une secrète élégance.

Pas un mot de plus qui ne serait que du boniment importun, écoutons, un souffle céleste éclairant cette interprétation fort brillante sans renier une évidente humilité… [36:07] la cadence de l'allegro est un moment de grâce, une course vertigineuse…



Wagner : Ouverture de Tristan et Isolde, mort d'Isolde

Birgit Nilson : Isolde au MET en 1959
XXXXXXX

Terminer ce concert radiodiffusé (1H20) de Hans Knappertsbusch sans quelques pages de Wagner frustrerait ceux qui ont lu mes propos sur le culte que portait le chef à ce compositeur. Là encore, pour découvrir Tristan et Isolde dans son intégralité et son ouverture dirigée par Otto Klemperer, deux articles sont à lire (Clic) & (Clic).

Ah les interprétations langoureuses et emphatiques de l'ouverture du drame lyrique imaginée par Wagner qui hésitent entre la haine opposant Tristan à Isolde puis l'expression de l'amour fou les réunissant jusqu'à la mort, des amants maudits… L'entrelac des leitmotive, l'incertitude émotionnel lié au chromatisme oscillant entre mode majeur et mineur ne facilite rien. [59:30] La subtilité du phrasé obtenu par Knappertsbusch tient au miracle (avis personnel). Là encore, discourir sur ce quart d'heure musical ne serait qu'intellectualisme. Webern affirmait que le silence était une note à part entière et Knappertsbusch joue de ce concept surprenant, évitant que les "citations" mélodiques ne se noient dans un legato liquoreux ; isolant finement chaque motif (leitmotiv) propre aux émois des protagonistes ou aux péripéties épiques, ceux-ci ayant ainsi dans l'ouverture une vie propre, une fonction narrative. Exemple : le silence qui suit les quatre premières mesures : l'arpège des violoncelles suivi des accords aux vents… Le maestro souligne tous les contrastes de la mélodie et de sa sublime orchestration dans les mesures suivantes ; doit-on songer à la tendresse amoureuse ou à la mélancolie d'un destin funeste inévitable ? On rencontrait déjà dans Leonore III cette volonté de considérer l'ouverture d'un opéra comme se limitant à un simple amuse-bouche. 

Habité par la partition, Knappertsbusch met en scène un récit complet. La battue est soutenue, le flot orchestral jouant sur les aspérités tragiques là où souvent on baillera confronté à un romantisme terne, un legato mélodramatique. Oserait-on parler d'un style marmoréen ? En aucun cas ! 60 ans plus tard,  le lyrisme et la vitalité du phrasé demeurent rarement égalés…

En fermant les yeux, nous imaginons Birgit Nilson se métamorphoser en une frêle Isolde à la voix séraphique et pourtant déterminée de jeune princesse. La diva abandonne à l'époque tout vibrato affecté, une coquetterie qui disparaissait depuis peu chez les chanteuses. Isolde se meurt avec dignité et noblesse. La cantatrice suédoise s'abstient d'user de sa puissance vocale légendaire, elle privilégie l'émotion, encore de l'émotion, la vie la quitte laissant l'amour bien seul… Sublime.

Je vous laisse méditer et surtout écouter…

~~~~~~~~~~~~~~

 

Une curiosité : les quatre ouvertures pour Fidelio par Herbert von Karajan dans les années 60. La sonorité enveloppante et envoutante de la Philharmonie de Berlin. Un legato charmeur, mais du coup tout le discours ne manque-t-il pas de témérité par rapport avec le sujet ? Un poil hédoniste le Herbert disait-on ? Il faudrait vraiment faire la fine bouche… 😊



1 commentaire:

  1. Une très bonne cuvée 1962, pour le vin 1962 est un superbe millésime à Bordeaux et puis...je suis de 62 !!!

    RépondreSupprimer